" La pierre précieuse, voire de grand prix aux yeux de certains, qu'est l'émeraude, se voit insultée par un morceau de verre habilement truqué, s'il ne se rencontre personne qui soit capable de procéder à un examen et de démasquer la faute. Et lorsque de l'airain a été mêlé à l'argent, qui donc, s'il n'est connaisseur, pourra aisément le vérifier ? "(Saint Irénée, Contre les hérésies)


vendredi 21 février 2014

Principes de la physique quantique

Lorsque nous voulons connaître sérieusement la physique quantique, un des plus grandes difficultsé est de distinguer dans tous les livres, revues, manuels ce qui constitue véritablement les principes qui la régissent. Car rapidement, nous constatons au cours de nos recherches que ce qui peut apparaître comme principe n’est finalement qu’une de ses interprétations et ne relève pas à proprement parler de la physique quantique. Le Monde quantique nous oblige alors à nous poser de réelles questions de fond, notamment de distinguer dans un discours scientifique ce qui est théorie et interprétation

Toutefois, en dépit de cette difficulté, nous allons tenter de définir les principes de la physique quantique tout en prenant bien conscience que parfois, ils peuvent correspondre à une interprétation. 

Discontinuité dans le monde quantique

Dans la physique classique, les grandeurs physiques (vitesse, énergie, intensité de courant, etc.) permettent de décrire des aspects de la réalité observable ou encore mesurable. Un objet réel constitue un système qui à un instant donné se trouve dans un état, c’est-à-dire sous une forme particulière que revêt la réalité, sa manière d’être en quelque sorte. Un état d’un système nous est alors connu si nous avons effectué un certain nombre de mesures et si nous avons obtenu ses grandeurs caractéristiques. Une des grandeurs d’un solide en mouvement est par exemple sa vitesse, celle d’une onde, sa longueur d’onde ou sa fréquence. En physique classique, les grandeurs que nous pouvons connaître par mesure ou observation nous permettent donc de décrire objectivement un objet.

Ces grandeurs physiques ont une valeur continue. Si un solide se déplace d’un point A à un point B, nous savons qu’il est passé par des points successifs uniques selon une ligne commençant par A et finissant par B. Avant d’atteindre sa cible, une flèche doit atteindre au moins la moitié de la distance qui la sépare de son objectif. Dans le monde quantique, ce n’est pas le cas.

Le premier principe du Monde quantique est en effet la présence d’une certaine discontinuité. Certaines grandeurs physiques, qui classiquement prennent une valeur continue en physique classique, n’ont que de valeurs discrètes en physique quantique. Une grandeur physique peut instantanément prendre une valeur particulière. Pour passer d’un état 1 à un état 2, une particule ne passe pas automatiquement par les valeurs intermédiaires. Elle doit suivre une trajectoire unique et précise. Ce passage peut être instantané.

Les particules émettent et reçoivent de l’énergie que par paquets. Les échanges d’énergie ne s’effectuent pas de manière continue. Elle correspond à un multiple d’un seuil minimal d’énergie, appelé quantum, d’où l’origine du terme de quantique. Ce quantum est une constante invariable, produit d’une constante invariable, appelée constante de Planck, et d’une longueur d’onde. La quantification de l’énergie est le point de départ de toute l’aventure de la physique quantique

Chaque état de particule est défini par une quantité d’énergie. Elle change donc d’état en absorbant ou en émettant un quantum d’énergie. Comme cet échange se fait par paquet d'énergie, une particule passe donc subitement, instantanément d’un état à un autre, sans aucune continuité [1]. C’est le saut quanta. Ce changement d’état ne se produit en outre sans aucune raison. « Il n’existe aucun moyen de dire quand cette transition interviendra »[2]. Il existe ainsi une certaine indétermination dans ces sauts. L’outil statistique [3] est alors utilisé pour étudier les états des particules. Le Monde quantique est alors décrit par des lois statistiques.

Nous retrouvons cette discontinuité dans la lumière. Einstein a introduit le quantum de rayonnement, appelée photon, pour décrire la lumière et expliquer les effets photoélectriques. Le photon a une énergie qui se détermine à partir de la longueur d’onde et de la pulsation de la lumière selon des fonctions non continues. Sa théorie est en contradiction avec les équations de la physique classique qui n’admet que des fonctions continues dans le temps et dans l’espace. Einstein propose de considérer ces fonctions comme des moyennes dans le temps. 

Dualité onde / particule



En physique classique, les termes d’ondes et de particules ont des propriétés différentes, voire totalement opposées. Un corps solide est notamment localisable par la détermination de sa position dans un espace en trois dimensions. Lorsqu'il est en mouvement, il occupe une succession de points formant alors une trajectoire. La connaissance de la vitesse du corps et de sa trajectoire permet ainsi l’étude complète de son mouvement. C’est le principe même de la physique classique depuis Newton. La situation est différente avec une onde. Elle n’est jamais au repos et emplit tout l’espace dans lequel elle est diffusée. Elle n’est pas vraiment localisable en un point. Les deux notions ne sont pas conciliables en physique classique, contrairement au monde quantique.

L’autre principe de la physique quantique est la dualité onde / particule. Constatant que la lumière se présente sous forme de paquets de lumière (photons) ayant le même paquet d’énergie, Einstein comprend rapidement que la lumière doit être décrite en termes de particules et d’ondes. Il songe alors à une fusion entre la théorie corpusculaire et la théorie ondulatoire pour décrire la lumière[4]. Le physicien Campton (1892-1962) montrera dans une expérience toute la pertinence de la dualité onde / particule dans le cas de la lumière. A son tour, de Broglie propose de décrire les particules en associant la théorie des ondes à celles des corpuscules : « j'arrivais à associer au mouvement de tout corpuscule la propagation d'une onde »[5]. Plusieurs expériences [6] confirment sa thèse. Selon l'interprétation la plus commune, la physique ondulatoire et la physique corpusculaire sont aussi valables l’une que l’autre pour décrire la même réalité. Ce sont deux descriptions complémentaires pour un même objet.

L’équation de Schrödinger

La théorie quantique se traduit sous deux versions équivalente : la mécanique ondulatoire, la plus utilisée, et la théorie des matrices, d’usage plus complexe. Dans la mécanique ondulatoire, l’état d’une particule est défini par une solution, appelée fonction d’onde, d’une équation, appelée équation de Schrödinger. L’équation de Schrödinger est la « pierre angulaire de la physique quantique moderne ». C’est une formule qui "décrit" le comportement d’une particule selon la double dualité corps / corpuscule. La signification de cette fonction d’onde est différente selon les interprétations…

Elle présente quelques traits caractéristiques importants. Il existe d'abord plusieurs fonctions d’onde solutions de l’équation. Chaque fonction d’onde est probable selon un taux qu’il est possible de calculer à partir de la fonction d’onde elle-même [7].

L’autre caractéristique importante est sa linéarité. Si des fonctions d’onde sont des solutions de l’équation, alors l’ensemble de ces fonctions est aussi solution. Un ensemble de fonctions d’onde est appelé « paquet d’onde », chacune correspondant à un état. Et tous ces paquets peuvent alors s’interférer de la même manière que des ondes. L’expérience de Young que nous avons décrite traduit cette interférence lorsqu’il n’y a pas de mesure au niveau des fentes.

Selon l’équation de Schrödinger, il y a donc une superposition de paquets d’onde et donc une superposition d‘états différents. Il est difficile d’imaginer ce qu’il se passe réellement. Nos observations et nos mesures donnent pourtant pour un système donné des grandeurs uniques, un état unique et non pas un ensemble de résultats différents. Nous connaissons donc uniquement une solution particulière parmi les solutions possibles, l’ensemble des autres solutions étant inconnaissables ou ayant disparu. Ce processus, quand il est accepté, est appelé « effondrement» ou  « réduction de la fonction ondulatoire ». Une des questions fondamentales de la physique quantique est de comprendre comment s'effectue le passage d'une superposition d'états à un seul état observable.

Selon l’interprétation de Copenhague, « la transition du « possible  » au « réel » […] a lieu pendant l'acte d'observer »[8]. Selon cette logique, l’acte d’observer a donc un rôle dans les résultats d’observation. Nous sommes alors aux antipodes de la physique classique. En effet, dans cette dernière, l’objet d’étude est isolé de tout et surtout de l’observateur qui reste extérieur à l’expérience. L’indépendance entre l’objet étudié et l’observateur est fondamentale dans la physique classique. Elle garantit l'objectivité de la connaissance. La difficulté est alors de donner un sens à ces états superposés qui semblent n’exister qu’en dehors de toute mesure. Selon l’interprétation d’Everett, dite encore interprétation des mondes multiples, on pense que ces superpositions d’état désignent des mondes réels qui se superposent dans une extra-réalité…

Principe d’incertitude

L’aspect probabilistique, que nous avons déjà identifié à plusieurs reprises – saut des particules, mécanique ondulatoire - est un des principes fondamentaux de la physique quantique. « La mécanique quantique est une théorie intrinsèquement probabiliste »[9]. Cet aspect probabilistique se traduit surtout par la formule d’Heisenberg, dite encore principe d’incertitude qu’Heisenberg a énoncé en 1927. Cette formule est le principe intrinsèque du Monde quantique selon l’interprétation la plus classique. Elle montre qu’il n’est pas possible de connaître simultanément la localisation d’une particule et son impulsion ou encore sa vitesse. La notion de trajectoire qui associe position et vitesse n’a donc pas de sens en physique quantique. C’est une impossibilité naturelle, fondamentale, non liée à l’imperfection de nos moyens de mesures. Selon l'interprétation la plus commune, il est ainsi fondamentalement impossible de connaître de manière précise et simultanée des paires de propriétés, l’une associée à l’aspect corpusculaire de la particule, l’autre à l’aspect ondulatoire ( théorie de la complémentarité). Plus nous avons de l’information sur l'un des deux aspects, moins nous en avons sur l’autre. 

Intrication quantique et non-localité

Dans le Monde quantique, lorsque deux "objets" interagissent, leurs propriétés se couplent et restent corrélées même après que l’interaction soit terminée. Ainsi dans un système à deux particules, en mesurant une des propriétés de l'une, il est possible de connaître la valeur de la même propriété pour l’autre particule. L’autre conséquence encore plus étrange est que la modification de l’une par l’observation modifie la seconde même si elles sont éloignées l'une de l'autre. En clair, il y a interaction entre les éléments d’un même système quelles que soient leurs distances spatiales et temporelles. Ce principe d’intrication et de non-localité n’est pas reconnu par toutes les interprétations. Il est néanmoins le plus souvent enseigné.


Nous avons essayé de décrire simplement et le plus clairement possible les principes de la physique quantique en essayant de supprimer ou d’identifier ce qui peut relever d’une interprétation. Cette description peut paraître simpliste pour les initiés mais elle semble suffisante pour appréhender le Monde quantique et comprendre combien il est bien difficile de le comprendre et même de l’imaginer. Cette description nous paraît suffisante pour lire les articles qui vont suivre sur ce sujet. Elle permet aussi de comprendre la pertinence de certaines questions fondamentales que nous devons nous posons face à un monde si étrange et inconnu... Que révèlent les principes de la physique quantique ? Que signifie l’équation de Schrödinger ? Qu’est-ce qu’une mesure ? Quel est finalement ce Monde quantique aux principes si étonnants ? La physique quantique en elle-même ne donne pas de sens à ce Monde. Il ne dit pas ce qu’est ce Monde. Ainsi a-t-elle donné lieu à des interprétations qui essayent de lui donner de la signification.

Certaines interprétations remettent en cause des certitudes comme celle de l’objectivité du monde, et peuvent nous éloigner de la réalité. Or « une interprétation d’une théorie a pour fonction de fournir l'image d'un monde dans lequel la théorie serait vraie, c'est-à-dire caractériser les entités dont se compose le monde et à préciser quelles sont leurs propriétés »[10]. 

Le danger est alors de vouloir donner à une interprétation une réalité qu’elle n’a pas et de l’imposer comme vérité. Or si une telle vision est prise pour la réalité, la foi n’a plus guère de sens, la connaissance non-plus.



Références

[1] Expérience de Franck et de Hertz , 1914, prix nobel de 1925,confirme la théorie des quanta associée aux atomes.
[2] John Gribbin, Le Chat de Schrodïnger, physique quantique et réalité, Flammarion,1984.
[3] Le sens de la valeur de ces statistiques est différent selon l’interprétation choisie.
[4] Voir Émeraude, janvier 2014, article "La lumière".
[5] Louis de Broglie, La physique quantique restera-t-elle indéterministe ? in Revue d'histoire des sciences et de leurs applications, 1952, Tome 5, n°4, www.persee.fr/web/revues.
[6] Expérience de Davisson et de Germer (1927).
[7] Plus précisément le carré de la fonction d’onde. La fonction d’onde est une fonction à variable complexe.
[8] Werner Heisenberg, Physique et Philosophie, éditions Albin Michel, 1971.
[9] Jacques Weyers, Physique générale III, Mécanique quantique, notes de cours, 2006-2007, Université catholique de Louvain, Faculté des Sciences, Département de physique.

[10] Thmas Boyer, La pluralité des interprétations d'une théorie scientifique : le cas de la mécanique quantique, thèse pour l'obtention du grade de docteur en philosophie de l'Université de Paris 1 Panthéon-Sorbonne, 2 décembre 2011, http://www-ihpst.univ-paris1.fr/fichiers/theses/thomas_boyer_118.pdf

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