Au début du XV siècle, les Mamelouks sont maîtres des
lieux saints de l’islam et protecteurs du calife réfugié au Caire. Vainqueurs
des Mongols, ils représentent la seule force légitime de l’islam. Ils ont pu
craindre un moment les Ottomans dont l’empire s’étendait en Europe mais le conquérant Tamerlan les ont écrasés en 1402 [2]. En pleine gloire, l’empire ottoman succombe à ce coup terrible.
Le réveil des Ottomans
Istanbul |
Aussi éphémère que cruel, l’empire de Tamerlan ne dure
pas. L’Anatolie est rapidement divisée en principautés autonomes. Les Ottomans reprennent le pouvoir et rétablissent la domination ottomane en Asie Mineure. Ils reprennent ensuite l’offensive en Europe. Après avoir éliminé ses adversaires,
dont le roi de Hongrie, et conquis tous les Balkans, l’empire ottoman s’empare de
Constantinople en 1453. Après des siècles de sièges et d’attaques incessantes, l’Empire
byzantin s’achève. Constantinople est livrée à trois jours de pillages et de
massacres. Elle est ensuite promue capitale de l’empire sous le nom d’Istanbul,
la Sublime Porte. Dès la fin du XVe siècle, l’empire ottoman apparaît comme
l’une des plus grandes puissances de la Méditerranée.
Centralisé et plutôt sagement administré, l’empire
ottoman tient avant tout sa puissance de sa force et de son organisation militaires. Il suscite
l’admiration de l’Europe, notamment par son armée, ses effectifs et sa
discipline. Les fameux janissaires représentent un corps d’élite redoutable. Ce
sont des fils de vaincus chrétiens, enlevés dès leur plus jeune âge, élevés en
purs musulmans et dressés pour faire la guerre. Dévoués au régime, fanatisés
comme nous dirions aujourd'hui, ils forment un corps puissant d’une très grande solidité,
voire un état dans l’état. Ce sont eux les piliers de l’empire, faisant et
défaisant les sultans puis les califes. L’armée de l’empire tient aussi sa force de son
artillerie, de sa logistique, de sa discipline. Régulièrement nourrie et
soldée, l'armée ottomane apparaît comme la première armée moderne.
Inévitablement, les Ottomans et les Mamelouks s’affrontent. Ils s’opposent pour des questions de territoires et d’influences.
Une guerre en 1467 ne règle rien. L’influence des Ottomans
progresse. Ils s’emparent de la Syrie, deviennent maîtres d’Alep, de Damas
et de Jérusalem. Les deux empires se font face sans que l’un ne puisse
l’emporter sur l’autre. Ils finissent par vivre en bonne intelligence et même par
coopérer. Mais aux yeux des musulmans, les Mamelouks demeurent les
représentants légitimes de l’islam.
L’arrivée des Portugais dans l’Océan Indien renverse
l’équilibre des forces. En dépit du soutien des Ottomans dans leur lutte contre les chrétiens, la flotte des Mamelouks est détruite en 1508. En 1515, le
portugais Albuquerque s’empare d’Hormuz. Non seulement il enlève aux Mamelouks
le commerce des épices, une de leurs principales sources de revenus, mais
surtout il menace les lieux saints dont ils ont la garde depuis le XIIIe siècle. La légitimité religieuse des Mamelouks est alors remise en question.
Maître d’une grande partie de l’Europe slave, de
l’Anatolie et de la Syrie, les Ottomans doivent aussi affronter un nouvel
ennemi qui s’affirme à l’est, les Séfévides, c’est-à-dire des chiites, maîtres
de la Perse depuis 1502. Chef de nomades au nord de l’Iran, Ismaïl, futur chah, c’est-à-dire roi, reconstitue l’empire des Sassanides et instaure le chiisme
comme religion nationale. Au XIVe siècle, les Séfévides poursuivent leur
conquête et avancent en Syrie. L'Ottoman Sélim Ier, dit le Brave ou le Terrible, mène alors
la guerre sainte contre les chiites.
L’apogée de l’Empire Ottoman
En 1512 puis en 1514, les Ottomans arrêtent la
progression chiite et parviennent à conquérir leur capital, Tabriz, sans
cependant pouvoir occuper toute la Perse, faute d’hommes. Ils s’emparent aussi du
Kurdistan. Leurs victoires contre les chiites, ennemis héréditaires des sunnites, confirment leur supériorité et accroissent davantage leur prestige. Ils s’affirment comme les véritables
défenseurs de l’islam sunnite face à l’ennemi séculaire. Ils peuvent désormais
se retourner contre les Mamelouks affaiblis et déconsidérés.
En 1517, les Ottomans finissent par écraser les Mamelouks. Ils
exécutent leur sultan et mettent fin à leur sultanat. Ils s’emparent aussi du Liban, de l’Égypte et de la côte ouest de la péninsule arabique.
Les lieux saints sont désormais sous leur protection. Ils sont les seuls maîtres de l'islam. La prière du Vendredi
qualifie Sélim Ier de calife, successeur de Mahomet et protecteurs des lieux
saints mais il faudra attendre au moins le XVIIIe siècle pour que le sultan
ottoman prenne officiellement le titre de calife. Ainsi pour la première fois depuis des siècles, le calife
possède les pouvoirs militaires, politiques et religieux comme aux premiers
temps de l’empire abbasside. La prière du vendredi se dira désormais au nom du
calife ottoman. Istanbul remplace le Caire. L’empire musulman devient turc
…
Après leur victoire contre les Mamelouks, les Ottomans
attaquent de nouveau les chrétiens en Europe. En 1520, Soliman le Magnifique
s’empare de Belgrade puis en 1522, il reprend Rhodes à l’Ordre des
Hospitaliers. La Méditerranée orientale est sous la maîtrise des Ottomans. La Hongrie finit par être
annexée. Les Habsbourg ne sont plus maîtres que d’une bande de plaines et des
montagnes de Slovaquie. En 1529 et en 1532, Soliman est aux portes de Vienne dont il fait le siège en vain. Ces échecs mènent un certain trouble dans
l’empire.
Au Maghreb, au nom du calife ottoman, Barberousse et ses
pirates de Kabylie conquièrent Alger et Tunis. A
partir de ces ports, il menace la Méditerranée
occidentale. Le Maghreb est désormais plus ou moins sous l’influence ottomane. Barberousse menace aussi Malte et la Sicile. Profitant des querelles des puissances
chrétiennes et de la complicité de François Ier, les pirates progressent. Nice
est ravagée, Toulon est prise…
En 1534, Soliman le Magnifique s’empare de Bagdad. L’Azerbaïdjan est conquis en 1536. En 1566, à la mort de Soliman le Magnifique,
l’empire est à son apogée. L’Empire ottoman s’étend à cette date sur les
Balkans, l’Europe centrale, le Moyen-Orient, l’Afrique du Nord hormis le Maroc.
Aux portes de Vienne, il est aussi présent à Tunis, à Bagdad et à Eden. Il représente également une puissance maritime en Méditerranée et en mer Rouge. Ainsi après
les empires arabe (Damas) et perse (Bagdad) se dresse un autre empire, celui
des Turcs (Istanbul).
Le lent déclin de l’Empire ottoman
Mais après la mort de Soliman, l’empire
entre rapidement en déclin. Au niveau militaire, la situation se dégrade progressivement.
En octobre 1571, à la bataille de Lépante, sa flotte est défaite. Sa puissance
maritime est provisoirement remise en cause. La guerre que les troupes
ottomanes mène contre les Autrichiens (1593-1606) les épuise. A l’est, la
situation n’est guère brillante. Les Séfévides s’emparent de nouveau de la
Mésopotamie et de Bagdad.
Le pouvoir est en outre fragilisé par des rébellions, la
corruption et des soulèvements de population. Est-il encore entre les mains des
sultans ? Il est partagé entre les janissaires qui n’hésitent pas à assassiner les sultans et le harem tout puissant dans lequel ils s’enferment. Les sultans perdent aussi
le pouvoir au profit des grands Vizirs, sortes de premiers ministres.
Les grands Vizirs prennent finalement le pouvoir avec force et cruauté et redressent la situation à la fin du XVIIe siècle. En 1669, ils conquièrent la Crète après vingt deux ans de siège. Toute la Méditerranée orientale est désormais sous le contrôle des Turcs. Les forces ottomanes s’enfoncent en Pologne et en Ukraine. Appelées par les protestants hongrois, elles avancent en Autriche. En 1683, Vienne est
de nouveau assiégée. Mais une alliance catholique, sous le commandement du roi
de Pologne, Jean Sobieski, bat l’armée ottomane. L’Empire turc perd des territoires
dont la Hongrie. Pour la première fois, il recule en Europe.
Au XVIIIe siècle, la situation s’empire en dépit des
tentatives de réformes et de modernisations que mènent les sultans. L’Empire
ottoman cède des territoires au profit de l'empire austro-hongrois. Les Séfévides
reprennent le Caucase. Les Russes progressent aussi dans l’Empire ottoman. Leur
avancée inquiète les européens au point que l’empire musulman devient le lieu
d’affrontement entre les puissances de l’Europe. L’Empire ottoman subit ainsi
de nombreuses humiliations. En 1798, Napoléon s’empare de l’Égypte puis avance en
Syrie et en Palestine. « C’était la
première grande incursion d’une puissance européenne au cœur même du monde
islamique, la première fois que ses habitants se trouvaient exposés au nouveau
type de puissance militaire des grands États d’Europe, et à leurs rivalités »[1]. Depuis cette expédition, l’influence des puissances
occidentales grandissent dans l’Empire ottoman.
L’agonie
et le démembrement de l’Empire ottoman
En dépit de nombreuses
réformes militaires, politiques et sociales, l’Empire
ottoman ne parvient pas à se redresser. Sous la pression des puissances
occidentales, la Grèce obtient son indépendance en 1829. Dans les Balkans, des principautés obtiennent une véritable autonomie. Les populations se révoltent. La Serbie et la Roumanie gagnent leur indépendance. L’Égypte acquiert aussi
pratiquement son indépendance avec la naissance de la dynastie de Mohammed Ali. L’Autriche, la Grèce et la Russie s’emparent de
nouveaux territoires. La Grande-Bretagne occupe Chypre. L’Afrique du Nord est
partagée entre la Grande Bretagne, la France et l’Italie.
Au XIXe siècle, en proie à
des difficultés financières et à des révoltes, l’Empire Ottoman continue de se
disloquer lentement. Les puissances européennes s’emparent de zones
d’influences à l’intérieur même de l’Empire. Des communautés sont directement
sous la protection des Européens. La France protège les catholiques, la Russie
les orthodoxes. Les Allemands développent et maîtrisent les chemins de fer
quand les ports et les fleuves sont sous le contrôle des Français et des
Anglais. Les entreprises ottomanes sont contrôlées par des fonds européens. La
banque impériale ottomane, créée en 1863, en charge des finances et des douanes
de l’Empire ottomane, est par exemple dirigée par un consortium franco-anglais.
Au début du XXe siècle,
l’Empire ottoman est un malade à l’agonie. En 1913, les Jeunes Turcs prennent le pouvoir et
dans la volonté de restaurer l’empire, ils s’allient avec l’empire allemand.
Mais le déclin n'est pas enrayé. La légitimité de l'empire est durement remis en cause. Entre 1916 et 1918, une révolte éclate dans la péninsule arabique. Le
chérif de la Mecque veut créer un état musulman. L’Empire ottoman meurt enfin sous les
coups de la Première Guerre Mondiale. Il est démembrée par les puissances
européennes (traité de Sèvre, 1920). Après la suppression du sultanat en 1922,
une république turque est proclamée en 1923. Mustapha Kémal est élu à la présidence de la
République. En 1924, le califat est aboli…
L'islam, le reflet de l'histoire
L’histoire de l'islam et notamment du dernier empire musulman est importante
pour bien comprendre la situation actuelle du monde musulman. A plusieurs
reprises, l’Europe a failli se faire écraser par les troupes musulmanes. De la péninsule arabique, une
première vague a déferlé de manière continue sur l'Orient puis sur l'Occident. Elle a conquis le Moyen-Orient, l’Afrique du Nord et
atteint les Pyrénées. Une deuxième vague a repris sous les Abbassides, progressant
en Afrique, en Inde et jusqu’aux Philippines. Enfin, une
troisième vague a écrasé Byzance et progressivement conquis l’Europe du Sud, la
Hongrie, le Caucase, avançant vers l’Ukraine et la Pologne. Hormis quelques cas
particuliers, l’islam n’a progressé qu’avec les armes. Les vaincus n'ont qu'un choix : se convertir à
l’islam, payer un tribut ou mourir. Beaucoup de chrétiens préféreront se convertir que de
vivre dans la misère ou dans les humiliations.
Le fanatisme religieux, que de bons penseurs trouvent si
nouveau dans l’islam, est le moteur de ses victoires et de son expansion. Les janissaires en sont un
exemple. Les premiers conquérants arabes en étaient peut-être dépourvus,
plus soucieux de butin que de répandre l'islam. Tout change vraisemblablement
avec les Abbassides plus préoccupés de légitimité politique et de pouvoir. La principale force
de l’islam réside dans sa puissance armée.
Mobilisées, les forces musulmanes n'ont guère de difficultés à écraser des empires et des royaumes divisés et épuisés par des luttes internes. Parfois ce sont des chrétiens eux-mêmes qui demandent l'intervention des musulmans ou les laissent progresser pour de vains calculs politiques. Quand
les Ottomans menacent Vienne, le Pape Innocent XI appelle tous les États
chrétiens à venir défendre l’Europe. Seuls le Portugal, quelques cités
italiennes et la Pologne répondent à son appel ! La force des musulmans résident aussi dans la faiblesse de leurs adversaires.
Soliman 1er le Magnifique |
La victoire est essentielle dans l'islam. Le chef n’est légitime que
s’il se montre puissant et victorieux des ennemis de l'islam. Tant qu’il parvient à vaincre et à dominer, il règne.
La moindre défaillance ou faiblesse provoque sa chute. Mais le déclin prend souvent
sa source non dans la défaite des troupes mais dans ses chefs qui se vautrent
dans les harems et désertent le pouvoir pour assouvir leurs plaisirs au profit de leurs gardes, des
sultans ou des vizirs. La guerre leur fournit l’argent nécessaire pour leurs débauches. Faute de
butin ou de tributs suffisants, le système s’écroule. Ainsi faut-il éviter trop de conversions pour
éviter la ruine de l'Empire…
Soulignons enfin le règne éphémère des arabes dans
cette histoire si longue. Rapidement, ils ont laissé leur place aux Perses, aux
Berbères, aux Mamelouks et aux Turcs. Et chaque fois, une nouvelle capitale se substitue à l'ancienne : Damas, Bagdad, Le Caire, Istanbul. Chacune tente alors de se revêtir de sainteté.
Les yeux sont rivés sur le siège du conquérant. Là se trouve la source de
l’islam…
Par la guerre et souvent par la cruauté, les troupes
musulmanes ont donc conquis un vaste empire qui a laissé de nombreux souvenirs et de terribles dévastations. Le temps glorieux de l'islam, bref et éloquent, a depuis disparu, non sans véritables et profondes humiliations. Le XIXe siècle est un siècle terrible pour les musulmans. La disparition du califat en 1924 n'est guère une surprise. Depuis bien des siècles déjà, le
successeur de Mahomet n’avait plus de réalité. Cette histoire n'est pas simplement un souvenir pour l’islam ; l'islam est inséparable de cette histoire, sa compréhension également.
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