La
gifle morale que Boniface VIII a reçue lors de l’attentat d’Anagni [6] a été
retentissante à son époque et le demeure encore dans nos mémoires. Elle marque un
tournant dans les rapports entre la Papauté et les États. Elle témoigne d’un état d’esprit qui s’impose
désormais au plus haut sommet du royaume de France. Elle déclenche un long et
irrésistible processus qui conduira rapidement à une remise en cause profonde de l’autorité du Pape. Cet événement en annonce bien d’autres.
Après plus de trois siècles de combat pour se libérer de l’emprise des
puissants du monde et de brillantes victoires, l’Église est de nouveau
captive. En cette journée du 8 septembre 1303, se manifeste avec éclat la fin d’une
époque et le début d’une autre, plus douloureuse et orageuse…
L’attentat
d’Anagni mérite donc toute notre attention. Il éclaire les événements qui vont
frapper l’Église aux siècles suivants. Cependant, il ne doit pas masquer un
fait encore plus intéressant. Il s’agit du conflit entre Philippe le Bel et
Boniface VIII sur l’affaire de Bernard Saisset, évêque de Pamiers[1]. L’affaire
semble à première vue banale. Mais elle est rapidement l’occasion pour le roi
de France d'exprimer de manière encore plus éclatante les prétentions
royales face à l’autorité ponificale. Elle aboutira à l’attentat d’Anagni.
Bernard
Saisset, abbé de Saint-Antonin de Pamiers
Né
vers 1232, Bernard Saisset est d’une noble lignée. Il entre dans le chapitre
cathédral de Saint-Étienne à Toulouse au temps de l’évêque Raymond du Fuga. Il
devient chancelier de cette église et vicaire général du diocèse. Dénoncé de
négligence et de simonie, l’évêque fait l’objet d’une enquête de la part de
commissaires apostoliques, déclenchant quelques scandales. Au titre de sa
fonction de vicaire général, Bernard Saisset défend son évêque. Sa plaidoirie est un succès : le sénéchal s’abstient de suivre les décisions des envoyés du Pape. On fait alors
appel au Pape. L’affaire semble bien finir puisque l’évêque reste sur son siège
jusqu’à sa mort.
En
1267, Bernard Saisset est élu abbé de Saint-Antonin de Pamiers. C’est une
vieille abbaye d’au moins trois siècles d’existence. Elle est occupée par les
chanoines d’Augustin. La situation dans ce monastère est triste au niveau
temporel et spirituel. Une querelle sur la gestion des biens a longtemps opposé
l’ancien abbé et les chanoines. Elle a donné lieu à un partage de l’administration des
biens. La vie religieuse semble aussi avoir été négligée au point que le Pape
Urbain IV (1261-1264) doit intervenir.
Connu pour ses talents gestionnaires, Bernard
Saisset obtient l’administration des biens avec l'accord du chapitre. Mais les
relations avec les chanoines deviennent rapidement orageuses. En outre, il se montre
plutôt désinvolte et n’hésite pas à chasser de l’abbaye les chanoines qui
s’opposent à lui. Enfin, des chanoines l’accusent de s’enrichir au dépend de
l’abbaye. Ils font alors appel au Pape Nicolas IV (1288-1292) qui charge le cardinal
Bernard de Languissel, évêque de Porto, de mener une enquête et de prendre les
décisions nécessaires. Il semble aussi que des chanoines complotent pour
chasser, voire tuer, l’abbé. Finalement, au bout de dix ans de lutte, de
nouvelles règles d’administration sont établies. Bernard Saisset perd ses
pleins pouvoirs. Les chanoines chassés sont réintégrés à l’abbaye.
La
chaire abbatiale de Saint-Antonin est aussi un siège seigneurial. L'abbé est enfin seigneur de la ville de Pamiers. Mais cette seigneurie, il la partage avec le
comte de Foix, Roger Bernard III (1243-1302). Depuis 1111, la seigneurie de Pamiers est partagée entre l’abbaye : l'abbé est suzerain, le comte vassal. Ainsi, l’abbaye est maîtresse de son domaine alors que le comte de Foix est le gardien et le défenseur.
Cathédrale de Saint-Antonin de Pamiers |
Pour marquer le contrat de pariage [8] qui les lie, une cérémonie a été instituée. De manière rituelle et symbolique, le comte de Foix remet les clés du château de Pamiers et les droits qu’ils possèdent à l’abbé. Portée en procession, la chasse de Saint-Antonin entre dans le château et y demeure une journée, l’étendard de l’abbaye flottant sur le donjon. Le lendemain, les chanoines quittent le château puis l’abbé remet les clés au comte.
La coseigneurie est source de nombreux conflits. Comme dans de nombreux monastères,
l’abbaye a souvent été considérée comme un bien que le comte use et abuse comme
son fief selon sa bonne volonté. Au XIe siècle, un de ses ancêtres, Roger II (1070-1121) a été excommunié par le Pape Urbain II (1088-1099). Il a dû se croiser pour faire pénitence, ce qui ne l’a pas empêché de poursuivre ses
abus à son retour de la Terre Sainte. En 1107, le Pape Pascal II (1099-1118) le frappe une
nouvelle fois d’excommunication. Le comte de Foix est alors contraint de
restituer des terres.
Lors
de la guerre albigeoise, le comte Bernard Roger 1er (v. 1140-1188) pille l’abbaye et chasse les
chanoines. En 1209, il est chassé. Son fils réussit néanmoins à reprendre
ses droits seigneuriaux et à faire reconnaître les liens de pariage. Pour se
défaire de cette protection, l’abbé parvient à mettre son abbaye sous le
patronage du roi de France, Louis VIII (1187-1226), réduisant ainsi l’influence du comte.
Cette solution ne dure pas. À la mort du roi et par le traité de Meaux, le
comte de Foix récupère ses terres et ses droits.
Cette
histoire est un exemple caractéristique de l’insertion de l’Église dans la vie
féodale, engendrant confusions et maux, et illustre la volonté des autorités
ecclésiastiques de se libérer du joug des seigneurs. Des seigneurs usent des monastères
comme uns de leurs fiefs, les écrasant de leur protection. Les religieux ne
peuvent guère contenir leurs ambitions. Soucieux d’émancipation, ils sont néanmoins bien
faibles pour l’obtenir et cherche à établir un modus vivendi. Mais quand
l’occasion se présente, des seigneurs n'hésitent pas à se comporter comme des maîtres uniques et brutaux, engendrant alors de nombreux conflits.
Le château de Foix |
La
victoire de Bernard Saisset contre le Comte de Foix sous Saint Louis
Les relations entre l’abbé Bernard Saisset et le comte
Roger Bernard III sont plutôt tendues. Alors que la cérémonie de partage a déjà eu
lieu, le comte de Foix n’a pas encore obtenu son investiture. Après quelques
réclamations, Roger Bernard III fait occuper de force les biens et les fermes
qui lui reviennent et obtient la fidélité des habitants. Son pouvoir s’impose
alors sans partage en dépit des vaines protestations de l’abbé et au mépris
d’une charte liant les deux seigneurs et la population. Celle-ci demeure
mécontente des procédés violents du comte de Foix et de la violation de leurs
privilèges.
En 1665, une rixe éclate en plein marché entre les gens
de l’abbaye et ceux du comte sur la perception d’une taxe. L’année suivante, en
juin 1266, les bourgeois d’un quartier prennent les armes et veulent s’emparer
du comte de Foix, qui assiste alors à un office religieux dans l’église. Roger Bernard
III peut rentrer chez lui sain et sauf mais des officiers meurent dans
l’émeute.
Bernard Saisset décide de
s’accorder avec le roi de France Louis IX (1214-1270), i.d. Saint Louis, pour être sous sa protection et ainsi se
défaire de celle du comte de Foix. Il est aussi en relation avec le Pape. En
dépit des protestations de Roger Bernard III, un acte de pariage est signé entre
l’abbé et le roi de France avec l’approbation apostolique pour une durée de dix
ans en attendant que les relations avec le comte de Foix soient possibles et désirables.
En outre, la justice royale reconnaît à l’abbé et au monastère tout droit sur
Pamiers et toute indépendance à l’égard de Roger Bernard III. Le comte en appelle à
Saint Louis mais ce dernier confirme les décisions. Il donne raison à l’abbé
qui obtient ainsi la seigneurie exclusivement pour lui-même. Dépité et excité,
il se rebelle et commet des exactions contre les possessions de l’abbaye tout
en revendiquant ses droits, contestant le contrat de pariage et accusant l’abbé
d’être son persécuteur.
Une nouvelle phase dans le conflit : l'intervention des rois et des papes
Après quelques temps de captivité, Roger Bernard III entre au
service du nouveau roi de France Philippe III (1245-1285) le Hardi et s’illustre dans la guerre qu’il
mène contre le royaume d’Aragon. Les propos du comte de Foix sont alors reçus
avec plus de bienveillance. Une enquête est diligentée à la suite d’une
supplique de Roger Bernard III dans laquelle il demande sa réintégration dans les
droits traditionnels de sa maison. En 1285, Philippe le Hardi cède aux
instances du comte et lui rend ses droits de pariage. Mais il pourra les obtenir
lorsque le contrat de pariage avec le roi de France sera terminé.
Bernard Saisset se rend alors à Rome et presse le Pape Nicolas IV (1288-1292) d’intervenir. Celui-ci place en 1292 la juridiction de la ville de Pamiers sous la
protection spéciale de la Papauté et désigne le cardinal Benedetto Caetani,
futur Boniface VII, comme protecteur de l’abbé et du monastère avec mission de
sévir contre ceux qui les persécutent, s’emparent de leurs biens, usurpent
leurs droits et empêchent l’exercice de leur juridiction.
Le comte de Foix et l’abbé renouvellent leurs
revendications, le premier se justifiant par ses titres et les libéralités
qu’ont accordés ses ancêtres à la ville de Pamiers et au monastère, le second
invoquant le passé de l’abbaye et son autonomie ainsi que les décisions des
papes Urbain II et Clément IV sans oublier celles de Saint Louis.
Avec les droits de pariage accordés par Philippe le
Hardi, le comte de Foix prend possession de la ville de Pamiers, les troupes
royales l’ayant évacuée. Il s’y installe en force et en armes, exerçant
quelques violences. Il obtient des habitants un serment de fidélité. Seul
l’abbé y refuse. Le comte de Foix se saisit alors des biens de l’abbaye et
occupe les villes qui dépendent d’elle. Ses troupes ravagent et pillent les
terres du monastère, incendie le château de Carlaret et tuent ses défenseurs.
L’église est saccagée. Les mêmes violences sont commises au château de Joulia.
L’abbé et les chanoines doivent fuir et se cacher, évitant de peu d’être saisis.
Ceux qui veulent soutenir les droits de l’abbaye sont exécutés. Bernard Saisset
demande l’aide du Pape Boniface VIII.
Philippe IV le Bel |
En 1295, Boniface VIII (1294-1303) invite le roi de France Philippe IV le Bel (1268-1314) à faire cesser ses
violences et ces crimes. Si le comte ne restitue pas les biens volés, il sera
excommunié. La ville fera l’objet de l’interdit ecclésiastique si ses habitants
ne rompent pas avec le compte pour se rallier à l’abbé. En absence de réponse,
le Pape exécute sa menace.
Puis, par la bulle Romanus Pontifex, Boniface VII crée
un nouveau diocèse, détaché de celui de Toulouse. Pamiers devient cité
épiscopale. L’abbaye saccagée est érigée en cathédrale. Bernard Saisset est
promu évêque. Or, depuis 1271, le comté de Toulouse est rattaché au domaine royal. Philippe le Bel n’accepte guère l’initiative du Pape de créer, sans son accord, le nouvel évêché sur les terres qu’il a récemment acquises.
Avec sa nouvelle promotion, fort de sa dignité épiscopale, il
pense sans-doute disposer de l’autorité et du prestige suffisants pour en
imposer au comte. En outre, le comté de Foix est désormais sous sa juridiction.
Mais ce dernier n’est guère intimidé. Les excès et les violences se
poursuivent. La ville est inaccessible à son évêque.
Néanmoins, le comte de Foix
et l’abbé finissent par s’entendre pour faire cesser cette situation. Ils en reviennent aux
droits de pariage du siècle dernier, partageant la juridiction de manière égale.
Roger Bernard paye ses dettes, fournit à l’abbaye des compensations et restitue
les biens qu’il a indûment accaparés. Vassal de l’abbé, il devient de nouveau
protecteur de l’abbaye. Ce compromis est ratifié par Boniface VIII.
Mgr Bernard Saisset accusé et emprisonné sous Philippe le Bel
En 1301, Mgr Bernard Saisset est mis en arrestation. Selon des rumeurs, il aurait tenu en public des
discours offensants à l’égard du roi et tenté d’impliquer des seigneurs pour
s’insurger contre le roi. Selon
certains commentateurs, il aurait eu l’impudence de menacer le roi en exaltant
la puissance pontificale dans une affaire qu’il a menée au profit du Pape. Une
enquête est alors diligentée. Certains témoins, dont le comte de Foix, confirment que
l’abbé a voulu les entraîner dans une insurrection contre le roi alors que
d’autres ne rapportent que des ouï-dire ou demeurent silencieux. Les biens de
l’abbé sont séquestrés. Les gens de l’évêque sont mis à la torture.
Boniface VIII |
Le jour de sa comparution devant le roi, entouré de son conseil, le 23
octobre 1303, à Senlis, le chancelier Pierre Flote lit l’acte d’accusations portées contre
lui et rédigées d’après l’enquête : injures envers le roi et sa famille,
remise en cause de son autorité, traîtrise et complot, hérésie, simonie et
blasphème. Il somme Gilles Aicelin, archevêque de Narbonne, et à ce titre
supérieur ecclésiastique de Bernard Saisset, de prendre les sanctions
nécessaires et réclame prompte et rigoureuse justice, le roi étant désireux de
le punir sévèrement. Il lui offre de prêter le concours de son bras séculier
sinon il emploiera lui-même les mesures nécessaires. Désireux de respecter l’immunité ecclésiastique de
l’abbé, l’archevêque de Narbonne veut procéder avec prudence, prendre conseil
des prélats et surtout en référer au Pape. L’assemblée manifeste alors son
opposition et réclame justice.
Tout en étant en principe sous la sauvegarde de
l’Église, Bernard Saisset est étroitement surveillé par les gens du roi. Le nonce
pontifical demande au roi de lui remettre le prisonnier afin qu’il puisse se
rendre à Rome auprès du Pape, son juge légitime. Le roi refuse. À plusieurs
reprises, ses demandes ne sont pas entendues. L’abbé Bernard Saisset est
séquestré dans un manoir, hors de la protection de l’Église.
Les prétentions du roi de France
Des ambassadeurs du roi sont envoyés auprès du Pape,
noircissant les crimes supposés de l’abbé. Il remet un mémoire de Guillaume de
Nogaret. En plus des accusations portées à Senlis, d’autres sont énumérées.
« Pour exciter l’indignation de
Boniface contre l’évêque, l’auteur du Mémoire ne craint pas de présenter, comme
prouvées par l’enquête, des accusations énormes auxquelles il n’y a pas, dans
l’enquête, l’ombre d’une allusion. Il n’est question, dans l’enquête, ni
d’outrage de l’évêque au Pape, ni de simonie ni d’hérésie, ni de péché de
jeunesse, ni de cette doctrine que, pour les prêtres… »[2]
Guillaume de Nogaret lui demande alors de sévir sans
retard contre lui pour que le roi applique sa justice, n’attendant de lui
aucune résipiscence. Ils lui proposent la voix à suivre. « Les légistes royaux payaient d'audace. Leur
justice s'était, dès le principe de cette affaire, placée hors des voies légales.
Elle avait procédé contre un dignitaire ecclésiastique, violé le privilège de
clergie en s'assurant de sa personne et de ses biens, et, qui plus est, articulé
contre lui des griefs doublement réservés : simonie, hérésie et blasphème. Et voici
que, ne doutant de rien, ils prétendaient tracer au pape la marche à suivre. »[3]
Pire encore. À partir de la décrétale d’Innocent III, Vergentis
in senium, promulguée en 1199, il demande que le roi de France puisse
réparer l’offense faite à la majesté de Dieu. « Ce qui est commis contre Dieu, contre la foi ou contre l’Église
romaine, le roi le considère commis contre lui »[4].
Contrairement à la décrétale, il ne s’agit plus d’affirmer les pouvoirs du Pape
dans la défense de la majesté divine, mais de lui substituer le roi de France
dans cette mission !
Le Pape Boniface VIII, seul juge légitime
Mais Boniface VIII rappelle le droit aux gens du roi. « Selon les droits divin, canonique et humain,
les prélats de l'Église, les personnes ecclésiastiques séculières et régulières,
sur lesquelles les laïques n'ont aucun pouvoir, doivent jouir de l'immunité et
de la liberté entières ». Dans une lettre qu’il adresse au roi, le Pape
demande que l’attentat commis soit révoqué, l’accusé libéré et ses biens
restitués. Il réclame l’accusé afin de l’entendre. Il demande enfin au roi des
explications justifiant les mesures portées contre l’abbé et le menace de le
censurer si les violences commises contre lui ne sont pas justifiées. Il
demande à l’archevêque de mener une enquête. L’affaire prend alors une
proportion extraordinaire, allant
jusqu’à l’attentat d’Anagni.
Alors que le conflit se déchaîne entre Boniface VIII et
le roi Philippe le Bel, Bernard Saisset est chassé du royaume avec le nonce
apostolique. Plus tard, sans protection auprès de la Papauté, il doit signer un
acte de pariage qui le dépouille des deux tiers de son domaine primitif au
profit de Guillaume de Nogaret…
Conclusion
Il ne s’agit pas dans cet article de juger de Bernard
Saisset. Est-il un traître ou est-ce un homme au verbe facile ? Remarquons
l’absence d’impartialité de ceux qui ordonnent les poursuites, les exécutent et
jugent. « Ainsi la partialité des
principaux acteurs jette la suspicion sur le fond même du drame. »[5] En
outre, la procédure suivie demeure contestable et soulève de nombreuses
critiques sérieuses. Dans cette affaire, nous voyons commérages, coup de force,
enquête clandestine, calomnie, torture, appel à l’opinion publique, cris
d’indignation et air scandalisé, …
Nous voulions simplement décrire non seulement les
conflits qui opposent concrètement des autorités religieuses et temporelles,
mais aussi l’évolution du pouvoir royal à l’égard de ces conflits. Si Saint Louis se montre plus soucieux de justice, cherchant à protéger l’abbé contre les
exactions du Comte de Foix, Philippe le Bel profite de cette affaire pour
affirmer et manifester son autorité royale et ses prétentions dans le clergé de
France au mépris du droit ecclésiastique. Le mémoire de Guillaume de Nogaret
est très clair : dans son royaume, le roi se substitue au Pape dans ses
missions. Mais Boniface VIII tient tête à ses nouvelles ambitions . Certes,
il demeure maladroit et blessant mais il reste juste. Il en mourra
d’humiliation[6]…
Notons aussi le procédé qu’utilisent les agents du roi
dans cette affaire : intervention dans la juridiction ecclésiastique,
saisie des biens du clerc et emprisonnement sous la protection royale
contrairement au droit ecclésiastique. Le Pape dénonce les atteintes faites aux
libertés de l’Église. Elles remettent en cause la distinction des pouvoirs religieux et temporels. Dans un cahier de doléance adressé au concile de
Vienne (1311-1312), nous pouvons lire cette critique de Guillaume Durant, évêque de
Mende : « Peu à peu, écrit-il,
par le progrès continu de leurs empiétements, les seigneurs temporels tirent
tout à eux. De même que le loup mange l’agneau morceau par morceau, ainsi par
les princes la juridiction ecclésiastique est progressivement dévorée. Ceux-ci
s’estiment compétents sur tous les points principalement où elle touche le
temporel. Il y a bien peu de cas relevant de l’Église, dans lesquels la
juridiction épiscopale n’est pas troublée directement ou indirectement par les
pouvoirs laïques. »[7]
L'affaire de Bernard Saisset n'est pas unique. De
nombreux autres affaires montrent en effet la violation
des immunités ecclésiastiques et des libertés du clergé par les seigneurs et
les officiers royaux. Contrairement au XIe siècle, où elle lutte contre son
absorption dans la féodalité, au XIVe siècle, l'Église doit s’opposer aux pouvoirs
temporels qui veulent imposer leurs droits souverains dans le royaume au
détriment de la juridiction ecclésiastique, des coutumes et des privilèges. C'est la mise en place d’une politique régalienne au détriment de la juridiction universelle de l’Église.
Notes et références
[2] Langlois dans Histoire
de France de Lavisse, III, 2, dans Histoire générale de l’Église, abbé
A. Boulenger, Tome II, Le Moyen-âge, Volume V, De
Grégoire VII à Clément V, 1073-1305, Librairie catholique E. Vitte
1935.
[3] Mgr Vidal, Bernard Saisset, Évêque de Pamiers (Suite), dans Revue
des Sciences Religieuses, tome 6, fascicule 2, 1926, https://doi.org, https://www.persee.fr.
[4] Jules Théry, Philippe
le Bel, pape en son royaume, dans Dieu et la
politique. Le défit laïque, L’histoire, Sophie Publications, 2004, hashs.archives-ouvertes.fr.
[5] Mgr Vidal, Bernard Saisset, Évêque de Pamiers (Suite et fin), dans Revue
des Sciences Religieuses, tome 6, fascicule 3, 1926, https://doi.org, https://www.persee.fr.
[6] Voir Émeraude, juillet 2018, article « L'attentat d’Anagni, un Pape humilié, une Église meurtrie ».
[7] Guillaume Durant dit le
Jeune, évêque de Mende, De modo generalis concilii celebrandi,
dans Le
Concile de Vienne, 1311-1312, Joseph Leclerc, Histoire des conciles œcuméniques,
tome VIII, chap. II, Fayard, 1964.
[8] Droit de partage (ou paréage) : contrat de droit féodale unissant deux ou plusieurs seigneurs pour la possession en commun d'une terre (CNRTL).
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