Depuis les attentats de World Trade Center en 2001, le terme de "salafisme" apparaît souvent dans l’actualité. Les médias le présentent sous une connotation guerrière, synonyme de violences et de terrorisme. Le salafiste est décrit comme un musulman fanatique, radicalisé, des fous d’Allah. Mais cette image qui nous paraît bien simpliste peut nous détourner de la réalité. Le salafisme ne se réduit pas à ces guerriers ou à des terroristes. Il est beaucoup plus complexe qu’il apparaît dans les journaux.
Le salafisme est tiré de « salaf » qui signifie « ancêtres » ou « pieux prédécesseurs ».Ces « ancêtres » désignent Mahomet, ses compagnons et les deux générations qui les suivent. Il est parfois défini comme « une quête de l’authenticité et un retour à la pureté des sources » (1). Tel est le premier regard que nous pouvons porter sur ce courant musulman. Ce regard, plutôt positif, pourrait cependant être influencé par l’esprit occidental.
Les penseurs du salafisme
Le salafisme appartient à l’islam sunnite. Les salafistes se revendiquent comme les disciples de Tamaiyya et surtout de Wahhab, tous les deux appartenant à l’hanbalisme. Ils prônent le retour d’un islam pur par l’application stricte de ses textes sacrés, Coran et hadiths, et par le rejet de toute spéculation rationnelle. Rappelons également que leurs doctrines religieuses sont centrées sur l’unicité absolue de Dieu et sur le refus de tout partage de sa majesté, de sa gloire, de son culte. Les disciples de Wahhab sont les partisans du "Tawhid", les gens de l’unicité de Dieu. Ainsi refusent-ils le culte des saints. Puis, Wahhab appelle à une union entre les autorités religieuses et politiques, chacun dans leur domaine mais le religieux guidant le politique. Tamaiyya fonde l’obéissance à l’autorité politique sur sa fidélité à l’égard de la loi religieuse. Cette doctrine a été appliquée et s’est traduite par l’union entre le wahhabisme et l’Arabie Saoudite. Cet État joue un rôle important dans le salafisme et son expansion. Enfin, pour conclure nos rappels, soulignons que le wahhabisme est un mouvement arabe, ce qui apparaît surprenant quand nous songeons l’absence des tribus arabes dans la gouvernance de l’empire musulman depuis les Abbassides.
« Les partisans de la salafya aujourd’hui, tous courants confondus, s’inscrivent dans cette longue chaîne. Ils se sont tous abreuvés des sources de Médine et de l’islam wahhabite. Quand un étudiant a fréquenté cette université auprès des plus grands imams saoudiens, il ne manquera pas de le proclamer, car les références sont très importantes. Le fait de les avoir côtoyés fait d’eux des personnes touchées par la grâce » (2).
Le salafisme se caractérise donc par leur volonté de retourner à la pureté de l’islam par l’application littérale des textes sacrés. Il est perçu comme un mouvement religieux et politique qui cherche à réislamiser la société. Cela consiste à imiter la vie de Mahomet ou de ses compagnons et à appliquer strictement la Sunna. Le salafiste rejette tout usage de la raison, toute piété jugé contraire à l’unicité de Dieu, toute influence occidentale, la démocratie et la laïcité, accusées de corrompre l’islam. Les salafistes sont particulièrement visibles par le respect d’un ensemble de prescriptions (habillement, salutations, position lors de la prière, formules incantatoires, interdiction de la musique et de la photographie, etc.). Le salafisme dispose d’écoles coraniques et est puissamment financé par de grands états musulmans comme l’Arabie Saoudite.
Le retour aux origines par la littéralité des textes sacrés de l’islam doit, selon les salafistes, redonner à l’islam sa splendeur des premiers temps au cours duquel l’islam semblait dominer le monde. Ce n’est pas un hasard si les salafistes veulent imiter les deux premières générations, c’est-à-dire revenir au temps où l’islam était aux mains des arabes. C’est aussi un retour en arrière vers les origines de l’islam arabe.
Les salafistes vivent de ce mythe de l’âge d’or des premiers siècles. Aujourd’hui, ils dénoncent un islam décadent, dominé par des Occidents qui veulent l’empêcher de dominer le monde. Ce retour de l’âge d’or passe par l’unité des musulmans.
La complexité du salafisme
Le salafisme est difficile à déterminer même si sa doctrine et son objectif sont clairs. « Sa définition fait l’objet de luttes intestines entre théologiens, prédicateurs et clercs, qui s’affrontent autour d’interprétations divergentes voire antagoniques. Le salafisme ne se résume ni ne s’incarne dans al-Qaïda. C’est un ensemble composite, hétérogène, d’initiations multiples, pas toujours coordonnées, d’individus seuls ou formant de petits groupes autonomes. Mouvance complexe et évolutive, il couvre un large spectre de sensibilités [...] »(3) Les salafistes ne se réduisent pas à des guerriers ou à des terroristes. Le salafisme se divise en plusieurs tendances dont la plus violente, ou la plus bruyante, est en faite minoritaire. Elles partagent globalement la même doctrine mais elles se différencient par les moyens pour imposer la réislamisation de la société musulmane. Ces tendances se différencient aussi par leur rapport avec la politique et le soutien des États.
Le salafisme est généralement divisé entre trois courants :
- le salafisme « cheikhite » ou quiétiste, la plus populaire ;
- le salafisme dit Al Sahwa al Islamiya (« le Réveil islamique ») ;
- le salafisme « jihadiste ».
Ces mouvements salafistes ne se reconnaissent pas et se déchirent. Nous sommes parfois témoins de leurs affrontements, notamment en Irak et en Syrie.
La « salafiyya al-da’wa » dit salafisme quiétiste : purification et éducation
Le salafisme quiétiste (4) veut appliquer strictement la Sunna, lue de manière très littérale afin que la foi musulmane revivifiée transforme la société et, par delà, le monde entier.
Méprisant la vie politique, il se manifeste essentiellement par la prédication. Pour eux, la politique est source de division, ce qui ne leur empêche pas d’être légaliste et d’accepter d’appliquer la loi du pays. Il condamne toute forme de violence. Finalement, la réislamisation de la société musulmane passe avant tout par la prédication d’une foi régénérée plutôt que par des actions politiques et par la prise de pouvoir. Il s’agit donc d’une part de purifier la foi musulmane en l’épurant de toutes les innovations que l’homme a pu apporter et d’autre part d’éduquer les musulmans afin qu’ils abandonnent des pratiques jugées corrompues. C’est alors par la diffusion de cette « foi authentique » que le politique changera.
Comme nous l’avons à maintes reprises évoqués dans nos articles, la foi musulmane dirige le droit. Ce n’est pas un hasard si les principales écoles religieuses de l’islam sont des écoles de droit. Soyons encore plus précis. C’est la foi de la communauté musulmane qui oriente le droit. Par conséquent, si le salafisme parvient à influencer la piété des musulmans, le droit appliquera leurs doctrines. Le but du salafisme quiétiste est bien social et politique mais cette conversion est obtenue par la prédication.
Discrètement, sans attirer les médias, cette tendance salafiste tend à se répandre dans les mosquées en Occident.
Nous voyons dans ce courant salafiste une certaine divergence avec les idées de Tamaiyya et de Wahhab qui ne voit un retour à la pureté de l’islam qu’avec l’appui du politique. Il semble qu'il se soumet plutôt au pouvoir politique, croyant pouvoir l’influencer par des moyens légaux. Nous pouvons songer que l’Arabie Saoudite et les États sont favorables à ce courant religieux.
Le salafisme dit Al Sahwa al Islamiya (« le Réveil islamique »)
Le salafisme dit "Al Sahwa al Islamiya" veut rétablir le pouvoir des religieux face au politique, n’hésitant pas à intervenir dans la vie politique. Il utilise en effet les moyens légaux pour influencer les autorités politiques, voire pour prendre le pouvoir.
Il est né de la première guerre du Golfe et plus particulièrement de la protestation d’une partie des oulémas contre l’entrée de l’armée américaine en Arabie saoudite. Il est donc directement inspiré d’un courant plus politique, conduite en 1991 par deux cheikhs wahhabites.
La "salafiyya al-jihâdiyya", le salafisme jihadiste, révolutionnaire
Le salafisme « jihadiste » encourage des actions violentes contre les Occidentaux et les musulmans jugés infidèles. Il statue que tout musulman a l’obligation, où qu’il soit, de porter le fer contre ceux, musulmans ou non, qui oppriment les « musulmans pieux ». Il combat pour libérer les pays musulmans de toute occupation étrangère et de tout régime jugé impie.
Il est né de la guerre contre l’URSS en Afghanistan où se sont rencontrés différents combattants islamistes, unis contre l’occupation étrangère et l’impiété du gouverneur afghan. Certains salafistes mènent le combat sur une échelle internationale (Al Quaïda), d’autres dans un cadre national (Tchétchénie, Irak, Palestine, Algérie). Dorénavant, un troisième courant se bat pour créer et étendre un État ou un empire musulman.
Un état musulman, prônant un salafisme jihadiste, s’étend en Orient et au Nord de l’Afrique par les armes et la guerre. Un empire se reconstitue. Dans nos villes et nos campagnes, se développent aussi un salafisme certes non violent mais aussi dangereux, en quête d’un même objectif. Les médias aujourd’hui pointent leurs regards en Irak, en Syrie, en Libye, oubliant que le salafisme s’étend aussi en France, de manière silencieuse. Le malékisme, majoritaire chez les musulmans, peut-il devenir un jour minoritaire. Alors craignons qu’effectivement, ce salafisme légaliste use des moyens qu’offre la démocratie pour imposer l’islam en France et dans d’autres pays occidentaux.
Notes et références
1 Antoine Sfeir, article « Islam– Salafisme, jihadisme », blog http://antoinesfeir.wordpress.com, tiré de Antoine Sfeir (dir.), Dictionnaire du Moyen-Orient, Bayard Éditions, 2011.
2 El Watan dans Qu´est-ce que le salafisme?, Augustin Arteche, 16 mars 2015.
3 Amghar Samir, « Le salafisme en France : de la révolution islamique à la révolution conservatrice », Critique internationale 3/2008 (n° 40) , www.cairn.info/revue-critique-internationlae-2008.
4 Un des représentants du salafisme quiétiste est le cheikh Muhammed Nacer ad-din al-Albani.
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