Dans
un article récent [13], nous avons vu que les Ébionites et les Marcionistes
élaboraient leur propre bible en fonction de leurs doctrines. Des textes sacrés
ont été rejetés, expurgés, manipulés pour justifier leur enseignement. Le début
de l’ère chrétienne est aussi marqué par la diffusion de livres prétendus
apostoliques qui, souvent fantaisistes, diffusaient un enseignement gnostique
ou judéo-chrétien contraire à celui de l’Église. Toujours aux premiers siècles,
au cours des persécutions antichrétiennes, les autorités romaines ont recherché
à brûler les Livres Saints en vue d’empêcher la diffusion du christianisme. L’Église
a alors vivement condamné les évêques qui leur ont livré les textes sacrés. De même,
avant l’ère chrétienne, sous Antiochus Épiphane, les Juifs ont aussi préservé
de la destruction leurs Livres Saints. Ces faits historiques montrent ainsi la nécessité d’identifier
formellement les Livres qui forment la Sainte Écriture. Dans cet article, nous
allons donc présenter comment se serait constituée la liste officielle de la Sainte
Bible que nous appelons « canon ».
Le
canon biblique, régulateur de la foi
Le
canon biblique définit la liste des Livres que l’Église déclare
officiellement inspirés de Dieu. Par extrapolation, il désigne les livres qui forment officiellement la Sainte Bible. En dehors de ces textes canoniques,
« rien ne doit être lu dans l’Église
sous le nom de divines Écritures. »[1]
Le
terme de « canon » est
souvent employé dans l’Église. Nous le retrouvons pour désigner une partie de
la Sainte Messe, les tableaux déposés sur l’autel sur lesquels sont écrites
certaines prières que doit réciter le célébrant, le catalogue des saints et des
saintes, des textes juridiques, etc. Il provient d’un terme grec « kanôn » qui signifie « règle ». Il pourrait être emprunté
aux langues sémitiques[2].
Le mot hébreu « qâneh » en
est très proche. Il désigne le roseau qui sert à mesurer. Le terme peut alors
s’entendre à l’origine comme un objet servant à mesurer, une règle, un modèle.
Au sens dérivé, il désigne la chose mesurée elle-même. A Alexandrie, les
grammairiens nommaient « canon »
la collection des œuvres classiques dignes d’être proposées comme modèles en
raison de la pureté de la langue. Pline désignait sous le nom de « canon » de Polyclète l’ensemble des
règles et mesures à suivre dans la statuaire. Épictète appelait « canon » l’homme qui pouvait servir
de modèle aux autres à cause de la rectitude de sa vie.
Saint
Paul reprend le terme de « canon » dans les deux sens. Il l’emploie pour désigner des choses
mesurées, par exemple en parlant du champ d’apostolat dans lequel il se glorifie
« selon la mesure du champ
d’action que Dieu nous a assigné pour
nous faire arriver jusqu’à vous » (II Corinthiens, X, 13).
Il l’utilise aussi au sens de règle de vie. « Paix et miséricorde sur tous ceux qui observeront cette règle
[…] » (Galates, VI, 16), c’est-à-dire le principe de conduite qu’il a
énoncé précédemment : « la
circoncision n’est rien, l’incirconcision n’est rien ; ce qui est tout,
c’est d’être une nouvelle créature. » (Galates, VI, 15)
Le terme est souvent repris par les premiers
chrétiens pour désigner la règle de la Tradition, la règle de la foi ou de la
vérité, la règle de la vie chrétienne ou de la discipline ecclésiastique. A
partir du IVe siècle, il désigne aussi les décrets que les autorités
ecclésiastiques ont promulgués dans les conciles.
Le
canon biblique peut donc être entendu de deux manières. Comme le roseau, il
désigne la chose qui mesure, c’est-à-dire la règle de foi. Dès les premiers
temps, les chrétiens voient en effet dans la Sainte Écriture comme renfermant
une véritable règle de foi et de vie[3].
Puis comme les écrits canoniques des grammairiens, il désigne la chose mesurée,
c’est-à-dire les textes dont une autorité a fixés comme règle écrite de la foi puis
comme écrits régulateurs. Ce sens est attesté dès le IIIe siècle
tant en Orient qu’en Occident. Selon la plupart des commentaires, Saint
Athanase serait le premier à utiliser le terme de canon pour désigner la liste
close des œuvres que l’Église considère comme textes inspirés[4].
A partir du IVe siècle, cet usage devient courant chez les écrivains grecs et
latins.
Nous
entendons donc aujourd'hui par « canon
biblique » « la
collection des livres divinement inspirés qui renferment la révélation ou la
règle infaillible de la foi et des mœurs. »[5]
L’adjectif « canonique » est alors utilisé pour désigner les livres
qui appartiennent au canon. Ainsi seuls les livres canoniques doivent être
entendus comme inspirés et donc ayant Dieu pour véritable auteur. Eux-seuls contiennent
la Révélation comme le proclame déjà le concile de Laodicée en 363 (canon 59).
L’Église
à l’origine de la canonicité des livres bibliques
Seule
l’Église peut définir la canonicité des Saintes Écritures. C’est en effet « l’Église seule » qui « reçoit et vénère »[6].
Précisons qu’elle ne la crée pas ; elle ne fait que la reconnaître. En
effet, des textes bibliques ne sont pas dits inspirés parce qu’ils sont
canoniques mais parce qu’ils sont inspirés, ils sont dits canoniques.
L’inspiration est donc une condition préalable à leur canonicité. « L’Église les tient pour tels non point parce
que composés par le seul travail de l’homme, ils auraient été ensuite approuvés
par son autorité, ni non plus seulement parce qu’ils contiennent sans erreur la
Révélation, mais parce qu’écrits sous l’inspiration du Saint Esprit, ils sont
Dieu pour auteur et ont été transis comme tels à l’Église. »[7]
Ce n’est donc ni leur authenticité, ni leur inerrance qui conditionnent leur
canonicité. Ce n’est pas non plus leur inimitabilité. La canonicité d’un texte est
seulement la reconnaissance de son origine divine.
Les
premières listes canoniques complètes et officielles que nous possédons
aujourd'hui viennent de Rome et de l’Afrique (IVe siècle). L’Église décrète le
canon officiellement au Concile de Florence en 1442 dans la bulle sur l’union
sur les Coptes et les Éthiopiens. Le Concile de Trente reprendra cette liste en
se justifiant. Ce sont les livres « tels qu’on a coutume de lire dans l’Église catholique et qu’on les
trouve dans la vieille édition de la Vulgate latine »[8].
Le décret rappelle un usage ancien et le formalise officiellement. Au XVe
siècle, les catholiques, les coptes et les éthiopiens rappellent la doctrine
sur laquelle se fonde leur union, et notamment les sources de la foi. Le désir
d’unité appelle en effet à une unité de foi. Au XVIe
siècle, l’Église doit le confirmer face aux
protestants qui remettaient en cause la canonicité de certains ouvrages.
Les
livres apocryphes[9]
« Chez les anciens, on appelait apocryphe des
écrits, dont l’origine était inconnue ou qui portait un faux nom, ainsi que des
écrits non admis dans le canon, bien, d’après leur titre ils eussent pu
revendiquer leur admission, et que même, durant un certain temps quelqu’uns
aient été regardés comme canoniques »[10].
Nous pouvons déjà faire la remarque que le terme d'« apocryphe » n’a de sens que par
rapport à un canon biblique.
Les
livres apocryphes sont des écrits d’origine juive ou chrétienne, anonymes ou
pseudonymes, qui sont regardés et acceptés par l’Église comme des livres non inspirés.
Ce sont donc des écrits qui ne peuvent pas figurer dans le canon des Saintes
Écritures. L’Église leur attribue cette qualification car certaines communautés
généralement hérétiques les considéraient comme inspirés et donc leur octroyaient
une autorité qu’ils n’avaient pas.
Généralement,
les livres apocryphes ont pour but de diffuser une doctrine opposée au judaïsme
ou au christianisme. Par conséquent, ils s’opposent aux Livres Saints. Ils
peuvent aussi être des œuvres de propagandes censés justifier une politique.
Enfin, ils ont l’intention de satisfaire la curiosité des croyants en éclairant
des points d’ombre qu’ont laissés les livres sacrés. Pour toutes ces raisons,
ils sont considérés comme douteux. Cela ne signifie pas qu’ils sont
nécessairement faux et systématiquement hérétiques. Ils peuvent par exemple
refléter des pratiques anciennes en usage dans les premières communautés
chrétiennes. Ils peuvent aussi être l’écho de la tradition orale des premiers
temps. Certaines informations que seuls des apocryphes nous ont données ont
ainsi été prises en considération par l’Église. Cela signifie simplement qu’ils
ne peuvent pas être considérés comme des œuvres ayant Dieu pour origine. En un mot, ils n’ont aucune autorité
en matière de foi et de morale. Ainsi leur lecture nécessite prudence et
critique.
Ne
confondons pas les livres apocryphes avec d’autres textes qui parfois ont été
inclus dans « le catalogue des
livres sacrés » et qui finalement en ont été définitivement rejetés.
Nous pouvons citer par exemple le Pasteur d’Hermas ou la Lettre
de Saint Clément. Ce sont des textes vénérables depuis les premiers
temps. Ils sont aussi en usage pour l’enseignement. « Pour plus d’exactitude je suis obligé d’ajouter ceci aussi à ma lettre,
qu’il y a d’autres livres en-dehors de ceux-là, qui ne sont pas canonisés, mais
que l’usage reçu des Pères a prescrit de lire aux débutants qui veulent
recevoir l’enseignement catéchétique de la vraie religion »[11].
Saint Épiphane les qualifie aussi d’« utiles »
et de « profitables ».
La
présence de livres apocryphes tant juifs que chrétiens impose donc aux
autorités judaïques et chrétiennes de reconnaître formellement les œuvres
véritablement inspirées. L’élaboration du canon répond donc à cette nécessité. Elle
a donné lieu à des critères discriminants. Cela ne signifie pas que l’Église a
créé le canon. « L’Église catholique
n’accepte pas l’honneur prétendu qu’on lui fait d’avoir elle-même créé le
Nouveau Testament en le haussant à la dignité d’Écriture Sainte. Elle n’a point
cette prétention. Elle a reçu les livres du Nouveau Testament comme ceux de
l’Ancien, revêtus d’une autorité propre, et en a conservé le dépôt. »[12]
Dans
l’article suivant, nous allons présenter l'élaboration du canon
juif de l’Ancien Testament puis celle du canon chrétien selon les dernières
découvertes …
Références
[1] 3ème concile de Carthage (397), canon 47, denziger 186.
[2] Voir Initiation biblique, chapitre II, sous la direction de A. Robert et de A. Tricot, Desclée et Cie, 1938.
[3] Voir Saint Clément d’Alexandrie, Stromate, VI, 15.
[4] Voir Saint Athanase, Lettre festale 39. Cette lettre date de 367.
[5] Voir Initiation biblique, chapitre II.
[6] Concile de Rome (382), denziger 180.
[7] Concile de Vatican I, Constitution dogmatique Dei Filius sur la foi catholique, chapitre 2, canon 4, 24 avril 1870, denziger 3006.
[8] Concile de Trente, décret sur la Réception des Livres Saints et des Traductions, denzinger 1504).
[9] « Apocryphe » vient de « apo » « cryptam ». « Cryptam » désigne le lieu où étaient enfermés livres sacrés dans les synagogues.
[10] Berthold Ataner, Précis Patrologique, 1961, p.103.
[11] Saint Athanase, Lettre Festale 39.
[12] Lagrange, Introduction à l’étude du Nouveau Testament, I. Histoire ancienne du canon du Nouveau Testament, Lecoffre, 1933, cité dans Apologétique, La crédibilité de la Révélation divine transmise aux hommes par Jésus-Christ, Abbé Bernard Lucien, éditions Nuntiavit, 2011.
[13] Émeraude, article "Contre les Ébionites et les Marcionistes : intégrité et unité de la Sainte Ecriture en danger", novembre 2014.
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