" La pierre précieuse, voire de grand prix aux yeux de certains, qu'est l'émeraude, se voit insultée par un morceau de verre habilement truqué, s'il ne se rencontre personne qui soit capable de procéder à un examen et de démasquer la faute. Et lorsque de l'airain a été mêlé à l'argent, qui donc, s'il n'est connaisseur, pourra aisément le vérifier ? "(Saint Irénée, Contre les hérésies)


samedi 16 août 2014

Le développement du dogme et son immutabilité

Concile de Nicée (325)
Fresque byzantine de l'église
Saint Nicolas de Myre wikipedia
Le Concile de Nicée a promulgué un symbole de foi pour énoncer de manière irrévocable ce que nous devons croire. Il est le premier dogme que l’Église a déclaré solennellement. Nous rappelons que le dogme désigne « toute vérité religieuse révélée surnaturellement par Dieu et proposée comme telle à notre croyance par l’Église »[1]. Dès le début du christianisme, le dogme apparaît clairement comme une affirmation irrécusable et immuable d’une vérité révélée à laquelle nous devons nous soumettre pour être en communion de foi avec l’Église. Or depuis plus d’un siècle, cette immutabilité est remise en cause. Le dogme serait évolutif, le fruit d’un progrès de la foi ou du sentiment religieux. Effectivement, le symbole de foi de Nicée peut apparaître comme le résultat d’un « progrès » ou d’un « développement » du dogme. Elle est à l'origine de nombreux débats dans l'Église. Elle est probablement au centre du modernisme et de la crise de l'Église dans laquelle nous vivons.

Le concile de Nicée a solennellement défini une profession de foi à un moment précis dans l’histoire. Avant cette proclamation, il n’existait pas et il n’a pas été créé de rien. Il est bien le fruit d’une histoire. Plus précisément, il est le résultat des travaux menés lors du concile pour s’opposer aux erreurs d'Arius et faire cesser les divisions qui déchirent les communautés chrétiennes. 

Mais contrairement aux vœux de l’assemblée, le symbole de foi n’a pas arrêté les disputes. Au contraire, il semble l’avoir envenimé, provoquant de nouvelles scissions plus graves encore. D’autres conciles vont donc avoir lieu pour préciser de nouveau la profession de foi et finalement donner naissance au symbole de Constantinople que l’Église proclamera solennellement. D'une manière hâtive, nous pourrions alors voir dans ces événements historiques la preuve d’une évolution dogmatique. La question se pose donc : le dogme serait-il évolutif ? 


Dogme et histoire

Les dogmes ont une histoire. Ils sont aussi des faits historiques. Qui pourraient en douter ? Les dogmes sur la divinité de Notre Seigneur Jésus-Christ ou sur l’Immaculée Conception par exemple sont définis à un moment précis dans un contexte particulier suite à différents débats et événements. L’histoire des dogmes est pourtant une science récente. Elle a vraiment été développée au cours du XIXe siècle et surtout au début du XXe siècle. De nombreux ouvrages traitant spécialement de ce sujet apparaissent à cette époque. Elle répond en fait à un intérêt de plus en plus fort pour le progrès et le développement des dogmes. 


Certains ouvrages d'histoire des dogmes peuvent la présenter rigoureusement en suggérant l’idée que finalement l’Église a progressivement élaboré des dogmes en les améliorant progressivement ou en les adaptant pour répondre à ses besoins et survivre aux épreuves. « L’histoire de l’Église montre, que le christianisme primitif devait disparaître pour que le christianisme vécût ; et de même dans la suite, les métamorphoses se sont succédé. »[2] L’évolution des dogmes serait ainsi nécessaire à l’Église pour qu’elle surmonte ses obstacles. L’Église aurait ainsi perduré en modifiant ce qu’elle a affirmé auparavant comme étant vérités de foi. Cette idée est une remise en cause de l’irrévocabilité et de l’immuabilité des dogmes. Ainsi pour faire face à l’évolution de la société et des mentalités, on propose de faire encore évoluer les dogmes de l’Église.

Ceztte idée d’évolution est contraire à l’enseignement de l’Église. Elle est aussi infondée que fausse. Il est donc important de bien définir et de bien comprendre ce qu’est le développement d’un dogme, sujet très délicat mais difficile à ignorer. 

Définition du dogme



Concile de Vatican I (1870)



Rappelons que le Concile de Vatican I ne définit pas explicitement ce qu’est le dogme. Il donne en effet une définition de ce qu’est la vérité de foi divine. Nous devons croire de foi divine et catholique «  tout ce qui est contenu dans la Parole de Dieu, écrite ou transmise par la Tradition et que l’Église propose de croire comme divinement révélée, soit par un jugement solennel, soit par son magistère ordinaire et universel. »[3] C’est à partir de cette définition que l’habitude a été prise de fixer le sens du mot « dogme ». Il faut attendre la déclaration de la Congrégation pour la doctrine de la foi Mysterium ecclesiae en 1973, sous le pontificat de Paul VI, pour que le dogme signifie clairement les objets de la foi divine et catholique[4]. Il est devenu de plus en plus classique de restreindre le dogme aux proclamations solennelles.

La définition du dogme établit trois éléments distincts :
  • l’objet du dogme qui est la vérité révélée, objet de foi divine et catholique ;
  • la proposition du dogme que l’Église demande de croire absolument ;
  • les fidèles qui doivent croire au dogme.

Nous avons bien deux sujets, l’un actif, l’Église, l’autre passif, le fidèle. Le premier propose une vérité à laquelle le second doit adhérer. Nous avons aussi un contenu, la vérité révélée, qui n’est accessible que par un contenant, l’énonciation ou la formulation. L’ensemble des vérités révélées forme le dépôt de la foi, encore appelé dépôt sacré. 

Évolution, progrès et développement

L’évolution du dogme peut concerner l’un ou plusieurs des trois éléments constituant le dogme. Il est donc important lorsque nous parlons d’évolution dogmatique de préciser quels sont les éléments évolutifs

Il est clair qu’une vérité est immuable par nature, qu’elle soit révélée ou non. Nous ne pouvons donc penser qu’elle puisse faire l’objet d’évolution sans remettre en cause la définition même de la vérité. Le fait d’appartenir ou non à la Révélation est aussi définitif. Une fois qu’une vérité est révélée, elle l’est toujours. Mais le dépôt sacré peut évoluer avec le temps au fur et à mesure que les vérités sont révélées. Et plus exactement, il ne peut que croître. 

Dans une formulation quelconque, nous pouvons distinguer :
  • l’énoncé proprement dit, c’est-à-dire un ensemble de mots définis dans une langue précise et articulés selon des règles ;
  • le sens de l’énoncé, c’est-à-dire ce qu’il veut exprimer. 

Les composants de l’énoncé et leur signification peuvent évoluer au cours du temps. Une formulation peut donc changer de sens. Elle peut être enrichie, appauvrie ou changée. Ainsi la compréhension d’une définition est changeante, non dans celui qui la définit puisqu'elle est fixée en lui mais dans celui qui l’entend. La compréhension d'une formulation peut donc évoluer. Cette évolution peut être évitée au moyen de l’enseignement qui garantit l'intégrité du sens d'une énonciation.

Le progrès dogmatique est entendu comme un accroissement des vérités révélées elles-mêmes ou un enrichissement du dépôt sacré. Il concerne donc le contenu proprement dit du dépôt sacré et non du contenu de la vérité révélée.

Le développement du dogme concerne les énonciations ou formulations dogmatiques. Il y a alors développement dogmatique lorsque nous parlons des propositions du dogme, du travail qui a permis de les élaborer, de l’approbation des dogmes par l’Église ou de l’intelligence du dogme par les fidèles. 

Dogme et doctrine

Au sens strict, le dogme ne peut être confondu avec la doctrine de l’Église. Cette dernière a un périmètre beaucoup plus étendu. Elle comprend non seulement les dogmes mais aussi les vérités catholiques, les vérités de raison et des faits historiques, et plus précisément tout ce qu’enseigne l’Église avec certitude. Le fidèle doit adhérer à cet enseignement non dogmatique mais cette adhésion ne se fonde pas sur la foi divine et catholique. Les opinions d’un théologien ou d’une école théologique n’appartiennent pas à la doctrine de l’Église.

Après avoir défini ces termes, résumons ce que l’Église enseigne sur le progrès et le développement dogmatique.

La fin du progrès dogmatique

Notre Seigneur Jésus-Christ a confié à l’Église le dépôt sacré pour le conserver, le défendre et l’interpréter [5]. Aucune nouvelle vérité révélée n’est à attendre après la mort du dernier Apôtre. La Révélation s’achève par les Apôtres. Il ne peut donc avoir de progrès dogmatique après le temps apostolique. Nous pouvons donc parler de progrès dogmatique jusqu'à la mort du dernier des Apôtres

L’immutabilité du dogme





Notre Seigneur Jésus-Christ a promis à l’Église l’assistance du Saint Esprit pour qu’elle garde intégralement le dépôt sacré et l’expose fidèlement [6]. Par conséquent, elle possède de manière certaine et intègre le dépôt sacré. « Elle le garde fidèlement et le présente infailliblement »[7]. La déclaration d’une vérité révélée ne peut donc pas contenir d'erreur. C’est bien cette promesse qui nous garantit de la vérité des dogmes et donc son immutabilité. « En conséquence, le sens des dogmes sacrés qui doit être conservé à perpétuité est celui que Notre Mère la sainte Église a présenté une fois pour toute et jamais il n’est loisible de s’en écarter […] »[8] Le sens d’un dogme est bien immuable. « Quand au sens même des formules dogmatiques, il demeure toujours vrai et constant en lui-même dans l’Église, même lorsqu'il est éclairé davantage et compris de façons plus pleine »[9].

La nécessité d’adapter le discours dans sa forme

Notre Seigneur Jésus-Christ a demandé à l’Église de répandre la bonne parole à tous les hommes, de tout pays et de toute époque, de toutes conditions sociales et de tout niveau intellectuel. Elle a une obligation universelle d’enseigner. Cet enseignement doit donc s’adapter à toute personne. Le développement dogmatique est donc nécessaire. Il a lieu tout au long de l’histoire de l’Église et des hommes. Il peut se produire par une amélioration des formules dogmatiques, par une nouvelle déclaration de l’Église ou par une démarche des fidèles qui rend plus fructueuse l’intelligence de la foi. «[…] Il arrive parfois qu’une vérité dogmatique soit exprimée d’abord d’une manière incomplète, pas fausse cependant, et que plus tard, considéré dans un contexte de foi ou de connaissances humaines plus étendue, elle soit signifiée de façon plus pleine et plus parfaite »[10].

Les causes du développement dogmatique sont multiples. L’Église a reçu pour mission de défendre la foi contre les erreurs et de la consolider chez les fidèles. Cela nécessite parfois une présentation du dogme plus efficace, une terminologie plus précise, une explication plus étendue. Le développement dogmatique répond à la nécessité de s’adapter aux fidèles selon la manière exigée par leurs biens spirituels. Les progrès de la théologie et des autres disciplines relevant de la la foi précisent aussi les énoncés. Ils permettent de comprendre plus clairement ce qui était peut-être plus obscurément cru. 

Concile de Trente
(1545-1563)

Le développement dogmatique peut ainsi avoir lieu quand l’Église condamne des erreurs d’interprétation ou des erreurs doctrinales. « L’Église, qui a reçu, en même temps que la charge apostolique d’enseigner, le commandement de garder le dépôt de la foi, a, de par Dieu, le droit et le devoir de proscrire « la fausse science » (1, Timothée, VI, 20) afin que nul ne soit trompé par le vain leurre de la philosophie »[11]. La dénonciation des erreurs impose par conséquent des limites à l’interprétation des expressions utilisées dans un dogme. Elle encadre ce que nous devons croire.

Une formulation est propre à un contexte sémantique. « Pour ce qui concerne […] la condition historique, il faut observer tout d’abord que le sens que contiennent les énoncés de la foi dépend pour une part de la portée sémantique du langage utilisé à un certain moment et dans certaines circonstances »[12]. Néanmoins, « les vérités que l’Église entend réellement enseigner par ses formulations dogmatiques sont certes distinctes des représentations changeantes propres à une époque déterminée, et peuvent être exprimées dans elles »[13]. Mais il est possible que ces vérités soient présentées « en des termes qui portent la trace de ses représentations »[14].

Identité substantielle du dogme en dépit de son développement ultérieur

Mais dans ce développement dogmatique, il y a identité substantielle entre un dogme primitif et son développement ultérieur. Ils conservent le même sens. Il faut en effet comprendre les mots et les expressions employées « dans le sens où l’a toujours et unanimement tenu et exprimé l’Église catholique »[15]. 

Une manifestation plus explicite du dogme 

Les débats théologiques, les controverses, les luttes contre les hérésies ont aussi conduit à rendre plus explicite ce qui était implicite dans le dépôt sacré. C’est pourquoi l’Église vient à proclamer solennellement un dogme au cours de l’histoire. Il n’y a pas nouveauté dans la Révélation mais une prise de conscience d’une vérité révélée crue auparavant de manière implicite

La nécessaire approbation de l’Église

Enfin, comme l’obligation universelle d’enseigner et de défendre le dépôt de la foi n’a été confié qu’à l’Église, elle-seule doit approuver, valider, légitimer le développement dogmatique. Elle ne peut donc s’effectuer que sous son autorité puisqu'elle-seule a la garde du dépôt sacré et le pouvoir de l’exposer fidèlement.


En conclusion, depuis la mort du dernier Apôtre, aucun progrès dogmatique n’est possible. L’Église ne peut donc présenter de nouvelles vérités révélées. Elle ne peut que les transmettre de manière à les rendre compréhensible. En outre, sous l’assistance permanente du Saint Esprit, elle expose fidèlement ce qu’elle a reçu. Ainsi les dogmes qu’elle énonce sont vrais donc immuable dans le sens où elle s’est toujours exprimée

Son devoir d’enseigner et de conserver ce dépôt à tous les hommes lui oblige aussi d’adapter son discours. Le développement du dogme s’explique aussi par une plus grande explicitation du dogme grâce notamment aux travaux des théologiens sous l’autorité de l’Église. 

L’immutabilité du dogme et le développement dogmatique tels qu’ils sont définis et comprises par l’Église sont parfaitement conciliables et cohérents. Elles résultent principalement de l’assistance permanente du Saint Esprit puis du Magistère authentique et infaillible de l’Église. Elle provient finalement de l’institution divine de l’Église et de ses missions. L’idée d’une évolution du dogme au sens d’une évolution de sens remet donc en cause non seulement l’autorité de l’Église mais surtout son fondement. Inévitablement, elle rejette l’idée d’une Église d’origine divine…  



Références
[1] Mg Bernard Bartmann, Précis de Théologie dogmatique, introduction, chapitre II, §2.
[2] A. Von Harnack, L’essence du christianisme cité par Chr. Theobald, La Parole du Salut, 3e phase, Histoire des Dogmes sous la direction de B. Sesboüé, Desclé, 1996.
[3] Constitution Dei Filius (24 avril 1870), chap.3, Concile de Vatican I, Denzinger 3011.
[4] Congrégation pour la doctrine de la foi, Mysterium ecclesiae, 24 juin 1973, Denzinger 4536.
[5] Voir Pie XII, encycliques Humani generis et Ad sinarum gentem.
[6] Concile de Vatican I, constitution dogmatique Dei Filius, Denz. 3069-3070.
[7] Concile de Vatican I, constitution dogmatique Dei Filius, ch.4, Denz. 3020, canon 3.
[8] Concile de Vatican I, constitution dogmatique Dei Filius, ch.4, Denz. 3020, canon 3.
[9] Denzinger, 4540, n°5.
[10] Denzinger, 4539.
[11] Concile de Vatican I, Constitution dogmatique Dei Filius, chapitre IV, Denzinger 3018.
[12] Congrégation pour la doctrine de la foi, Mysterium ecclesiae, 24 juin 1973, Denzinger 4539.
[13] Denzinger, 4539.
[14] Denzinger, 4539.
[15] Concile de Trente, Décret sur la justification, session VI, 13 janvier 1547, Denz. 1532. Le Concile traite du sens de l’expression « justifié par la foi ».


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