Selon de nombreuses
théories, le christianisme aurait fait l’objet de nombreux changements ou
évolution au cours du temps. Les générations y auraient ajouté des éléments
nouveaux et auraient supprimé des données anciennes. Les Saintes Écritures, par
exemple, auraient été modifiées lors de leurs copies. La tradition orale qui
précède l’écrit aurait aussi été défaillante ou aurait volontairement déformé
l’histoire originelle. Toutes ces théories s’appuient sur le même
principe : rien n’est stable au cours du temps. Elles supposent en
particulier l’incapacité de l’homme à préserver une information au cours des
générations. Elles ignorent ou négligent donc les soins qu’il peut apporter pour
sauvegarder l’intégrité de ce qu’il a reçu et de ce qu’il va transmettre. Elles
méprisent aussi toutes les moyens qu’il a mis en place pour contrôler cette
intégrité. En un mot, ces théories oublient le caractère sacré des paroles et
des textes qui nous ont été transmis.
Mais les faits parlent
d’eux-mêmes. Les manuscrits que nous possédons, les plus anciens datant du IIIe
siècle avant Jésus-Christ, diffèrent peu de nos versions actuelles. L’intégrité
substantielle est en effet préservée. Ce fait indéniable suffirait à démonter
toutes ces théories. Néanmoins il nous interroge. Comment la Sainte Écriture
a-t-elle pu en effet traverser le temps sans véritable dommage ? Dans cet
article, nous allons traiter de la Sainte Bible hébraïque, dite massorétique,
et des moyens mis en œuvre pour préserver son intégrité. Nous verrons ainsi
qu’ils ne sont guère différents des principes que nous appliquons aujourd'hui pour contrôler l’intégrité de nos messages dans nos systèmes informatiques,
intégrité qui nous semble si naturelle.
Rappelons qu’avant la
destruction du Temple, en l’an 70, il existait deux principaux "canons" de l’Ancien
Testament : le canon alexandrin, qui est le fondement du canon chrétien de
l’Ancien Testament, et le canon palestinien. Le premier définit les livres
bibliques constituant la Septante. Au Ier siècle, un ensemble de
rabbins ont défini et clôturé le canon de la bible hébraïque en usage
actuellement dans le judaïsme. Plus tard, du VIIe au XIe siècle, des savants
ont fixé les textes définitifs de l’Ancien Testament. Ainsi s’est élaborée la
Bible hébraïque.
La langue hébreu ancienne
est une langue sémitique. Elle ne note que les consonnes. Des signes ont donc été
ajoutés aux lettres pour guider la lecture. Un système plus complexe a ensuite
été mis en place pour rendre encore plus lisible le texte hébreu. Des signes ou
points voyelles y ont été placés au-dessus ou au-dessous des consonnes, parfois
entre les consonnes, indiquant ainsi la prononciation convenable. Une
ponctuation y est aussi ajoutée afin d’indiquer la ligne mélodique pour la
proclamation chantée dans les synagogues. Des accents sont enfin associés aux
mots afin d’indiquer la manière avec laquelle le texte doit être chanté. Ils
nous renseignent aussi sur le début et la fin des versets. Les méthodes facilitent ainsi la lecture et la cantillation des textes.
Les savants ne font pas
que faciliter la lecture et la cantillation des textes. Ils apportent également des
informations lors des copies de textes bibliques. Des notes, intitulées massorètes [1],
précisent le sens du texte. Nous distinguons les petites massorètes notes brèves qui indiquent surtout les
formes inhabituelles, et les grandes
massorètes, plus développées, sortes de concordances de passages qui
ont un peu les mêmes anomalies. Lorsqu’une anomalie est rencontrée dans le
texte original, quand par exemple un mot est incorrect, les scribes laissent le
mot dans le texte mais indiquent dans la marge un mot plus convenable en
précisant les consonnes modifiées. Lorsque le sens d’un passage est difficile
ou incorrect, ils indiquent comment il doit être compris. Le copiste se refuse de modifier le texte original et apporte des informations en marge de sa copie.
Certes, le copiste peut involontairement modifier des mots et se tromper. Des techniques ont alors été élaborées pour contrôler son travail. Après avoir fini de copier
un livre biblique, le scribe fournit par exemple des indications statistiques en fin de texte.
Il note par exemple le nombre de mots du document copié ou encore le mot, le
verset, la lettre qui se trouvent au centre du livre, voire le nombre de fois
qu’une lettre ou une expression particulière est employée dans le texte. Cette statistique plus ou moins développée et précise permet de contrôler le travail du
scribe et la fidélité de leur copie par rapport au texte original.
Les scribes s’avèrent en
fait très rigoureux et exigeants dans leur travail. Copier un livre saint n’est
pas une activité « normale ».
Ils sont en effet conscients de l’importance de leur travail et de la nature
des textes dont ils ont la responsabilité de transmettre. Certains d’entre eux
considèrent que leur salut dépend de la qualité de leur travail. Toute
altération est en outre identifiée et notée. Des documents, qui relèvent de la tradition
hébraïque, précisent les modifications apportées par les scribes au cours de
leur copie. Selon ces documents, elles sont au nombre de huit, onze ou dix-huit
pour tout l’Ancien Testament. Les soins qu’ont apportés les scribes et leur
contrôle ont ainsi permis de sauvegarder l’intégrité des textes bibliques et de
détecter les erreurs.
Cet exemple montre toute
l’importance que les scribes apportaient à leurs travaux. La copie d’un texte
biblique est accompagnée d’une série de précautions destinées à éviter et à
détecter les erreurs, à faciliter la lecture et la compréhension du texte et à
tracer toute modification légitime. Nous retrouvons aujourd'hui ce même soin
dans les protocoles qui permettent les échanges de nos données informatiques.
Tout un dispositif cherche à garantir l’intégrité de nos données. Ce souci
légitime et même essentiel était aussi partagé par les scribes de la Sainte
Écriture lorsqu'ils devaient copier un texte biblique.
Cependant, le copiste seul
peut-il vraiment préserver et contrôler l’intégrité des textes bibliques ?
Nous ne devons pas en effet ignorer le contrôle des écoles, des savants, des
prêtres, des croyants qui veillent au maintien de la vérité, surtout en une
époque où elles étaient connues par cœur. L’évêque de Chypre Saint Spyridon
(270-342) réprimande en public un homme qui avait osé changé un mot dans la
Sainte Écriture[2].
La lecture dans les synagogues ou dans les églises est d’une extrême
importance. Elle garantit la transmission exacte des paroles de Dieu…
Enfin nous ne pouvons pas
non plus oublier la protection divine dans la transmission des vérités révélée.
Est-il en effet possible que Dieu, l’auteur véritable de la Sainte Écriture,
laisse ses paroles traverser les siècles sans qu’Il veille à leur intégrité alors
qu’elles sont essentielles pour notre salut et qu’elles sont censées subsister
jusqu’à la fin des temps ? Lorsque Notre Seigneur Jésus-Christ commence à
prêcher, nul n’est surpris des versets qu’Il prononce. Les Juifs parlent de la
même Bible. Les Apôtres citent sans explication les versets bibliques. La
Sainte Écriture a su être préservée jusqu'à son avènement. Et depuis l’ère
chrétienne, l’Église assure cette fonction de garant des sources de la foi. L’intégrité
biblique est aussi une réalité visible de ce que nous appelons la Tradition. Rappelons que le Nouveau Testament n’a guère évolué depuis deux
mille ans en dépit des persécutions, des hérésies et des querelles intestines.
Cela tient du miracle… Deo gratias
Références
[1] Le terme de « massorètes » a donné le nom des scribes juifs. Il vient d'un mot hébreu signifiant "tradition". On parle aussi de "mesorah" pour désigner les marques et les notes marginales (lexique, www.seraia.com).
[2] Voir Sozomène, Histoire Ecclésiastique, I, II, cité dans Apologétique, La crédibilité de la Révélation divine transmise aux hommes par Jésus-Christ, Abbé Bernard Lucien, éditions Nuntiavit, 2011.
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