Il est difficile d’étudier l’athéisme car à peine commençons-nous à effleurer ce sujet que nous heurtons à un véritable problème. Nous nous heurtons en effet à des discours qui s’épuisent à montrer que Dieu n’existe pas ou que la religion est une invention purement humaine puis que tout cela est nuisible à l'homme et à son épanouissement. Ainsi essayent-ils de démontrer par le raisonnement et par des faits historiques toute la fausseté et la nocivité de l’idée de Dieu et des religions. L'athéisme n semble donc exister que par rapport aux religions existantes, voire aux représentations classiques que nous faisons de Dieu. N'existe-t-il que parce qu’il existe des croyants. Son existence ne tient que par son opposition à une réalité. Il n’existe pas par lui-même. S’opposer à l’athéisme revient alors à défendre notre religion ou à l’idée de la religion.
En 2005, Michel Onfray a publié un traité d’athéologie qui aurait pu présenter l’athéisme tel qu’il est par lui-même mais la lecture des premières lignes suffit à nous décevoir. « Les trois monothéismes, animés par une même pulsion de mort généalogique, partagent une série de mépris identiques : haine de la raison et de l’intelligence ; haine de la liberté ; haine de tous les livres au nom d’un seul ; haine de la sexualité, des femmes et du plaisir »[1]. Nous sommes encore face à une image stéréotypée de la religion, image qui se focalise sur « les trois monothéismes » au point que nous finissons par croire que l’athéisme n’est que la manifestation de la haine à l’égard de ces religions. Parler d’athéisme revient donc à définir cette opposition. Telle est aussi la conception qui pourrait se dégager des déclarations d’athées militants du XIXe siècle.
Dans une conférence en 1904, Séraphine Pajaud, militante anarchiste, déclare que « Dieu n’existe pas, il ne peut exister, loin de nous désormais l’idée de Dieu. Dieu, c’est le mal, c’est l’opprobre, c’est l’oppression, c’est l’infamie. »[2] Étranges vociférations puisqu'elle s’oppose à quelques choses qui, selon ses propres dires, n’existent pas. La notion de Dieu est néanmoins présentée comme la cause de nos malheurs et de nos misères. Le XXe siècle suffit à répondre à de telles infamies. Est-ce Dieu ou la religion la cause des génocides perpétrés, des états totalitaires, de la misère du Monde ?
Nous retrouvons cette conviction dans les journaux athées du début du XXe siècle. Leur attaque se concentre sur le christianisme. Ils présentent en effet l’homme chrétien comme « enlacé dans les dogmes théologiques », « une bête de somme sous son harnais »[3], contrainte d’obéir « à la cravache, à l’éperon, au fouet, à la peur de l’enfer ». Ils présentent ainsi la religion comme un asservissement de l’homme. Le chrétien ne serait qu’un esclave. Ils veulent donc rendre la liberté à l’homme. « L’ennemi c’est Dieu. Le commencement de la sagesse c’est la haine de Dieu […] cet épouvantable mensonge qui, depuis six mille ans, énerve, abrutit, asservit la pauvre humanité »[4]. L’athéisme apparaît donc comme une lutte contre l’oppression que couvre l'idée de Dieu. Qu’est-ce que cela signifie puisque Dieu ne serait « qu’un épouvantable mensonge » ? Sont-ils opposés à la notion de Dieu, aux religions ou à Dieu ?
L’athéisme apparaît aussi comme un choix inéluctable. « Dieu ou la matière ! Il faut choisir ! »[5]. L’athéisme est-il donc le matérialisme ? Une conception du monde qui considère tout ce qui l’entoure comme pure matière ? « La Nature incréée, la mère féconde et toute-puissante se suffit à elle-même »[6]. Il apparaît donc comme un refus de voir hors de la nature la cause et le principe du Monde.
Enfin, au XIXe siècle, les athées louent Lucrèce comme étant un des leurs. Il appartient à cette race d’« hommes courageux, [d’] esprits droits et indépendants » qui ont ouvert « la route que d’autres plus tard ont parcourue » et secoué « le joug des doctrines scolastiques, des vérités soi-disant révélées, des superstitions de toutes sortes »[7]. Comment Lucrèce a-t-il pu combattre un ennemi qui n’existait pas ? Le paganisme peut-il se confondre avec le christianisme ? Les athées semblent plutôt louer sa méthode, sa recherche rationnelle, son refus des vérités toutes faites. Par une telle revendication, ils décriventce qu’est un athée : un homme raisonnable. L’athéisme se présente donc comme étant la voie de la raison face aux superstitions et aux idées toutes faites. Il est étrange de parler de préjugés pour désigner « les doctrines scolastiques », étrange aussi de condamner la religion lorsque finalement il condamne ce qui n'est qu'une image stéréotypée de la religion, une image construite sur des idées toutes faites, étrange enfin de parler de vérité quand de telles mensonges et ignorances véhiculent une telle conception de Dieu.
A travers ces exemples, l’athéisme apparaît comme une réaction à une représentation néfaste de l’idée de Dieu et des religions, et comme une volonté de libérer l’homme de la misère, de l’oppression et du mensonge.
Mais les athées du XIXe et début XXe siècle ont un beau rôle. Ils peuvent en effet dénoncer l’asservissement de l’homme par la religion en reportant le problème du mal et de la liberté sur l’idée de Dieu puisque la religion est partout présente, aussi bien dans l’histoire que dans le monde. Elle est inhérente à l'homme. Un bouc émissaire idéal. Tout problème ici-bas peut donc y trouver son origine. Il est donc plus facile de calomnier et de diffamer un ennemi quand il est public, universellement connu, intervenant partout. Les faiseurs de rêves peuvent encore rêver lorsqu'ils sont loin du pouvoir et des contraintes de la réalité. Mais aujourd'hui la position des athées a radicalement changé. Des États se sont déclarés athées. Des athées ont été au pouvoir. Et de leurs mains ont jailli les plus grands crimes de l’humanité ! Le communisme et le maoïsme ne sont que des exemples de telles folies. Le fascisme en est aussi un bel reflet de l’athéisme. Le cas du nazisme est plus délicat puisque Hitler parle d’un Dieu des germains. Que serait le monde si l’athéisme dominait tous les esprits et les cœurs ?
L’athéisme peut-il aussi prétendre à la vérité quand le rationalisme sur laquelle elle se fonde est aujourd'hui rejeté ? Les scientifiques connaissent désormais leurs limites et savent que la réalité ne pourra jamais se dévoiler pleinement sous la forme de formules mathématiques. Le Monde ne se réduit plus à sa simple matérialité. En outre, l’histoire et encore le présent nous montrent que la science et la foi ne sont pas incompatibles. La difficulté que rencontrent aujourd'hui la science et la société n’est pas la recherche de la vérité en tant que telle mais la légitimité de la recherche. Est-il possible de tout faire au nom de la science ? L’athéisme ne peut répondre à cette question. Sur quel principe peut-il lui fixer des limites ?
Nous retrouvons en fait le problème essentiel de l’athéisme. Sur quoi peut-il construire une morale, une famille, une société ? Sur la dignité de l’homme ? Sur le sentimentalisme ? Sur la conscience ? Tout tient encore tant que les habitudes ancestrales subsistent. Mais au fur et à mesure des générations, fautes de sens, les liens se relâchent, se fissurent, se brisent. Que deviendra alors la société ? Ce n’est pas alors étonnant qu’aujourd'hui nous remettions en cause la morale, la famille, la société… L'athéisme est bien incapable de donner un sens à l'homme, à la société et à la vie ...
L’athéisme ne peut pas être la voie de l’homme. Il conduit nécessairement à la dilution des mœurs, des relations, des autorités. Pour maintenir la société dans la paix et l’ordre, il a besoin de puissants alliés que sont les différentes idéologies que nous avons vu naître au XXe siècle : le nationalisme, le communisme, le nazisme, le libéralisme. L’idéologie a remplacé la religion. L’État, le peuple, la race, le moi ont été divinisés. L’athée s’incline alors devant l’argent, la puissance, la jouissance qui sont devenus les véritables maîtres du monde.
L’athéisme peut apparaître virulent et plein de promesses mais seul, il finit par ne plus exister. Il s’efface rapidement pour laisser sa place à des formes d’asservissements et d’avilissements. Car l’athéisme laisse l’homme face à lui-même, sans autre autorité que lui-même, sans autre législateur et juge que lui-même. Il en devient vite un despote sans conscience, sans autre limite que celle de sa puissance. C’est pourquoi l’athéisme n’est guère viable et ne l’a jamais été.
Références
[1] Michel Onfray, Traité d'athéologie, Grasset, 2005.
[2] Rapport du commissaire de police de Bressuire, 12 septembre 1904, archives départementales, Deux-Sèvres, 4 M 11/2—9. cité dans Jacqueline Lalouette, De quelques aspects de l'athéisme en France au XIXe siècle, dans Cahier d'histoire, revue d'histoire critique, 2002.
[3] Jean-Paul Cée, Le comité d’études morales, Almanach de la FFLP, Fédération française de la Libre Pensée, 1894, cité dans De quelques aspects de l'athéisme en France au XIXe siècle de J. Lalouette.
[4] La Libre Pensée, 12 mars 1870 cité dans De quelques aspects de l'athéisme en France au XIXe siècle de J. Lalouette.
[5] L’Athée, le 8 mai 1870 cité dans De quelques aspects de l'athéisme en France au XIXe siècle de J. Lalouette.
[6] Albert-Adrien Régnard, préface à la septième édition française de Kraft und Stoff de Ludwig Büchner, sous le titre Force et matière, Paris, C. Reinwald, 1894, cité dans De quelques aspects de l'athéisme en France au XIXe siècle de J. Lalouette.
[7}Ernest Levigne, dans une traduction de Lucrèce, 1870, cité dans De quelques aspects de l'athéisme en France au XIXe siècle de J. Lalouette.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire