Depuis plus de 50 ans, certains clercs catholiques ont développé une pensée religieuse surprenante, innovante, révolutionnaire. Par leur audace et par leur imprudence, souvent mêlées d'indélicatesse et d'insolence, ils ont troublé les fidèles au point qu'un grand nombre d'entre eux ont décidé de quitter l’Église, avec tristesse et colère. Les catholiques ont été profondément méprisés et trahis. Le doute s'est alors installé en eux. Leur identité construite patiemment, parfois avec beaucoup de sacrifices, a été brusquement reniée. Leurs connaissances ont perdu toute valeur. Leur âme a été cruellement touchée. Ce traumatisme a conduit à la désertion des églises et à la perte de la foi. Les hommes d’Église ont alors fini par perdre toute crédibilité au moment même où le monde offrait de plus grandes séductions. Quand nous pensons à cette histoire récente, nous ne pouvons que penser avec peine et peut-être avec colère à la lourde responsabilité de ces hommes et de ces femmes qui ont contribué à détruire les paroisses chrétiennes, à dissoudre les communautés religieuses, à rejeter des fidèles dans l'incroyance et dans l'ignorance. Ils ont dénigré le trésor de l’Église pour des chimères. Aujourd'hui, nous éprouvons toute la douleur de ce drame. Mais, nous ne devons pas nous arrêter à cette profonde tristesse. Nous devons comprendre ces nouvelles théologies qui poursuivent leur influence et dominent aujourd'hui encore davantage les pensées.
« L'inscription de l'humanité dans le grand arbre de la vie, retracé grâce à la théorie scientifique de l'évolution, entraîne une rupture avec la philosophie de l'homme qui a dominé la pensée européenne » (1). Rupture, telle est le terme significatif de l'une de ces pensées religieuses, responsables de la crise actuelle. Mais, il ne s'agit pas simplement d'une rupture. Nous pouvons parler de reconstruction. L'évolutionnisme a bouleversé la conception de l'homme et plus globalement la conception du monde. Il s'est répandu dans le domaine philosophique et religieux. Essayons de décrire cette nouvelle conception…
L'homme est représenté comme un être vivant parmi d'autres, soumis aux mêmes lois. Son histoire s'inscrit alors dans celle des êtres vivants, elle-même dans une histoire où progressivement les espèces évoluent, au grès du hasard et de la sélection naturelle. Néanmoins, l'homme a une particularité : son intelligence et sa conscience ont lentement émergé et continuent à évoluer depuis les origines. Chez les premiers hommes, « la liberté est là, implicite et s'exercent de manière encore enrobée » (2).
Alors, peu à peu, à travers le temps, l'homme se construit, se développe. Il y a une « hominisation » progressive de l'homme. Et cette hominisation correspond à une autonomie de plus en plus grande, « toujours moins instinctuelle et toujours plus authentiquement libre » (3). Plus l'homme évolue, plus sa liberté est grande, plus il se détache de la nature...
Mais la nature est vue aussi comme une lutte permanente depuis le commencement. L'évolution est le fruit d'une sélection naturelle où le meilleur l'emporte sur les plus faibles. Ce combat est donc perçu comme naturel, et non plus comme le fruit d'une déchéance. Dans le cycle du temps, les uns disparaissent, les autres dominent. La mort est étroitement liée à la vie depuis les premiers jours. Et ceux qui survivent sont les meilleurs. L'avenir conduit donc à un progrès inévitable... Se trouve ainsi justifié le mythe du progrès : l'évolution, tant dans la nature que dans l'homme, est directionnelle.
Nous avançons donc progressivement vers un monde meilleur. Toujours selon cette pensée, l'ultime fin de l'évolution est le Christ... Il est le point Omega, le point de convergence de tous ces mouvements... Tout concourt inéluctablement vers ce point, qui attire tout à lui. C'est le sens même de l'évolution...
Comment apparaît alors le mal ? « Le mal, comme imperfection naturelle d'une créature finie, est donc inhérente à notre vie humaine temporelle. Le mal est inhérent à une histoire humaine inachevée. Le mal, de ce point de vue, est l'imperfection naturelle d'un monde en voie d'évolution » (4). Le mal s'explique donc par l'inachèvement de l'homme. Il appartient à la nature de l'homme tant qu'il y a encore un chemin à parcourir. Ce n'est donc pas un châtiment mais le signe de sa finitude. « Le mal est une nécessité statistique de désordre à l'intérieur d'une multitude en voie d'organisation » (5). Le mal est donc inhérent à notre nature. Et le mal n'est pas permanent. Un jour, il cessera puisque progressivement, l'homme avance vers sa perfection...
Ainsi, combattre le mal revient à ne pas suivre la nature, mais à « transgresser sa loi de la nature, si cette loi entrave l'accomplissement de la personne humaine » (6). Combattre le mal revient à favoriser l'évolution de l'homme. Il ne doit donc pas hésiter à enfreindre les lois naturelles pour avancer sur la voie du progrès. Il y a finalement opposition entre la nature et le perfectionnement de l'homme...
S'il a progrès dans l'évolution, il n'y a pas de restauration à accomplir. Or, « l'histoire de la religiosité humaine a plus souvent été celle d'une nostalgie pour une perfection passée imaginée que celle de l'anticipation d'une nouvelle création. Même dans les religions qui descendent de l'environnement abrahamique qui regarde vers un futur encore indéterminé ouvert par le Dieu de la promesse » (7). L'homme doit se porter vers l'avenir au lieu de s'attacher à la nostalgie d'un passé à restaurer. Il ne s'agit pas de retrouver un état perdu, mais un état à créer. Le temps nous est donné pour cela... Et les voies sont multiples pour y parvenir et ne cessent de se multiplier au fil du temps.
On introduit ainsi la contingence historique. « Nous sommes désormais dans un monde pluriel, d'où aucune instance ne peut se revendiquer seule détentrice de la vérité » (8). Car, « la vérité, c'est qu'il existe une pluralisme authentique dont l'homme est finalement incapable d'opérer la réduction absolue, celle-ci devant être abandonnée à Dieu, si bien que la synthèse de ce complexe qu'est l'existence humaine demeure, pendant le temps de sa brève durée, une tâche à parfaire indéfiniment » (9). Ce qui est vrai à un moment ne l'est plus plus tard puisque le temps apporte un approfondissement de l'être et une multiplicité des possibilités. L'homme est alors voué à la recherche permanente d'un approfondissement de son humanité. Nul ne peut donc prétendre à détenir la vérité en perpétuelle reconstruction...
Cette vision de la vie et de l'homme est née de l'évolutionnisme, où plutôt de la volonté de certains théologiens de faire plier la foi à cette théorie. « il faut reconnaître que nous sommes passés dans un autre espace de représentation que celui dans lequel nos grands textes religieux ont été rédigés. C'est dans cet espace que la foi chrétienne doit s'exprimer aujourd'hui » (10). Inévitablement, « cela nécessite des révisions dans la manière de dire la doctrine ». Car selon le même auteur, « le christianisme, au moins dans le monde catholique, s'est longtemps exprimé dans le cadre métaphysique d'Aristote », étroitement lié à la cosmologie fixiste. Or, tout cela est une imposture à double titre.
D'une part, cette vision du monde et de l'homme impose non pas une nouvelle façon de dire la doctrine ou d'exprimer sa foi mais un changement radical de la doctrine et de la foi elle-même. Ce n'est plus une question de mots mais de sens. Le péché originel n'a plus aucun sens dans ce cadre évolutionniste. En outre, la cosmologie créationniste est inhérente à la doctrine chrétienne. Elle est née bien avant l'influence de l'aristotélisme. ...
D'autre part, si l'évolutionnisme a développé un nouveau cadre conceptuel, ce sont ces théologiens qui l'ont infusé et développé dans l’Église au lieu de la combattre par les armes même de la science. Leur doctrine a balayé l'ancienne vision pour en édifier une autre, plus conforme à l'évolutionnisme. Ils ont fait plié la foi à la théorie. Comment pouvons-nous supporter l'impertinence de ces théologiens qui osent déformer la foi pour la rendre conforme à une théorie contestable ?
Cette conception de la vie que nous venons brièvement de décrire est peut-être une des causes de l'adhésion de nos contemporains à de nombreuses déviations morales. Si l'homme se construit et évolue en quête d'hominisation, d'une plus grande autonomie, y compris contre les lois de la nature, la théorie du gender, l'homosexualité, l’euthanasie, l'amour libre et d'autres tendances sont alors largement justifiés.
1. Jean-Michel Maldamé, Création par évolution, Cerf.
2. G. Martelet, Libre réponse à un scandale : la faute originelle, la souffrance et la mort, édition du Cerf, 1986, cité par le Père André Boulet, Création et Rédemption à l'épreuve de l'évolution.
3. François Euvé, Darwin et le christianisme, vrais et faux débats, édition Buchet-Chastel, 2010.
4. Jacques Bur, Le péché originel, ce que l'Eglise a vraiment dit, édition du Cerf, 1988, cité par le Père André Boulet, Création et Rédemption à l'épreuve de l'évolution, édition Téqui, 2009.
5. Le Père Teilhard de Chardin.
6. François Euvé, Darwin et le christianisme, vrais et faux débats, édition Buchet-Chastel, 2010.
7. J. Haught, Is Nature enough ? Cité par François Euvé, Darwin et le christianisme, vrais et faux débats.
8. F. Euvé, Darwin et le christianisme, vrais et faux débats.
9. K. Rehner, Est-il possible aujourd'hui de croire ? Cité par F. Euvé, Darwin et le christianisme, vrais et faux débats.
10. F. Euvé, Darwin et le christianisme, vrais et faux débats.
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