" La pierre précieuse, voire de grand prix aux yeux de certains, qu'est l'émeraude, se voit insultée par un morceau de verre habilement truqué, s'il ne se rencontre personne qui soit capable de procéder à un examen et de démasquer la faute. Et lorsque de l'airain a été mêlé à l'argent, qui donc, s'il n'est connaisseur, pourra aisément le vérifier ? "(Saint Irénée, Contre les hérésies)


jeudi 18 avril 2013

Teilhard, innovation ou fidélité ?

Teilhard se défend d’être un innovateur. Ses disciples insistent également sur sa fidélité à une authentique tradition biblique et chrétienne. Pourtant, il demande aux théologiens d’élaborer une nouvelle théologie et sa doctrine est différente de celle que l’Église a toujours enseignée. Ils nous expliquent en fait que tout paraît nouveau mais en apparence seulement. Ce caractère innovant proviendrait en fait de l’enseignement traditionnel de l’Église. Il aurait en effet été élaboré à partir d’une seule lecture de la Sainte Écriture et de la Tradition. Teilhard propose simplement une autre lecture toute aussi fidèle. Son regard est donc certes innovant mais non sa pensée. En clair, selon Teilhard et ses disciples, tout semble être innovant car l’enseignement traditionnel est figé dans une seule lecture, devenue erronée… 

Fidélité affirmée à l’Évangile 

Theilard présente le Milieu Divin comme un « petit livre, où l'on ne trouvera que l'éternelle leçon de l'Église, répétée seulement par un homme qui croit sentir passionnément avec son temps » [1]. Il ne propose qu’« un nouveau regard », qu’« une nouvelle éducation des yeux » sur le christianisme sans que ce dernier ne change. « On m'a reproché d'être un novateur. En vérité, plus j'ai médité les magnifiques attributs cosmiques prodigués par saint Paul au Jésus ressuscité, plus j'ai réfléchi au sens conquérant des vertus chrétiennes, plus je me suis aperçu que le Christianisme ne prenait sa pleine valeur que porté […] à des dimensions universelles » [2]. Telle est l’origine de sa doctrine sur le Christ cosmique …
eilhard présente son ouvrage

Teilhard semble en effet retrouver ses pensées dans les épîtres de Saint Paul et de Saint Jean. Sa théorie de convergence de toutes les consciences en un point ultime, le Point Omega, serait conforme à l’enseignement des Apôtres : « Saint Paul, avec saint Jean, nous l'a révélé....; c'est le mystérieux Plérôme, où l'Un substantiel et le Multiple créé se rejoignent sans confusion dans une Totalité qui, sans rien ajouter d'essentiel à Dieu, sera néanmoins une sorte de triomphe et de généralisation de l'être » [3]. La Sainte Écriture nous révélerait donc ce que Teilhard nous annonce aujourd’hui : « Un jour, nous annonce l'Évangile, la tension lentement accumulée entre l'Humanité et Dieu atteindra les limites fixées par les possibilités du Monde. Alors ce sera la fin. Comme un éclair jaillissant d'un pôle à l'autre, la Présence silencieusement accrue du Christ dans les choses se révélera brusquement » [4]. 

Le Christ cosmique se forme par notre intermédiaire 

Sa doctrine correspondrait à la formation du Corps mystique du Christ, doctrine si chère à Saint Paul. Ce que la science fait apparaître par ses découvertes, la « cosmogénèse », c’est-à-dire la convergence du Monde vers un Point personnel et absolu que serait le Point Omega, l’Apôtre des Gentils nous révèlerait comme une « christogénèse », la formation du Monde physiquement uni au Christ. Toute l’évolution serait donc « christique ». 

Le Corps mystique du Christ deviendrait un tout naturel, biologique, en lequel se concentrerait naturellement l’Univers entier par l’intermédiaire de l’Homme. « Par notre collaboration qu'il suscite, le Christ se consomme, atteint sa plénitude, à partir de toute créature » [5]. Le Corps mystique se formerait par nos activités naturelles. Par nos efforts, nous contribuerons à achever le Christ. « Par chacune de nos œuvres, nous travaillons, atomiquement, réellement, à construire le Plérôme, c'est-à-dire à apporter au Christ un peu d'achèvement » [5]. Il rajoute : « chacune de nos Œuvres, par la répercussion plus ou moins lointaine et directe qu'elle a sur le Monde spirituel, concourt à parfaire le Christ dans sa totalité mystique » [5]. Par notre volonté et les progrès que nous accomplissons sur nous-mêmes ou sur le Monde, nous nous unissons au Christ dans son amour d’accomplir l’œuvre désirée. Nous participons ainsi à l’élaboration et au perfectionnement du Corps mystique du Christ. « Tout accroissement que je me donne, ou que je donne aux choses se chiffre par quelque augmentation de mon pouvoir d'aimer, et quelque progrès dans la bienheureuse mainmise du Christ sur l'Univers » [5]. 

Ainsi par l’intermédiaire des hommes émergés dans le Cosmos, toutes les énergies physiques du Monde convergent vers le Christ et subissent son attraction pour tout ramener en Lui. Toute chose, toute activité subissent l’influence du Christ, le Verbe incarné. Il est l’Omega. Pour cela, le Christ doit être « coextensif aux immensités physiques de la durée et de l’espace » [9]. Ce serait par l’Union hypostatique que Dieu le Verbe se serait constitué centre physique et biologique de toute l’évolution du Monde. L’Incarnation serait-elle inhérente à l’Évolution ?... 

Teilhard en vient à définir une triple nature au Christ : divine, humaine et cosmique. Il veut donner toute sa plénitude à la fonction universalisante du Christ par une représentation physique et naturelle. 


De cette synthèse rapide de sa pensée, nous pouvons en conclure que Teilhard donne au mystère de l’Incarnation une finalité indépendante de la Rédemption. Elle est entièrement et uniquement liée à la Création. Elle a pour but notre « christification » ou plutôt la « christification » du Monde qui se met à l’œuvre dans l’Évolution. « L'omniprésence divine, devons-nous reconnaître en un éclair de joie, se traduit, dans notre Univers, par le réseau des forces organisatrices du Christ total ..... ramenant l'Univers à Dieu à travers son Humanité... C'est finalement tout imprégné de ses énergies organiques que nous parviennent les nappes de l'action divine. […] Le Milieu Divin, dès lors, … nous y reconnaissons une omniprésence qui agit sur nous en nous assimilant à soi, in unitate Corporis Christi. L'immensité divine, par suite de l'Incarnation, s'est transformée pour nous en omniprésence de christification. Tout ce que je puis faire de bon... est recueilli physiquement .... dans la réalité du Christ consommé » [10]. 

L’Incarnation se poursuit-elle dans notre Monde ? Elle est en effet en voie « de continuelle et universelle consommation » [11] tout en étant simultanée à l’œuvre de la Création. « L'incarnation du Verbe […] n'est que le dernier terme d'une Création qui se poursuit encore et partout à travers nos imperfections ». Néanmoins, Teilhard ne semble pas affirmer que l’Incarnation est le produit de l’Évolution. 


Nous sommes immergés dans le Milieu Divin par « notre industrieuse activité »… 

Nous devons donc nous émerger dans le Milieu divin, s’unir au Christ, c’est-à-dire selon Teilhard, devenir un, se personnaliser tout en devenant l’autre. Se différencier à l’extrême en se convergeant vers le point Omega. Mais, comment s’unir ? « Le sein de Dieu est immense...Et cependant, dans cette immensité, il n'y a pour chacun de nous, à chaque instant qu'une seule place possible, celle où nous établit la fidélité continuée aux devoirs naturels et surnaturels de la vie. En ce point, auquel nous ne nous trouverons au moment voulu que si nous déployons, sur tous les terrains, notre plus industrieuse activité, Dieu se communiquera à nous dans sa plénitude. En dehors de ce point, et malgré qu'il continue à nous envelopper, le Milieu Divin n'existe qu'incomplètement, ou plus du tout pour nous ..... Le monde ne s'illumine de Dieu qu'en réagissant à notre élan ». Nous retrouvons encore la valeur de l’action, de « l’industrieuse activité », suffisante par elle-même. 

Teilhard nous demande donc de participer à cette « christification », à l’accroissement autour de nous du Milieu divin, en accueillant et en nourrissant « jalousement toutes les forces d'union, de désir, d'oraison, que la grâce nous présente » jusqu’au jour où « la Présence du Christ dans les choses se révélera brusquement » [4]. 


La Rédemption consisterait à participer à cet effort de création et d’union des hommes autour du Point Omega. « La voie royale de la Croix, c’est tout justement le chemin de l’effort humain, surnaturellement rectifié et prolongé » [13]. Teilhard met donc l’accent sur l’effort humain impliqué dans l’Évolution au détriment du caractère rédempteur du mystère de la Croix. « En somme, Jésus, sur la Croix, est le symbole et la réalité tout ensemble de l’immense labeur séculaire qui, peu à peu, élève l’esprit créé pour le ramener dans les profondeurs du Milieu divin. Il représente (en ce sens vrai il est) la création qui, soutenue par Dieu par ses peines physiques, le recul amené par les chutes morales » [13]. 

Voilà donc de manière brève la doctrine de Teilhard que nous espérons de ne pas avoir dénaturée tant elle paraît confuse dans les détails mais si claire dans sa totalité. Est-elle vraiment fidèle à l’enseignement de Saint Paul comme il le prétend ? ... Non...



Références
[1] Teilhard, Le Milieu divin, Introduction. 
[2] Teilhard, Ce que je crois
[3] Teilhard, Le Milieu divin, 3ème partie. 
[4] Teilhard, Le Milieu divin, Épilogue. 
[5] Teilhard, Le Milieu divin, chapitre I. 
[9] Teilhard, Esquisse d’un Univers personnel.
[10] Teilhard, Le Milieu divin, chapitre III. 
[11] Teilhard, Représentation du péché originel.
[13] Teilhard, Le Milieu divin.

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