" La pierre précieuse, voire de grand prix aux yeux de certains, qu'est l'émeraude, se voit insultée par un morceau de verre habilement truqué, s'il ne se rencontre personne qui soit capable de procéder à un examen et de démasquer la faute. Et lorsque de l'airain a été mêlé à l'argent, qui donc, s'il n'est connaisseur, pourra aisément le vérifier ? "(Saint Irénée, Contre les hérésies)


vendredi 4 novembre 2016

La Sainteté de l'Église

Lorsque de nos jours, un évêque ou un prêtre commet une faute ou quand un chrétien se montre indigne du titre qu’il porte, des voix se lèvent pour critiquer l’Église et l’accabler de reproches. Elles demandent au Pape des excuses, elles lui réclament des repentances, elles lui commandent des actions. Les plus virulentes d’entre elles en profitent pour montrer toute la prétendue fausseté de l’Église et accuser le christianisme d’être le responsable de tous les maux. Les mots deviennent acerbes quand elles rient de la prétendue sainteté de l’Église. Tout cela n’est guère nouveau. Ce qui change est la portée et l’efficacité de ces attaques. Les paroles de haine et de mensonge se répandent plus diffusément dans les réseaux et dans les esprits.

La sainteté de l’Église est un article de foi pour les catholiques. Nous croyons fermement l’Église sainte. Elle est « sans tâche ni ride »  nous dit Saint Paul. Elle est « sainte et irrépréhensible » (Éphésien, V, 27). La sainteté est une de ses propriétés essentielles qui la distinguent des autres sociétés religieuses.  Sur ce point, elle est incomparable. Ainsi on pose souvent cette apparente contradiction : l’Église se dit sainte et en fait, de nombreux membres ne le sont pas visiblement.

Notre premier réflexe serait de contester les faits. Mais l’indignité des chrétiens et des autorités de l’Église est manifeste. L’histoire comme l’actualité en montrent suffisamment. Nous en souffrons encore aujourd’hui. Les pécheurs sont nombreux dans l’Église. Cela est vrai aujourd’hui comme hier et ce sera encore vrai demain. Mais si devons en gémir, prier pour eux et demander pardon à Dieu, devons-nous accuser l’Église d’en être responsable ou au moins d’en être impuissante ? L’Église doit-elle demander pardon ? Doit-elle se purifier ? Ce sont en effet à ces questions auxquelles nous devons répondre.

La contestation religieuse


Saint Hippolyte de Rome (170-235)
Au sein même des chrétiens, la sainteté de l’Église a fait l’objet de nombreuses querelles depuis les premiers siècles du christianisme. Hippolyte s’est opposé au pape Calliste sur ce sujet. Il décrit l’Église comme « la société sainte de ceux qui vivent dans la justice. »[1] Elle est la « société des saints »[2] Les chrétiens qui ne vivent pas selon la sainteté qu’ils ont reçus n'y appartiennent qu’en apparence. Hippolyte représente une tendance rigoriste du christianisme. Son attitude manifeste aussi une réalité. Si au début du christianisme, il était facile de régler les scandales qui pouvaient subvenir, cela est devenu plus difficile par l’accroissement des fidèles. Était-il judicieux de poursuivre l’expansion de l’Église, c’est-à-dire d’ouvrir les portes à un plus grand nombre au risque de la faire échouer dans sa vocation ? Hippolyte a fondé sa propre église, seule véritable à son point de vue.

En Afrique, Tertullien, membre éminent du montanisme, tenait aussi la même position. L’Église ne doit être que le troupeau des purs. Mais il voyait surtout l’Église comme une Église de l’Esprit, s’opposant à l’Église, « collection d’évêques »[3]. Identifiant l’Église au Christ, il exigeait pour la première des exigences morales élevées.

Selon Wyclif (v. 1324-1384), l’Église est la société des seuls prédestinés. Les autres peuvent être dans l’Église mais ils ne sont pas de l’Église. Mais comme il n’est pas possible aux hommes de savoir qui sont les élus, la véritable Église ne sera connue qu’à la fin du monde. Il conteste donc la visibilité de l’Église. Il serait impossible de la discerner. Ses idées seront reprises par Jean Hus. Les premiers chefs protestants considéraient aussi l’Église comme celle des vrais croyants, ceux qui vivent de la foi, une Église connue de Dieu seul. C’est une Église invisible, selon Calvin, ou d’une Église cachée selon Luther. « L’Église est l’assemblée des saints »[4]. Nous voyons donc le lien qui subsiste entre la sainteté de l’Église et sa visibilité.

Jean Hus (1370-1415)
Dans le donatisme, hérésie africaine, nous trouvons cette conception de l’Église mais touchant un autre aspect, celui des moyens de salut. Selon les Donatistes, un baptême n’a aucune valeur quand il est donné par un évêque qui a failli. L’efficacité d’un sacrement dépendrait donc de la dignité du ministre. En outre, ils accusaient l’Église catholique d’être une église de pécheurs et par conséquent d’être dépossédée de ses pouvoirs surnaturels. Elle ne pouvait être l’Église. Car comme l’affirme l’une des autorités donatistes,  l’Église  est pure et sans ride. Et c’est pourquoi, selon toujours les Donatistes, l’Église romaine ne peut l’être car ses ministres étant pécheurs, elles ne possèdent plus les pouvoirs de sanctification. Ils étaient, eux, affirmaient-ils, la véritable Église parce qu’ils étaient purs et détenteurs d’un pouvoir de sanctification efficace.

La sainteté de l’Église soulève donc trois questions. La première aborde le sujet de la sainteté de ses membres et donc de la composition de l’Église. Seuls les saints appartiendaient à l’Église ? La seconde traite du pouvoir sanctificateur que possède l’Église. Les moyens de salut dépendent-ils de la dignité de celui qui les utilise ? Enfin, la troisième porte sur le lien entre sainteté et visibilité ou encore réalités intérieure et extérieure de l’Église. La véritable Église n'est-elle qu'invisible ?

La contestation païenne

Nous n’avons évoqué que les thèses issues de l’Église elle-même ou plutôt des hérésies. Elles aboutissent toutes à l’idée selon laquelle finalement l’Église institutionnelle n’est pas la véritable Église puisqu’elle n’est pas sainte dans ses membres. Elles prônent une Église de purs, de saints, une Église invisible et indiscernable.  La question est plus simple pour ceux qui n’adhèrent pas à la foi. Pour eux, l’Église n’est que l’Église institutionnelle, une institution purement humaine. Ils ne cherchent donc pas à la définir mais plutôt à s’en servir ou à l’attaquer. Il s’agit en effet pour eux de montrer la fausseté de la religion chrétienne.

Au temps des Lumières, la religion est perçue comme une institution utile par ses activités cultuelles, par sa morale et par ses pratiques. On parle d’honnêteté, de raison, de vertus. Finalement, la sainteté est jugée en termes de moralité. C’est sous ce regard seul qu’on juge de la sainteté des membres de l’Église et par là celle de l’Église. En insistant sur l’indignité avérée de nombreux chrétiens et de religieux, les voix malicieuses montrent alors l’échec de l’Église à rendre les hommes vertueux. Ils essayent de montrer qu’elle est alors perverse, nocive ou dans le meilleur des cas inutile.

Les antichrétiens soulignent les maux commis au nom de Notre Seigneur Jésus-Christ. « Jamais aucune religion ne fut aussi féconde en crime que le christianisme »[5]. Diderot et Voltaire prônent une religion déiste purifiée alors que Rousseau rêve plutôt d’une religion plus sentimentale. C’est une autre conception de la religion qui atteint l’idée de l’Église. Une vraie religion doit être une religion de purs, de sages, d’honnêtes hommes ou d’hommes censés. Nous ne sommes pas loin des critiques de Celse. Au IIème siècle, ce philosophe païen s’attaque à l’idée de la charité chrétienne. Il y voit de l’assistanat, de la faiblesse ou encore de la folie. Le fait de pardonner un péché est à ses yeux un scandale. La charité chrétienne lui apparaît opposée à la vraie sagesse.

Le cas de Meslier doit être aussi rappelé[6]. Son athéisme naît d’une déception. Mort prêtre, il laisse un testament révélant en fait son athéisme et laissant des critiques acerbes sur le christianisme. Il dénonce les « belles promesses », les déficiences, les trahisons des chrétiens. Face à la souffrance et au mal, il se révolte. La sainteté de l’Église et son pouvoir de sanctification contrastent avec l’indignité de ses membres, la vanité de ses promesses, son impuissance à changer l’homme. Sa haine est à la hauteur de sa déception. Son regard s’est arrêté sur la misère dont il a été témoin. Il n’a pas été au-delà…

Ainsi une certaine opposition au christianisme s’explique par la désillusion. On veut une Église idéale, peuplée de saints et de purs, bref le reflet du paradis. L’athée Holbach justifie son athéisme au nom d’une « haute idée du christianisme »[7]. Mais au lieu d'accuser la réalité ils devraient plutôt dénoncer leur rêve…

La sainteté des membres de l’Église ?

Optat, évêque de Milève, répond aux arguments des Donatistes. Il traite de la question de la sainteté des membres de l’Église. D'abord, l’Église de Dieu en ce monde ne serait être conçue comme une société de parfaits. Puis nul n’a droit de se déclarer juste pour juger ensuite son prochain, comme le font les Donatistes dont il accuse le pharisaïsme. Saint Augustin parle de « présomption sacrilège ». Nous n’avons pas le droit de trier le froment de l’ivraie. Il rappelle que les baptisés font tous partie de l’Église en vertu de leur baptême et que c’est au jour du jugement que le Fils de Dieu décidera de ceux qui sont les siens et de ceux qu’Il rejette. Personne en ce monde n’a le pouvoir de devancer la sentence définitive du Fils de Dieu. L’Église ici-bas est donc le nombre de baptisés qui, pécheurs ou justes, font partie de la société visible des fidèles.

Tombe de saint-Augustin à la basilique
San Pietro in Ciel d'Oro à Pavie.
Saint Augustin s’attaque aussi à l’erreur des Donatistes. L’Église est ciel et terre. Elle compte dans ses rangs des vivants que la grâce de leur baptême a purifiés et qui mènent une vie sans péché. Ce sont des saints comparables aux anges et aux archanges. Mais elle a aussi et en plus grand nombre des fidèles qui sont de la terre. Elle a ses pécheurs. Saint Augustin ne conteste pas l’indignité de nombreux ministres et fidèles catholiques. Il voit même les églises pleines de mauvais chrétiens. Ses mots sont durs à leur égard. Il les désigne comme l’opprobre de l’Église. Mais le péché ne souille que le pécheur qui le commet. L’Église n’en est pas atteinte en soi. L’Église en ce monde est un champ où se mêlent l’ivraie et le froment. Elle est le filet jeté dans la mer et qui ramène des poissons bons et mauvais. Comme l’évoque son étymologie, l’Église est une assemblée de fidèles convoqués et non d’élus. Et nombreux sont les appelés, rares les élus. Telle est aussi la conviction de Saint Cyprien et de Saint Ambroise.


L’Église est donc à la fois sur terre et dans le ciel. Dans le ciel, ses membres ne connaissent plus de défaillance. Sur la terre, ils sont exposés et peinent. Ici-bas, elle est formée de pèlerins qui vivent hors de leur patrie. L’Église est véritablement sainte dans le royaume des cieux, dans l’éternité. Sa sainteté se vérifie aussi dans l’Église ici-bas dans le nombre de ses saints que seul discerne Dieu. Elle est donc sainte mais elle ne l’est pas exclusivement ici-bas. L’Église mêlée de l’ivraie et du froment est l’Église du temps.

Mais une Église peut-elle n’être formée que de saints, nous demande Saint Augustin ? Le Père de l’Église montre toute l’illusion des Donatistes. Il serait possible d’y exclure les pécheurs. Mais est-ce cela la charité que demande Notre Seigneur Jésus-Christ ? Certes, il ne s’agit pas d’accepter le péché ou le pécheur public mais de supporter les méchants avec humilité dans l’intérêt de la paix et de ne pas juger avec un aveuglement téméraire. Cette idée d’une Église sainte n’est en fait que l’expression de l’orgueil et de la dureté. Notre Seigneur Jésus-Christ a dénoncé une telle conception de l’Église dans la parabole du pharisien et du publicain.

Saint Augustin et Saint Cyprien posent aussi une autre question encore plus pertinente. Avons-nous le droit de prendre prétexte des mauvais chrétiens pour se retirer de l’Église comme l’ont fait les Donatistes et bien d’autres ? L’Église et les saints ne sont pas contaminés par la présence des pécheurs. Les méchants ne font torts aux bons que si les bons acquiescent aux péchés des méchants.

« Honorez, aimez et célébrez la sainte Église votre Mère, comme la sublime Jérusalem, comme la ville sainte de Dieu. Elle est l’Église du Dieu vivant et, dans cette foi que vous recevez, elle est féconde et se répand sur le monde entier : c’est la colonne et la base de la vérité, qui tolère dans la communion des sacrements les méchants qui doivent être séparés à la fin du monde et dont, en attendant, elle se distingue par les mœurs différentes des leurs. »[8]

Efficacité des sacrements et dignité des ministres ?

Saint Augustin s’attaque aussi à la deuxième question que soulève le donatisme : la validité d’un sacrement dépend-elle de la dignité du ministre qui le donne ? Pour cela, il distingue la validité de la licité du sacrement. Un sacrement peut être efficace tout en étant illicite. Il montre aussi les conséquences absurdes d’une telle erreur. Si la validité dépend de la sainteté du ministre, le salut devient incertain. Qui peut nous assurer en effet que le prêtre qui nous a baptisés était un saint  et donc que le baptême que j’ai reçu était valide ? Tout devient suspicion, méfiance, désespoir. Derrière cette idée se cache une erreur plus grave. Car le sacrement est efficace non en raison du ministre mais du Saint Esprit. Le ministre n’est qu’un instrument.

Le véritable ministre est Notre Seigneur Jésus-Christ, de qui seul dépend donc la vertu du sacrement. « C’est Dieu qui lave, et non l’homme […] c’est le propre de Dieu de purifier, et non l’homme. »[9] L’Église est même rendue sainte par la grâce du Christ qu’elle reçoit dans les sacrements. Il y a bien une distinction entre la sainteté de l’Église qu’elle reçoit du Christ et celle de ses membres, qui peuvent être pécheurs.

Celui qui arrose n’est pas le même que celui qui plante, nous dit Saint Paul. Contre certains Corinthiens qui prennent parti pour un Apôtre ou un autre, Saint Paul leur rappelle que ce ne sont que des serviteurs d’un même maître. « Le Christ est-il divisé ? Est-ce Paul qui a été crucifié pour vous ? » (I Corinthiens, I, 13) C’est bien le Christ qui baptise et non le prêtre ou l’évêque. Si le sacrement dépend de la dignité du ministre, que devient le principe, son importance et sa force ? Saint Thomas d’Aquin fait valoir que le ministre n’agit pas comme cause instrumentale et demeure, par conséquent, dépendant de Dieu, lequel peut accomplir ses œuvres même par le moyen de ministres morts spirituellement, pourvu que le sacrement en soi soit administré comme il faut.

L’Église détient donc des moyens de salut qui ne dépendent pas de la dignité du ministre. Elle possède tous les moyens nécessaires pour conduire ses membres à la fin pour laquelle elle a été fondée. Le second concile de Vatican parle de plénitude des moyens.

Sainteté subjective et objective

Les théologiens distinguent la sainteté subjective de la sainteté objective. Cette distinction est essentielle lorsque nous devons traiter de ce sujet. La première concerne le fidèle en lui-même. Si Dieu seul peut juger de l’état de grâce des membres de l’Église, il est possible cependant de le reconnaître. Nous trouvons la sainteté subjective dans les martyrs et dans la virginité volontaire ou quand elle est attestée par des miracles visibles. Nous pouvons donc examiner concrètement la sainteté de l’Église par ses manifestations, c’est-à-dire par ses saints qui n’ont jamais manqué à l’Église.

La sainteté objective concerne d’abord la doctrine de l’Église, de la foi et des mœurs,  ensuite le culte, surtout le sacrifice de la messe et les sacrements, puis les prières, les Ordres religieux, le sacerdoce, les œuvres de Charité, etc. Contre Celse, Origène montre que s’il y a beaucoup de défaillances chez les Chrétiens, l’Église est le lieu de la vérité et de la connaissance de Dieu[10]. La vérité subsiste certes en dehors d’elle mais elle est mélangée avec l’erreur.



Elle se manifeste aussi par les vertus chrétiennes que sont l’humilité, la chasteté et la charité, bases de la vie proprement chrétienne. Est-il possible de voir dans ces œuvres la moindre tâche ? Pouvons-nous sincèrement reprocher un enseignement dépourvu de sainteté ? Qui oserait critiquer l’Église par ces œuvres de charité et par les vertus qu’elle a diffusées dans la société ?

Il est facile aujourd’hui de jeter l’opprobre sur les hôpitaux catholiques des siècles passés, sur leur insalubrité ou les mauvais traitements mais qui a osé se lever pour les bâtir ? Qui a osé se battre pour les construire à partir de rien ? Nous l’oublions souvent. Avant le christianisme, il n’y avait ni hôpitaux, ni maison de retraite, ni orphelinat, ni assistance… La morale républicaine tant vantée n’est qu’une pâle reprise de toutes ces œuvres de charité. Aujourd’hui, quel est le modèle que notre société contemporaine nous propose ? Au temps de la chrétienté, le saint était l’idéal, le point à atteindre. Le guerrier est devenu un chevalier. De la barbarie est née une civilisation brillante…

Pouvons-nous encore comprendre la révolution de la morale chrétienne dans la société antique ? Au temps de l’antiquité, Celse n’a pas hésité à condamner le christianisme pour l’aide qu’il apportait aux pauvres et aux humbles ! Il était considéré comme la religion des démunis, des esclaves, des ignorants. Nous commençons aujourd’hui à apercevoir tout le progrès qu’il a apporté aux hommes lorsque nous songeons aujourd’hui aux succès de l’eugénisme et d’un libéralisme effréné. À force de vivre dans une civilisation, nous ne prenons plus conscience de ses vertus et de leur cause. Ce n’est que lorsqu’elle se délite que nous commençons à saisir sa force et sa beauté. Pour combattre la foi chrétienne, Julien l’Apostolat a demandé à ses prêtres païens de montrer de la charité comme leurs adversaires chrétiens. Quel plus bel hommage pour l’Église !...

Mais quand la sève ne nourrit plus la plante, quand le sel s’affadit, les œuvres perdent leur force et finissent par mourir. Une société peut reculer et retourner dans la misère morale, dans la barbarie et dans le vice. Les œuvres chrétiennes peuvent aussi connaître cette évolution quand l’âme n’y est plus, quand le regard se détourne de Dieu. Mais subitement d’une manière extraordinaire, de nouvelles œuvres reprennent avec plus de force et de vigueur, parfois à partir de l’œuvre mourante. Aux contradicteurs, nous leur demandons donc de ne pas fixer leur regard sur l’arbre mort mais d’admirer celui qui s’éveille. Les exemples des mauvais ne doivent pas voiler ceux des saints et toute la fécondité de l’Église dans ses membres et dans ses œuvres

Cela ne signifie pas qu’il n’est pas possible d’être bons et sanctifiés hors de l’Église comme nous l’avons déjà évoqué dans un article précédent [11]. La sainteté au sens ordinaire peut exister chez les incroyants mais seule l’Église en possède les signes extraordinaires. Elle seule confirme surtout les promesses de Notre Seigneur Jésus-Christ.

Sainteté et visibilité

Face aux thèses des protestants, l’Église a fortement défendu sa réalité visible, refusant de séparer son mystère intérieur et sa réalité extérieure. Il n’y qu’une Église, qui est « le rassemblement des hommes réunis par la profession d’une même foi chrétienne et la communion aux mêmes sacrements, sous le gouvernement des pasteurs légitimes et principalement de l’unique vicaire du Christ sur terre, le pontife romain » [12]. L’appartenance à la seule Église est donc visible par la profession de foi, qui s’appuie sur un Credo, des articles, une déclaration publique, etc., sur les sacrements, choses visibles par excellence, et enfin sur un gouvernement, donc une hiérarchie, des autorités, notamment sur Rome, sur un homme, le Pape. « Pour que quelqu’un puisse être considéré comme faisant partie à quelque degré de la véritable Église […] aucune vertu intérieure n’est requise, à notre avis, mais seulement la profession extérieure à la foi et la communauté des sacrements, choses accessibles à nos sens. L’Église est une assemblée d’hommes aussi visible et palpable que l’est l’assemblée du peuple romain ou le royaume de France ou la république de Venise. »[13]

La sainteté est une note de l’Église, c’est-à-dire une propriété qui permet de reconnaître la véritable Église comme l’unité, la catholicité et l’apostolicité. Elle est donc une distinction visible. Or dans les thèses des hérésies, elle rend l’Église indiscernable. Il y a confusion entre la sainteté d’un membre, que seul Dieu connaît, et la sainteté de l’Église. L’Église est à la fois visible et invisible tout en étant une. La sainteté touche les deux aspects.

Conclusion

Ainsi l’Église ici-bas est une société visible formée de bons et de méchants, une société qui ne préjuge pas du cœur de ses membres. Les méchants peuvent en outre guérir s’ils reconnaissent leurs péchés et en font pénitence. Ceux qui persévèrent dans le mal sont retranchés de l’Église lorsque leurs fautes sont connues. Mais nombreux sont les pécheurs dont les fautes demeurent secrètes. Ces pécheurs-là sont dans l’Église et échappent à la juste rigueur de l’Église. Ils n’en seront chassés que par la mort. Il faut donc savoir les souffrir en attendant. Et nul ne sait ce que sera demain le fidèle qui aujourd’hui est un pécheur. Il est donc inutile et dangereux de vouloir purifier l’Église avant l’heure. Il faut attendre l’heure où Dieu séparera le bon grain de l’ivraie. Et Dieu prend le temps qu’il Lui faut. Telle est  la leçon de  la divine patience.

Il faut donc concilier la foi en la sainteté de l’Église et le fait d’une Église ici-bas mêlée de bons et de méchants. La conception d’une Église essentiellement bonne masque sans-doute une certaine impatience, une certaine révolte, voire l’orgueil. Et de manière générale, celui qui prône une Église uniquement composée de saints ou de prédestinés ne s'en exclut pas…

Contre une conception puritaine, nous devons aussi distinguer dans l’Église la fin qui est la sanctification de ses membres et les sacrements qui en sont les moyens. Il est nécessaire de concilier la fin avec les moyens. Le discours ne doit donc pas seulement s’attarder sur la sainteté subjective de l’Église mais aussi défendre sa sainteté objective.

Enfin, s’il est avantageux d’appartenir à l’Église car elle-seule dispose des moyens de salut, il est illusoire de croire que l’incorporation à l’Église suffise pour être sauvée. Sans la foi et sans les œuvres, c’est-à-dire sans la foi vivante, nul ne peut se promettre la vie éternelle. Ne nous faisons pas de notre nom de catholique un prétexte de présomption. Il suffit de penser aux Juifs pour craindre les méfaits d’un tel orgueil. Veillons sur notre persévérance, sinon sur notre propre conversion…


Notes et références

[1] Hippolyte, Philosophum,IX, 12 dans Le Catholicisme de Saint Augustin, Mgr Battifol, Librairie Lecoffre, 1920.
[2] Hippolyte, Sur Daniel dans  Les signes du Salut, P. Tihon, 2ème partie, chap.IX, Histoire des Dogmes sous la direction de B. Sesbouë, Desclée, 1995.
[3] Tertullien, La Pudicité, XXI, 17.
[4] Philippe Melanchthon, Confession d’Augsbourg et l’Apologie, cerf, 1989, art. VII, dans Les signes du Salut, P. Tihon, 2ème partie, chap.XIII.
[5] Diderot, Salons, vol.1, dans Au cœur des objections chrétiennes, 2ème Partie, chap. II, Denis Lecompte, Cerf.
[6] Voir Emeraude, Les mémoires de Meslier, une oeuvre politiquement athée:synthèse, premier constat et L'athéisme de Meslier : baratin et absurdité, novembre 2014.
[7] Holbach, Système de la Nature, partie II dans Au cœur des objections chrétiennes, 2ème Partie, chap. II.
[8] Saint Augustin, Sermon CCXIV, 11, dans Précis de théologie dogmatique, Mgr Bernard Bartmann, Livre V, §150, tome II, 1944.
[9] Optat de Milève, Livre 5, 4 dans Les signes du Salut, P. Tihon, 2ème partie, chap.X.
[10] Voir Origène, Contre Celse, VI, 48.
[11] Voir Émeraude, Hors de l’Église, point de salut, septembre 2016.
[12] Saint Bellarmin, Controverses, III, 2 : Opera omnia, 1870 dans Les signes du Salut, P. Tihon, 2ème partie, chap.XIII
[13] Saint Bellarmin, Controverses, III, 2 : Opera omnia, 1870 dans Les signes du Salut, P. Tihon, 2ème partie, chap.XIII

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