" La pierre précieuse, voire de grand prix aux yeux de certains, qu'est l'émeraude, se voit insultée par un morceau de verre habilement truqué, s'il ne se rencontre personne qui soit capable de procéder à un examen et de démasquer la faute. Et lorsque de l'airain a été mêlé à l'argent, qui donc, s'il n'est connaisseur, pourra aisément le vérifier ? "(Saint Irénée, Contre les hérésies)


mardi 5 mars 2013

Le pélagianisme : son histoire

Le Pélagianisme

Le pélagianisme est une hérésie chrétienne du Vème siècle, qui réapparaît souvent dans l’histoire et menace encore aujourd’hui la pureté de notre Foi. Selon cette doctrine, le salut de l'homme ne dépend que de sa seule volonté. Fondée sur une certaine conception de la personne, elle accentue la toute-puissance de son libre arbitre au détriment de la grâce. Le pélagianisme est une des tendances radicales du christianisme que l’Église a toujours combattues et condamnées. Dans son combat contre cette erreur, elle a précisé le dogme de la grâce et clarifié la nature du péché originel. Elle a su maintenir l'équilibre entre les mérites de l'homme et le don gratuit de Dieu qu’est la grâce. Dans le cadre de notre étude sur le péché originel et sur le teilhardisme, il nous semble pertinent d'étudier cette hérésie. Nous allons traiter son aspect historique avant d’aborder sa doctrine…

Le Pélagianisme : son histoire...

Pèlage est à l’origine du pélagianisme, que ses disciples, Caelestius et Julien, évêque d'Eclane, ont développée en corps de doctrines. Saint Augustin est un des ardents défenseurs de la foi qui a combattu cette hérésie. De nombreux conciles l’ont condamné. En s’appuyant sur les décisions de Carthage (418), le Concile de Trente a formulé de manière précise et clair, le dogme sur le péché originel. 



Moine d'origine irlandaise, Pélage est d'abord un directeur spirituel renommé de Rome, où il mène une vie d'ascèse à la tête de nombreux disciples. En 410, il fuit les barbares d'Alaric qui pillent la Ville éternelle et se réfugie en Afrique puis en Palestine. Intransigeant et d'une très grande rigueur morale, il dénonce le laxisme ambiant et certains chrétiens qui n'ont guère changé de comportement après leur baptême. Il « ne supporte qu'avec impatience les excuses que les pécheurs tiraient de la fragilité de l'homme, regarde comme un effet de la lâcheté les appels faits à la grâce de Dieu comme à un remède à notre prétendue impuissance, et ne cessait d'insister, auprès des âmes qu'il conduit, sur la force invincible que nous donne le libre arbitre pour résister au mal » [1].  



Tout en prêchant d'exemple, Pélage prône le combat spirituel : à chacun de mener les efforts nécessaires pour se perfectionner et gagner le salut. « Du moment que la perfection est possible pour l'homme, elle lui devient une obligation » [2]. Or, la nature humaine a été précisément créée pour accomplir cette perfection. « Chaque fois que je dois donner des règles de conduite et tracer la voie d'une vie sainte, je mets toujours en premier lieu l'accent sur la puissance et la valeur de la nature humaine et sur ce qu'elle est capable de réaliser […] de peur qu'il ne serve à rien d'exhorter les gens à entreprendre une tâche qui leur apparaîtrait impossible à accomplir » [3]. 

Pèlage connaît un vif succès dans les milieux profondément croyants. Il est à la tête d'un mouvement d’ascétisme, d'« un groupe de partisans tenaces et bien placés » [3], qui travaillent à la diffusion de ses idées. Le mouvement s'étend. Son succès s’explique aussi par ses belles lettres d'exhortation qu’on admire, y compris par Saint Augustin, « de véhémentes et à leur manière brûlantes exhortations à mener une vie vertueuse » [4]. 

Parmi ses disciples, se distingue Caelestius, fils d'une noble famille, qui a abandonné le monde pour suivre son maître. Arrivé à Carthage avec son maître, il se mêle à des débats et remet rapidement en cause la nécessité du baptême des nouveaux nés. Comment une âme toute neuve peut-elle être reconnue coupable d'un acte commis par un autre ?... 

Selon Pélage, l'homme est capable de progresser par lui-même. Il ne peut donc concevoir l'idée d'un péché originel qui le rendrait incapable de ne plus pécher. Caelestius radicalise les idées de son maître. Considérant Adam de nature mortelle dès sa création, il refuse de voir la mort comme conséquence de son péché. Par conséquent, les enfants naissent dans la conception où était Adam avant la chute. Il admet que chaque homme a la possibilité de ne pas pécher et de gagner la vie éternelle par l'observance de la loi et de l’Évangile. Il défend enfin l'impeccabilité de l'homme, c'est-à-dire l'existence d'hommes sans péché. 

Saint Zosime, Pape en 417-418

En 411, à Carthage, un concile provincial condamne les propositions de Caelestius, jugées contraires à la foi et à l'enseignement de l’Église. Refusant de se rétracter, il est excommunié. Cette condamnation solennelle est alors diffusée dans toute l’Église comme veut l’usage. 

Depuis son arrivée en Palestine, Pélage a étendu son influence en Orient. Sa doctrine inquiète de nombreux chrétiens dont Saint Jérôme. Un libelle le dénonce comme responsable d'une nouvelle hérésie. En 415, un concile se réunit à Diospolis pour l’entendre. Pélage se désolidarise de son disciple Caelestius et s'explique d'une façon plus ou moins équivoque, réprouvant tout ce qui était contraire à la doctrine de l’Église. Il est alors innocenté. 


Saint Augustin est informé des décisions du concile de Carthage auquel – soulignons-le - il n'a pas participé, trop préoccupé par une autre crise qui secoue l’Église d’Afrique, le donatisme. Il est aussi informé de celles du concile de Diospolis. Il intervient alors et dénonce l'équivoque des formules de Pélage. Le Concile de Diospolis, déjà jugé misérable par Saint Jérôme [5], n’est qu’un « concile de dupes »[6]. Il en appelle au Pape Saint Innocent Ier, qui finit par condamner Pélage et Caelestius. Mais, soutenu par ses partisans romains et impressionné par les protestations de soumission de Caelestius, le Pape Saint Zosime, successeur de Saint Innocent Ier, réhabilite les coupables tout en leur laissant deux mois pour s'expliquer. Alors que les évêques africains se défendent et protestent énergiquement contre cette décision, Caelestius provoque des troubles et des violences. Le désordre s'amplifie. L'empereur finit par intervenir à son tour : il expulse les chefs pélagiens.


Le 30 avril 418, un nouveau concile se réunit à Carthage, réunissant deux cent quatorze évêques, sous la direction de Saint Augustin. Il prononce fermement une condamnation des deux protagonistes et réclame de la part des pélagiens une profession de foi claire et explicite. Saint Zosime, mieux informé et sans-doute impressionné par la rigueur et la profondeur des débats, se rallie à cette décision. Il demande à Caelestius de venir s'expliquer, mais au lieu de comparaître, ce dernier s'enfuit. Le Pape envoie à l'ensemble des églises une longue circulaire intitulée Epistula Tractoria dans laquelle il résume l'histoire du débat et condamne formellement l'hérésie. Pélage se retire dans le silence. Caelestius se réfugie auprès de Nestorius à Constantinople avant d'en être expulsé.




Sous la conduite de Julien, évêque d'Eclane en Companie, un groupe d'évêques protestent contre cette condamnation. « Architecte de tout le système » [2] selon Saint Augustin, Julien organise le pélagianisme en une véritable doctrine. Il mène campagne contre les évêques Africains, rédige de violents réquisitoires contre la doctrine augustinienne de la grâce et tente à son tour de gagner l'appui de Nestorius. En 431, le Concile œcuménique d'Éphèse confirme les condamnations portées contre le pélagianisme et dépose Julien. 

Le pélagianisme ne disparaît pas avec leurs partisans. Au cours de l'histoire, il réapparaît sous différentes formes, plus ou moins radicalisées. Des conciles reviennent en effet à plusieurs reprises pour dénoncer ses erreurs, notamment à Orange en 530 contre le semi-pélagianisme, ou au Concile de Trente (1545-1563) contre le protestantisme. Des Papes jusqu'à Pie VI [7] se sont souvent occupés de cette hérésie. Le teilhardisme n'en est pas épargné. 



Références

[1] J. Tixeront, Histoire des Dogmes, tome II, Chapitre XI, 3ème édition, librairie Lecoffre. 
[2] Pélage, Lettre à Démétriade, cité par E.Portalié, art. « Augustin » du Dictionnaire théologique catholique, tome I, 2, cité par Peter Brown, La vie de Saint Augustin, chap. 29, éditions du Seuil, 2001. 
[3] Peter Brown, La vie de Saint Augustin
[4] Saint Augustin, De gest. Pelagii., 25, cité par Peter Brown, La vie de Saint Augustin. 
[5] Saint Jérôme, Epist., CXLIII, 2 cité dans J. Tixeront, Histoire des Dogmes, tome II, chapitre XI. 
[6] Saint Augustin, De gestis Pelagii, 2 cité dans J. Tixeront, Histoire des Dogmes, tome II, chapitre XI. 
[7] Dans Auctorem Fidei du 28 août 1794, Pie VI condamne des propositions du concile de Pistoie, « erreurs qui favorisent l'hérésie de Pélage ».

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