La
remise en question de la messe s’appuie sur une autre, celle du sacerdoce telle
qu’elle est comprise et enseignée par l’Église. Les différences fondamentales
entre la messe et la Cène, ou encore entre les conceptions catholiques et
protestantes de la liturgie ne peuvent en effet se comprendre si nous
n’évoquons pas les profondes divergences
qui les séparent encore des catholiques en matière de sacerdoce.
Le
prêtre dans l’Église
L’ordination est un
sacrement, institué par Notre Seigneur Jésus-Christ, qui confère à celui qui le reçoit un pouvoir spirituel établi par
Notre Seigneur Jésus-Christ dans l’Église ainsi que les grâces nécessaires pour l’exercer. Elle le place d’une manière permanente dans l’état de
cléricature. Un prêtre le reste toute sa
vie.
Un clerc est celui
qui est consacré aux ministères divins. Dans l’Église latine, il existe différents degrés
d’ordres, répartis en deux niveaux, mineurs (portier, lecteur, exorciste,
acolyte) et majeurs (sous-diacre, diacre, prêtre). La notion de cléricature et
donc celle de l’ordination impliquent donc d’une part une hiérarchisation dans l’Église entre les différents clercs et
d’autre part une distinction entre
l’état de cléricature et celui du laïcat.
Missions
du prêtre
Le
pasteur dans le protestantisme
Dans
le protestantisme, le pasteur est avant
tout une fonction que tout chrétien est capable d’assurer pour le service
du culte, l’enseignement, la direction et le conseil de la communauté, de sa
prise de fonction jusqu’à son départ. Son
rôle principal demeure la prédication. Le terme de « pasteur » désigne donc une fonction
et non un état. Notons que cette fonction diffère selon les religions
protestantes.
L’ordination
d’un pasteur consiste à accorder l’autorisation d’enseigner que lui confère la
communauté. Elle est finalement une investiture
rituelle dans l’office de la prédication sans voir aucune collation d’un pouvoir
sacré.
Les
arguments protestants contre le sacerdoce
Les protestants
refusent toute séparation au sein des laïcs. Or, selon la conception de l’Église, par son
ordination, le prêtre n’est plus comme tout le monde et se distingue de tous
les croyants en se revêtant d’un caractère sacré d’une manière permanente.
Selon
les protestants, la fonction du prêtre
porte aussi atteinte à la médiation de Notre Seigneur Jésus-Christ. Selon
Luther, le catholique n’accède à Dieu que par la médiation obligatoire du
prêtre, ce qui s’oppose aussi à la souveraineté divine et à la liberté humaine.
Les protestants enseignent qu’il ne peut y avoir d’intermédiaire entre Dieu et
les hommes.
Les protestants
refusent enfin toute idée sacrificielle de la messe et par conséquent la fonction
même du prêtre.
Le
« sacerdoce commun des fidèles » et le « sacerdoce
ministériel » …
Le
deuxième concile de Vatican distingue en effet le « sacerdoce commun des fidèles » et « le sacerdoce ministériel ou hiérarchique » en précisant leur domaine d’action. Ils « participent, chacun selon son mode propre,
de l’unique sacerdoce du Christ. »[4]
Concernant
le « sacerdoce commun des fidèles »,
les fidèles « l’exercent par la
réception des sacrements, la prière et l’action de grâces, le témoignage d’une
vie sainte, et par leur renoncement et leur charité effective » en raison de leur baptême.
Concernant
« le sacerdoce ministériel ou
hiérarchique », « celui
qui l’a reçu forme et dirige, en vertu du pouvoir sacré dont il jouit, le
peuple sacerdotal, célèbre le sacrifice eucharistique en la personne du Christ et
l’offre à Dieu au nom de tout le peuple ».
Le
« sacerdoce commun des fidèles »
ne constitue pas un contrepoids au
sacerdoce ministériel ni se réduit aux activités que peuvent faire les
chrétiens dans l’Église. Selon toujours le deuxième concile du Vatican, « par la régénération et l’onction de l’Esprit
Saint, les baptisés sont en effet consacrés pour être une demeure spirituelle
et un sacerdoce saint, en vue d’offrir, par toutes les activités de l’homme
chrétien, des sacrifices spirituels et d’annoncer les actes de puissance de
celui qui les a appelés des ténèbres à son admirable lumière. C’est
pourquoi, tous les disciples du Christ, persévérant dans la prière louent
ensemble Dieu, doivent s’offrir en hostie vivante, sainte et agréable à Dieu,
porter témoignage du Christ sur toute l’étendue de la terre, et rendre compte,
à ceux qui le demandent, de l’espérance qui est en eux de la vie éternelle. »[5] Ou dit
autrement, les fidèles exercent leur
sacerdoce commun par le témoignage d’une vie sainte, l’abnégation et de la
charité.
…
Qui sont différents en essence
Finalement,
le « sacerdoce ministériel »
constitue un « sacerdoce proprement
dit », par lequel le prêtre jouit d’un véritable pouvoir sacré, quand
le « sacerdoce commun des fidèles »,
qui est plutôt un « sacerdoce
mystique » ou spirituel, exprime la dignité et la fonction du chrétien
qui découlent des grâces divines. « S’ils
sont consacrés sacerdoce royal et nation sainte, c’est pour faire de toutes
leurs actions des offrandes spirituelles, et pour rendre témoignage au Christ
sur toute la terre. »[7]
Le
« sacerdoce universel », différents points de vue pour les
protestants
Selon une première interprétation,
le « sacerdoce universel » signifie
qu’il n’y a finalement plus de sacerdoce
puisque ce dernier implique une distinction entre les fidèles et les prêtres.
Tous les chrétiens sont donc égaux, même si certains exercent des fonctions
particulières. Le protestantisme est donc
une « religion laïque ».
Selon cette conception du sacerdoce, qui n’en est pas une finalement, chacun n’est
prêtre que pour lui-même. Cette interprétation peut surprendre puisque, par le
sens même du terme, le sacerdoce est intimement lié au sacré qui signifie lui-même
« séparé » et implique une
distinction avec le profane. Selon cette première interprétation, le « sacerdoce universel » n’a
finalement guère de sens.
Selon un deuxième point de vue,
le « sacerdoce universel »
signifie que tous les laïcs sont prêtres,
étendant ainsi le sacerdoce à tous les chrétiens. Il en devient un caractère
qui les distingue des non-chrétiens. Chacun est alors prêtre pour lui et pour
tous les autres, exerçant toutes les fonctions liées au culte. C’est plutôt la
conception de Luther. Cependant, il précise que si tous les chrétiens sont prêtres, tous ne peuvent pas être chargés
des services cultuels et de l’enseignement. Selon la confession helvétique
postérieur de 1566, « la prêtrise
[…] est commune à tous les chrétiens,
mais non pas les ministères. » C’est ainsi que les protestants
diffèrent les chrétiens par leurs connaissances et leur formation ainsi que par
leur habilité et leur disponibilité, ce qui implique dans les faits une inégalité permanente parmi les laïcs,
certes non fondées sur un état conféré par l’ordination et donc par des
pouvoirs sacrés mais sur une compétence formalisée par un diplôme selon un
processus défini, c’est-à-dire par l’homme. C’est donc l’homme finalement qui « sacralise » des chrétiens pour répondre à un besoin essentiel.
Enfin, selon une interprétation
minoritaire, le « sacerdoce
universel » a pour conséquence l’illégitimité de tout ministère et
donc la suppression de fonctions
ecclésiastiques.
Quelle que soit son
interprétation, l’idée du « sacerdoce
universel » diffère donc radicalement de celle du « sacerdoce commun des fidèles » et
s’est construite contre l’idée d’un « sacerdoce
ministériel ».
Une vérité historique
Les sept diacres, « on les présenta aux Apôtres et ceux-ci,
après avoir prié, leur imposèrent les mains. » (Actes des Apôtres, VI, 6)
Les Apôtres ont agréé le choix de la communauté qui a élu les diacres et leur
confie le ministère par un rite, constitué de prières et de l’imposition des
mains. C’est le premier rite sacramentel
d’ordination dont nous parle la Sainte Ecriture.
De même, Saint Paul et Saint
Barnabé sont ordonnés par la prière et l’ordination des mains (cf. Actes
des Apôtres, XIII, 3). Le but du rite est de transmettre les pouvoirs
et les dons dont ils auront besoin pour le service des missions.
Saint Paul écrit à Saint Timothée :
« je t’exhorte à ranimer en toi la
grâce de Dieu qui est en toi par l’imposition de me mains. » (II, Timothée,
I, 6) Il rappelle en effet à son disciple, qui est un peu découragé, de se
souvenir de son ordination. Et en vertu de ses pouvoirs, Saint Timothée consacre
des « presbytres »,
c’est-à-dire des prêtres, de son entourage. L’ordination n’est pas réduite à une
investiture mais elle est conçue clairement une transmission de pouvoirs effectifs, une communication de la grâce…
Finalement, comme l’écrit lui-même
le protestant Belun, « les premières
traces sérieuses d’une imposition des mains ordinatoire se trouvent aux
premières pages de l’histoire de l’Église chrétienne ». Les passages
bibliques nous montrent donc l’antiquité
de la conception de la transmission des pouvoirs sacerdotaux par un rite
particulier. S’il y a invention comme le prétend Luther, celle-ci daterait
alors de l’origine même de l’Église !
Conclusions
La conception du sacerdoce comme
le rejet du sacerdoce ministériel par les protestants s’appuient sur un refus essentiel : la distinction catholique
entre les prêtres et les laïcs. S’ils ont été amenés à distinguer des
fidèles par leurs fonctions au sein de leur communauté et donc par leurs
compétences, les protestants refusent l’idée même de la prêtrise, d’une
transmission d’un pouvoir sacerdotal, d’un caractère définitif pour celui qui
le reçoit.
Pourtant, comme le témoigne la
Sainte Ecriture, les Apôtres et leurs premiers disciples ont été parfaitement conscients de transmettre un
pouvoir sacré à des chrétiens par un rite particulier. Depuis les premières
heures de son existence, l’Église distingue parmi ses membres ceux qui devaient
exercer des ministères, dont celui d’offrir le sacrifice eucharistique et de
remettre les péchés. Par l’imposition des mains, Saint Paul a conféré à
Timothée un charisme. La distinction que
rejettent les protestants est ainsi constitutive de l’Église.
Notes et références
[1]
Voir Emeraude
chrétienne, mars 2023, article « La Sainte Messe ou la Cène, catholique ou protestante, une foi
différente, des célébrations différentes ».
[2]
Jean Calvin, Institution de la religion chrétienne, livre IV, p. 487
[3]
Luther, Lettre à la noblesse chrétienne, dans Le sacerdoce universel,
André Gounelle, dans site andregounelle.fr, lu le 1er
octobre.
[4]
Deuxième concile du Vatican, constitution dogmatique sur l’Église Lumen
Gentium, chapitre II, n°10, 5ème session publique, 21
novembre 1964, Denzinger n°4126.
[5]
Deuxième concile du Vatican, constitution dogmatique sur l’Église Lumen
Gentium, chapitre II, n°10, Denzinger n°4125.
[6]
Pie XII, discours Magnificate Dominum mecum, au sacré collège et à l’épiscopat,
sur le sacerdoce et le gouvernement pastoral, 2 novembre 1954.
[7]
Paul VI, Décret sur l’apostolat des laïcs Apostolicam Actuositatem, 18
novembre 1965.
[8]
Voir André Gounelle, Le sacerdoce universel.
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