" La pierre précieuse, voire de grand prix aux yeux de certains, qu'est l'émeraude, se voit insultée par un morceau de verre habilement truqué, s'il ne se rencontre personne qui soit capable de procéder à un examen et de démasquer la faute. Et lorsque de l'airain a été mêlé à l'argent, qui donc, s'il n'est connaisseur, pourra aisément le vérifier ? "(Saint Irénée, Contre les hérésies)


mercredi 4 mars 2015

Le docétisme

Les témoignages juifs et païens que nous possédons ne remettent jamais en cause l’existence de Notre Seigneur Jésus-Christ. Les critiques s’attachent essentiellement à l’avilir et à attaquer l’enseignement des chrétiens. Pourtant, nous pourrions croire en écoutant certains discours que des chrétiens eux-mêmes, certes hérétiques, ont reconnu qu’il n’a jamais existé et cela dès les premiers temps du christianisme. Ne serait-ce pas par exemple le cas des docètes ?
Les docètes désignent ceux qui adhèrent à l’idée que Notre Seigneur Jésus-Christ n’est pas de nature humaine. Certains d’entre eux prétendent qu’il n’est homme qu’en apparence, faisant semblant de vivre humainement, de souffrir et de mourir. Ils nient donc les dogmes de l’Incarnation et de la Rédemption. Cette tendance hérétique, appelée docétisme, est très important dans l’histoire du christianisme. Il a influencé de nombreux mouvements hérétiques jusqu’au XIIe siècle sans oublier l’islam. Le Coran colporte en effet des légendes qui viennent du docétisme.
Le docétisme n’a pas constitué une hérésie proprement dite comme l’arianisme ou le nestorianisme qui ont constitué un parti, mis en place une église et développé une doctrine. Il est plutôt un trait caractéristique d’un ensemble d’hérésies ou encore un courant de pensée. Il marque surtout certains courants gnostiques du Ier siècle contre lesquels l’Église a combattu. 
Gerard van Honthorst
Adoration des enfants
(1620), Florence
Les différents types de docétisme
Le terme de « docète » provient du verbe grec « dokein » qui signifie « paraître ». Les docètes prétendent en effet que le corps de Notre Seigneur Jésus-Christ n’était pas réel. « Il ne posséderait pas vraiment la chair et le sang »[1]. Il ne serait pas porteur de chair[2]. Le docétisme consiste donc à rejeter la nature humaine du Christ. Cette doctrine est un des points fondamentaux du gnosticisme[12]. Considérant la chair comme étant mauvaise, les gnostiques ne peuvent admettre que Notre Seigneur s’est mêlé à un corps comme le nôtre. Suivant le même principe que la matière renferme un principe mauvais, les cathares nient aussi la nature humaine de Notre Seigneur Jésus-Christ.
Les gnostiques ont développé le docétisme selon deux axes. Soit ils renient toute relation entre le Christ et la chair, le bien ne pouvant se mêler au mal. Toutes les actions de la vie de Notre Seigneur Jésus-Christ, y compris ses souffrances, n'auraient donc été que des apparences. C’est la doctrine de Marcion. Le docétisme est dit strict. Soit ils attribuent au Christ un corps particulier, différent du nôtre. Le corps participe de manière étrange aux souffrances réelles du Christ. Des gnostiques font de son corps un corps astrale et céleste, comme Apelle, ou psychique et spirituel, comme Valentin. Le docétisme, ainsi atténué, est dit partiel.
Nous retrouvons un troisième type de docétisme, plus subtil, développé plus tardivement par des hérétiques. Le docète peut accepter le corps du Christ tout en niant son âme. Le Verbe aurait simplement pris chair, le corps devenant l’habitacle de la Personne divine. Arius semble avoir refusé l’idée que le Christ puisse avoir une âme. Le Verbe se serait joint au corps à la manière de l’âme. Il serait fait chair au sens où Il aurait prit la « chair ». Apollinaire voit aussi dans le Christ une union entre le Logos et le corps. Le corps se serait en quelque sorte divinisé. Ainsi le Logos aurait souffert au moyen de la chair.
Refus des mystères de l’Incarnation et de la Rédemption
Les docètes rejettent naturellement le mystère de l’Incarnation. Selon Apelle, le corps de Jésus n’aurait pas été pris de la matière ordinaire ; il serait descendu du ciel et n’aurait fait que passer par Sainte Marie. Certains docètes prônent aussi la réalité spirituelle de Sainte Marie. Elle serait un ange.
Les docètes ne veulent pas non plus admettre une véritable passibilité de Notre Seigneur Jésus-Christ. Ils refusent la réalité de ses souffrances. Notre Seigneur Jésus-Christ n’aurait subi aucune servitude corporelle. Nous retrouvons ainsi une des causes du rejet du christianisme chez les Païens et les Juifs. La Passion et la Croix ne correspondent pas à leur conception de la divinité. Le Coran refuse aussi les humiliations de la Croix.
Si les docètes n’admettent pas l’existence réelle de Notre Seigneur Jésus-Christ, ils n’admettent pas non plus le mystère de l’Eucharistie, comme nous l’apprend Saint Ignace d’Antioche[3]
Saint Polycarpe, évêque de Smyrne, nous informe aussi qu’ils ne croient pas en la résurrection et au jugement futur[4].
Les défenseurs de la foi contre le docétisme
Saint Jean nous rappelle que « quiconque, en effet, ne confesse pas que Jésus-Christ est venu dans la chair, est un antéchrist » (I. Jean, IV, 2-3). Un de ses disciples, Saint Ignace d’Antioche (vers 35 - vers 110) s’oppose à « certains incrédules [qui prétendent] qu’il a souffert seulement en apparence, eux-mêmes ne vivant qu’en apparence »[5]. Dans ses épîtres, il met les fidèles en garde contre le prosélytisme des docètes. Notre Seigneur Jésus-Christ est « vraiment sorti de la race de David selon la chair […] vraiment né d’une vierge […] il a été vraiment percé de clous pour nous dans sa chair sous Ponce Pilate et Hérode le tétrarque »[6]. Saint Polycarpe ( 69-155) poursuit ce combat, confirmant contre les docètes l’existence en Jésus d’une chair et d’une souffrance réelle.
Tertullien (160-220) combat aussi le docétisme. Le corps de Notre Seigneur Jésus-Christ est bien composé de chair et d’os comme le nôtre. En niant la réalité de son existence en tant qu’homme véritable, les docètes nient les souffrances et la mort de Notre Sauveur. La Rédemption ne serait donc qu’illusion. Notre Seigneur Jésus-Christ est bien de notre race. Il a pris notre corps parce qu’il devait sauver notre corps. Il a aussi pris notre âme pour la sauver. Il est donc homme parfait, partageant nos passions, nos faiblesses, nos infirmités hormis le péché. Il est le nouvel homme, le nouvel Adam.
Saint Ignace d'Antioche
« Si ce n’était pas un homme qui avait vaincu l’adversaire de l’homme, l’ennemi n’aurait pas été vaincu en toute justice. »[7] Sainte Irénée (130-202) montre que si Notre Sauveur n’avait pas été vrai homme, il n’aurait pas pu nous apporter le salut. Il fallait que le Fils de Dieu se fasse vraiment homme pour sauver l’homme. Mais il rajoute que « d’autre part, si ce n’était pas Dieu qui nous avait octroyé le salut, nous le l’aurions pas reçu de manière stable » [8]. Comme l’Église nous l’enseigne et comme l’ont aussi défendu Saint Ignace d’Antioche et Tertullien, Notre Seigneur Jésus-Christ est aussi vrai Dieu. Les défenseurs de la foi ont autant défendu sa nature divine que sa nature humaine sinon la Rédemption n’a pas de sens. Si les docètes ont nié sa réalité humaine, d’autres, comme les ébionites, ont nié sa réalité divine. Tertullien et Sainte Irénée défendent l’enseignement de l’Église contre ces deux hérésies. Le Christ est vrai Dieu et vrai homme.
L’apollinarisme
Au IVe siècle, Apollinaire ( vers 315, vers 390) se demande comment le Verbe incarné peut coexister dans le Christ avec un esprit proprement humain. Comment deux réalités complètes, apparemment opposées, peuvent-elles coexister ensemble dans un seul et même être ? Il a finalement trouvé une réponse à ce dilemme. « Car il est impossible que deux êtres intellectuels et volontaires cohabitent de peur qu’ils ne s’opposent l’un à l’autre par leur volonté et leur activité propres. Par conséquent, le Verbe n’a pas assumé une âme humaine, mais seulement la semence d’Abraham. Car le temple sans âme, sans esprit et sans volonté de Salomon préfigurait le temple du corps de Jésus. »[9] Ainsi il présente la solution d’un Verbe de Dieu jouant le rôle de l’âme dans un corps mortel. Le corps du Christ est en quelque sorte divinisé. « Notre Seigneur et Sauveur a pris de la Vierge Marie un homme incomplet, c’est-à-dire sans esprit »[10].

Mais selon cette solution, Notre Seigneur n’est pas véritablement un homme. « L’humanité est incomplète dans le Fils de l’homme ». Comme le conclue le Pape Saint Damase (vers 305-384), « incomplet est notre salut, parce que ce n’est pas l’homme tout entier qui a été sauvé » [11].

Apollinaire est parfois présenté comme un docète puisque ne possédant pas une humanité complète, Notre Seigneur apparaît être un homme sans l’être véritablement. Il présente une version subtile du docétisme.

Finalement, les docètes n’ont pas nié l’existence de Notre Seigneur Jésus-Christ mais ont refusé de voir en lui un homme dans sa plénitude. Il est donc inutile de se référer à ces hérétiques chrétiens pour nier son existence. Au contraire, ils ont cru Le défendre avec force en Lui ôtant ce qui leur apparaissait une faiblesse inconcevable avec la divinité. Les premiers docètes ont vécu dès le Ier siècle. Dans leurs erreurs, ils témoignent sans aucun doute de l’existence de Notre Seigneur Jésus-Christ…

 Références
[1] Saint Irénée, Contre les hérésies, V, 1, 2 , traduction française par A. Rousseau, les éditions du Cerf, 2001.
[2] Voir Saint Ignace d’Antioche, Smyrne, V, 2, II, 1, III, 1-3.
[3] Voir Saint Ignace d’Antioche, Smyrne, VII, 1.
[4] Voir Saint Polycarpe, Épître aux Philippiens, VII, 1.
[5] Saint Ignace d’Antioche, Smyrne, II dans Histoire des Dogmes, La théologie anténicéenne, J. Tixeront, librairie Victor Lecoffre, 1909.
[6] Saint Ignace d’Antioche, Smyrne, I, 1, 2 dans Histoire des Dogmes, La théologie anténicéenne, J. Tixeront.
[7] Saint Irénée de Lyon, Contre les Hérésies, XVIII, 1.
[8] Saint Irénée de Lyon, Contre les Hérésies, XVIII, 1.
[9] Apollinaire, Fragment 2 cité dans Le Dieu du Salut, chapitre VII, Christologie et sotériologie, Ephèse et Chalcédoine (IVe –Ve siècles), B. Sesboüe, Desclée, 1994.
[10] Cité par le Pape Damase, Fragments de la Lettre à des Évêques d’Orient (vers 374), Denzinger 146.
[11]  Cité par le Pape Damase, Fragments de la Lettre à des Évêques d’Orient (vers 374), Denzinger 146
[12] Voir Émeraude, juin 2013, article "Le gnosticisme au IIe siècle, une hérésie de la connaissance".

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire