Les
deux jeunes filles regardent le magistrat. L’une a vingt ans, l’autre
légèrement plus. Elles sont là pour être jugées d’infractions, de vols et
d’incendie. La plus jeune connaît sa première affaire judiciaire en tant
qu’accusée, la seconde est bien connue de la justice pour les mêmes méfaits.
Leur passé est plutôt triste. L’une a vécu dans une famille de
désolation : alcoolisme, violence,
délinquance, etc. Un tel passé laisse forcément des traces. Sous tutelle, elle
est suivie par un psychologue. Étrangement affaiblie, impassible, elle écoute
son passé et les faits qui lui sont reprochés. Son esprit est ailleurs. Les médicaments probablement... L’autre
délaissée par des parents indignes a grandi dans une famille d’accueil, de
faibles conditions sociales. Elle a grandi, nourrie de frustrations et de
colère. Décontractée derrière la barre, silencieuse, elle écoute le magistrat.
Au moment des faits, ces jeunes filles étaient logées dans des foyers, chacune
dans un studio. Elles sont nourries et vêtues gratuitement. Il leur est aussi donné
de l’argent de poche. Pourquoi avez-vous commis cet incendie ? Leur
demande le magistrat. Leur déposition est claire. Il la lit à
l’assemblée : « ils avaient
tout et nous, nous n’avions rien, nous voulions nous venger »…
Nous
voudrions rapprocher cette histoire véridique avec un événement d’actualité.
Nous voudrions en effet évoquer la réforme[1] des
collèges dans l’éducation nationale. Elle a pour but de combattre les échecs
scolaires qui feraient accentuer les inégalités. Les échecs s’expliqueraient en
particulier par le décalage qui s’est creusé entre une société toujours en
effervescence et une école plutôt ennuyeuse. Par conséquent, afin d’éveiller
leur esprit, il est demandé de la rendre plus distrayante, notamment par des
cours interdisciplinaires. Puis, pour éviter que les écarts entre les élèves se
creusent, on élimine les formations soi-disant élitistes et on rend optionnels
les cours savants et inutiles comme le latin ou le grec[2]. Soyons
sans crainte. Ceux qui auront les moyens de placer leurs enfants dans des
écoles sérieuses et valorisantes le feront sans scrupules, creusant encore plus
les inégalités décriées.
Avec
cette réforme et les autres qui l’ont précédée, probablement par les mêmes
mains, une nouvelle école se dessine.
D'une part, l’école n’est plus le lieu de
l’effort et du travail, ce qui conduit inévitablement à la superficialité des
connaissances acquises et à la perte du goût de l’effort [3]. L’école
ne construit plus, elle informe, elle amuse comme la télévision. Bientôt, le
professeur ou l’instituteur ne sera plus qu’un animateur et non un enseignant. Google
le remplacera peut-être.
D'autre part, l’école est le lieu où on tente
d’effacer les différences entre les élèves au mépris même de leur personnalité
et de leurs dons. On en vient à rejeter l’idée même que des enfants aient plus
de facilités que d’autres. L’école ne transmet plus ni culture ni repère. A
quoi bon connaître les grands moments qui ont fait la France ? A quoi bon
l’histoire chronologique ? Enfin, on refuse que l’effort soit
discriminant ! Car effectivement c’est devant l’effort que l’homme se
révèle tel qu’il est, c’est-à-dire différent des autres. Pour que tous puissent
sortir de l’école avec les mêmes chances, on abaisse nécessairement les
exigences, on rabaisse le regard de l’élève, on refuse d’élever les élèves au
sens propre du terme.
Pourquoi
avons-nous rapproché cette histoire des jeunes filles qui détruisent la paix
d’une famille par vengeance et cette réforme qui dénature l’école ? Dans
le premier cas, nous voyons deux personnes entièrement assistées par l’État qui
jalousent la richesse et le bonheur apparents d’une famille plutôt aisée au
point de la frapper durement. Dans le second cas, on fustige l’excellence et l’élitisme,
c’est-à-dire les différences que donnent surtout l’intelligence et la volonté. Qui ne
voit pas dans ces exemples le refus des différences jusqu'à vouloir
détruire l’autre ?
L’égalitarisme
que nous voyons appliquer et louer conduit nécessairement à la violence. Il accentue
la frustration des « faibles »
et des « malheureux ». Il
stigmatise l’autre, le « chanceux »,
le « riche », le « bienheureux ». Il aiguise la
jalousie et l’envie.
L’égalitarisme
est profondément inhumain au sens où il est une négation de ce que nous sommes,
c’est-à-dire des êtres doués d’un corps et d’une âme uniques, doués d’une
personnalité avec ses faiblesses et ses forces, doués d’une culture et d’une
histoire. Nous sommes avant tout des personnes et non des individus. En un mot,
nous sommes tous différents les uns des autres mais sans qu’il y ait une
hiérarchie de valeur dans ces différences, sans qu’il y ait nécessairement des
oppositions ou des injustices. Il est naturel que l’un soit plus intelligent ou
habile que l’autre. Il est normal que l’un soit mieux payé que l’autre. Le but
de l’école est justement de permettre à chacun de vivre libre avec ces
différences, c’est-à-dire de se connaître et de connaître le monde dans lequel
il vit, d’accepter tel qu’il est et de s’insérer dans la société en lui apportant
le meilleur de lui-même. Le but de l’État est de faire vivre ces différences
pour le bien commun. Mais comment faire comprendre cela à ceux
qui ont leur regard sans-cesse rabaissé vers le matériel et dont les sens et
les émotions sont excités à longueur de journée ? Comment élever le regard
des hommes quand ils sont constamment ramenés à des oppositions ? Comment faire comprendre cela à des hommes qui n’ont aucune croyance en Dieu ?
Devant Dieu, tous sont égaux. Mieux encore, devant Dieu, chacun est jugé selon
les dons et les grâces qu’il a reçues. Et chacun reçoit ce dont il a besoin
pour son bien. Que voulons-nous choisir ? L’égalitarisme ou la justice et
l’équité ? L’un apporte la violence, l’autre, la paix.
Notes et références
[1] Nous avons lu les différents documents de l’éducation nationale liés aux réformes du collège et des programmes. Nous sommes impressionnés par l’ampleur des changements, leur niveau d’abstraction et de complexité et les contradictions qu’elles comportent. Elles sont vouées à l’échec et aboutira nécessairement à une déstructuration encore plus grande du système scolaire. Voir http://www.education.gouv.fr/cid88073/mieux-apprendre-pour-mieux-reussir-les-points-cles-du-college-2016.html.
[2] Le but de cette option n’est pas d’apprendre le latin et le grec comme le sont actuellement les cours facultatifs mais d'être informé de la culture latine ou grecque. Cette apprentissage est même impossible puisqu'une option dans le nouveau programme est réduite dans le temps et à quelques cours ?
[3] Les réformateurs pensent qu’en distrayant les enfants, l’école leur donnera le goût de l’effort !
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