" La pierre précieuse, voire de grand prix aux yeux de certains, qu'est l'émeraude, se voit insultée par un morceau de verre habilement truqué, s'il ne se rencontre personne qui soit capable de procéder à un examen et de démasquer la faute. Et lorsque de l'airain a été mêlé à l'argent, qui donc, s'il n'est connaisseur, pourra aisément le vérifier ? "(Saint Irénée, Contre les hérésies)


vendredi 8 mars 2013

Le pélagianisme : sa doctrine

Comme beaucoup de réformateurs, les premiers pélagiens combattent le laxisme de la société romaine et tentent de réformer leurs mœurs. Ce ne sont pas que des paroles. Vraiment intègres et sincères, ils renoncent à leurs richesses et se montrent particulièrement héroïques dans leur renoncement. Mais quelle rigueur, quelle intransigeance dans leurs mœurs comme dans leurs paroles ! Dans leur excès, ils finissent par reposer leur salut dans leurs moindres actions, dans leur seul mérite. Quelle responsabilité écrasante pour l’homme ! 

Si les actes vertueux sont si efficaces par eux-mêmes, qu'est-ce qui différencie un chrétien d'un païen ? Le pélagianisme finit par instaurer un puritanisme comme unique loi de la communauté chrétienne, source finalement de tout salut. Cette conception du christianisme s'appuie sur une idée simple, toute pénétrée d’optimisme : l'homme serait capable par lui-même d'accéder au bonheur éternel. Par conséquent, il condamne toute faiblesse humaine, jugée comme inacceptable car évitable. « Tout le bien et/ou le mal, par quoi nous sommes dignes d'éloges ou de blâmes ne naît pas en même temps que nous, mais est le fruit de notre activité » [1]. L'homme serait parfaitement libre… 


Pélage  
(ouvrage calviniste 
du XVIIème siècle)

Selon Pélage et ses disciples, l’homme est le chef d’œuvre de la Création par sa raison, unique privilège que Dieu lui a donné. Elle est vue comme la conscience de ses actes par laquelle il peut distinguer le bien et le mal. Dieu lui aurait alors donné le pouvoir de choisir entre le bien et le mal, et par conséquent les moyens de faire ce choix. Il ne pourrait pas lui demander ce qui lui serait impossible. La loi divine lui est donc librement accessible. Le pouvoir vient de Dieu, le vouloir et le faire ne reviennent qu'à l'homme [2]. « Nous plaçons la capacité dans la nature, le vouloir dans le libre arbitre, l'être dans l'exécution, le premier élément, la capacité, appartient proprement à Dieu qui l'a confère à sa créature : les deux autres, le vouloir et l'être, sont à rapporter à l'homme, car ils découlent du libre arbitre » [3]. 




Pélage traite aussi du péché sous le regard de la justice. « Le péché ne naît pas avec l'homme, vu que c'est par la suite que l'homme le commet, car il est clair qu'un délit relève non point de la nature, mais de la volonté » [3]. Comme Dieu est juste, il ne peut pas admettre la transmission d'un péché originel. L’idée d’un péché héréditaire est incompatible avec la justice. Un homme ne peut pas être puni pour une faute qu'il n'a pas commise. Il ne peut être coupable qu'au moment de sa faute, d’une faute personnelle. La mort, la concupiscence et les souffrances ne sont donc pas des conséquences du péché originel, mais des faits naturels, résultats de la nature humaine et donc de la Création. La volonté humaine ne connaît donc aucun penchant, aucune inclination. S'il pèche, l'exercice de sa volonté n'est point affecté. Ce n'est qu'une perturbation passagère, sans conséquence. 


Que devient alors Adam dans cette doctrine ? Il ne nuit que par son mauvais exemple. « Celui qui pèche imite Adam dans le mauvais exemple dans sa transgression mais n'est pas né dans le péché ». Il ne serait responsable que de l'accoutumance au péché. C'est pourquoi de nombreux hommes ont péché et demeurent dans le péché. « Le péché n'a nui qu'à Adam et non pas à tout le genre humain » [4]. De même, selon Caelestius, le Christ n'a influencé l'humanité que par son exemple [5].

Pour remédier à cette accoutumance, le pélagianisme prétend réveiller, par les seules forces du libre arbitre, les vertus endormies. Que devient alors le baptême ? Il ne sert pas à effacer le péché originel. C’est une consécration au Christ, une agrégation au peuple de Dieu, sans présumer en eux un péché à pardonner. Et la Rédemption ? Une élévation de l'homme vers Dieu... 

La grâce n'est pas exclue de leur doctrine. Elle est seulement comprise comme une aide externe aux choix de la liberté humaine. Elle permet à l'homme de décider avec rectitude sans agir au cœur même du libre arbitre. Au moment de sa création, la grâce l'a doté de la capacité de discerner le bien et le mal. Dans la Sainte Écriture, elle lui révèle la volonté divine et lui permet d'observer les préceptes divins. Elle est aussi contenue dans les exemples des saints, même païens. Elle est enfin incluse dans les sacrements mais l'efficacité réside dans la volonté humaine, dans son engagement et non en eux-mêmes. Selon le pélagianisme, la grâce n'est pas donnée gratuitement mais à la suite d'un mérite

Finalement, tout repose sur la seule puissance de la volonté de l'homme

Que trouvons-nous dans cette doctrine ? Un trop grand optimiste en ses propres capacités, une louange excessive de la Création, une incompréhension du péché originel et de la justice divine. Le pélagianisme laisse finalement peu de place à l'amour de Dieu qui se révèle dans la Croix d'une façon si admirable. 

Que devient en effet le christianisme sans la grâce divine ? Que devient notre foi si notre regard n'est tourné finalement que sur nous-mêmes ? Une religion vide de Dieu, vide d'amour, qui nous enfonce dans le « hautain naturalisme », dur et orgueilleux, dans « la morale laïque et volontariste » [6]... 

Quelle pauvre conception de l'homme, négatrice de sa réalité et de son être le plus profond ! « En rejetant le péché originel, en prétendant que rien n'est vicié dans notre nature, que notre liberté est comme une balance dont le fléau est parfaitement horizontale, le pélagianisme fait preuve évidemment d'une psychologie bien superficielle et bien pauvre, toute abstraite, et n'expliquait nullement la grande anomalie de l'universalité du péché dans le monde » [8]... 



Références
[1] Caelestius cité dans Saint Augustin, La grâce du Christ et le péché originel, II, 6, 6. 
[2] Histoire des dogmes, tome II, L'homme et son Salut, V. Grossi et B. Sesbouë, chapitre III, 1. 
[3] Caelestius cité dans Saint Augustin, La grâce du Christ et le péché originel, II, 1, 14. 
[4] Caelestius cité par le Concile de Carthage (411). 
[5] Histoire des dogmes, tome II, L'homme et son Salut, V. Grossi et B. Sesbouë, chapitre V, 4. 
[6] Daniels-Rops, L'Eglise des Temps barbares, chapitre 1, édition Fayard, 1960.
[7] Pélage, Lettre à Démétriade, cité par E.Portalié, art. « Augustin » du Dictionnaire théologique catholique, tome I, 2, cité par Peter Brown, La vie de Saint Augustin, chap. 29, éditions du Seuil, 2001.
[8] J. Tixeront, Histoire des dogmes dans l'antiquité chrétienne, Tome II, librairie Lecoffre.

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