Sans une culture qui étend son regard sur les siècles passés, notre
mémoire serait fortement imputée. Nous manquerions la
mémoire du temps. Sans cette mémoire, nous ne pourrions pas être attachés à cette histoire qui a façonné la société dans laquelle nous vivons. Tout serait à la
mesure de notre pauvre vécu. Un événement nous paraîtrait nouveau quand
finalement il ne serait qu’un lointain écho d’une histoire oubliée. Une chose
nous semblerait innovante quand elle ne serait que la résurgence d’une autre
chose produite sous une autre forme. Sans cette mémoire du temps, que
deviendrions-nous ? Un homme sans cesse ballotté, porté par les événements,
croyant voir l’extraordinaire dans ce qui n’est qu’un hoquet de l’histoire.
Sans cette mémoire du temps, nous ne pourrions
finalement pas distinguer l’essentiel, ce qui est inhérent à l’histoire
humaine, de l’éphémère, ce qui est accidentel et sans importance. Nous
passerions comme le temps passe, sans rattacher le présent au passé et sans
prolonger notre regard vers l’avenir. Nous perdrions toute relativité, toute
mesure, tout recul face à l’événement. Un fait d’actualité anodin pourrait
alors prendre des aspects ahurissants alors qu’un fait d’une importance
capitale pourrait passer inaperçu.
Que deviendra alors notre contemporain s’il ne cultive
pas sa mémoire du temps ? Il est baigné dans un monde sur-médiatisé, sur-informationnel, un monde fortement émotionnel. Que devient alors cet homme sans
culture, sans bagage ? Dans le monde difficile et agité que nous
connaissons, l’information circule sans aucune maîtrise et d’une manière
quasi-instantanée. Tout se dit. Tout semble être connu. L’important n’est pas
de faire connaître mais d’attirer. L’action prime sur la réflexion, l’instantanée
sur la profondeur. Comment notre contemporain pourra-t-il exercer l’esprit
critique nécessaire pour démêler l’essentiel du superflu, le vrai du faux, la réalité de l’apparence ? Il est indéniable que dans notre monde en
apparence si ouvert et accessible, l’esprit de jugement doit être très affiné.
Or comment pouvons-nous exercer l'esprit critique et l'esprit de jugement sans un minimum de culture, sans une mémoire du temps conséquente ?
Nous avons l’impression que le temps se hâte tant il
semble se presser d’en finir. Mais tout cela ne vient pas d’un temps qui se
presserait mais d’une succession d’informations qui nous noient et nous captivent.
Les secondes s’égrènent selon une cadence imperturbable alors que nos activités
s’enchaînent à un rythme qui frise parfois la folie. Il est indéniable que plus ce
temps vécu s’accélère plus notre âme doit se détendre vers le passé. Cette
distorsion de l’âme est-elle possible sans la mémoire du temps, sans cette culture
qui lui permet de se raccrocher à un passé de plus en plus lointain et
brumeux ?
Un "homme sans bagage" est une cible de choix pour les
escrocs et les faiseurs de rêve. Marchant comme un étranger, il est plus sensible aux discours démagogiques et à la manipulation.
Déraciné de son passé, de ce passé qui a fait son présent, il vit dans
l’instant. Son bonheur ne consiste qu’à jouir de cet instant. Son rêve est d’y
rester. Comment peut-il alors s’ouvrir à l’éternité ? Sans la mémoire
du temps, la vie n’a plus guère de sens, son existence non plus. Son âme risque
de se perdre dans la plus triste des solitudes, dans celle qui conduit aux
portes de l’abîme…
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