Ambroise, un notable fortuné d'Alexandrie, découvre par hasard un livre intitulé Exposé de la vérité ou Discours vrai d'un philosophe païen du IIème siècle du nom de Celse. Il demande au philosophe chrétien Origène (185-253) de le réfuter. Malgré des réticences, il mène sa tâche et rédige Contre Celse (1), une des plus belles œuvres apologétiques chrétienne.
Louis Rougier (1889-1982), philosophe et penseur de la nouvelle droite, découvre à son tour Celse par l'œuvre d'Origène et en reconstitue une partie de son livre pour l'utiliser comme une arme antichrétienne. Il salue en Celse l'esprit moderne, qui a su « par des méthodes infiniment pesantes, discursives, solennelles, […] confirmer les résultats de l'alerte critique de Celse ». Louis Rougier montre l'imposture et les dangers que représente le christianisme, et dénonce « l'éclipse mentale, le sommeil magique que le christianisme, véritable mancenillier mystique, a fait subir à la pensée humaine, pendant plus de quinze siècles » (Celse contre les Chrétiens, la réaction païenne sous l'empire romain, Chapitre IX).
Sur des sites web antichrétiens (http://atheisme.free.fr), Discours vrai est considéré comme « une attaque en règle contre le christianisme, sans sectarisme, mais au contraire avec rigueur, honnêteté et sincérité. ». Son analyse est présentée comme étant « lucide », son attitude, « tolérance et générosité ».
Dans cet article, nous allons examiner, à partir de Contre Celse d'Origène, non les objections de Celse en elles-mêmes, mais les méthodes qu'il emploie pour attaquer le christianisme. Ainsi, pourrons-nous connaître ce qu'est « l'esprit moderne », ce qu'est « tolérance et générosité ».
Dès la préface, Origène nous donne rapidement une réponse. Il considère Discours vrai comme un « écrit injurieux ». Son principal défaut est de manquer de philosophie. « Pour les raisonnements de Celse, personne de raisonnable ne peut dire qu'ils soient selon les principes de cette science ». Il ne peut tromper « dans l'esprit de quelqu'un qui ait le moindre progrès dans la philosophie ». Finalement, Discours vrai est une « tromperie ».
Le philosophe chrétien montre en effet :
Dans ses réponses aux attaques de Celse, Origène montre notamment son ignorance, qui est source de confusion et d'incompréhension. Il semble être assez au courant du christianisme mais Origène décèle rapidement une méconnaissance réelle des doctrines chrétiennes qui proviendrait probablement de ses sources d'informations (hérésies gnostiques, livres apocryphes, chrétiens ignorants). « Sous prétexte qu'il a peut-être ouï dire quelques petits mots de certaines hérésies, desquels même il ne prend pas bien le sens, mais qu'il tourne comme il lui plaît, il veut passer, parmi ceux qui ne savent rien ni de notre créance ni de celle des hérétiques, pour un homme qui entend toute la doctrine des chrétiens » (VI). Il feigne donc de connaître ce qu'il ignore...
Origène nous montre surtout les faiblesses et les erreurs de raisonnement, d'abord par les principes qu'il énonce sans y donner aucun fondement, et à partir desquels il fonde des démonstrations, se contredisant ainsi d'une belle manière. Car dès ses premières attaques, Celse rappelle en effet que nous ne devons « recevoir aucun dogme qu'après avoir pris conseil de la raison, et que suivant ce qu'elle nous dicte, parce qu'autrement on est sujet à se tromper dans les opinions qu'on embrasse » (I).
Enfin, cet article nous donne un exemple de ce qu'est l'apologétique. Origène nous expose de belles leçons et nous apprend à éviter les erreurs que nous pouvons commettre quand nous attaquons nos adversaires.
- l'ignorance et l'incompréhension de Celse à l'égard de la doctrine chrétienne et des Saintes Ecritures, en dépit de ses déclarations et de ses prétentions ;
- les faiblesses et les erreurs de raisonnement de son adversaire ;
- les véritables intentions qui guident Celse dans ses attaques.
A partir de ces accusations fondées, Origène nous montre des méthodes apologétiques intéressantes. Sa rigueur et son honnêteté contrastent avec les vanités et les railleries de Celse, "indignes d'un philosophes".
Étudions plus en détail les arguments d'Origène...
Origène |
Parfois, ses ignorances proviennent d'une interprétation erronée de la Bible. « Il faut, ou qu'il ait mal entendu les saintes Écritures, ou qu'il s'en soit rapporté à des personnes qui les entendaient mal » (V). Celse prête ainsi aux chrétiens des propos qu'ils n'ont jamais tenus. Par exemple, « Celse a posé comme une maxime tenue par plusieurs chrétiens, que la sagesse de la vie est un mal, et que la folie est un bien » (I), ce qui lui permet d'affirmer que les chrétiens détestent la sagesse. S'il connaissait véritablement la Sainte Écriture et ses différents sens, « Celse ne parlerait pas comme il fait » (I). Il y a alors dans les propos de Celse de la confusion et du désordre, que reflète par ailleurs le Discours vrai par son incohérence et ses nombreuses répétitions.
Ses erreurs de compréhension ou son ignorance frôlent la forfaiture. Celse fait dire aux apôtres et aux Écritures des choses qu'Origène ne trouve pas. Il n'hésite pas, en effet, à falsifier des passages de la Sainte Bible. Il tâche aussi de tourner en un mauvais sens les discours et les écrits chrétiens. Comme nous disons que Dieu est venu pour les pécheurs, il en déduit que Dieu est indifférent aux non pécheurs.
Origène dénonce alors son manque de sérieux pour un philosophe. Il devrait au moins connaître l'objet de ses attaques et être rigoureux dans ses sources d'information. « Mêlant ensuite et confondant les diverses choses qu'il peut avoir entendu dire, sans se soucier d'où elles viennent, ni que les livres d'où elles sont prises soient ou ne soient pas d'une autorité divine parmi les chrétiens » (V). Celse accuse même sans démonstration, sans argumentation, parfois gratuitement sans que cela lui sert dans son raisonnement. Beaucoup de « critiques qui ne consistent qu'en paroles, et il ne les appuie pas de la moindre preuve. » (VI). Il déclame, dénonce, accuse, raille, le plus souvent sans donner la moindre explication. Alors, Origène s'impatiente parfois de ses silences : « qu'il nous dise donc un peu, lui qui blâme tant la foi des chrétiens, par quelles raisons démonstratives, etc. » (I).
Celse raille beaucoup en effet, rabaissant le christianisme à la moindre occasion. Ce dernier est considéré comme « une doctrine cachée » (I) et par conséquent peu avouable. Il est fait d' « illusions grossières ». Les chrétiens ne seraient que des « scélérats » qui ne font tromper que des faibles : « il en est comme de ces scélérats qui font métier d'amuser le peuple dans les places publiques, et qui n'oseraient jamais entrer dans une assemblée d'hommes prudents, pour y faire leurs tours de souplesse; mais s'ils aperçoivent quelque troupe d'enfants, d'esclaves ou de gens simples, c'est là qu'ils s'adressent et qu'ils se font admirer. » (III).
Celse rit de voir des hommes croire à un Dieu né d'une vierge de famille inconnue même de ses voisins. Il rit encore devant Joseph voulant renier Marie. « Il n'y a rien là qui sente le royaume de Dieu ». Marie-Madeleine est traitée de « femme fanatique » (II) pour montrer le peu de crédibilité qu'elle peut avoir lorsqu'elle annonce la résurrection de Notre Seigneur. Il raille sur la profession de Notre Seigneur, charpentier, qui ne se trouve pas dans les Saintes Écritures et sur le bois de la croix : « si Jésus avait été cordonnier, on parlerait aussi du cuir saint; s'il avait été tailleur de pierres, ce serait la pierre bénite qu'on vanterait; et s'il avait été serrurier, le fer de la charité » (VI). Comme il est précisé dans la Sainte Écriture qu'un ange roule la pierre de devant le sépulcre où était le corps de Jésus, Celse en vient à affirmer « que le Fils de Dieu n'eut pas la force d'ouvrir son tombeau, et qu'il eut besoin que quelqu'un vint ôter la pierre qui le fermait » (V).
Ses railleries sont bien indignes d'un philosophe. « Il lui faut dire que ses railleries seraient bonnes pour un bouffon, et non pour un homme qui s'attache à traiter sérieusement une matière importante » (I). « Car au lieu de s'attacher sérieusement à la dispute qu'il a entreprise, il abandonne sa matière, et s'amuse à railler et à bouffonner, comme s'il écrivait quelque farce ou quelque satire, ne voyant pas que cette manière d'agir est contraire au dessein qu'il a de nous faire renoncer au christianisme pour entrer dans ses sentiments. S'il les proposait avec quelque gravité, peut-être qu'ils paraîtraient plus probables ; mais puisqu'il ne fait que railler, que bouffonner et que tourner les choses en ridicule, on aura sujet de dire qu'il manque de bonnes raisons, et que comme il ne peut faire mieux, il se jette dans ces plaisanteries. » (VI).
Origène |
Son raisonnement s'appuie souvent sur des opinions ou des principes qu'il ne fait qu'affirmer. Il critique les chrétiens de ne pas savoir expliquer ou de refuser toute explication, quand Origène a bien du mal à se défendre contre de simples affirmations qu'il lui présente sans preuve et sans argumentation. « S'il nous demande des raisons de cette créance, qu'il nous en donne auparavant de ce qu'il a avancé lui-même sans preuve, et nous lui ferons voir ensuite que ce que nous croyons est bien fondé. » (I). Par exemple, en traitant des prophéties qui se rapportent au Christ, Celse affirme qu'elles peuvent aussi s'appliquer à d'autres. La réponse d'Origène est immédiate : à qui ? Celse affirme que Jésus courait le monde avec ses disciples, quêtant sa vie comme un misérable et comme un infâme. « Mais qu'il nous dise qui lui a donné sujet d'en parler ainsi » (I). Celse critique la vanité du Christ . « Qu'on nous montre, au reste, la moindre trace de vanité dans aucune des paroles de Jésus. » (II). Il attaque l'impiété du Christ. « Qu'on nous montre enfin quelles sont les impiétés de Jésus » (II). Celse accuse « que Jésus ne se put conserver exempt de tout mal ». « Mais de quelle espèce de mal veut dire ce raisonneur que Jésus n'ait pu se conserver exempt ? » (II). Celse ajoute encore « que Jésus n'a pas paru irrépréhensible ». « Qu'il nous cite donc quelqu'un de ses disciples qui ait marqué en lui quelque chose qui méritât véritablement d'être repris : ou si ce n'est pas sur leur témoignage qu'il se fonde, qu'il nous apprenne d'où il a puisé ce qu'il avance. » (II). Nous pouvons être légitimement exaspérés par tant d'accusations infondées provenant d'un philosophe.
Les raisonnements de Celse sont parfois fragiles, voire faux. « Puisqu'il était Dieu et qu'il avait prédit ces choses, il fallait nécessairement qu'elles arrivassent » (II). Si Notre Seigneur a prédit les trahisons de Saint Pierre et de Judas, nécessairement, ils ne pouvaient que Le trahir. Dieu en deviendrait alors la cause de leur crime. « Un Dieu donc aura fait des impies et des scélérats, de ses disciples et de ses prophètes ». Origène est plus juste dans ses pensées : « nous ne croyons pas que celui qui prédit la chose, soit cause qu'elle arrive, parce qu'il a prédit qu'elle arriverait : nous croyons au contraire que la chose devant arriver, soit qu'on la prédise, ou qu'on ne la prédise pas, c'est elle qui donne occasion de la prédire à celui qui connaît l'avenir. » (II).
Pour dénoncer la prétention des chrétiens, Celse accuse souvent Notre Seigneur et ses disciples de faire les mêmes choses que leurs adversaires. Or, comme le remarque Origène, il faut en examiner la cause ou l'intention et non la chose en elle-même. En traitant des miracles, « si l'on demeure d'accord que, sans se laisser préoccuper sur le sujet des miracles, il soit nécessaire d'examiner s'ils viennent d'une bonne ou d'une mauvaise cause pour ne pas les recevoir tous avec admiration, comme des effets d'une vertu divine, ou pour ne pas les rejeter tous avec mépris, comme des illusions » (II).
Ses procédés pour attaquer le christianisme paraissent en outre inefficaces, voire maladroits. Dans le début de son ouvrage, Celse fait intervenir un Juif qui s'adresse au Christ et lui tient un discours critique. Par conséquent, c'est en se prenant pour un Juif que Celse va attaquer le christianisme. Origène doit donc défendre la religion en prenant un discours convenant à un Juif. Mais, comme il le souligne, Celse n'a pas su lui garder un caractère qui convenait à un Juif. Car ce dernier remet en cause des faits que les Juifs et les Chrétiens tiennent pour vrais, ou attaque des faits qui implicitement remet en cause la doctrine juive. « A le bien prendre, il se trouvera que, dans ce que le juif de Celse objecte aux chrétiens, il ne dit rien de Jésus qu'on ne puisse appliquer à Moïse, et que les accusations qu'il forme contre l'un retombent sur l'autre. Ainsi, leur cause est toute pareille, et il n'y a point de différence entre eux sur le fait de l'imposture. » (II). Origène conclut que « Celse a fort mal pris ses mesures, d'avoir mis de telles raisons en la bouche d'un juif, pour lui faire rejeter une histoire qui a beaucoup plus de vraisemblance que celles qu'il reçoit lui-même. »(I). En outre, il semble ignorer les doctrines juives. Le Juif de Celse n'a jamais entendu qu'un homme pouvait ressusciter comme s'il n'avait jamais su les résurrections qu'ont faites Elie et Elisée. En conclusion, le Juif semble avoir étudié les doctrines grecques et être animé de l'esprit grecque. Quel intérêt alors de prendre un Juif ?
Devant tant de faiblesses, Origène en vient à donner quelques leçons à Celse. « Ceux qui lisent les histoires sans avoir pour but de contredire, mais qui veulent aussi se garder d'être trompés, doivent faire un juste discernement des choses pour connaître celles auxquelles on doit ajouter foi, celles qu'il faut expliquer allégoriquement, suivant l'intention de celui qui les a inventées, et celles qu'il faut rejeter comme écrites par complaisance on par flatterie. » (I). Cette marque de sagesse est d'autant plus vraie dans la lecture de la Sainte Écriture : « quand on lit les Évangiles, il est nécessaire d'y apporter une grande application, avec une âme vide de préjugés et d'entrer, pour le dire ainsi, dans l'esprit de nos auteurs, afin de juger dans quelle vue ils ont écrit chaque chose » (I). Contrairement à ce que prétend Celse, les chrétiens ne croient pas aveuglément et sans examen.
Si Celse « veut qu'on le croie si soigneux d'instruire les hommes, [ Il ] devait se donner la peine de rapporter ces prophéties, avec l'explication des chrétiens, pour montrer ensuite par ce qu'il aurait jugé le plus convaincant que, quelque vraisemblable qu'elle paraisse, elle n'a pourtant rien de solide. » (II). Au lieu d'attaquer fermement un article principal des chrétiens et leurs argumentations, comme la réalisation des prophéties en Notre Seigneur, il abandonne rapidement ce sujet pour des critiques plus futiles. Origène est ainsi étonné par son silence sur des incohérences de la Bible « car la vanité dont il est lui-même rempli et qui lui fait dire qu'il sait tous nos mystères, est si bien fondée, qu'il ne sait pas même former ses doutes avec jugement sur l'Écriture. » (II).
Enfin, Origène dénonce le manque d'objectivité de Celse. Le philosophe païen reconnaît des fables et des mythes anciens tout en dénonçant ceux des juifs et des chrétiens sans expliquer sur quoi se fondent ses créances. Pourquoi les uns ont ce privilège quand il le refuse pour les autres ? « Quoi ! vous prenez pour de pures fables toutes les merveilles que les disciples de Jésus nous disent de lui, vous ne pouvez souffrir qu'on les croie, et vous ne trouvez rien de fabuleux ni d'incroyable dans cette autre histoire? Vous, qui accusez les autres d'une trop grande crédulité, comment ne songez-vous point à justifier celle que vous témoignez pour un fait qui mériterait bien que vous ne le laissassiez pas comme vous faites, sans aucune preuve? Est-ce que la sincérité d'Hérodote et de Pindare passe pour indubitable en votre esprit, pendant que vous refusez toute créance à des personnes qui n'ont point refusé de sceller de tout leur sang la vérité des choses dont leurs écrits ont éternisé la mémoire? » (III).
Nous retrouvons la même impartialité dans l'interprétation de la Sainte Écriture. « On dirait que pour trouver quelque prétexte de décrier notre profession, il ajoute foi, quand il lui plaît, aux écrits des évangélistes ; mais qu'il rejette aussi, quand il veut, l'autorité de ces mêmes livres, pour n'être pas obligé de recevoir le témoignage qu'ils rendent à la divinité de ce qu'ils enseignent » (I). Alors, « si Celse ne veut admettre l'autorité des Évangiles que quand il croit qu'elle lui fournit quelque accusation contre les chrétiens, et s'il la rejette quand elle confirme la divinité de Jésus, il me semble qu'on peut le prier, ou de ne la recevoir en rien et de cesser de s'en servir contre nous, ou de la recevoir en tout » (II).
Celse laisse sous silence des faits qui donneraient tort à ses accusations. Ainsi, ils accusent les apôtres d'avoir trahi Notre Seigneur et de L'avoir laissé mourir, montrant par là leur indignité et le peu de considérations qu'ils avaient de leur maître. « Il admet encore ici le témoignage des Évangiles pour avoir lieu de nous reprocher les fautes que les disciples de Jésus firent par infirmité en un temps où ils ne faisaient que d'entrer dans son école : mais il ne parle point de la manière dont ils réparèrent les fautes, lorsqu'ils se présentèrent hardiment devant les Juifs ». Origène reprend les accusations de Celse mais n'en oublie pas de les situer dans la Sainte Écriture. Il retourne ainsi les accusations contre le « railleur ».
Dans l'interprétation des écrits, Celse utilise différents sens, soit allégorique, soit littéral selon son argumentation afin de confirmer ses propos, sauf pour la Sainte Écriture. « Il déclame ensuite contre l'histoire de Moïse, sans vouloir souffrir qu'on l'explique allégoriquement, ni qu'on y cherche un autre sens que le littéral. [...] Quand les Égyptiens débitent leurs fables, l'on s'imagine que c'est qu'ils cachent leur philosophie sous des figures et sous des énigmes ; mais quand Moïse, après avoir écrit des histoires pour instruire toute une nation, lui donne aussi des lois pour la gouverner, l'on veut que ce ne soient que des contes sans fondement, qui ne puissent même recevoir de sens allégorique » (I).
Finalement, Origène découvre en Celse un orgueil démesuré. Le titre de son ouvrage, Discours vrai, ferait même frémir un philosophe. Celse ose écrire qu' « il sait tout ce qui se dit » (I) parmi le chrétiens. Or, tout semble montrer son ignorance. Origène rappelle que même pour un chrétien, les Saintes Écritures présentent des mystères et des difficultés de compréhension parfois insurmontables. En dépit de son ignorance, il s'en prend à des doctrines élevées. « Celse attaque [...] la résurrection qui est un dogme d'un long et difficile examen, un dogme qui, entre tous les autres, demande un esprit éclairé et une science consommée, pour pouvoir montrer qu'il ne renferme rien que de sublime, rien qui ne soit digne de Dieu » (VII). Origène demande alors plus de prudence à Celse qui est si ignorant des choses qu'il attaque impunément. « Pour faire voir que ceux qui s'emportent si fort contre la doctrine des chrétiens feraient mieux de s'en tenir aux simples doutes, que d'avancer avec tant de hardiesse contre Jésus et ses disciples, des choses qu'ils disent sans les savoir » (VIII). Ses affirmations philosophiques surprennent encore Origène tant les sujets abordés sont complexes et divisent les philosophes païens. Sur d'« importante matière » qui méritent par eux-mêmes de longs discours, comme l'œuvre de la création, Celse énonce rapidement des vérités : « voyez, je vous prie, combien de choses il avance là hardiment, comme si elles étaient d'une vérité reconnue, sur lesquelles, néanmoins, les philosophes ne s'accordent pas. » (IV).
Comme Origène, nous pouvons soupçonner un mauvais sentiment qui guide Celse. « Il semble donc que quand Celse a parlé de la sorte, il a moins eu dessein de dire la vérité que de contenter sa haine et de décrier jusque dans la nation des Juifs l'origine du christianisme qui y est comme attachée. » (I). En analysant avec soin ses objections, Origène montre que Celse n'agit pas en « en philosophe, qui cherche la vérité ; mais en homme de la lie du peuple, qui se laisse emporter à ses passions » (I). Il n'a pas « pour but de chercher sincèrement la vérité, et de l'embrasser où il la trouverait ; mais qu'il ne s'est proposé que d'agir avec nous en ennemi, prêt à combattre sans autre examen tout ce qui se présenterait à lui sous l'idée de quelqu'un de nos dogmes. » (II).
Origène montre que le discours doit être fondé sur un examen honnête. « Pour moi, je puis dire, sans rien donner à la faveur de la cause, mais tâchant seulement d'examiner avec soin ce que sont les choses en elles-mêmes » (I). Parfois, dans cet examen, il faut reconnaître la valeur de son adversaire. « Nous prenons à tâche de ne combattre jamais ce qui est bien dit, et quoique ceux qui le disent ne soient pas de notre créance, nous ne voulons point les contredire ni chercher à détruire ce qu'ils avancent de conforme à la raison » (VII)...
Celse ne veut pas s'instruire comme il ne veut pas s'attacher à découvrir quelle a été la pensée de celui dont il critique les propos. « Au lieu de nous donner des instructions, il nous dit des injures. Au lieu de témoigner, dès l'entrée, qu'il est favorablement disposé pour ceux à qui il adresse son discours, il nous traite de faibles » (VII).
L'article peut sembler bien long et indisposer les lecteurs, et nous tenons à nous en excuser, mais le sujet méritait une telle longueur. Car si Celse ne présente évidemment pas les caractères d'un homme honnête, tolérant, généreux, cherchant la vérité, les méthodes qu'il utilise sont reprises par des antichrétiens avec la même désinvolture. C'est peut-être en ce sens que Celse révèle un « esprit moderne ». Il en a la même vanité et les mêmes suffisances en dépit des ignorances et faussetés manifestes. Mais, en dépit de ses faiblesses incroyables, ce serait une énorme erreur, voire une faute, de négliger l'œuvre de Celse comme toutes celles qui l'imitent. Car elle a une force indéniable, celle qui émane d'une raillerie qui vise juste, piquante, incisive. Nous percevons en Celse le mauvais génie de Voltaire. La faiblesse d'Origène devient alors à son tour frappante. Contre une courte affirmation de Celse, souvent de « bon esprit », il est obligé de répondre par un long discours, parfois difficile à suivre. Il parvient certes à la démonter mais la critique de Celse demeure quand l'argumentation d'Origène peut vite s'oublier ...
Enfin, cet article nous donne un exemple de ce qu'est l'apologétique. Origène nous expose de belles leçons et nous apprend à éviter les erreurs que nous pouvons commettre quand nous attaquons nos adversaires.
1 Contre Celse, Migne, 1843, œuvre numérisée et mise en page par Marc Szwajcer et Philippe Remacle sur le site remacle.org (site sur l'antiquité grecque et latine) qui comprend de nombreux textes dont des œuvres chrétiennes.
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