" La pierre précieuse, voire de grand prix aux yeux de certains, qu'est l'émeraude, se voit insultée par un morceau de verre habilement truqué, s'il ne se rencontre personne qui soit capable de procéder à un examen et de démasquer la faute. Et lorsque de l'airain a été mêlé à l'argent, qui donc, s'il n'est connaisseur, pourra aisément le vérifier ? "(Saint Irénée, Contre les hérésies)


lundi 24 décembre 2012

Les créationnismes

L'unité et la diversité de la vie peuvent s'expliquer de deux manières : soit par évolution des espèces, soit par création. Les espèces sont considérées, dans le premier cas, mutables, dans le second, fixes. Ainsi, s'opposent l'évolutionnisme et le créationnisme. Comme le premier domine les pensées en tant que dogme, le second apparaît comme une hérésie, donc à combattre. Mais, cette dualité clairement affichée notamment par les médias cache une réalité, la diversité des doctrines créationnistes et leur confusion. En regroupant tous ses adversaires dans un même terme, l'évolutionnisme peut plus aisément diaboliser leurs adversaires. Nous allons donc tenter de rétablir un peu de vérité... 

Globalement, le terme de "créationnisme" désigne toute doctrine qui reconnaît que le monde a été créé. Tout chrétien est donc créationniste. Celui qui prétend ne pas l'être ne peut en effet réciter le premier article du Credo. 

Et pourtant, des théologiens tentent de montrer que l'évolutionnisme est conciliable avec la foi, comme les partisans du teihlardisme. La création est plutôt vue comme une relation continue entre le Créateur et ses créatures. Ils parlent de "création continue". Ils adaptent le sens des Écritures et les dogmes selon les résultats de la "science". Cette tendance est souvent appelée "créationniste théiste". Mais, en réalité, il s'agit d'une véritable théorie évolutionniste... 

On a tendance à faire naître le créationnisme aux États-Unis, dans les milieux protestants, à la fin du XIXème siècle. Ces derniers l'auraient développé en réaction aux progrès et à la domination de l'évolutionnisme. Or, la plupart des scientifiques étaient déjà fixistes avant la publication du livre de Darwin. John Ray, le "père de l'histoire naturelle britannique", Carl Linné, le "père de la taxinomie moderne", Georges Cuvier, fondateur de la paléontologie, étaient créationnistes tout en étant de véritables scientifiques. Leur foi s'accordait avec la science sans difficulté. La communauté des scientifiques était donc créationniste. A cette époque, on employait plutôt le terme de fixisme. Aujourd'hui, ils seraient considérés comme non-scientifiques. 

Aux États-Unis, néanmoins, apparaît un créationnisme plus virulent et radical. Contre le progrès de la théorie de l'évolution, défendue par les libéraux, certains protestants réagissent et parviennent à interdire l'enseignement de l'évolutionnisme. Ce créationnisme entre dans le cadre des missions protestantes pour le réveil de la foi et la lutte contre la décadence morale. Ce groupe de pasteurs élabore une catéchèse appelée "Fundamentals", d'où on tirera le terme de fondamentalistes. L'un des initiateurs, le pacifiste William Bryan, secrétaire du président américain Wilson jusqu'en 1917, trouve la source de la guerre et de la violence dans le darwinisme. Il veut donc le combattre. Le 28 janvier 1925, il parvient à interdire l'enseignement de la théorie évolutionniste. L’État du Tenesse met en place le Butler act qui déclare qu'il est "illégal pour tout enseignant [...], d'enseigner toute théorie qui nie l'Histoire de la Création divine de l'homme comme enseigné dans la Bible, et d'enseigner à la place que l'homme est descendu d'un ordre inférieur des animaux" (1). 15 États sur 25 l'interdisent. Dans les débats, on finit par opposer la science et la religion, les valeurs traditionnelles à celles des libéraux et du progrès. Certains anti-évolutionnistes considèrent le darwinisme comme une justification de l'exploitation des travailleurs et du capitalisme. Les protestants combattent les idéologies dérivées du darwinisme. En 1969, les lois anti-évolutionnistes sont déclarées anticonstitutionnelles. 

Ce premier créationnisme américain s'appuie surtout sur une lecture plus ou moins littérale de la Bible pour s'opposer à l'évolutionnisme. Il récuse et dénigre les résultats de la science. On distingue "les créationnistes Terre jeune" qui croient en la création du monde en six jours, et les "créationnistes Terre veille" qui conçoit que l'origine de l'univers remonte à des millions, voire à des milliards d'années. Les premiers sont appelés "littéralistes", les seconds, "concordistes". 

En 1941, des chrétiens évangélistes diplômés se rassemblent pour répondre aux difficultés des relations entre la science et la foi. En 1963, l'un d'eux, Henri Morris (1918-2006) lance le créationnisme scientifique pour combattre l'évolutionnisme sur son propre terrain. Il s'agit maintenant de montrer que la Bible est une source de vérités scientifiques et que sa lecture littérale peut être prouvée scientifiquement. Ce créationnisme continue donc de s'appuyer sur la Bible, présentée comme "historiquement et scientifiquement vraie dans le texte original" (2), tout en montrant les failles de l'évolutionnisme au moyen de la science. Le darwinisme est toujours présenté comme une menace de l'ordre social. "En considérant l'homme comme un animal, [la théorie de l'évolution] prône des comportements animaux comme l'amour libre, l'éthique situationnelle, les drogues, le divorce, l'avortement et une foule d'idées qui contribuent à conduire l'homme d'aujourd'hui vers la futilité et le suicide" (3). 

Un nouveau créationniste apparaît encore à la fin du XXème siècle : l'"intelligent design", ou encore en français, le « dessein intelligent ». Désormais, le créationnisme ne s'appuie plus sur des références religieuses explicites. Les principaux auteurs de ce mouvement sont le juriste Philipp Johnson, né en 1940, le biologiste Michael Behé, né en 1952 et le mathématicien William Dembsi, né en 1960. 

Ils montrent que les processus physico-chimiques ne peuvent seuls expliquer la diversité de la vie, compte tenu de sa complexité. "Pour expliquer la vie, il est nécessaire de supposer l'action d'une intelligence qui n'a pas évolué " (4). Le mot "design" signifie projet ou idée qui préside à sa réalisation. La science peut en effet apporter son appui pour montrer l'existence d'un "designer", d'une intelligence. Ces créationnistes s'opposent alors au postulat scientifique qui refuse d'expliquer les phénomènes naturels par une intervention non naturelle. Ils considèrent que cette limite est incompatible avec l'étude des organismes vivants, et finalement ils refusent le matérialisme dans les sciences. Le retour d’éléments de spiritualité dans la démarche scientifique est aussi l'objectif d'un autre mouvement proche du créationnisme, qui s'exprime en France par l'intermédiaire de l'Université Interdisciplinaire de Paris. 

Le créationnisme touche aussi le monde musulman, surtout en Turquie, Indonésie, Malaisie. Il a donné lieu à une œuvre, « la fondation pour la recherche scientifique » de Harun Yahia (1991). Très présent sur Internet et dans les médias, puissant prédicateur, il tente de démontrer les failles de l'évolutionnisme en s'appuyant sur des faits apparemment scientifiques. Il montre aussi la responsabilité de l'évolutionnisme dans les idéologies violentes du XXème siècle. Le Coran est enfin présenté comme un ouvrage scientifique ultime de référence. Ce créationnisme est parfois appelé "néocréationnisme musulman". 

Les témoins de Jéhovah, la scientologie et d'autres sectes encore développent aussi des créationnismes particuliers. 

Nous pouvons donc distinguer : 
  • le créationnisme métaphysique, philosophique ; 
  • le créationnisme chrétien ; 
  • le créationnisme concordiste, de type théiste ; 
  • le créationnisme littéraliste ; 
  • le créationnisme scientifique, finaliste ; 
  • les créationnismes sectaires. 
Ces mouvements très divers cherchent à combattre l'évolutionnisme, parfois à l'aide d'arguments scientifiques et logiques séduisantes. C'est pourquoi il est parfois intéressant de les entendre tout en veillant à confirmer leurs propos par des sources plus objectives. Il serait difficilement compréhensible de refuser de les écouter sous prétexte qu'ils sont créationnistes. 

Néanmoins, les créationnistes littéralistes et scientifiques s'appuient sur des erreurs philosophiques ou religieuses graves, notamment sur la pure littéralité de la Sainte Écriture et sur une conception erronée de son autorité. Nous retrouvons les erreurs du protestantisme. Pour le créationnisme de type théiste, nous ne pouvons qu'être encore plus critiques et opposés. Il change le contenu de la doctrine pour qu'elle soit conforme à l'évolutionnisme. C'est de l'évolutionnisme déguisé. Ne parlons guère des créationnismes sectaires qui s'égarent dans des conceptions très lointaines de la foi et de la raison ... 

Ainsi, il n'existe pas un seul créationnisme. Certes, tous ces mouvements adhèrent à l'idée d'une création divine et à la fixité des espèces, mais cela ne suffit pas pour les rassembler sous un seul terme, encore moins pour les confondre. C'est néanmoins très pratique pour diaboliser celui qui ose croire en un Dieu, Créateur de toutes choses. Pratique très courante pour discréditer son adversaire et pour obliger les hommes à choisir entre deux principes, l'évolutionnisme et le créationnisme, l'un prétendu bon, rationnel et moderne, l'autre apparemment mauvais, déraisonnable et rétrograde. Les média se nourrissent de ce manichéisme si simpliste, source de terribles confusions. Rassembler tous les créationnismes, y compris ceux qui sont radicalement différents, sous un seul et même terme, permet aussi de montrer l'incohérence de l'idée de la Création et d'établir des filiations entre eux. Tout cela est faux. Ainsi, évitons d'employer ce terme si galvaudé. Proclamons avec fierté notre foi en un Dieu Créateur. 



1. Butler Act, Wikipédia, article "Créationnisme", www.law.umkc.edu/faculty/projects/ftrials/scopes/tennstat.htm
2. Charte du mouvement créationniste cité dans J. Arnoud, Les Créationnistes, édition du Cerf, 1996, dans Darwin et le christianisme, vrais et faux débats, de F. Fuvé. 
3. Tim Lahaye, cité dans J. Arnoud, Les Créationnistes, dans Darwin et le christianisme, vrais et faux débats
4. W. Demski, M. Ruse, Debating System: from Darwin to DNA , Cambridge University Press, 2001 cité dans Darwin et le christianisme, vrais et faux débats, de F. Fuvé.

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