Lorsque nous voulons connaître sérieusement la physique quantique, un des plus grandes difficultsé est de
distinguer dans tous les livres, revues, manuels ce qui constitue véritablement
les principes qui la régissent. Car rapidement, nous constatons au cours de nos
recherches que ce qui peut apparaître comme principe n’est finalement
qu’une de ses interprétations et ne relève pas à
proprement parler de la physique quantique. Le Monde quantique
nous oblige alors à nous poser de réelles questions de fond, notamment de distinguer
dans un discours scientifique ce qui est théorie et interprétation.
Toutefois, en dépit de
cette difficulté, nous allons tenter de définir les
principes de la physique quantique tout en prenant bien conscience que parfois, ils peuvent
correspondre à une interprétation.
Discontinuité dans le
monde quantique
Dans la physique classique,
les grandeurs physiques (vitesse, énergie, intensité de courant, etc.)
permettent de décrire des aspects de la réalité observable ou encore mesurable.
Un objet réel constitue un système qui à un instant donné
se trouve dans un état, c’est-à-dire sous une forme particulière que revêt la
réalité, sa manière d’être en quelque sorte. Un état d’un système nous est
alors connu si nous avons effectué un certain nombre de mesures et si nous
avons obtenu ses grandeurs caractéristiques. Une des grandeurs d’un solide en
mouvement est par exemple sa vitesse, celle d’une onde, sa longueur d’onde ou sa
fréquence. En physique classique, les grandeurs que nous pouvons connaître par mesure ou observation nous permettent donc de décrire objectivement un objet.
Ces grandeurs physiques
ont une valeur continue. Si un solide se déplace d’un point A à un point B, nous
savons qu’il est passé par des points successifs uniques selon une ligne commençant par A et finissant par B. Avant d’atteindre sa cible, une
flèche doit atteindre au moins la moitié de la distance qui la sépare de son
objectif. Dans le monde quantique, ce n’est pas le cas.
Le premier principe du Monde quantique est en effet la
présence d’une certaine discontinuité. Certaines grandeurs physiques, qui
classiquement prennent une valeur continue en physique classique, n’ont que de
valeurs discrètes en physique quantique. Une grandeur physique peut
instantanément prendre une valeur particulière. Pour passer d’un état 1 à un
état 2, une particule ne passe pas automatiquement par les valeurs intermédiaires. Elle doit suivre une trajectoire unique et précise. Ce passage peut être instantané.
Les particules émettent et reçoivent de l’énergie que par paquets. Les échanges d’énergie ne s’effectuent pas de manière continue. Elle correspond à un multiple d’un seuil minimal d’énergie, appelé quantum, d’où l’origine du terme de quantique. Ce quantum est une constante invariable, produit d’une constante invariable, appelée constante de Planck, et d’une longueur d’onde. La quantification de
l’énergie est le point de départ de toute l’aventure de la physique quantique.
Chaque état de particule
est défini par une quantité d’énergie. Elle change donc d’état en absorbant
ou en émettant un quantum d’énergie. Comme cet échange se fait par paquet d'énergie, une particule passe donc subitement, instantanément d’un état à un autre, sans
aucune continuité [1].
C’est le saut quanta. Ce changement d’état ne se produit en outre sans
aucune raison. « Il n’existe aucun
moyen de dire quand cette transition interviendra »[2].
Il existe ainsi une certaine indétermination dans ces sauts. L’outil
statistique [3] est
alors utilisé pour étudier les états des particules. Le Monde quantique est alors décrit par des lois statistiques.
Nous retrouvons cette
discontinuité dans la lumière. Einstein a introduit le quantum de
rayonnement, appelée photon, pour décrire la lumière et expliquer les effets
photoélectriques. Le photon a une énergie qui se détermine à partir de la
longueur d’onde et de la pulsation de la lumière selon des fonctions non
continues. Sa théorie est en contradiction avec les équations de la physique
classique qui n’admet que des fonctions continues dans le temps et dans
l’espace. Einstein propose de considérer ces fonctions comme des moyennes dans
le temps.
Dualité onde / particule
L’autre principe de la
physique quantique est la dualité onde / particule. Constatant que la lumière
se présente sous forme de paquets de lumière (photons) ayant le même paquet
d’énergie, Einstein comprend rapidement que la lumière doit être décrite en
termes de particules et d’ondes. Il songe alors à une fusion entre la théorie
corpusculaire et la théorie ondulatoire pour décrire la lumière[4]. Le physicien Campton (1892-1962) montrera dans une expérience toute la pertinence de la dualité
onde / particule dans le cas de la lumière. A son tour, de Broglie propose de
décrire les particules en associant la théorie des ondes à celles des
corpuscules : « j'arrivais à
associer au mouvement de tout corpuscule la propagation d'une onde »[5].
Plusieurs expériences [6] confirment sa thèse. Selon l'interprétation la plus commune, la physique ondulatoire et la physique
corpusculaire sont aussi valables l’une que l’autre pour décrire la même
réalité. Ce sont deux descriptions complémentaires pour un même objet.
L’équation de Schrödinger
La théorie quantique se
traduit sous deux versions équivalente : la mécanique ondulatoire, la plus
utilisée, et la théorie des matrices, d’usage plus complexe. Dans la mécanique
ondulatoire, l’état d’une particule est défini par une solution, appelée
fonction d’onde, d’une équation, appelée équation de Schrödinger. L’équation de
Schrödinger est la « pierre
angulaire de la physique quantique moderne ». C’est une formule qui "décrit" le comportement d’une particule selon la double dualité corps /
corpuscule. La signification de cette fonction d’onde est différente selon les
interprétations…
Elle présente quelques
traits caractéristiques importants. Il existe d'abord plusieurs fonctions
d’onde solutions de l’équation. Chaque fonction d’onde est probable selon un
taux qu’il est possible de calculer à partir de la fonction d’onde elle-même [7].
L’autre caractéristique
importante est sa linéarité. Si des fonctions d’onde sont des solutions de
l’équation, alors l’ensemble de ces fonctions est aussi solution. Un ensemble
de fonctions d’onde est appelé « paquet
d’onde », chacune correspondant à un état. Et tous ces paquets peuvent alors
s’interférer de la même manière que des ondes. L’expérience de Young que nous
avons décrite traduit cette interférence lorsqu’il n’y a pas de mesure au
niveau des fentes.
Selon l’équation de
Schrödinger, il y a donc une superposition de paquets d’onde et donc une
superposition d‘états différents. Il est difficile d’imaginer ce qu’il se passe
réellement. Nos observations et nos mesures donnent pourtant pour un système
donné des grandeurs uniques, un état unique et non pas un ensemble de résultats
différents. Nous connaissons donc uniquement une solution particulière parmi
les solutions possibles, l’ensemble des autres solutions étant inconnaissables ou
ayant disparu. Ce processus, quand il est accepté, est appelé « effondrement» ou « réduction de la fonction ondulatoire ». Une des questions fondamentales de la physique quantique est de comprendre comment s'effectue le passage d'une superposition d'états à un seul état observable.
Selon l’interprétation de Copenhague, « la transition du
« possible » au « réel » […] a lieu pendant l'acte d'observer »[8]. Selon
cette logique, l’acte d’observer a donc un rôle dans les résultats d’observation.
Nous sommes alors aux antipodes de la physique classique. En effet, dans cette
dernière, l’objet d’étude est isolé de tout et surtout de l’observateur qui
reste extérieur à l’expérience. L’indépendance entre l’objet étudié et
l’observateur est fondamentale dans la physique classique. Elle garantit l'objectivité de la connaissance. La
difficulté est alors de donner un sens à ces états superposés qui
semblent n’exister qu’en dehors de toute mesure. Selon l’interprétation d’Everett,
dite encore interprétation des mondes multiples, on pense que ces
superpositions d’état désignent des mondes réels qui se superposent dans une
extra-réalité…
Principe d’incertitude
L’aspect probabilistique,
que nous avons déjà identifié à plusieurs reprises – saut des particules,
mécanique ondulatoire - est un des principes fondamentaux de la physique
quantique. « La mécanique quantique
est une théorie intrinsèquement probabiliste »[9].
Cet aspect probabilistique se traduit surtout par la formule d’Heisenberg, dite encore principe
d’incertitude qu’Heisenberg a énoncé en 1927. Cette formule est le principe intrinsèque
du Monde quantique selon l’interprétation la plus classique. Elle montre qu’il
n’est pas possible de connaître simultanément la localisation d’une particule
et son impulsion ou encore sa vitesse. La notion de trajectoire qui associe
position et vitesse n’a donc pas de sens en physique quantique. C’est une
impossibilité naturelle, fondamentale, non liée à l’imperfection de nos moyens
de mesures. Selon l'interprétation la plus commune, il est ainsi fondamentalement impossible de connaître de manière
précise et simultanée des paires de propriétés, l’une associée à l’aspect
corpusculaire de la particule, l’autre à l’aspect ondulatoire ( théorie de la complémentarité). Plus nous avons
de l’information sur l'un des deux aspects, moins nous en avons sur l’autre.
Intrication quantique et non-localité
Dans le Monde quantique, lorsque
deux "objets" interagissent, leurs propriétés se couplent et restent corrélées
même après que l’interaction soit terminée. Ainsi dans un système à deux particules, en mesurant une des
propriétés de l'une, il est possible de connaître la valeur de
la même propriété pour l’autre particule. L’autre conséquence encore
plus étrange est que la modification de l’une par l’observation modifie la
seconde même si elles sont éloignées l'une de l'autre. En clair, il y a interaction entre les éléments d’un même système
quelles que soient leurs distances spatiales et temporelles. Ce principe
d’intrication et de non-localité n’est pas reconnu par toutes les
interprétations. Il est néanmoins le plus souvent enseigné.
Nous avons essayé de décrire simplement et le plus clairement possible les principes de la physique quantique en essayant de supprimer ou d’identifier ce qui peut relever d’une interprétation. Cette description peut paraître simpliste pour les initiés mais elle semble suffisante pour appréhender le Monde quantique et comprendre combien il est bien difficile de le comprendre et même de l’imaginer. Cette description nous paraît suffisante pour lire les articles qui vont suivre sur ce sujet. Elle permet aussi de comprendre la pertinence de certaines questions fondamentales que nous devons nous posons face à un monde si étrange et inconnu... Que révèlent les principes de la physique quantique ? Que signifie l’équation de Schrödinger ? Qu’est-ce qu’une mesure ? Quel est finalement ce Monde quantique aux principes si étonnants ? La physique quantique en elle-même ne donne pas de sens à ce Monde. Il ne dit pas ce qu’est ce Monde. Ainsi a-t-elle donné lieu à des interprétations qui essayent de lui donner de la signification.
Certaines interprétations
remettent en cause des certitudes comme celle de l’objectivité du monde, et
peuvent nous éloigner de la réalité. Or « une interprétation d’une théorie a pour fonction de fournir l'image d'un monde dans
lequel la théorie serait vraie, c'est-à-dire caractériser les entités dont se
compose le monde et à préciser quelles sont leurs propriétés »[10].
Le danger est alors de vouloir donner à une interprétation une réalité qu’elle n’a pas et de l’imposer comme vérité. Or si une telle vision est prise pour la réalité, la foi n’a plus guère de sens, la connaissance non-plus.
Le danger est alors de vouloir donner à une interprétation une réalité qu’elle n’a pas et de l’imposer comme vérité. Or si une telle vision est prise pour la réalité, la foi n’a plus guère de sens, la connaissance non-plus.
Références
[1] Expérience de Franck et de Hertz , 1914, prix nobel de 1925,confirme la théorie des quanta associée aux atomes.
[2] John Gribbin, Le Chat de Schrodïnger, physique quantique et réalité, Flammarion,1984.
[3] Le sens de la valeur de ces statistiques est différent selon l’interprétation choisie.
[4] Voir Émeraude, janvier 2014, article "La lumière".
[5] Louis de Broglie, La physique quantique restera-t-elle indéterministe ? in Revue d'histoire des sciences et de leurs applications, 1952, Tome 5, n°4, www.persee.fr/web/revues.
[6] Expérience de Davisson et de Germer (1927).
[7] Plus précisément le carré de la fonction d’onde. La fonction d’onde est une fonction à variable complexe.
[8] Werner Heisenberg, Physique et Philosophie, éditions Albin Michel, 1971.
[9] Jacques Weyers, Physique générale III, Mécanique quantique, notes de cours, 2006-2007, Université catholique de Louvain, Faculté des Sciences, Département de physique.
[10] Thmas Boyer, La pluralité des interprétations d'une théorie scientifique : le cas de la mécanique quantique, thèse pour l'obtention du grade de docteur en philosophie de l'Université de Paris 1 Panthéon-Sorbonne, 2 décembre 2011, http://www-ihpst.univ-paris1.fr/fichiers/theses/thomas_boyer_118.pdf
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire