" La pierre précieuse, voire de grand prix aux yeux de certains, qu'est l'émeraude, se voit insultée par un morceau de verre habilement truqué, s'il ne se rencontre personne qui soit capable de procéder à un examen et de démasquer la faute. Et lorsque de l'airain a été mêlé à l'argent, qui donc, s'il n'est connaisseur, pourra aisément le vérifier ? "(Saint Irénée, Contre les hérésies)


vendredi 25 novembre 2016

Rupture entre les notions d'hérésie et d'orthodoxie

Lorsque nous évoquons le mouvement œcuménique, c’est-à-dire la recherche de l’unité des Chrétiens, nous ne pouvons pas ne pas penser aux raisons qui ont conduit à leur division, notamment aux déviations doctrinales, à l’exclusion des uns et à la création de nouvelles églises. Nous ne pouvons pas ne pas parler de la notion d’hérésie. Elle permet de distinguer ce qui est orthodoxe et ce qui ne l’est pas. Cette notion si importante dans le christianisme paraît aujourd’hui relativisée, écartée, bannie.

Dans une société qui vante la nécessité impérieuse du pluralisme et de ses bienfaits, la notion d’hérésie paraît en effet étrange, surannée, d’un autre monde. Ainsi cherche-t-on à ne voir dans ce terme qu’une conception d’un âge révolu et à lui refuser désormais toute pertinence. Cette idée sans-doute bien partagée par nos contemporains l’est certainement aussi par nombre de catholiques, voire par des théologiens et des autorités. En relativisant le terme, en le dévalorisant, l’hérésie elle-même perd toute réalité et n’est plus conçue que comme une invention du christianisme.

L’idée n’est pas récente. Elle n’est pas née du mondialisme ou d’une prise de conscience d’une prétendue pluralité bienheureuse. Nous la trouvons déjà dans les années 30 comme nous le préciserons. Depuis, elle s’est affermie et s’est étendue dans certains milieux intellectuels et religieux pour finalement s’imposer à partir des années 60. De nos jours, elle domine l’opinion, excluant toute idée d’orthodoxie ou d’hétérodoxie.

La représentation hérésiologique

Présentons en effet le schéma classique qui justifierait aujourd’hui l’idée selon laquelle la notion d’hérésie ne serait qu’une invention du christianisme pour qu'il perdure dans le temps. Dès le premier siècle, le christianisme s’est organisé en se constituant comme une société pourvue de règles. Il s’est développé et progressé à travers l’empire romain et au-delà. La fin du monde ne venant pas, les Chrétiens ont dû construire dans la durée. Ils ont dû aussi se défendre face aux Juifs et aux Païens, face aux injustices et aux calomnies. L’identité chrétienne s’est construite dans cette adversité. Dans un tel contexte, la division n’était pas acceptable. Ce qui était différence devient alors déviation puis erreur. « La norme crée l’erreur : il devient nécessaire de maîtriser celle-ci et de montrer, de la façon la plus efficace, et non la plus conforme à la réalité, en quoi elle cesse d’être chrétienne. »[1] Tel est donc le schéma devenu classique pour expliquer l'origine de la notion d'hérésie...

La nécessité de durer aurait donc conduit à la construction d’une identité et donc à l’exclusion de ceux qui la remettaient en cause, apportant division et différence. Ou dit autrement, la notion d’hérésie ne serait pas liée à l’origine à la notion de l’orthodoxie. La prise de conscience de leur identité, la représentation que les Chrétiens se font d’eux-mêmes ou encore l’image qu’ils se font de leurs adversaires seraient le point de départ chronologique de la notion d’hérésie. « Pour décréter l’altérité et l’erreur, il faut pouvoir s’appuyer sur des normes déjà solides. Il conviendrait plutôt de dire que la lutte contre des opinions jugées hérétiques oblige à déployer le contenu doctrinal de l’orthopraxie chrétienne, à faire passer l’orthodoxie de l’état implicite à l’état explicite. » [2] Au lieu du terme d’hérésie, on parle alors plutôt de « représentation hérésiologique »[3]. On insiste donc plus sur l’aspect social, psychologique, politique que sur l’aspect doctrinal, c’est-à-dire sur la vérité.

La remise en question de la notion d’hérésie

Une telle conception de l’hérésie viendrait d’une thèse ancienne de Walter Bauer (1877-1960) selon laquelle l’hérésie est antérieure à l’orthodoxie. Théologien protestant, il est considéré comme un spécialiste du début du christianisme. Un de ses ouvrages de référence est Orthodoxie et hérésie au début du christianisme (1934). « L’intérêt de cet ouvrage, au-delà des erreurs, des arguments à revoir, est d’avoir montré que le christianisme n’est pas monolithique et d’avoir rompu avec le discours, très largement répandu jusqu’au milieu du XXe siècle, d’une orthodoxie première et des hérésies comme des déviations »[4]. Il remet donc en cause à la notion classique d’hérésie. Il reprend la thèse développée dans un ouvrage du XVIIIème siècle de Gottfried Arnold.

En historien, W. Bauer cherche à expliquer l’origine et le développement des notions d’orthodoxie et d’hétérodoxie dans le christianisme, ou plus exactement leur opposition. Il montre alors que les deux premiers siècles sont marqués par la « multiplicité des chrétientés » et par la diversité doctrinale. L’orthodoxie ne se serait développé que tardivement. Le développement d’un christianisme unificateur et institutionnel aurait alors conduit à la naissance de l’idée de l’hérésie. Rome y aurait joué un rôle prédominant dans cette évolution. Selon W. Bauer, seule l’orthodoxie existait à Rome. Elle s’est ensuite imposée. « L’orthodoxie c’est le christianisme de l’Église de Rome […]. Inversement, l’hétérodoxie, c’est tout simplement ce qui n’est pas le christianisme de l’Église de Rome. »[5]

Ainsi, au début du christianisme, l’idée selon laquelle il y ait une doctrine orthodoxe dans le christianisme n’aurait pas existé ou serait demeuré peu présente. Par conséquent, croire qu’à l’origine l’hérésie est un abandon ou une trahison d’une foi ou d’une doctrine pure et originelle serait une erreur. « Le livre de Bauer a été le point de départ de nombreux travaux concernant la notion d’hérésie et son évolution. »[6]

L’hérésie, perte de tout sens



Selon ses commentateurs, la thèse de W. Bauer aurait provoqué une rupture dans l’histoire du christianisme. Il aurait « soumis la représentation traditionnelle à une critique aiguë »[7]. « Il aurait porté des coups décisifs à la conception traditionnelle de l’histoire de l’Église qui plaçait à l’origine la doctrine droite et qui faisait de l’hérésie une dérivation, voire un abandon ou une trahison et avait engagé à tenir compte de la grande diversité du christianisme primitif. »[8] Il aurait aussi conduit à l’abandon des concepts d’hérésie et d’orthodoxie dans l’étude des époques les plus anciennes.

Si la thèse de Bauer  est aujourd’hui très contestée par les spécialistes, elle demeure importante car elle a donné lieu à une remise en cause de la perception du christianisme ancien et donc aux recherches historiques. Des historiens[9] cherchent désormais à comprendre et à décrire les processus qui ont permis d’exclure la pluralité et d’établir des normes. L’idée selon laquelle l’erreur précède la norme s’est imposée. Dépassant la thèse de W. Bauer, des historiens ont fini par considérer l’hérésie comme une invention assez tardive. On présente le christianisme primitif comme étant un pluralisme de doctrines pour s’opposer à la conception de l’unité de foi.

W. Bauer défend l’idée que l’hétérodoxie précède l’orthodoxie. En 1985, dans son ouvrage La Notion d’hérésie dans la littérature grecque. IIe-IIIe siècles, Albert Le Boulluec[10] défend une thèse plus audacieuse. La diversité doctrinale a disparu au profit d’un seul courant. Il aurait eu des orthodoxies avant que s’impose l’orthodoxie. La notion d’hérésie a donc exclu des doctrines légitimes. Par conséquent, elle n’est plus associé à un jugement de valeur. L’opposition orthodoxie et hétérodoxie n’a plus de sens.

L’idée est reprise par des théologiens. « L’hérésie est toujours vue comme une déviation par rapport à la doctrine originale (orthodoxie) transmise par les apôtres. En réalité, la forme romaine du christianisme ne s’imposera que progressivement au cours des trois ou quatre premiers siècles, et ce qu’on nomme aujourd’hui l’« orthodoxie » ne verra le jour qu’après l’époque de Constantin et au prix de difficiles luttes doctrinales qui alimenteront les grands conciles œcuméniques des IVe et Ve siècles. Avant cette époque, aucun modèle ecclésial ne s’impose et la compréhension du mystère chrétien est un véritable chantier où se côtoient diverses théologies et maints systèmes doctrinaux, qui constituent autant d’efforts légitimes de la foi qui cherche à se comprendre[11] Ainsi le gnosticisme serait le résultat d’efforts légitimes de la foi. Selon le même théologien, certains gnostiques valentiniens « ont pu élaborer leur système, développer leur théologie et entretenir une conception distincte de la révélation, du moins jusqu’à ce qu’une certaine forme d’Église s’impose, assimile les formes déviantes et se sépare des groupes récalcitrants. »

Le rôle de Saint Justin, l’innovateur ?

De manière générale, on cite Saint Justin comme le véritable inventeur de la notion d’hérésie. Il l’aurait imaginé vers 150, dans un ouvrage intitulé Traité contre toutes les hérésies qui se sont produites, à partir du terme d’hérésie qu’emploient les philosophes pour désigner des écoles de pensée. Certes, le terme existait auparavant mais sa nouveauté aurait été d’avoir fait nettement référence aux philosophies grecques, c’est-à-dire à l’historiographie grecque appliquée à la description des écoles de pensée pour désigner les tendances divergentes à l’intérieur du christianisme. « Dans les écrits antérieurs aux œuvres de Justin, il n’existe pas encore de représentation cohérente et unifiée de l’erreur et des dissensions »[12]. Fortement influencé par la culture grecque tout en y mêlant des éléments juifs, il aurait forgé ce terme pour exclure, c’est-à-dire priver ces divergents du titre de « Chrétien ». L’hérésie est condamnée comme étant l’instrument de Satan contre Dieu et son Christ. Ce serait donc à partir de Saint Justin que « l’hérésie devient une réalité radicalement étrangère au christianisme. »[13]

L’hérésie, exclure pour construire

Mais contrairement à la notion grecque, le terme d’« hérésie » aurait clairement prit un sens péjoratif. « Les hérésies sont pour lui des sectes qui se parent faussement du nom de « Chrétiens » et dont les opinions comme les mœurs sont contraires aux préceptes du Christ. La notion d’« hérésie » est née. »[14] Par son ouvrage, il aurait inauguré l’hérésiologie. Saint Justin aurait donc été « le premier témoin d’une description unifiante de l’erreur, qui sert par la suite de cadre et d’instrument à la polémique. »[15] Il aurait aussi été innovant en présentant l’antithèse, aujourd’hui classique, des deux successions, celle de la vérité et celle de l’erreur, constituant alors la pièce maîtresse de l’hérésiologie classique. Ainsi « depuis Justin, parler d’ « hérésie », c’est décider la rupture irrévocable. »[16]


Saint Irénée de Lyon aurait ensuite précisé l’opposition entre une succession authentique de la vérité et celle de l’erreur et du mensonge. Il « oppose à la succession épiscopale la prolifération des sectes, l’unicité de la foi à la multiplicité des hérésies »[17]. Il est aussi accusé d’avoir accentué l’altérité des « sectes », dénonçant par ailleurs le rôle de la philosophie dans la naissance et le développement des hérésies. Il aurait notamment créé un procédé dans l’hérésiologie qui est l’amalgame en mettant sous un même terme l’ébionisme, c’est-à-dire le judéo-christianisme, et le gnosticisme, d’origine païenne.

On cite aussi l’influence des rabbins sur l’évolution de la notion d’hérésie. « L’attitude du judaïsme pharisien /rabbanite, après les échecs des révoltes judéennes contre Rome en 70 et 135, qui a réussi à imposer de manière progressive l’unicité d’une orthodoxie/orthopraxie fondée sur une succession légitime face à une succession déviante (minout) a eu probablement sur ce point, comme sur d’autres d’ailleurs, une certaine influence. »[18]

« La naissance de la notion d’hérésie coïncide avec l’affermissement d’une tendance à l’unification qui commence à conférer à une Église des traits singuliers au sein d’un christianisme »[19]. La notion d'hérésie manifesterait la volonté d’exclure les résistances et les oppositions au modèle ecclésiastique. L’Église aurait aussi cherché à se faire reconnaître auprès du monde païen et donc à définir son authenticité, à établir sa spécificité. Ainsi aurait-elle cherché à rejeter tous les courants qui l’auraient gênée dans ses efforts d’unification et d’identification. L’hérésie apparaît alors « le terrain des conflit entre l’Église hiérarchique et des courants doctrinaux différents de l’enseignement établi »[20].

La notion d’hérésie, un instrument de domination ?

Ainsi, de nos jours, on n’hésite pas à voir dans l’hérésie un concept qui a permis à l’Église de s’affirmer et de définir sa doctrine, remettant ainsi en cause ce qui nous paraissait une certitude. « C’est l’orthodoxie qui crée l’hétérodoxie et non pas l’inverse », nous dit-on.  « C’est en se pensant comme orthodoxes que ceux qui ne le sont pas sont rejetés comme hétérodoxes. » La conclusion devient alors évidente. Le concept d’hérésie serait une invention qui légitimerait un courant et exclurait ses opposants. La faute qui lui est attachée ne viendrait donc pas de ceux qui sont désignés comme hérétiques mais de ceux qui veulent les exclure pour affermir leurs positions. Par conséquent, les hérétiques ne seraient que des victimes. L’orthodoxie ne manifesterait que la victoire d’un courant sur leurs opposants.

L’idée selon laquelle l’orthodoxie serait antérieure à l’hétérodoxie serait alors défendue par un courant dit orthodoxe afin de supprimer toute opposition. « Le primat de la doctrine assure l’efficacité d’une polémique qui prétend mettre au jour des faux-semblants. »[21] Elle permettrait donc de dénoncer les opposants quand ils ne distinguent pas des autres membres de la communauté. Le concept d’hérésie aurait aussi d’autres avantages : « éviter les difficultés inextricables qu’entraînerait un débat »[22] sur des sujets à une époque où ils ne sont pas codifiés. Elle aurait enfin l’avantage de « laisser dans l’ombre les motifs politiques des affrontements »[23] en couvrant leur lutte d’une légitimité doctrinale. Elle donnerait même la légitime, voire l’instrument, à l’État pour réprimer l’opposition lorsque le christianisme en devient la religion officielle.

La faiblesse des arguments




Dans son ouvrage, A. Le Boulluec définit les dispositifs mis en place par le christianisme pour exclure et rejeter des doctrines autrefois considérées comme vraies afin d’aboutir à une orthodoxie. « Avec une perspicacité quasi inquisitoriale l'auteur élabore une véritable grammaire de la langue de bois patristique décrivant les multiples procédés au moyen desquels les docteurs ont occulté la pensée adverse : omissions, ajouts, systématisations, amalgames, déformations, sophismes, etc. »[24]

Certains commentateurs dénotent la partialité de son analyse, donnant de l’importance à ce qui n’est que pure rhétorique. Ils montrent aussi que l’auteur interprète unilatéralement des extraits de Saint Justin quand d’autres interprétations sont aussi possibles. En outre, son étude s’appuie sur quatre Pères de l’Église : Saint Justin, Saint Irénée de Lyon, Saint Clément de Rome et Origène qu’il considère comme exemplaires dans l’étude du processus. L’apport d’autres auteurs n’aurait pas, selon lui, démentit sa thèse. Certains commentateurs s’étonnent que son champ d’investigation ne soit pas plus vaste. Il est en effet étrange de ne pas entendre des auteurs latins comme Tertullien. Ils regrettent aussi une vision parfois simpliste de l’histoire. A. Le Boulluec présente Origène seul réticent à condamner les thèses hétérodoxes, recherchant plus la conciliation. Or à plusieurs reprises, l’Église a cherché la conciliation. 

Des instruments d’analyse sont aussi inadaptés à leur objet. Saint Justin est considéré comme « le porte-parole du parti ecclésiastique ». Cela nous surprend. Cela est du pur anachronisme. Le terme utilisé est surtout fort de sous-entendus si peu compatibles avec l’objectivité attendue. « À n'examiner strictement que les procédés d'exclusion des textes chrétiens, on fait des hérétiques, mais aussi de tous les païens, de grands muets de cette histoire. L'hérésie est sans doute un concept chrétien ; mais les procédés d'exclusion (par exemple l'accusation de mauvaises mœurs) ne sont pas un monopole. À ne pas évoquer le fond, on frôle enfin une vision dénaturée : puisque les raisons de foi de l'exclusion sont tues, il n'en reste qu'une, la mauvaise foi qui déforme et qui ment. »[25]  

Retour à la notion de l’hérésie

Certes, il est illusoire de croire que les doctrines du christianisme naissant étaient unes ou que la formulation de la foi était figée dès le départ. Il existait de nombreuses opinions sur les vérités de la foi. Le faux se mêlait au vrai sans qu’il ne soit rapidement détecté. C’est justement grâce aux Pères et aux autorités de l’Église de distinguer parmi ces opinions ce qui était vrai ou faux afin de déceler l’erreur et de l’exclure. C’est le rôle de tout maître de défendre l’intégrité de son enseignement. L’Église a établi et développé des procédures pour les identifier et les dénoncer. Il ne s’agit pas de porter un jugement de valeur sur ces outils mais d’en montrer la nécessité et la pertinence.

Mais ce ne sont pas ces procédures qui ont créé l’erreur. Ce n’est pas en déclarant officiellement une thèse hérétique qu’elle le devienne. Lorsque Saint Irénée écrit son ouvrage, cela fait déjà bien longtemps que le gnosticisme était considéré comme une hérésie. Il a donné les moyens efficaces de le connaître, de le déceler et de le réfuter tout en développant une méthode pour combattre une hérésie. La prise de conscience des dangers de la diffusion d’une hérésie a donc conduit l’Église à définir des armes pour la combattre. Sa vocation, telle qu’elle est clairement définie dans la Sainte Écriture, est bien de défendre le dépôt de la foi. C’est en ce sens que nous pouvons dire que l’erreur crée la norme, la norme n’ayant pour but que de défendre ce qui existe avant l’erreur, de distinguer clairement le vrai et le faux dans ce qui est cru. Les vérités de foi ont vu leur définition précisée au cours du temps car des hérésies montraient les faiblesses des termes utilisés. C’est ainsi que l’hérésie a permis, malgré elle, de développer le dogme, de rendre explicite ce qui était implicite.

Le terme d’hérésie ne doit donc pas désigner l’ensemble des normes établies pour la déceler, la confondre et l’exclure de l’enseignement. Il n’est pas non plus réduit à un discours dont il faut prendre en compte le genre utilisé et ses défauts. Elle est un contenu qui remet en cause la foi, c’est-à-dire une erreur. Elle naît d'une obstination qui refuse d'entendre l'Église. Ne voir dans l’hérésie qu’un fait historique à partir de textes sans regarder le contenu spirituel ou théologique, sans entendre l’enseignement de l’Église, ne peut donc qu’apporter une vue partielle et partiale du sujet complexe qu’est l’hérésie…

Mais l’hérésie est avant tout la persévérance dans l’erreur devant l’autorité de l’Église. L’hérésie manifeste la volonté de ne pas se soumettre à l’autorité de l’Église. Saint Cyprien a émis des erreurs sur le baptême avant que l’Église ait décidé. Il n’est pourtant pas hérétique. En ce sens, il n’y a pas d’hérésie tant que l’Église n’a pas parlé sur le sujet concerné et demandé de se soumettre à son enseignement. Il n’y a donc pas d’hérésie sans autorité ecclésiastique qui garantit l’authenticité de son enseignement. Pourquoi cherche-t-on alors à dénoncer l’hérésie comme un outil du « parti ecclésiastique » ? Il est important de rappeler que la thèse qui a remis en cause la conception classique de l’hérésie provient d’un protestant qui renie justement l’autorité de l’Église catholique. On cherche en fait à remettre en cause le droit de l’Église d’exercer son autorité dans l’enseignement et la défense de la foi

Conclusion

Le terme d’hérésie manifeste l’insoumission volontaire à l’autorité de l’Église dans le domaine de la foi. Lorsqu’on défend l’idée selon laquelle l’hérésie serait une invention de l’Église, notamment pour exclure des opposants, implicitement pour de mauvaises raisons, on s’attaque à l’autorité de l’Église de juger de la foi. On lui refuse les droits de défendre ce qu’elle enseigne. On suppose que son enseignement, elle en est elle-même l’origine. On présuppose qu’elle est un organisme d’origine humaine. Un historien est-il vraiment compétent dans ce domaine ? Qui peut dire que les opinions multiples qui existaient au début du christianisme étaient orthodoxes ou non avant que l’Église ne parle par les autorités qui la représentent ? C’est finalement l’Église catholique qui est remise en cause dans de telles thèses. C’est surtout l’unité de foi qui est de nouveau attaquée…

Nous pouvons le comprendre de la part d’un protestant qui récuse l'autorité de l’Église catholique dans le cadre d’un texte apologétique pour essayer de défendre sa foi ou sa conception religieuse. La tristesse de notre temps est de voir des chrétiens, des théologiens et des autorités de l’Église se laisser parfois influencer par des historiens dans un domaine dont ils n’ont ni compétence ni autorité. Il est encore plus triste de voir des chrétiens catholiques se laisser guider par des protestants sur un tel sujet …

Notes et références


[1] Albert Le Boulluec, La notion d’hérésie dans la littérature grecque, IIe-IIIe siècles, Tome I, 1985.
[2] Albert Le Boulluec, La notion d’hérésie dans la littérature grecque, IIe-IIIe siècles, Tome I.
[3] Albert Le Boulluec, La notion d’hérésie dans la littérature grecque, IIe-IIIe siècles, Tome I.
[4] Anna Van den Kerchove, Bulletin biographique, Walter Bauer, Orthodoxie et hérésie aux débuts du christianisme, Archives des sciences sociales des religions, octobre-décembre 2009, assr.revues.org, mis en ligne le 16 novembre 2012.
[5] Simon C. Mimouni, Étude critique : la question de l’hérésie ou de l’orthodoxie, dans Apocrypha 20, 2009.
[6] Aline Pourkier, L’hérésiologie chez Épiphane de Salamine, Beauchesne, 1992.
[7] Daniel Marguerat, Histoire du Christianisme, sous la responsabilité de Luce Petri, Tome I, Le nouveau peuple (des origines à 250), Chap. IV, III, Desclée, 2000.
[8] Anna Van den Kerchove, Bulletin biographique, Walter Bauer, Orthodoxie et hérésie aux débuts du christianisme,
[9] Voir par exemple Voir G. LÜDEMANN, Ketzer, Die andere Seite des frühen Christentums, Stuttgart, 1995, Heretics. The Other Side of Early Christianity, Londres, 1996, A. MCGOWAN, Tertullian and the ‘Heretical’ Origins of the ‘Orthodox’ Trinity, 2006.
[10]Albert Le Boulluec est directeur d'études émérite à l'École Pratique des Hautes Études (Section des sciences religieuses).
[11] Pierre Létourneau, Croyances et contraintes sociales : l’évolution du mouvement valentinien à la lumière du Traité tripartite (NH I,5) et du Dialogue du Sauveur (NH III,5), Théologiques, vol. 13, n° 1, 2005, http://id.erudit.org.
[12] Albert Le Boulluec, La notion d’hérésie dans la littérature grecque, IIe-IIIe siècles, Tome I, 1985.
[13] Simon C. Mimouni, Étude critique : la question de l’hérésie ou de l’orthodoxie, dans Apocrypha 20, 2009.
[14] Albert Le Boulluec, La notion d’hérésie dans la littérature grecque, IIe-IIIe siècles, Tome I.
[15] Albert Le Boulluec, La notion d’hérésie dans la littérature grecque, IIe-IIIe siècles, Tome I.
[16] Albert Le Boulluec, La notion d’hérésie dans la littérature grecque, IIe-IIIe siècles, Tome I.
[17] Albert Le Boulluec, La notion d’hérésie dans la littérature grecque, IIe-IIIe siècles.
[18] Simon C. Mimouni, Étude critique : la question de l’hérésie ou de l’orthodoxie.
[19] Daniel Marguerat, Histoire du Christianisme, sous la responsabilité de Luce Petri, Tome I, Le nouveau peuple (des origines à 250), Chap. IV, III.
[20] Allain Le Boulluec, Encyclopédia Universalis, article « Hérésie » dans Mediapart, Orthodoxie/hérésie, 20 mars 2012, blogs.mediapart.fr.
[21] Albert Le Boulluec, La notion d’hérésie dans la littérature grecque, IIe-IIIe siècles.
[22] Albert Le Boulluec, La notion d’hérésie dans la littérature grecque, IIe-IIIe siècles.
[23] Albert Le Boulluec, La notion d’hérésie dans la littérature grecque, IIe-IIIe siècles.
[24] Bertrand Daniel, A. Alain Le Boulluec, La notion d'hérésie dans la littérature grecque, IIe-IIIe siècles, t. 1, De Justin à Irénée, t.2, Clément d'Alexandrie et Origène dans Annales. Économies, Sociétés, Civilisations. 45ᵉ année, N. 4, 1990, www.persee.fr.
[25] Mariette Canevet, A. le Boulluec, La notion d'hérésie dans la littérature grecque : IIe et IIIe siècles.

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