Depuis plus de 50 ans, le péché originel fait ouvertement objet de nombreuses remises en cause. Le teilhardisme est une des doctrines qui portent actuellement les coups les plus dures contre ce dogme. L’opposition n’est pourtant pas nouvelle. Depuis le pélagianisme au Vème siècle, elle a été souvent combattue, reniée, relativisée.
Les objections contre ce dogme sont multiples. Elles peuvent remettre en cause l’existence du péché originel, ses effets ou sa transmission. Elles peuvent aussi être classées selon la nature des arguments : rationnelle, exégétique, historique, scientifique. Nous avons choisi de les classer selon cet ordre…
Objections d’ordre rationnel
A ces objections d’ordre rationnel, Saint Thomas d’Aquin présente des arguments solides de même nature. Il montre finalement que « le péché originel n’est […] ni inconvenant ni contraire à la raison ». Dans ce type d’attaque, notre défense revient en effet à démontrer la compatibilité de la foi et de la raison. Saint Thomas d’Aquin reste une référence toujours efficace.
Objections d’ordre exégétique
Pour attaquer le dogme sur le péché originel, on essaye de remettre en cause l’un de ses fondements, c’est-dire la Sainte Écriture. Il ne s’agit pas de s’attaquer directement à la Bible, à son authenticité ou à son intégrité. Cela reviendrait à ébranler totalement la foi. Et cette opération risque d’être inefficace et coûteuse. L’attaque est plus sérieuse et subtile. On tente de montrer que le dogme est tiré d’une compréhension discutable de certains passages de la Sainte Écriture, notamment du récit de la chute d’Adam et de certains versets de Saint Paul. D’une part, on remet en cause l’historicité des premiers chapitres de la Genèse en les présentant comme un mythe et non plus comme un récit historique. Le péché originel est présenté comme un symbole et non une réalité. D’autre part, on reconsidère l’objectivité et la crédibilité de l’Église qui aurait défini la doctrine à partir d’une mauvaise interprétation de la doctrine paulienne. Le but de ce type d’argumentation est de prouver que le dogme du péché originel est absent de la Sainte Écriture. Il viendrait d’une interprétation erronée de la Révélation, dépendante d’un contexte aujourd’hui dépassé.
Objections d’ordre historique
Cette mauvaise interprétation proviendrait en partie d’une lecture augustinienne des épîtres de Saint Paul. Saint Augustin aurait déformé ou exagéré les propos de l’Apôtre en réaction au pélagianisme dont il était un farouche adversaire. L’Église aurait alors fait sienne cette doctrine personnelle. La formulation du dogme dépendrait aussi d’un contexte historique particulier. Le Concile de Trente aurait ainsi défini une doctrine qui devrait être replacée dans son époque, aujourd’hui révolue. Dans sa formulation, la doctrine serait donc mêlée de préjugés propres à l’époque considérée. Pour relativiser davantage la véracité et donc l’autorité des dogmes, on montre en outre que cette formulation dépend aussi d’une vision du monde, devenue obsolète et « inopérante ». En clair, un dogme serait défini et compréhensible dans un référentiel historique précis. Si ce dernier évolue, le dogme devrait être reformulé. Telle est l’objection historique classique…
Des arguments supposés scientifiques viennent donc apporter leur contribution à des objections rationnelles et historiques pour remettre en cause l’historicité du premier couple, jugée impossible aux yeux de la science. On rejette alors la chute d’Adam dans l’ordre du mythe et du symbole. Par conséquent, le péché originel n’a plus de raison d’être… Le dogme devient caduque…
Des objectifs plus variés qui exigent de notre part une plus grande culture et synthèse…
Le dogme sur le péché originel se voit donc aujourd’hui opposé à une série d’objections sérieuses de natures différentes, en particulier rationnelle, exégétique, historique et scientifique. Cet ensemble peut nous désarçonner, surtout si nous n’avons que des arguments d’ordre rationnel à y opposer.
Ces objections de natures différentes nous obligent à étendre nos connaissances pour embrasser de multiples disciplines et à en faire une synthèse. Car quelle que soit leur nature, elles sont réfutables. Elles s’appuient sur des erreurs et des mensonges que nous devons identifier et dénoncer. Dans ce combat de la foi, nous avons toujours en notre possession un trésor inépuisable que l’Église a reçu et enrichi et que nous devons nous l’approprier tout en l’enrichissant à notre tour … Tout cela nécessite du travail, de l’étude, de la patience, …
Gagner le « cœur » des hommes de bonne volonté
Les objections contre le dogme sur le péché originel paraissent solides et portent une force de persuasion redoutable. Soyons en effet lucides. Pélage comme Teilhard, et bien d’autres encore, sont parvenus à persuader les hommes de bonne volonté car leurs argumentations sont claires, simples et efficaces. Elles touchent le cœur de chacun. Elles atteignent leurs cibles. Elles contiennent toujours des objections d’ordre « sentimental ». La plupart des adversaires du péché originel s’opposent à une doctrine jugée scandaleuse : elle révèlerait un Dieu injuste et pessimiste et montrerait l’homme impuissant face à un destin implacable. A cette vision, ils opposent une doctrine optimiste et positive en surévaluant la bonté de Dieu et la liberté de l’homme. Dans cette nouvelle configuration, l’homme serait ainsi capable de se sauver par lui-même, Dieu ne lui apportant qu’une assistance. Nous devons donc montrer en quoi leur vision est erronée, vision aussi scandaleuse que celle qu’ils dénoncent, tout en gagnant le cœur des « scandalisés ».
Nécessité d’une nouvelle synthèse catholique face aux erreurs…
Face à l’enseignement de l’Église, se dressent non pas une série d’objections disparates mais souvent un système très complexe, bien décrit et compréhensible, où chaque argument vient se rajouter à un autre, donnant l’impression d’une certaine force et cohérence. Nous pourrions attaquer les objections les unes après les autres par des réponses adaptées, de même nature, mais cela reste peut-être insuffisant et peu rentable. Car nous sommes face à une pensée qui se diffuse par de nombreux ouvrages, par les médias numériques ou par des conférences. Elle occupe le terrain, souvent hélas bien dégagé. Or un système ne s’efface que face à un autre système. Imposons donc au teilhardisme et aux autres idéologies la doctrine chrétienne, sous le regard des nouveaux problèmes qu’elles soulèvent. Dans l’histoire, des malentendus ou encore des hérésies ont permis l’approfondissement de la foi. Peut-être sommes-nous à un moment où une nouvelle synthèse est nécessaire ?
Quelle est le problème auquel nous sommes vraiment confrontés ? On prétend que la formulation de la foi est dépendante d’un système philosophique, héritage d’un passé dont on a exagéré l’importance, d’un contexte historique, souvent fort et prégnant, ou encore d’une perception du Monde et de la Vie, d’une cosmologie dépassée. Ces référentiels évoluant au cours du temps, on demande une nouvelle formulation de la foi. En réalité, ce n’est pas « une formulation » qu’on exige mais bien un « changement d’orientation » ou de « priorités » dans l’enseignement, voire le plus souvent une « innovation ». Il s’agit peut-être de s’interroger sur les questions d’interdépendance entre la foi, sa formulation et l’espace dans laquelle elle s’exprime…
Références
[1] Somme contre les Gentils, IV, 51, 2.
[2] Somme contre les Gentils, IV, 51, 3.
[3] Somme contre les Gentils, IV, 51, 13.
[4] François Euvé, Darwin et le christianisme, Vrais et faux débats, édition Buchet-Chastel, novembre 2010.
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