Né en 1263 au sud-est de Turquie,
Ibn Taymiyya est un « théologien »
et juriste de l’islam. De l’école hanbalite, il est parfois considéré comme
« une
personnalité de premier plan dans l’histoire de la civilisation islamique »[1]. Caractérisé
par son intransigeance, il est l’une des sources d’inspiration des mouvements
islamiques contemporains.
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sur l’hanbalisme
L’islam
sunnite reconnaît quatre écoles juridiques[2],
dites aussi madhab. Ce sont les écoles
hanafite, malékite, shaféite et hanbalite. Elles reconnaissent le Coran
et les hadiths comme sources premières du droit musulman. Elles se
différencient sur la place que doit jouer la libre opinion. L’école la plus
intransigeante est l’école hanbalite, fondée par Dan Ahmad Ibn Hanbal (780 -
855). Seuls comptent le Coran et la Sunna comme sources de droit. Il reproche
les autres fondateurs de trop recourir à la démarche rationnelle.
Bagdad |
Ibn Hanbal se méfie de la raison. Il refuse en particulier le raisonnement par analogie, en usage plus ou moins dans les autres écoles. Toute réflexion rationnelle, philosophique appliquée aux questions religieuses est en effet considérée comme déviante et condamnable. Dieu est inaccessible à la raison humaine. Il est donc inutile de justifier le Coran par l’argumentation rationnelle. Il prône alors la littéralité des textes sacrés. Naturellement, il s’est farouchement opposé au mutazilisme Contre ceux qui prétendent que le Coran a été créé, il prêche la doctrine du Coran incréé.
Taymaiyya, disciple du hanbalisme
Fuyant
l’invasion mongole, la famille de Taymaiyya se réfugie à Damas
en 1269, encore aux mains des Mamelouks. Juriste de l’école hanbalite, Ibn
Taymaiyya est fidèle aux idées de son maître. Il désapprouve l’usage de la
raison et de la philosophie dans l’interprétation des textes sacrés. Il prêche
en particulier la volonté toute puissante de Dieu comme à l‘origine et à la fin
de toutes choses. S’opposant à l’influence de l’aristotélisme d’origine païenne
dans l’islam, il s’en prend naturellement à tous les philosophes musulmans dont
Avicennes.
Mais ses discours ne se réduisent
pas à la condamnation de l’usage de la philosophie dans les questions
religieuses. Taymaiyya réveille aussi la méfiance à l’égard des non-musulmans, dénonce
la sincérité de certaines conversions, s’attaquent au chiisme, remet en cause
les relations entre la religion et la politique dans l’islam. Il en appelle
finalement au retour de la pureté de la foi et au djihad. Ses diatribes lui
valent des condamnations et des séjours en prison où il finit par mourir en
1328.
Un
disciple intransigeant
Taymaiyya
se montre très virulent à l’égard des gens du Livre, en particulier les
chrétiens, et des Mongols. Aux infidèles, il prône une très grande fermeté.
« Les gens du Livre ne sont
autorisés à séjourner en territoire musulman contre le paiement de l'impôt de
capitation, que dans la mesure où les musulmans ont besoin de leurs services.
Mais le jour où ce besoin ne se fera plus sentir l'Imam est autorisé à les
exiler, comme le Prophète avait déjà exilé les juifs de Khaybar ». Il
dénonce toute complaisance à l’égard des juifs et des chrétiens. « Les musulmans doivent se garder de tout ce
qui pourrait les faire ressembler aux gens du Livre. Ils ne doivent jamais
s'associer à leurs fêtes ». Il stigmatise la faiblesse du régime des
Mamelouks à leur égard.
Aux
Mongols, Taymaiyya déclare le djihad. Certes ils se sont convertis à l’islam mais
le juriste fait une distinction entre le vrai et la faux musulman. Il dénonce
en effet la conversion en apparence des Mongols puisqu’ils obéissent davantage
à leurs lois héritées de Gengis Khan qu’à la loi musulmane. Par ailleurs,
ils ont attaqué un pays musulman. Il est donc naturel de les combattre.
Taymaiyya
s’oppose au soufisme qu’il considère comme un mouvement hérétique. Il condamne
les grands mystiques dont Al Arabi. Il reproche à ce dernier de prôner comme
but de toute vie une assimilation de l’homme en Dieu alors qu’il définit comme
véritable but l’obéissance à la volonté divine. Il critique aussi l’idée qu’un
saint peut être plus éminent que le prophète comme le croient les soufistes.
Cependant, son opposition au soufisme fait l’objet d’un débat entre les experts
musulmans. Effectivement, il est difficile de comprendre cette opposition
lorsque nous savons qu’il a été enterré dans un cimetière soufiste.
Taymaiyya
rejette le culte des saints, une pratique très répandue à son époque chez
certains musulmans. Car Dieu ne peut partager sa souveraineté conformément à la
doctrine hanbalite. Il s’en réfère au coran. « Dieu a maudit les Juifs et les Chrétiens qui ont fait des tombes de
leurs prophètes des lieux de prière ».
Taymaiyya
prône donc le djihad contre les hérétiques. Tous ceux qui ne peuvent y
participer sont alors exclus de la communauté musulmane. Le principal combat
qui prône est donc contre les déviants de la foi, notamment les chiites.
Taymaiyya est surtout connu pour ses
réfutations contre le chiisme et plus particulièrement contre la thèse selon
laquelle l’imamat est l’exigence la plus importante parmi les articles de
religion. Selon le chiisme, l’imam est le guide infaillible, spirituel et
politique de la communauté musulmane. Il est inspiré par Dieu. Il s’est incarné
en Mahomet avant que ce dernier ne l’institutionnalise. La lumière divine passe
d’imam en imam selon les liens familiaux.
Taymaiyya multiplie les arguments
pour montrer que la doctrine chiite est fausse et dangereuse. Comme nous
l’évoquerons au chapitre suivant, une communauté obéit à un chef tant qu'il applique la loi religieuse. Sa légitimité ne repose pas sur une filiation. Évidemment,
le chef doit être capable de diriger la communauté musulmane.
La forme du pouvoir n’est pas non
plus important puisque Mahomet ne l’a pas défini. Seul compte la religion. Dans
son argumentation, il va plus loin encore. Le chef ne représente pas Dieu sur
terre. La souveraineté divine est en fait incarnée dans la communauté des
musulmans, l’Ouma[3].
Si Dieu lui a envoyé le Prophète, c’est qu’elle a été élue par Dieu. « Les Musulmans donc,
puisque Dieu en a fait ses témoins, ne sauraient commettre un faux témoignage.
S’ils témoignent qu’une chose a été ordonnée par Dieu, c’est qu’elle l’a été ;
s’ils témoignent qu’une chose a été interdite par Dieu, c’est qu’elle l’a été.
S’ils avaient témoigné le faux, ou par erreur, les Musulmans n’auraient pu être
considérés comme les témoins de Dieu sur cette terre. Dieu a au contraire
purifié leur témoignage, comme il l’a fait pour les Prophètes, en établissant
la sincérité de leur transmission. Il a proclamé que les Prophètes ne lui
attribuent que la Vérité ; de même, sa communauté ne témoigne à Son égard qu’en
toute Vérité. »[4]
Néanmoins, ne faisons point d’anachronisme. La communauté musulmane ne
représente pas Dieu, le calife non plus. Toute idée de vicariat ou de
représentation divine est nettement rejetée. Le calife ne peut qu’être le
successeur ou le vicaire du prophète.
Il présente aussi le chiisme comme
une secte inventée par les adversaires de l’islam pour le nuire de l’intérieur[5].
Finalement, Taymaiyya prononce une
fatwa, un avis juridique qui a force de loi religieuse : « Les adeptes du dogme imâmite sont des
hérétiques, athées et ennemis de l’islam. »[6]
Cette sentence est équivalente à une condamnation à mort.
Sa position est d’une extrême sévérité. « Il
y a un consensus de l’ensemble des ulémas de l’islam sur le fait que toute
tendance qui s’abstient d’appliquer serait-ce un seul principe implicite et
authentique de l’islam, ce qui est le cas des imamites, doit être détruite afin
de purifier la religion. » [7]
Lors
de ses attaques contre le chiisme, Taymaiyya définit clairement les relations
entre la religion et la politique dans l’islam. La religion est le fondement du
pouvoir politique et temporel. Le musulman doit obéir au pouvoir politique tant que ce
dernier demeure fidèle aux prescriptions religieuses. La religion et la politique sont aussi inséparables. « Il faut donc savoir que l’exercice d’une fonction
publique constitue l’un des devoirs les plus importants de la religion ; la
fonction publique, ajouterons-nous, est indispensable à l’existence même de la
religion. » [8]
Selon les propos coranique, Mahomet s’est affirmé comme un « serviteur envoyé » et non comme un « prophète roi », ce qui signifierait que la religion est fondement du politique. L’autorité politique doit donc agir par la religion et pour la religion. Elle doit garantir l’islam et se conformer à la charia. Les institutions étatiques doivent aussi répondre aux exigences religieuses. Et c’est sur cette finalité que repose la légitimité d’un chef politique. Si les lois humaines remplacent les lois religieuses, l’autorité politique devient alors idolâtre et apostat.
Certes pour les questions de détail,
il demande le recours au principe de consultation. Après délibération,
l’autorité musulmane doit cependant demeurer orientée vers l’application de la
loi religieuse. D’où l’importance des oulémas dans la vie politique de l’État.
Ces derniers peuvent guider les autorités, dénoncer l’irrespect des lois
religieuses et contester leur légitimité.
Sa
théologie politique est influencée par la situation de l’islam au XIIIe siècle.
Les pouvoirs politique et religieux semblent être distincts. Dans l’empire
musulman des mamelouks, le premier appartient au calife, le second au sultan. Le
sultan ne possède pas de légitimité contrairement au calife. C’est pourquoi il
prend officiellement son pouvoir auprès du calife lors d’un cérémonial. Mais en
vérité, son véritable pouvoir, il le tient en fait de ses capacités militaires
et de son influence. Le sultan agit indépendamment du calife. Dénué de tout
pouvoir politique, le calife n’est qu’un symbole qui entérine l’autorité du
sultan. Le pouvoir politique
a besoin du prestige et de la légitimité qu’apporte le califat. Cependant, le
sultan est aussi déclaré défenseur de la foi et tente de contrôler ce qui
relève de la foi.
Le retour aux anciens
Enfin, Taymaiyya insiste sur la
pureté de l’islam et sur le rôle joué par les martyrs dans sa défense. « Les vrais sunnites sont ceux qui suivent le
véritable islam pur de toute altération [...]. Parmi eux sont les martyrs. C'est d'eux que le Prophète a dit :
« Une fraction de ma communauté ne
cessera de proclamer la vérité. Aucun de ceux qui la combattront ou refuseront
de la secourir ne pourra lui nuire et il en sera ainsi jusqu'au jour de la
Résurrection ».
Taymaiyya présente l’instabilité et
la division du monde musulman comme un châtiment divin. Pour retrouver la splendeur
du temps passé, il demande une application de la loi religieuse. En clair, il
présente « la réussite matérielle
des musulmans dans le monde ici-bas comme un résultat de la bonne application
de la charia »[9].
Il en appelle ainsi à un retour à la foi originelle et à une profonde réforme.
Fidèle à l’hanbalisme, Taymaiyya
refuse l’usage de la démarche rationnelle pour toute question religieuse, mais
il se montre particulièrement virulent et intransigeant pour dénoncer toute
tiédeur et déviation par rapport à l’interprétation littérale du Coran. Il
étend les principes de son maître à la politique, prônant la subordination du
politique à la religion et donc la participation des autorités religieuses dans
la conduite de la politique. Au XIXe siècle, ses idées seront reprises et
inspireront le fondateur du wahhabisme…
Références
[1] Caterina Bouri, Théologie politique et Islam à propos d’Ibn Taymiyya (m. 728/1328) et du sultanat mamelouk dans Revue de l’histoire des religions, 1 / 2007, mis en ligne le 1er mars 2010, consulté le 11 octobre 2012, http://www.revues.org.
[2] Voir Émeraude chrétienne, février 2014, article « Les différences interprétations du droit musulman».
[3] Voir Caterina Bouri, Théologie politique et Islam à propos d’Ibn Taymiyya (m. 728/1328) et du sultanat mamelouk dans Revue de l’histoire des religions.
[4] Ibn Taymiyya, cité dans Caterina Bouri, Théologie politique et Islam à propos d’Ibn Taymiyya (m. 728/1328) et du sultanat mamelouk dans Revue de l’histoire des religions.
[5] Voir Mrani Mouyal Rachid, thèse de doctorat, La géopolitique du conflit confessionnel au Moyen-Orient : le wahhabisme et le chiisme duodécimain, 13 janvier 2014.
[6] Ibn Taymiyya, Minhaj as-sunna an-nabawiya(Le chemin de la tradition prophétique), cité dans La géopolitique du conflit confessionnel au Moyen-Orient : le wahhabisme et le chiisme duodécimain, 13 janvier 2014.
[7] Ibn Taymiyya, Minhaj as-sunna an-nabawiya(Le chemin de la tradition prophétique), cité dans La géopolitique du conflit confessionnel au Moyen-Orient : le wahhabisme et le chiisme duodécimain, 13 janvier 2014.
[8] Taymaiyya, La politique conforme à la Loi religieuse, cité dans Caterina Bouri, Théologie politique et Islam à propos d’Ibn Taymiyya (m. 728/1328) et du sultanat mamelouk dans Revue de l’histoire des religions.
[9] Mrani Mouyal Rachid, thèse de doctorat, La géopolitique du conflit confessionnel au Moyen-Orient : le wahhabisme et le chiisme duodécimain, 13 janvier 2014.
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