" La pierre précieuse, voire de grand prix aux yeux de certains, qu'est l'émeraude, se voit insultée par un morceau de verre habilement truqué, s'il ne se rencontre personne qui soit capable de procéder à un examen et de démasquer la faute. Et lorsque de l'airain a été mêlé à l'argent, qui donc, s'il n'est connaisseur, pourra aisément le vérifier ? "(Saint Irénée, Contre les hérésies)


vendredi 7 décembre 2012

Adam et Ève, la faute...

Dans le monde ici-bas, les malheurs et les drames ne manquent pas. Chaque jour, les journaux nous envoient leurs litanies de maux : guerres, famines, épidémies, attentats, suicides, etc. Le XXème siècle est probablement l'une des pires périodes de notre histoire. Que de millions de morts sous les coups du communisme et du nazisme au lendemain des révolutions trompeuses ! Et n'oublions pas les drames de la misère qui accablent tant de familles et d'individus si faibles devant le libéralisme effréné ! Chacun d'entre nous a éprouvé des chagrins qui traversent notre vie comme une dard qu'on enfonce dans la poitrine. Qui n'a pas été confronté à des situations de détresse et de désarroi ? Qui n'a pas été atteint par la maladie ou la mort d'un proche survenue subitement ? … La question du mal est au cœur de notre existence. Nous ne pouvons pas nous interroger sur la vie sans nous interroger sur ce mal si présent autour de nous et en nous. Cette question est assurément au centre de tout rapport avec Dieu. Elle est donc au cœur de toute apologétique... 

Dans l'histoire de l'homme, il y a eu une rupture. Adam et Ève ont vécu dans le jardin des délices, dans l'amitié de Dieu. Notre Créateur les a créés bons, dans un état privilégié, revêtus de dons d'incorruptibilité et d'immortalité. Mais, en un instant, cette situation idyllique a changé, tout a été bouleversé de manière radicale. 

« Le Seigneur Dieu prit donc l'homme et le mit dans le jardin de délices pour le cultiver et le garder. Et il lui commanda, disant : mange des fruits de tous les arbres du paradis ; mais quant au fruit de l'arbre de la science du bien et du mal, n'en mange pas ; car au jour où tu en mangeras, tu mourras de mort » (Gen., II, 15-17). 

Adam a été conçu comme un être libre, capable d'obéir et de désobéir, capable de choisir, d'accepter ou de refuser. Mais, cette liberté a une contre-partie. Elle implique une responsabilité. L'homme est donc par nature un être responsable. Si l'homme n'était pas libre, l'ordre divin serait absurde. 

Cependant, cette liberté est limitée. Dieu interdit en effet à Adam et à Ève de se nourrir de l'arbre de la connaissance du bien et du mal. Que signifie cet ordre en apparence surprenant ? Il devrait en effet connaître ce qui est bien et ce qui est faux sinon comment peut-il assumer sa liberté et donc sa responsabilité ? 

Dans le langage biblique, « connaître » signifie « prendre possession de », « faire l'expérience de ». Or, Adam et Ève connaissent déjà le bien. Il leur serait donc défendu d'expérimenter le mal. Manger du fruit de l'arbre, et donc désobéir à Dieu, c'est faire cette première expérience. L'âme « voit par expérience combien diffère le bien qu'elle a délaissé du mal où elle est tombée. C'est, pour elle, avoir mangé du fruit de l'arbre de la science du bien et du mal » (1). Nous pouvons aussi penser que la connaissance du bien et du mal peut correspondre à toute connaissance. Il ne serait pas bon à l'homme de tout connaître. La science peut en effet l'enivrer. Enfin, nous pouvons entendre par « connaissance » le droit de statuer sur les objets en cause. Il serait interdit à l'homme de juger souverainement ce qu'est bien et ce qu'est mal. Ce privilège ne lui appartient pas. Il lui serait donc interdit d'ériger et de suivre sa propre loi morale à l'encontre de celle de Dieu. Manger du fruit de l'arbre de la science du bien et du mal pourrait signifier « se détourner de Dieu pour se tourner vers soi-même » (2). 

La Genèse nous décrit comment Adam et Ève ont chuté. Tout vient d'un mensonge. Une voix malicieuse interpelle Ève : « pourquoi Dieu vous a-t-il commandé de ne pas manger du fruit de tous les arbres du paradis ? ». La voix est très habile car Dieu ne présente aucune raison. Et Il n'a pas besoin d'en fournir. Son autorité seule suffit. Elle tente déjà d'ébranler l'autorité divine. Pourquoi Dieu impose-il en effet à l'homme une limite à sa faim ? Ève ne lui donne pas de réponse mais lui répète l'ordre divin et la sanction en cas de désobéissance. Mais, la voix contredit Ève, et donc Dieu : « vous ne mourrez pas de mort. Car Dieu sait qu'en quelque jour que ce soit que vous en mangiez, vos yeux s'ouvriront ; et vous serez comme des dieux, sachant le bien et le mal ». Être comme des dieux ! ... 

Cette interdiction pourrait apparaître comme une injustice ou une perversité. La voix prête à Dieu une intention mauvaise. Elle semble en effet suggérer à Ève que son état sublime n'est pas complet. L'homme est face à une double réalité : sa dépendance envers son Créateur et sa situation privilégiée envers la Création. Nous retrouvons aussi cette dualité dans l'homme : une union entre une âme immortelle, tendue vers les ciel, et un corps périssable, promis à la poussière. Cette situation semble paradoxale. L'homme serait capable d'être dieu mais Dieu l'empêcherait d'atteindre pleinement sa vocation pour éviter qu'il soit indépendant et donc un rival. Dieu enfermerait donc volontairement l'homme dans un état d'infériorité alors que sa divinité serait à portée de main. Manger du fruit de la science du bien et du mal reviendrait donc à gagner une liberté pleine et entière. Ils deviendront ce qu'ils devraient être, c'est-à-dire des dieux. Telle est la suggestion de la voix diabolique... 

Or, Dieu soumet Adam et Ève par des liens très fragiles. L'autorité divine est seule cause d'obéissance. Point de raisonnement, ni de démonstration de force. Ils consentent simplement à obéir. Or, la voix diabolique présente l'obéissance comme le moyen de maintenir la subordination de l'homme, considérée comme un joug, une oppression. La transgresser reviendrait alors à se libérer, c'est-à-dire à vivre comme des dieux, à ne dépendre de personne, telle serait donc la vocation de l'homme. Pour réaliser sa vocation pleine et entière, il faudrait donc refuser d'obéir, ce qui revient finalement à rejeter l'autorité divine. La liberté commencerait donc par une révolte intérieure contre Dieu … 



La voix maléfique a suggéré à Ève une idée pernicieuse. Elle réussit à l'atteindre, à la troubler. La suggestion provoque un plaisir sensible. Elle « vit que le fruit de l'arbre était bon à manger, beau à voir et d'un aspect qui excitait le désir ». Ève voit désormais différemment le fruit de l'arbre, indépendamment de la loi divine, sous le seul aspect du plaisir. Le fruit est vu en lui-même, hors de Dieu. L'esprit a déjà rompu ses liens avec son Créateur. La révolte est commencée. Elle conduit inévitablement à un désordre intérieur. 


Les fruits l'attirent. Les sens guident désormais son action. Ève finit par succomber : « elle en prit, en mangea et en donna à son mari » (Gen., III, 6). Elle entraîne donc Adam dans sa révolte. A son tour, Adam désobéit à Dieu. O imprudente Ève ! Tu a été conçue pour être son aide, et tu l'entraînes dans sa faute ! La vocation de la femme a été pervertie. La voix diabolique a réussi à perturber l’œuvre divine... 

« Leurs yeux s'ouvrirent ; et lorsqu'ils eurent connu qu'ils étaient nus, ils entrelacèrent des feuilles de figuier, et s'en firent des ceintures » (Gen., III, 7). Ils jugent donc que leur nudité n'est pas bonne. Ils portent déjà un jugement sur l’œuvre de Dieu. Ils sont aussi conscients qu'ils ont perdu leur innocence. Ils ont perdu leur état premier. En goûtant au mal, le bien apparaît plus clairement. Ainsi, sont-ils honteux de leur faute et de leur misère. 

« Et lorsqu'ils eurent entendu la voix du Seigneur, Dieu […], Adam et Ève se cachèrent » (Gen., III, 8). Dieu n'apparaît plus comme un ami mais comme un juge. La voix diabolique est parvenue à ses fins. La rupture est consommée … 


1. Sant Augustin, De la Genèse contre les Manichéens, Livre II, chapitre IX, 11, trad. Abbé Tassin. 
2. Sant Augustin, De la Genèse contre les Manichéens, Livre II, chapitre XVI, 116.

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