Dans un article précédent [1], nous avons décrit à partir de faits historiques comment se sont établies les premières relations entre l’Islam et les non-musulmans. Un contrat établit des liens de soumissions selon un rapport de force favorable aux musulmans. Ces relations répondent aussi à un certain opportunisme économique, politique et social dans l'intérêt d'un État en construction. Enfin, les textes sacrés de l'Islam ont désormais figé ces règles relationnelles, devenues désormais intangibles, applicables à toute époque et en tout lieu. Nées dans l’histoire dans un temps bien particulier, ces relations sont désormais marquées dans le marbre de l’éternité. Nous allons voir maintenant comment effectivement apparaissent les relations entre l'Islam et les musulmans, dans le Coran. Nous aborderons ce thème en plusieurs fois. Dans ce présent article, nous allons surtout identifier les différentes catégories de non-musulmans…
Les croyants et les incroyants, deux mondes opposés, l’un voué au salut, l’autre à la malédiction.
Le Coran est bâti de manière significative sur une opposition claire et tranchante, une dualité entre le bien et le mal, le fidèle et l'infidèle, le croyant et l'incroyant. Le « croyant » désigne les seuls fidèles à l'Islam, à l'exclusion des adeptes de toute autre croyance. Par opposition, l'« incroyant » désigne indistinctement tout non musulman, avec le sens très péjoratif d'impie, de renégat, de coupable du péché majeur de refus de Dieu. Il est objet de toutes les malédictions. Il est souvent employé pour traduire le terme « kâfir ». Le terme d'« incroyant » est assez faible pour traduire le vrai sens du mot arabe. Sa traduction juste serait au moins « mécréant » comme nous le trouvons dans certaines traductions, comme delle d'Hamiddalah.
L’esprit mécréant du « kâfir »…
Le terme arabe « al kârifûn » distingue le musulman du non-musulman. Elle est une notion clée du Coran. Il est très souvent répété dans le Coran. Pour Antoine Moussali, le mot « kâfir » sous-tend l'idée de « recouvrir », de « cacher », d'où un glissement de sens vers « hypocrite », « incroyant », « mécréant ». Denis Masson emploie le terme d'incroyant mais dans ses notes, elle précise le sens exact du mot : « il ne s'agit non seulement de l'attitude négative de ceux qui n'ont pas de foi, mais d'une incroyance voulue, coupable, une ingratitude à l'égard de Dieu […] un refus de croire qui constitue le péché inexpiable en cette vie et dans l'autre, le péché qui entraîne forcément la damnation. Al kâfirûn sont donc, à la fois […] les incroyants, les infidèles, les impies, les renégats, coupables des plus grands crimes » [2]. Denis Masson ne sous-estime pas la véhémence et la dureté du mot en dépit d'une traduction atténuée. Il cherche à traduire le Coran sous une forme littéraire, afin de « maintenir, dans toute la mesure du possible, les qualités de clarté et d'élégance de la langue française »[3] au détriment de l'exactitude du vocabulaire.
Les Gens du livre, traîtres d’une révélation authentique …
Quelles sont les autres croyances ou incroyances mentionnées dans le Coran ? Nous pouvons évidemment citer les gens du Livre [4], ou encore appelés « Ahl al-Kitâb », c'est-à-dire les Juifs et les Chrétiens, mais également les Sabatéens et les Zoroastriens, sans oublier les Nazaréens.
Les Sabatéens sont, selon certains commentateurs, des Zoroastriens ou des Hindouistes. Selon Laurent Lagartempe42, ils désignent deux sectes du Moyen Orient : les Mandéens de Mésopotamie, qui se réclament de Saint Jean Baptiste, et les Sabéens de Harran, près d'Édesse, qui passent pour des adorateurs des astres.
Le Zoroastrisme, ou encore appelé mazdéisme, était la religion officielle de l'empire sassanide. Les « Zoroastres » sont aussi appelés les « Madjus ». Depuis le calife Umar I, ils sont considérés comme les intermédiaires entre les « Ahl al-Kitâb » et les « mushrikûn » (associationnistes), terme que nous verrons bientôt, puisqu’ils n’ont ni prophètes ni écriture révélée [5].
Le Coran traite aussi des Nazaréens, une secte de Juifs de langue araméenne, hérétique à la fois au judaïsme et au christianisme. Ils sont en effet attachés à la seule loi mosaïque et pénétrés d'esprit messianique. Ils croient que Notre Seigneur Jésus-Christ est le Messie attendu sans cependant reconnaître sa divinité [6].
Les religions du Livre contiennent, selon le Coran, une révélation authentique. Ce sont « des formes antérieures incomplètes et imparfaites de l'islam lui-même » [7]. Elles semblent alors mériter une certaine tolérance ou résignation selon les commentateurs du Coran.
Le « mushrikûn » ou encore l’associationnisme, péché infâme, impardonnable…
Pour catégoriser une certaine incroyance, le Coran emploie le terme de « mushrikûn ». Le « shirk » est souvent traduit par « associationnisme », croyance consistant à « associer à Dieu d'autres divinités ». Cette croyance s'oppose à l'idée fondamentale du Coran, l'unicité de Dieu, le « tawhid ». Or, ce péché apparaît suffisamment grave pour ne pas être pardonné : « certes Allah ne pardonne pas qu'on Lui donne quelque associé. A part cela, Il pardonne à qui il veut. Mais quiconque donne à Allah quelque associé commet un énorme péché » (Coran, IV, 48, Hamidallah).
Les « associateurs », des polythéistes ou des chrétiens ?
Qui sont les « associateurs » ? Les avis des commentateurs sont partagés. Ils pourraient désigner les polythéistes qui associent leurs idoles à la divinité mais également les Chrétiens qui, selon le Coran, associent à Dieu Notre Seigneur Jésus-Christ.
Dans une traduction du Coran, nous pouvons trouver : « Tuez les idolâtres partout où vous les trouverez » (Coran, IX, 5). Or dans la traduction d’Hamidallah, nous trouvons le terme d’« associateurs » au lieu d’« idolâtres ». Dans la sourate IX, le Coran parle de contrat entre les musulmans et les « associateurs ». Une note cite une tribu païenne de La Mecque parmi les « associateurs ». Le Coran traite en effet des pèlerins qui viennent encore faire leur pèlerinage à la Kaaba. Ce ne peut être ni des Juifs, ni des Chrétiens. Ensuite, dans la même sourate, il traite des Juifs et des Chrétiens qu’il considère aussi comme des « associateurs ». Donc il semblerait que le Coran inclue dans le terme « associationnisme » le polythéisme et le christianisme, voire le judaïsme. Mais, d’autres versets peuvent contredire cette conclusion. « Les infidèles parmi les gens du Livre, ainsi que les Associateurs iront au feu de l'Enfer, pour y demeurer éternellement. De toute la création, ce sont eux les pires » (Coran, II, 6, Hamiddallah). Nous pourrions comprendre cette phrase de plusieurs manières :
- « les infidèles ainsi que les Associateurs parmi les gens du Livre », ce qui désignerait les chrétiens seuls comme « associateurs » ;
- « les infidèles parmi les gens du Livres, et les Associateurs », ce qui signifierait que les « associateurs » ne sont pas des gens du Livre, ce seraient des polythéistes.
La première version semble la plus vraisemblable puisque d'autres versets désignent clairement des Chrétiens comme des « associateurs ». Nous pourrions donc penser qu’ils désignent uniquement des Chrétiens [8]. En fait, le mot « associationnisme » semble plutôt être un terme générique qui a probablement pour fonction de dénoncer clairement une erreur et de la « vomir », sans oublier les mécréants qui la professent. Elle « met en valeur » l’unicité de Dieu, dogme central de l’Islam.
Parmi ses erreurs, le dogme de la Sainte Trinité est très souvent mentionné. A plusieurs reprises en effet, les chrétiens font l'objet de critiques sur ce point. « Ce sont, certes, des mécréants ceux qui disent : « En vérité, Allah c'est le Messie, fils de Marie » […] Quiconque associe à Allah (d'autres divinités,) Allah lui interdit le Paradis ; et son refuge sera le Feu. Et pour les injustes, pas de secoureurs » (Coran, V, 72-75, Hamiddalah). Nous notons au passage que le Coran ignore la doctrine chrétienne puisque selon ce « texte incréé » les Chrétiens diviniseraient Saint Marie : « (Rappelle-leur) le moment où Allah dira ; O Jésus, fils de Marie, est-ce toi qui as dit aux gens : Prenez-moi, ainsi que ma mère, pour deux divinités en dehors d'Allah ? » (Coran, V, 116, Hamiddallah).
Prendre en compte, dans la lecture du Coran, les différentes hérésies chrétiennes…
L'ensemble des Chrétiens que connaissaient Mahomet ne sont pas tous des « associateurs ». Les Nazaréens ne reconnaissent pas la divinité de Notre Seigneur Jésus-Christ tout en croyant qu'Il est le Messie. Il existe d'autres hérésies rejetant la Sainte Trinité comme le nestorianisme. C'est pourquoi les versets qui leur sont consacrés sont plus doux que ceux qui condamnent les « associateurs ». Or, certaines traductions traduit facilement « nazaréen » par « chrétiens » d'où une certaine incohérence de ton, faisant croire à la clémence de l’Islam à l’égard des chrétiens…
Les idolâtres, voués à la damnation…
Enfin, la dernière catégorie d'incroyants regroupe les idolâtres : les bédouins païens, « les zindîk, manichéens et assimilés », « les Mazdakites de Bâbek » [5]. Le Coran ne connaît aucune tolérance à leurs égards. Les bédouins païens sont considérés comme sourds, aveugles, stupides, à l'égal des bêtes et des singes. Ils font l'objet de termes certainement les plus méprisants et haineux du Coran. « Ce ne sont qu'affirmations péremptoires et exacerbées, régulièrement couronnées de condamnations et de menaces » [3]. Leur cause est perdue d'avance. Il n'y en effet aucun espoir de les convertir tant ils sont versatiles, ingrats, hypocrites. Trois points semblent empêcher leur conversion : leur attachement indélébile aux coutumes ancestrales, l’absence d’intérêt pour un dieu abstrait et leur incrédulité à l’égard d'une promesse si facile. Le Coran les condamne ...
Et pourtant, ce sont eux qui formeront l’armée musulmane, le fer de lance de l’Islam ! ... Revenons à l'histoire. Au moment où s’écrit le Coran, les bédouins se révoltent contre le premier calife et posent quelques difficultés à ses successeurs, par leur caractère particulier. Il est donc important de les dénoncer et de les combattre. Évidemment, cette suggestion n’a de sens que si nous concevons le Coran comme une œuvre en partie élaborée ou modifiée par les successeurs de Mahomet. Sans cette suggestion, le Coran garderait-il même du sens ?...
Une deuxième solution est possible. « La pratique de l'islam se révèle, dans l'ensemble, moins sévère que ses prescriptions — à l'inverse de ce qui se passe en Chrétienté » [7]. Cette remarque venant d'un expert mériterait que nous nous y attardions plus longuement, mais elle risque de nous emporter vers un long exposé encore trop précoce pour notre étude. Retenons simplement que le Coran serait plus dur que la pratique contrairement aux judaïsmes et au christianisme. En clair, les musulmans adouciraient les commandements divins. Quelques infidélités sontheureusement possibles…
Cette première partie de notre étude montre les difficultés de savoir exactement quels sont les non-musulmans, objets de tant d’invectives et de colères de la part du Coran, sans connaissances précises sur des faits historiques auxquels il se rapporte. Les traductions aggravent parfois les incohérences du Coran et les malentendus.
Néanmoins, la violence des versets colériques, leur nombre impressionnant et l’emploi répétitif de certains termes de dénonciation et de condamnation donnent une empreinte terrible à sa lecture et à sa récitation. Et encore, si nous considérions ce ton comme un « effet de style oratoire », propre à émouvoir les tribus arabes, comment pouvons-nous rester insensibles aux malédictions lancées par un Dieu contre des damnés perdus d’avance dans les ténèbres ? Comment ne pas détester aussi cette idée de tolérance au prix d’une rançon et surtout d’une humiliation ? Que de petitesse humaine dans ces versets !...
Réferences
[1] Émeraude, février 2013, article « Relations l’islam et les non-musulmans ».
[2] Cité par Laurent Lagartempe, Petit Guide du Coran, édition de Paris, 2ème édition, 2003.
[3] Laurent Lagartempe, Petit Guide du Coran.
[4] Selon M. Alacader (Le Vrai Visage de l'Islam, p.105, édition Kyrollos, 2005), les gens du Livre ne désigneraient que les chrétiens, ce qui nous paraît bien osés.
[5] Evariste Lefeuvre, Le statut des non-musulmans en Islam.
[6] M. Alcader, Le Vrai Visage de l'Islam, p.13. Les Nazaréens seraient des ébionites, hérétiques judéo-chrétiens.
[7] Bernard Lewis (Institute for advanced study, Princeton), L'islam et les non-musulmans, dans Annales. Économies, Sociétés, Civilisations, 35e année, N. 3-4, 1980.
[8] Selon Mme Delcambre (L'Islam des Interdits) et M. Alcader (Le Vrai Visage de l'Islam, p.80), les associationnistes ne désigneraient que des chrétiens croyant à la Sainte Trinité. Nous sommes peu convaincus de certaines justifications données par M. Alcader (Le Vrai Visage de l'Islam, p.84-85), notamment la disparition du polythéisme dans la péninsule arabique au moment de la naissance de l'Islam. Il considère cette survivance comme un mythe, les peuples arabes ayant été tous évangélisés. Le mythe serait plutôt de croire la péninsule arabe chrétienne.
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