" La pierre précieuse, voire de grand prix aux yeux de certains, qu'est l'émeraude, se voit insultée par un morceau de verre habilement truqué, s'il ne se rencontre personne qui soit capable de procéder à un examen et de démasquer la faute. Et lorsque de l'airain a été mêlé à l'argent, qui donc, s'il n'est connaisseur, pourra aisément le vérifier ? "(Saint Irénée, Contre les hérésies)


vendredi 5 avril 2013

Face aux objections contre le péché originel ...

Depuis plus de 50 ans, le péché originel fait ouvertement objet de nombreuses remises en cause. Le teilhardisme est une des doctrines qui portent actuellement les coups les plus dures contre ce dogme. L’opposition n’est pourtant pas nouvelle. Depuis le pélagianisme au Vème siècle, elle a été souvent combattue, reniée, relativisée. 

Les objections contre ce dogme sont multiples. Elles peuvent remettre en cause l’existence du péché originel, ses effets ou sa transmission. Elles peuvent aussi être classées selon la nature des arguments : rationnelle, exégétique, historique, scientifique. Nous avons choisi de les classer selon cet ordre… 

Objections d’ordre rationnel 



Les adversaires du dogme tentent d’établir par le raisonnement que la doctrine est incompatible avec la raison. Saint Thomas d’Aquin a présenté la plupart des objections rationnelles, souvent d’origine pélagienne. La principale objection est l’impossibilité d’imputer le péché du premier homme en tant que faute au genre humain. Nous pouvons réfuter cet argument en présentant la théorie de la récapitulation : tous les hommes sont présents en Adam. De nouveau, la raison semble protester contre cette solution : « péché c’est agir, seul un existant en acte peut pécher. Nous n’avons donc pas tous péché en Adam » [1]. La transmission du péché semble aussi inconcevable à la raison. Puisque le sujet du péché est l’âme et que l’âme est créée, comment peut-il lui être transmis ? « On ne peut donc pas faire dériver le péché à partir d’Adam, origine, jusqu’à nous » [2]. Enfin, pourquoi seul le péché d’origine est-il transmissible et non les péchés actuels ? « Si le péché du premier homme s’est propagé, par l’origine, dans sa descendance, pour la même raison, les péchés des autres parents devront aussi être passés dans leur descendance » [3]. 

A ces objections d’ordre rationnel, Saint Thomas d’Aquin présente des arguments solides de même nature. Il montre finalement que « le péché originel n’est […] ni inconvenant ni contraire à la raison ». Dans ce type d’attaque, notre défense revient en effet à démontrer la compatibilité de la foi et de la raison. Saint Thomas d’Aquin reste une référence toujours efficace. 

Objections d’ordre exégétique 

Pour attaquer le dogme sur le péché originel, on essaye de remettre en cause l’un de ses fondements, c’est-dire la Sainte Écriture. Il ne s’agit pas de s’attaquer directement à la Bible, à son authenticité ou à son intégrité. Cela reviendrait à ébranler totalement la foi. Et cette opération risque d’être inefficace et coûteuse. L’attaque est plus sérieuse et subtile. On tente de montrer que le dogme est tiré d’une compréhension discutable de certains passages de la Sainte Écriture, notamment du récit de la chute d’Adam et de certains versets de Saint Paul. D’une part, on remet en cause l’historicité des premiers chapitres de la Genèse en les présentant comme un mythe et non plus comme un récit historique. Le péché originel est présenté comme un symbole et non une réalité. D’autre part, on reconsidère l’objectivité et la crédibilité de l’Église qui aurait défini la doctrine à partir d’une mauvaise interprétation de la doctrine paulienne. Le but de ce type d’argumentation est de prouver que le dogme du péché originel est absent de la Sainte Écriture. Il viendrait d’une interprétation erronée de la Révélation, dépendante d’un contexte aujourd’hui dépassé. 

Objections d’ordre historique 

Cette mauvaise interprétation proviendrait en partie d’une lecture augustinienne des épîtres de Saint Paul. Saint Augustin aurait déformé ou exagéré les propos de l’Apôtre en réaction au pélagianisme dont il était un farouche adversaire. L’Église aurait alors fait sienne cette doctrine personnelle. La formulation du dogme dépendrait aussi d’un contexte historique particulier. Le Concile de Trente aurait ainsi défini une doctrine qui devrait être replacée dans son époque, aujourd’hui révolue. Dans sa formulation, la doctrine serait donc mêlée de préjugés propres à l’époque considérée. Pour relativiser davantage la véracité et donc l’autorité des dogmes, on montre en outre que cette formulation dépend aussi d’une vision du monde, devenue obsolète et « inopérante ». En clair, un dogme serait défini et compréhensible dans un référentiel historique précis. Si ce dernier évolue, le dogme devrait être reformulé. Telle est l’objection historique classique… 



Objections d'ordre scientifique

Les objections scientifiques s’appuient en général sur les théories actuelles qu’on considère comme des faits acquis, incontestables et incontestés. Elles se fondent sur de nombreuses sciences : la paléontologie, la biologie moléculaire, la génétique, la science quantique, etc. Elles fournissent des hypothèses sur la formation de l’Univers et de la Vie, incompatibles avec l’enseignement de l’Église. Fort de ces éléments, on refuse toute historicité et réalité aux faits décrits dans la Sainte Écriture. L’œuvre de la Création est finalement reniée ou dénaturée. 


Des arguments supposés scientifiques viennent donc apporter leur contribution à des objections rationnelles et historiques pour remettre en cause l’historicité du premier couple, jugée impossible aux yeux de la science. On rejette alors la chute d’Adam dans l’ordre du mythe et du symbole. Par conséquent, le péché originel n’a plus de raison d’être… Le dogme devient caduque… 

Le teilhardisme est probablement l’une des doctrines les plus contraires au christianisme sur ce sujet. Si on considère l’homme comme le produit de l’évolution en voie de perfectionnement au fur et à mesure du temps, l’homme n’est pas pleinement homme à l’origine. Immature à sa « création », il ne peut pas assumer des fautes qu’il commet en cet âge d’enfance. Le péché originel ne peut donc lui être imputé. Il ne peut pas non plus affecter les hommes puisque cette faute n’est qu’un accident inévitable, car naturel, compte tenu de son inachèvement originel. Comment un « premier hominisé » peut-il engager la destinée de l’humanité entière ? L’évolutionnisme impose le devenir comme élément clé de l’homme quand le christianisme s’appuie avant tout sur l’être… 

Des objectifs plus variés qui exigent de notre part une plus grande culture et synthèse… 

Le dogme sur le péché originel se voit donc aujourd’hui opposé à une série d’objections sérieuses de natures différentes, en particulier rationnelle, exégétique, historique et scientifique. Cet ensemble peut nous désarçonner, surtout si nous n’avons que des arguments d’ordre rationnel à y opposer. 

Or on connait la force et les limites de ces arguments. Souvent liés à une philosophie, ils font alors l’objet d’attaques assez subtiles qui peuvent les rendre inefficaces. On nous dit en effet que l’enseignement classique de l’Église serait trop dépendant d’une philosophie particulière, aujourd’hui  inappropriée. Tout en dénonçant cette vision restrictive, on propose de reformuler la vérité selon une autre philosophie plus pertinente et adaptée. Cette proposition revient à changer de référentiel, de vocabulaires, de concepts, etc. ! Il n’est alors plus possible de proposer nos arguments devenus incompréhensibles. En clair, on nous désarme. Nous sommes alors conviés à prouver la justesse et la véracité de notre référentiel tout en combattant la fausseté et les erreurs de la philosophie qu’on nous propose. Nous sommes engagés dans un combat qui n’est pas le nôtre. Nous quittons le sentier de la foi … On évite donc de nous placer sur le terrain de la foi pour nous conduire vers d’autres, beaucoup plus mouvants et dangereux pour nous. 


Ces objections de natures différentes nous obligent à étendre nos connaissances pour embrasser de multiples disciplines et à en faire une synthèse. Car quelle que soit leur nature, elles sont réfutables. Elles s’appuient sur des erreurs et des mensonges que nous devons identifier et dénoncer. Dans ce combat de la foi, nous avons toujours en notre possession un trésor inépuisable que l’Église a reçu et enrichi et que nous devons nous l’approprier tout en l’enrichissant à notre tour … Tout cela nécessite du travail, de l’étude, de la patience, …


Gagner le « cœur » des hommes de bonne volonté 

Les objections contre le dogme sur le péché originel paraissent solides et portent une force de persuasion redoutable. Soyons en effet lucides. Pélage comme Teilhard, et bien d’autres encore, sont parvenus à persuader les hommes de bonne volonté car leurs argumentations sont claires, simples et efficaces. Elles touchent le cœur de chacun. Elles atteignent leurs cibles. Elles contiennent toujours des objections d’ordre « sentimental ». La plupart des adversaires du péché originel s’opposent à une doctrine jugée scandaleuse : elle révèlerait un Dieu injuste et pessimiste et montrerait l’homme impuissant face à un destin implacable. A cette vision, ils opposent une doctrine optimiste et positive en surévaluant la bonté de Dieu et la liberté de l’homme. Dans cette nouvelle configuration, l’homme serait ainsi capable de se sauver par lui-même, Dieu ne lui apportant qu’une assistance. Nous devons donc montrer en quoi leur vision est erronée, vision aussi scandaleuse que celle qu’ils dénoncent, tout en gagnant le cœur des « scandalisés ». 

Nécessité d’une nouvelle synthèse catholique face aux erreurs… 

Face à l’enseignement de l’Église, se dressent non pas une série d’objections disparates mais souvent un système très complexe, bien décrit et compréhensible, où chaque argument vient se rajouter à un autre, donnant l’impression d’une certaine force et cohérence. Nous pourrions attaquer les objections les unes après les autres par des réponses adaptées, de même nature, mais cela reste peut-être insuffisant et peu rentable. Car nous sommes face à une pensée qui se diffuse par de nombreux ouvrages, par les médias numériques ou par des conférences. Elle occupe le terrain, souvent hélas bien dégagé. Or un système ne s’efface que face à un autre système. Imposons donc au teilhardisme et aux autres idéologies la doctrine chrétienne, sous le regard des nouveaux problèmes qu’elles soulèvent. Dans l’histoire, des malentendus ou encore des hérésies ont permis l’approfondissement de la foi. Peut-être sommes-nous à un moment où une nouvelle synthèse est nécessaire ? 

Quelle est le problème auquel nous sommes vraiment confrontés ? On prétend que la formulation de la foi est dépendante d’un système philosophique, héritage d’un passé dont on a exagéré l’importance, d’un contexte historique, souvent fort et prégnant, ou encore d’une perception du Monde et de la Vie, d’une cosmologie dépassée. Ces référentiels évoluant au cours du temps, on demande une nouvelle formulation de la foi. En réalité, ce n’est pas « une formulation » qu’on exige mais bien un « changement d’orientation » ou de « priorités » dans l’enseignement, voire le plus souvent une « innovation ». Il s’agit peut-être de s’interroger sur les questions d’interdépendance entre la foi, sa formulation et l’espace dans laquelle elle s’exprime… 

Écoutons un disciple de Teilhard qui soulève une question que nous ne pouvons pas ne plus entendre. « La vision darwinienne doit […] être prise au sérieux. Indéniablement, elle constitue le cadre global dans lequel les scientifiques élaborent leurs entreprises. Quels que soient les nécessaires ajustements de théorie, comme dans tout le champ scientifique, il faut reconnaître que nous sommes passés dans un autre espace de représentation que celui dans lequel nos textes religieux ont été rédigés. C’est dans cet espace que la foi chrétienne doit s’exprimer aujourd’hui. Cela nécessite des révisions dans la manière de dire la « doctrine ». Certaines catégories anciennes ne sont plus recevables aujourd’hui, car elles sont devenues trop équivoques. Plus globalement, c’est une certaine métaphysique qui pose question. Le christianisme, au moins dans le monde catholique, s’est longtemps exprimé dans le cadre de la métaphysique d’Aristote. […] Cette métaphysique est étroitement liée à une cosmologie « fixiste » qui n’est plus la nôtre. Une telle révision est difficile, parce qu’il n’existe pas de christianisme « chimiquement pur », sans référence à un contexte » [4]. 



Références
[1] Somme contre les Gentils, IV, 51, 2.
[2] Somme contre les Gentils, IV, 51, 3. 
[3] Somme contre les Gentils, IV, 51, 13. 
[4] François Euvé, Darwin et le christianisme, Vrais et faux débats, édition Buchet-Chastel, novembre 2010.

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