" La pierre précieuse, voire de grand prix aux yeux de certains, qu'est l'émeraude, se voit insultée par un morceau de verre habilement truqué, s'il ne se rencontre personne qui soit capable de procéder à un examen et de démasquer la faute. Et lorsque de l'airain a été mêlé à l'argent, qui donc, s'il n'est connaisseur, pourra aisément le vérifier ? "(Saint Irénée, Contre les hérésies)


dimanche 15 octobre 2023

Le prêtre et le pasteur, des conceptions différentes du sacerdoce, une profonde divergence entre catholiques et protestants

Selon les protestants[1], la messe est « pure invention » ou encore « un sacrilège extrême »[2]. Si le mystère de l’Eucharistie les divise, ils sont néanmoins unanimes pour condamner et rejeter ce qui demeure le cœur du catholicisme. Leur attitude illustre l’abime qui les sépare de l’Église et révèle davantage la raison de leur séparation. Rien ne semble leur faire changer d’avis. Les preuves en faveur de l’antiquité de la messe ne leur suffisent pas pour remettre en cause leurs arguments. Les modifications qui ont profondément fait évoluer le culte catholique depuis plus de cinquante ans n’ont pas non plus réduit ou effacé leur division en dépit de l’optimisme qui a suivi le deuxième concile de Vatican. La situation s’est même empirée puisqu’elles ont conduit à une crise multiforme au sein même de l’Église.

La remise en question de la messe s’appuie sur une autre, celle du sacerdoce telle qu’elle est comprise et enseignée par l’Église. Les différences fondamentales entre la messe et la Cène, ou encore entre les conceptions catholiques et protestantes de la liturgie ne peuvent en effet se comprendre si nous n’évoquons pas les profondes divergences qui les séparent encore des catholiques en matière de sacerdoce.

Le prêtre dans l’Église

Le terme de sacerdoce est dérivé de « sacerdos », qui signifie « prêtre », lui-même de « sacer » (« sacré ») et de « dare » (« donner »). Le prêtre est celui qui a reçu le sacrement de l’ordre de la prêtrise. Le terme de « prêtre » vient du grec « presbuteros », comparatif de « presbus » (« âgé »). À l’origine, le prêtre était choisi parmi les anciens de la communauté. Sa dignité et son ministère portent le nom de « sacerdoce ».

L’ordination est un sacrement, institué par Notre Seigneur Jésus-Christ, qui confère à celui qui le reçoit un pouvoir spirituel établi par Notre Seigneur Jésus-Christ dans l’Église ainsi que les grâces nécessaires pour l’exercer. Elle le place d’une manière permanente dans l’état de cléricature. Un prêtre le reste toute sa vie.

Un clerc est celui qui est consacré aux ministères divins. Dans l’Église latine, il existe différents degrés d’ordres, répartis en deux niveaux, mineurs (portier, lecteur, exorciste, acolyte) et majeurs (sous-diacre, diacre, prêtre). La notion de cléricature et donc celle de l’ordination impliquent donc d’une part une hiérarchisation dans l’Église entre les différents clercs et d’autre part une distinction entre l’état de cléricature et celui du laïcat.

Missions du prêtre

Par l’ordination, le prêtre est le médiateur entre Dieu et les hommes. Il est celui qui prie et intercède publiquement devant Dieu. Il assume une triple mission : d’une part, rendre à Dieu ce qui lui est dû au nom de la communauté qu’il représente, d’autre part, communiquer aux hommes, par la voie des sacrements, les grâces que Dieu communique aux hommes, et enfin leur enseigner la doctrine, ce qui doivent croire et pratiquer. C’est par ses mains qu’il offre le saint sacrifice de la messe au nom du peuple et qu’il lui donne les choses sacrées. S’il a le pouvoir d’administrer tous les sacrements, à l’exception de la confirmation et de l’ordre qui sont réservés à l’évêque, sa principale fonction demeure en effet celle de consacrer et d’offrir le Corps et le Sang de Notre Seigneur Jésus-Christ à la sainte messe. Sans prêtre, il ne peut y avoir de messe…

Le pasteur dans le protestantisme

Dans le protestantisme, le pasteur est avant tout une fonction que tout chrétien est capable d’assurer pour le service du culte, l’enseignement, la direction et le conseil de la communauté, de sa prise de fonction jusqu’à son départ. Son rôle principal demeure la prédication. Le terme de « pasteur » désigne donc une fonction et non un état. Notons que cette fonction diffère selon les religions protestantes.

L’ordination d’un pasteur consiste à accorder l’autorisation d’enseigner que lui confère la communauté. Elle est finalement une investiture rituelle dans l’office de la prédication sans voir aucune collation d’un pouvoir sacré.

Les arguments protestants contre le sacerdoce

Les protestants refusent d’abord toute distinction entre clerc et laïc. Ils défendent donc l’idée selon laquelle tous les chrétiens peuvent assurer les fonctions des clercs en raison de leur baptême. « On a inventé que le pape, les évêques, les gens du monastère serait appelés états ecclésiastique, et que les princes, les seigneurs, les artisans et les paysans seraient appelés « laïc », ce qui est, certes, une fine subtilité et une belle hypocrisie. Personne ne doit se laisse intimider par cette distinction pour cette bonne raison que tous les chrétiens appartiennent vraiment à l’état ecclésiastique ; il n’existe aucune différence, si ce n’est celle de la fonction… »[3] Pour Luther, c’est par le baptême que tout chrétien est finalement prêtre au sens où il peut accomplir tous les actes cultuels et remplir toutes les fonctions ecclésiastiques.

Les protestants refusent toute séparation au sein des laïcs. Or, selon la conception de l’Église, par son ordination, le prêtre n’est plus comme tout le monde et se distingue de tous les croyants en se revêtant d’un caractère sacré d’une manière permanente.

Selon les protestants, la fonction du prêtre porte aussi atteinte à la médiation de Notre Seigneur Jésus-Christ. Selon Luther, le catholique n’accède à Dieu que par la médiation obligatoire du prêtre, ce qui s’oppose aussi à la souveraineté divine et à la liberté humaine. Les protestants enseignent qu’il ne peut y avoir d’intermédiaire entre Dieu et les hommes.

Les protestants refusent enfin toute idée sacrificielle de la messe et par conséquent la fonction même du prêtre.

Le « sacerdoce commun des fidèles » et le « sacerdoce ministériel » …

Nous pourrions croire que depuis le deuxième concile de Vatican, l’Église s’est rapprochée de la conception protestante du sacerdoce en développant l’idée d’un « sacerdoce commun des fidèles ».

Le deuxième concile de Vatican distingue en effet le « sacerdoce commun des fidèles » et « le sacerdoce ministériel ou hiérarchique » en précisant leur domaine d’action. Ils « participent, chacun selon son mode propre, de l’unique sacerdoce du Christ. »[4]

Concernant le « sacerdoce commun des fidèles », les fidèles « l’exercent par la réception des sacrements, la prière et l’action de grâces, le témoignage d’une vie sainte, et par leur renoncement et leur charité effective » en raison de leur baptême.

Concernant « le sacerdoce ministériel ou hiérarchique », « celui qui l’a reçu forme et dirige, en vertu du pouvoir sacré dont il jouit, le peuple sacerdotal, célèbre le sacrifice eucharistique en la personne du Christ et l’offre à Dieu au nom de tout le peuple ».

Le « sacerdoce commun des fidèles » ne constitue pas un contrepoids au sacerdoce ministériel ni se réduit aux activités que peuvent faire les chrétiens dans l’Église. Selon toujours le deuxième concile du Vatican, « par la régénération et l’onction de l’Esprit Saint, les baptisés sont en effet consacrés pour être une demeure spirituelle et un sacerdoce saint, en vue d’offrir, par toutes les activités de l’homme chrétien, des sacrifices spirituels et d’annoncer les actes de puissance de celui qui les a appelés des ténèbres à son admirable lumière. C’est pourquoi, tous les disciples du Christ, persévérant dans la prière louent ensemble Dieu, doivent s’offrir en hostie vivante, sainte et agréable à Dieu, porter témoignage du Christ sur toute l’étendue de la terre, et rendre compte, à ceux qui le demandent, de l’espérance qui est en eux de la vie éternelle. »[5] Ou dit autrement, les fidèles exercent leur sacerdoce commun par le témoignage d’une vie sainte, l’abnégation et de la charité.

… Qui sont différents en essence

Les fidèles ne jouissent pas d’un droit sacerdotal comme celui du prêtre. Le « sacerdoce commun des fidèles » diffère en essence du sacerdoce proprement dit, comme le répète le deuxième concile du Vatican, reprenant ainsi le discours du pape Pie XII. « L’office propre et principal du prêtre fut toujours et demeure d’offrir le Sacrifice, si bien que là où il n’y a aucun pouvoir de sacrifier proprement dit il n’y a pas non plus de véritable sacerdoce. »[6] Pie XII précise clairement la différence fondamentale entre les deux sacerdoces.

Finalement, le « sacerdoce ministériel » constitue un « sacerdoce proprement dit », par lequel le prêtre jouit d’un véritable pouvoir sacré, quand le « sacerdoce commun des fidèles », qui est plutôt un « sacerdoce mystique » ou spirituel, exprime la dignité et la fonction du chrétien qui découlent des grâces divines. « S’ils sont consacrés sacerdoce royal et nation sainte, c’est pour faire de toutes leurs actions des offrandes spirituelles, et pour rendre témoignage au Christ sur toute la terre. »[7]

Le « sacerdoce universel », différents points de vue pour les protestants

L’expression de « sacerdoce universel » qu’utilisent parfois les protestants est-elle si différente de celle de « sacerdoce commun des fidèles » ? Elle reprend l’idée selon laquelle, par leur baptême, tous les chrétiens jouissent d’un sacerdoce. Cependant, elle présente plusieurs interprétations au sein des courants protestants comme nous l’apprend un spécialiste lui-même protestant[8].

Selon une première interprétation, le « sacerdoce universel » signifie qu’il n’y a finalement plus de sacerdoce puisque ce dernier implique une distinction entre les fidèles et les prêtres. Tous les chrétiens sont donc égaux, même si certains exercent des fonctions particulières. Le protestantisme est donc une « religion laïque ». Selon cette conception du sacerdoce, qui n’en est pas une finalement, chacun n’est prêtre que pour lui-même. Cette interprétation peut surprendre puisque, par le sens même du terme, le sacerdoce est intimement lié au sacré qui signifie lui-même « séparé » et implique une distinction avec le profane. Selon cette première interprétation, le « sacerdoce universel » n’a finalement guère de sens.

Selon un deuxième point de vue, le « sacerdoce universel » signifie que tous les laïcs sont prêtres, étendant ainsi le sacerdoce à tous les chrétiens. Il en devient un caractère qui les distingue des non-chrétiens. Chacun est alors prêtre pour lui et pour tous les autres, exerçant toutes les fonctions liées au culte. C’est plutôt la conception de Luther. Cependant, il précise que si tous les chrétiens sont prêtres, tous ne peuvent pas être chargés des services cultuels et de l’enseignement. Selon la confession helvétique postérieur de 1566, « la prêtrise […] est commune à tous les chrétiens, mais non pas les ministères. » C’est ainsi que les protestants diffèrent les chrétiens par leurs connaissances et leur formation ainsi que par leur habilité et leur disponibilité, ce qui implique dans les faits une inégalité permanente parmi les laïcs, certes non fondées sur un état conféré par l’ordination et donc par des pouvoirs sacrés mais sur une compétence formalisée par un diplôme selon un processus défini, c’est-à-dire par l’homme. C’est donc l’homme finalement qui « sacralise » des chrétiens pour répondre à un besoin essentiel.

Enfin, selon une interprétation minoritaire, le « sacerdoce universel » a pour conséquence l’illégitimité de tout ministère et donc la suppression de fonctions ecclésiastiques.

Quelle que soit son interprétation, l’idée du « sacerdoce universel » diffère donc radicalement de celle du « sacerdoce commun des fidèles » et s’est construite contre l’idée d’un « sacerdoce ministériel ».

Une vérité historique

Si la Sainte Ecriture évoque le sacerdoce commun des fidèles, elle le distingue nettement du sacerdoce ministériel. Nous pouvons constater que dès le commencement, les Apôtres ont exercé leurs pouvoirs sacerdotaux et ont employé un rite pour les transmettre comme le témoignent les Actes des Apôtres et les épîtres de Saint Paul. Sans ce rite, les chrétiens ne peuvent exercer un pouvoir sacerdotal.

Les sept diacres, « on les présenta aux Apôtres et ceux-ci, après avoir prié, leur imposèrent les mains. » (Actes des Apôtres, VI, 6) Les Apôtres ont agréé le choix de la communauté qui a élu les diacres et leur confie le ministère par un rite, constitué de prières et de l’imposition des mains. C’est le premier rite sacramentel d’ordination dont nous parle la Sainte Ecriture.

De même, Saint Paul et Saint Barnabé sont ordonnés par la prière et l’ordination des mains (cf. Actes des Apôtres, XIII, 3). Le but du rite est de transmettre les pouvoirs et les dons dont ils auront besoin pour le service des missions.

Saint Paul écrit à Saint Timothée : « je t’exhorte à ranimer en toi la grâce de Dieu qui est en toi par l’imposition de me mains. » (II, Timothée, I, 6) Il rappelle en effet à son disciple, qui est un peu découragé, de se souvenir de son ordination. Et en vertu de ses pouvoirs, Saint Timothée consacre des « presbytres », c’est-à-dire des prêtres, de son entourage. L’ordination n’est pas réduite à une investiture mais elle est conçue clairement une transmission de pouvoirs effectifs, une communication de la grâce

Finalement, comme l’écrit lui-même le protestant Belun, « les premières traces sérieuses d’une imposition des mains ordinatoire se trouvent aux premières pages de l’histoire de l’Église chrétienne ». Les passages bibliques nous montrent donc l’antiquité de la conception de la transmission des pouvoirs sacerdotaux par un rite particulier. S’il y a invention comme le prétend Luther, celle-ci daterait alors de l’origine même de l’Église !

Conclusions

Le sacerdoce à proprement dit, tel qu’il est enseigné par l’Église, est un des points de divergences profondes qui séparent les différents mouvements protestants de l’Église. S’il est possible de parler de « sacerdoce commun des fidèles » pour désigner et souligner la dignité du chrétien et ses missions au sein de la société, il n’est pas comparable au « sacerdoce ministériel ». Il ne correspond pas non plus à la conception protestante de « sacerdoce universel », elle-même sujette à plusieurs interprétations instructives.

La conception du sacerdoce comme le rejet du sacerdoce ministériel par les protestants s’appuient sur un refus essentiel : la distinction catholique entre les prêtres et les laïcs. S’ils ont été amenés à distinguer des fidèles par leurs fonctions au sein de leur communauté et donc par leurs compétences, les protestants refusent l’idée même de la prêtrise, d’une transmission d’un pouvoir sacerdotal, d’un caractère définitif pour celui qui le reçoit.

Pourtant, comme le témoigne la Sainte Ecriture, les Apôtres et leurs premiers disciples ont été parfaitement conscients de transmettre un pouvoir sacré à des chrétiens par un rite particulier. Depuis les premières heures de son existence, l’Église distingue parmi ses membres ceux qui devaient exercer des ministères, dont celui d’offrir le sacrifice eucharistique et de remettre les péchés. Par l’imposition des mains, Saint Paul a conféré à Timothée un charisme. La distinction que rejettent les protestants est ainsi constitutive de l’Église.

 

 


Notes et références

[1] Voir Emeraude chrétienne, mars 2023, article « La Sainte Messe ou la Cène, catholique ou protestante, une foi différente, des célébrations différentes ».

[2] Jean Calvin, Institution de la religion chrétienne, livre IV, p. 487

[3] Luther, Lettre à la noblesse chrétienne, dans Le sacerdoce universel, André Gounelle, dans site andregounelle.fr, lu le 1er octobre.

[4] Deuxième concile du Vatican, constitution dogmatique sur l’Église Lumen Gentium, chapitre II, n°10, 5ème session publique, 21 novembre 1964, Denzinger n°4126.

[5] Deuxième concile du Vatican, constitution dogmatique sur l’Église Lumen Gentium, chapitre II, n°10, Denzinger n°4125.

[6] Pie XII, discours Magnificate Dominum mecum, au sacré collège et à l’épiscopat, sur le sacerdoce et le gouvernement pastoral, 2 novembre 1954.

[7] Paul VI, Décret sur l’apostolat des laïcs Apostolicam Actuositatem, 18 novembre 1965.

[8] Voir André Gounelle, Le sacerdoce universel.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire