Comme
parmi tant d’autres, le mot « hérésie »
est devenu tabou depuis plus d’une génération. Il a disparu du vocabulaire du
chrétien moderne. Certains ouvrages osent cependant l’évoquer mais pour
relativiser son importance ou pour évoquer un fait historique devenu suranné.
Il manifesterait en effet une certaine conception de la foi d’un monde chrétien
aujourd’hui disparu ou obsolète. On dit qu’elle n’est qu’une
invention. On cite allègrement Saint Justin comme le malheureux inventeur. Mais
en dénigrant le terme, on méprise ce qu’il porte, c’est-à-dire une
signification, une histoire, une réalité. Car derrière le mot se trouve la foi,
la vérité, l’Église. N’y aurait-il pas un mépris, un travestissement du
christianisme en voulant le bannir ? L’article a pour objet de revenir sur
la notion d’hérésie…
L’hérésie, choisir sa vérité
Saint Nicolas gifle l'hérétique Arius |
Dans
le christianisme, l’hérésie consiste à choisir des vérités de foi parmi celles
enseignées comme telles par l’Église et en rejeter une partie. Une hérésie est
donc une vérité partielle qui est prise pour une vérité totale, bientôt
exclusive. Elle s’oppose donc à l’orthodoxie qui donne son assentiment à
l’ensemble des vérités de foi. Saint Thomas d’Aquin nous donne une définition
de l’hérétique : « si,
parmi les vérités enseignées par l’Église, il ne retient que ce qu’il veut et
délaisse ce dont il ne veut pas, il n’adhère plus à la doctrine de l’Église
comme à une règle infaillible, mais à son propre jugement. Aussi l‘hérétique
qui rejette avec obstination un seul article de foi n’est pas disposé à suivre,
sur les autres, l’enseignement de l’Église ; [...] il n’a donc, en matière de
foi, qu’une opinion humaine, dictée par sa volonté »[2].
Un
hérétique est donc avant tout un chrétien. Ce n’est pas un apostat,
c’est-à-dire un chrétien qui renie sa foi. Ce n’est pas non plus un indifférent
ou un ignorant. C’est un chrétien qui choisit parmi les vérités enseignées par
l’Église celles qu’il lui plaît et nie une ou plusieurs vérités que l’Église enseigne
comme étant révélées.
Au
fond de l’hérésie : l’orgueil
Nestorius |
Certains
commentateurs de Saint Thomas soulignent surtout l’audace des hérétiques, « ces hommes assez osés pour […] faire
arbitrairement leur choix dans les Vérités venues du Ciel, retenir ce qui
s’accommode à la couleur de leur esprit et rejeter ce qui les heurte,
interpréter sans mandat et le plus souvent dénaturer un enseignement qu’ils
déclarent divin et dont ils ne peuvent admettre cependant qu’il les dépasse. »[6]
L’hérésie est présentée comme des opinions « qui entremêlent Jésus-Christ à leurs propres erreurs en cherchant à se
faire passer dignes de foi. » Nous retrouvons encore un des traits de
l’hérésie qu’a défini Saint Thomas d’Aquin. L’hérétique adhère finalement à son
propre jugement au lieu d’adhérer au jugement de l’Église.
Dans
l’hérésie, il y a donc connaissance et rejet de l’autorité de l’Église. L’hérétique
s’oppose volontairement à l’Église. Il est d’abord un révolté. Lorsque Saint
Clément de Rome parle d’hérésie, il utilise le terme grec « stasis » qui signifie « rébellion » au sens de soulèvement.
Sans user le terme d’hérésie, Saint Ignace d’Antioche l’évoque comme une
doctrine fausse qui entraîne l’absence de soumission à l’évêque. Une hérésie naît
au moment où l’autorité de l’Église est rejetée sur un article de foi. Comme la
négation formelle et obstinée d’une vérité de foi rompt l’unité de gouvernement,
elle rompt aussi l’unité de l’Église. L’hérétique a rompu avec l’Église. La
rupture ne vient pas de l’Église. L’Église reste une…
Saint
Paul demande à Tite d’« éviter un
homme hérétique, après une première et une seconde admonition ; sachant
qu’un tel homme est perverti, et qu’il pêche, puisqu’il est condamné par son
propre jugement. » (Tite, III, 10-11) Quand le chrétien
persévère dans son erreur en dépit des demandes de correction de la part de
l’autorité de l’Église, on dit qu’il est « perverti dans la foi » et qu’« il pêche par malice ». Il se condamne donc par lui-même.
Distinguer
l’hérésie
Cependant,
selon Saint Thomas d’Aquin, il n’est pas nécessaire d’être accusé publiquement
comme un hérétique pour l’être véritablement. Celui qui nie sciemment des
articles de foi mais n’a jamais été détecté et jugé individuellement par
l’autorité est quand même hérétique. En effet, un hérétique ne l’est pas parce
que l’Église le désigne publiquement par une mention soit individuelle soit
collective. La déclaration formelle de l’autorité ecclésiastique ne fait que
constater une hérésie ; elle ne la crée pas.
L’hérésie dès le commencement
L’hérésie
n’est pas une chose nouvelle. Elle existe depuis l'origine du
christianisme. Elle apparaît dans les épîtres de Saint Paul de manière
implicite. L’Apôtre des Gentils demande aux Éphésiens de ne plus se livrer à l’erreur
que « comme de petits enfants qui
flottent, ni emportés çà et là à tout vent de doctrine, par la méchanceté des
hommes, par l’astuce qui entraîne dans le piège de l’erreur. » (Éphésien,
IV, 14) Dans sa première lettre à Timothée, Saint Paul revient sur le cas de
l’Église d’Éphèse. Il a été envoyé dans cette ville pour « avertir certaines personnes de ne point
enseigner une autre doctrine » (I Timothée, I, 3) que celle qu’il a
transmise. Elles veulent être des docteurs de la loi mais ne comprennent ni ce
qu’elles disent ni ce qu’elles affirment. Saint Paul dénonce le
gnosticisme qui commence à faire ses ravages chez les chrétiens d’Éphèse. Ainsi
il conclut sa lettre en demandant à Tite de conserver le dépôt et d’éviter les
nouveautés profanes dans les paroles. Il avertit son disciple qu’il y a « beaucoup de rebelles, beaucoup se semeurs de
vaines paroles, et de séducteurs » (Tite, I, 10). Il lui
demande de « leur fermer la bouche,
parce qu’ils causent la subversion de toutes les familles, enseignant ce qu’il
ne faut pas » (Tite, I, 11). Saint Paul lui demande
donc d’une part de maintenir l’enseignement qu’il a reçu, de garder
l’authenticité de la foi et d’autre part, de le protéger contre les nouveautés
et de s’opposer aux déviations menaçantes.
Saint
Paul n’est pas le seul à nous avertir des dangers d’un enseignement erroné et à nous prêcher la nécessité de conserver intègre la foi reçue.
Saint Pierre annonce qu’il y aura parmi les Chrétiens des « maîtres menteurs, qui introduiront des
sectes de perdition, et renieront le Seigneur qui nous a rachetés, attirant sur
eux une prompte perdition. » (II Pierre, II, 1). Saint Jean nous avertit
aussi et nous demande alors du discernement : « Mes bien-aimés, ne croyez point à tout esprit, mais éprouvez les
esprits, s’ils sont de Dieu ; parce que beaucoup de faux prophètes se sont
élevés dans le monde. » (I Jean, IV, 1) Saint Jean s’oppose au docétisme. Les « faux
prophètes » seront condamnés comme l’étaient les faux prophètes dans
l’Ancien Testament.
Les
Apôtres puis les Pères de l’Église sont conscients des dangers de l’hérésie. De
nombreuses hérésies ont parfois failli emporter l’Église. Saint Paul présente
l’hérésie comme une « gangrène »
(II
Timothée, II, 17). Elle a en effet la particularité de s’étendre et de
gagner les âmes. Elle les pousse à la perdition. « Il eût mieux valu pour eux de ne pas connaître la voie de la justice,
que de l’avoir connue et de revenir ensuite en arrière » (II
Pierre, II, 21) Saint Clément de Rome nous demande fermement de « s’abstenir de toute plante étrangère, qui
est l’hérésie » et de « se
nourrir de la nourriture chrétienne »[7]. Saint
Justin et Saint Cyprien voient dans l’hérésie un instrument du diable destiné à
détruire l’unité de l’Église. D’elle naît en effet la confusion par la
multiplicité de fausses croyances. Ils les voient comme une opposition à
l’unité de foi.
Conclusion
Alfred de Loisy 1840-1940 |
Si
ce que nous devons croire est livré au choix de chacun, que devient la
foi ? Il est donc nécessaire de préserver son intégrité contre les erreurs
et de la défendre contre les opinions afin que l’Église transmette la foi et
préserve son unité au cours du temps et partout où elle est répandue. Notre foi est celle des premiers
chrétiens comme celle qui les ont succédé. Il n’y a qu’une Église comme il n’y
a qu’un Royaume des cieux. Il y a hérésie parce qu'il y a une autorité
garante de l’unité de foi. Refuser le terme, l'enfouir dans la mémoire du passé, la considérer comme une chose surannée, c'est en fait affaiblir l'autorité de l’Église.
Derrière
l’hérésie se trouve en fait une prétention, celle de juger de la foi par
soi-même. Qui sommes-nous pour la juger et remettre en cause l’autorité de
l’Église ? Qui même peut la juger ? La raison, nos sentiments ou
encore les maximes du monde ? À la source de l’hérésie se trouvent
toujours au fond d’une âme, une colère, une envie, une ambition. Des raisons
purement personnelles, affectives peuvent souvent l’expliquer. C’est à ces
racines que se trouve très souvent la véritable rupture. La rupture avec
l’Église n’est finalement que la manifestation, l’extériorisation d’une rupture
déjà consommée en soi. Le chrétien n’appartenait déjà plus à l’âme de l’Église
avant de devenir un membre exclu. Pour que l’hérétique appartienne à nouveau à
son corps, il est donc nécessaire de soigner son âme et de panser ses blessures
…
L’hérésie
manifeste la faiblesse humaine devant un choix. Certes nous devons regretter la
division des Chrétiens et combattre contre leur désunion pour favoriser une
véritable union en Notre Seigneur Jésus-Christ dans son Église mais tant que la
lumière brillera, il y aura toujours des âmes qui préféreront l’obscurité. La
faute ne réside pas dans la lumière mais dans l’homme. Il y aura toujours des
loups qui emporteront des brebis. L’hérésie est même une nécessité. « Il faut qu’il y ait même des hérésies, afin
qu’on découvre ceux d’entre vous qui sont éprouvés. » (I
Corinthiens, XI, 19) L’erreur trop souvent rencontrée est d’ignorer
cette réalité des choses ou de la minimiser en défendant la différence et le pluralisme. Mais que
devient le loup s’il prend la forme d’un berger ? Le troupeau sera vite
décimé. Que serait devenu le dépôt de la foi si les chrétiens avaient suivi les
premières erreurs ? Refuser de combattre l'hérésie est un véritable crime contre la charité !… La lutte contre l’hérésie est avant tout un combat de la charité. « Comprends donc
qu’il s’agit d’un procès inspiré par l’amour »[8]. Bannir
ce terme revient à refuser ce combat …
Notes et références
[1] Marie-Dominique Chenu, Orthodoxie et hérésie, le point de vue du théologien, conférence proposée pour l’ouverture du colloque Hérésie et Sociétés, Royaumont, 1962, www.persee.fr.
[1] Marie-Dominique Chenu, Orthodoxie et hérésie, le point de vue du théologien, conférence proposée pour l’ouverture du colloque Hérésie et Sociétés, Royaumont, 1962, www.persee.fr.
[2]
Saint Thomas d’Aquin, Somme théologique, II-II,
q. 5, a. 3.
[3]
Dictionnaire
de théologie catholique, article « hérésie ».
[4]
Saint Thomas d’Aquin, Commentaire sur toutes les épîtres de St. Paul, leçon 2
sur Tite III, 10 - Il.
[5]
Saint Augustin, Epist. 43, cap. 3 et Décrétales, § 24)
[6]
R. Sinueux O.P., Initiation à la théologie de Saint Thomas, 2ème
partie, Livre XII, 3.
[7]Saint
Clément de Rome, Épître aux Tralliens, VI, 1-2.
[8] Saint Augustin
[8] Saint Augustin
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