" La pierre précieuse, voire de grand prix aux yeux de certains, qu'est l'émeraude, se voit insultée par un morceau de verre habilement truqué, s'il ne se rencontre personne qui soit capable de procéder à un examen et de démasquer la faute. Et lorsque de l'airain a été mêlé à l'argent, qui donc, s'il n'est connaisseur, pourra aisément le vérifier ? "(Saint Irénée, Contre les hérésies)


lundi 16 février 2015

Les théories du développement du christianisme : Harnack, Loisy et Burtmann

De nombreuses théories remettent en cause la véracité de la Sainte Écriture. Lorsque nous écoutons les idéologues de l’éducation nationale, nous constatons que lorsqu’ils parlent de faire apprendre aux enfants le fait religieux, ce sont ces théories qu’ils veulent diffuser. Les religions ne seraient que des inventions, des idéalisations, de la mythisation. Récemment, nous avons découvert une nouvelle publication de la Vie de Jésus de Renan. Ce livre a connu un succès considérable au XIXe siècle. Cet ouvrage est le symbole du rationalisme et du positivisme appliqué au christianisme. Se voulant scientifique, refusant tout élément surnaturel, il réduit Notre Seigneur Jésus-Christ à sa dimension humaine. « Jésus annonçait le royaume, et c’est l’Église qui est venu. » Le slogan de Loisy demeure encore bien vivace chez tous ceux qui veulent mépriser ou affronter notre foi. Nous allons désormais nous attarder sur trois représentants de la théorie d’idéalisation : Harnack, Loisy et Bultmann

Hanarck, l’essence du christianisme

Harnack est un protestant allemand, grand érudit du christianisme. Selon cet historien de renommé international, le christianisme n’a duré car il a su évoluer à plusieurs reprises tout en gardant son essence au cours de son évolution.  Or par principe, l’évolution implique des transformations, des pertes et des ajouts, des choix plus ou moins conscients, des renoncements. « Dans l’histoire, on n’a rien pour rien, et un grand mouvement se paye chèrement. »[1]


Harnack (1851-1930)
Il reprend l’idée que les premiers chrétiens auraient reporté sur Notre Seigneur Jésus-Christ leurs espérances messianiques traditionnelles. L’Évangile aurait ensuite été refondu par Saint Paul pour répondre aux aspiration des jeunes communautés chrétiennes. Il aurait transformé la mort humiliante de Notre Seigneur en une glorification salvifique. Puis les dogmes seraient devenus nécessaires pour sauver l’Église de l’hellénisme et du gnosticisme. Cette dogmatisation reposerait sur l’illusion « qu’on possède l’essence d’une religion quand on possède des formules exactes ».

Mais il existe des évolutions plus ou moins légitimes. Elles doivent correspondre à l'« essence du christianisme ». Harnack voit par exemple dans les Églises orthodoxes et catholiques un fourvoiement, un prolongement de l’histoire de l’empire romain alors qu'il présente le protestantisme comme une redécouverte de l’essence du christianisme. Mais ce christianisme réformé n’évite pas non plus l’erreur qu’aurait commise l’Église catholique : une tendance de fixer la religion. Car effectivement, Harnack conçoit, nous semble-t-il, le christianisme comme un mouvement continu dont la fixation conduirait inévitablement à l’erreur.

De ce mouvement aux multiples étapes, l’important pour Harnack serait donc de déterminer l’essence du christianisme, c’est-à-dire ce qui ne varie pas au grès du temps, ce qui a toujours existé. Il faut discerner la sève et le noyau de l’écorce. Tel est le travail qu’il s’est fixé en tant qu’historien du christianisme. Ainsi, « croyant retrouver dans la foi au Dieu Père le message essentiel de Jésus, l’auteur expurgeait l’Évangile de tout élément dogmatique, hiérarchique et cultuel. Puis, appréciant au nom de ce critère les formes historiques du christianisme, il écartait dédaigneusement l’Église comme une altération de la pure doctrine évangélique, son dogme n’étant qu’un produit de l’esprit grec et son organisation un décalque de l’empire romain. »[2]

Ainsi « le temps n’est pas seulement le cadre dans lequel se manifeste la puissance divine ; il permet à l’essence originelle du christianisme de développer ses virtualités dans des formes grâces auxquelles nous pouvons, à chaque moment, la saisir de façon plus ou moins plénière. Ainsi a-t-il une valeur non point négatif ou ambiguë mais dialectique. […] Indispensables pour l’Évangile, les formes qu’il revêt sont toutes frappées d’une relativité qui les condamne d’autant plus impérieusement qu’elles se sont acquis un plus grand prestige, à l’abri duquel elles prolifèrent et se pétrifient. » La conclusion est évidente : « on ne peut pas parler en termes de vérités dogmatiques mais seulement de nécessités historiques et d’utilité religieuse. »[3]

Pour résumer la thèse d’Harnack : dans le développement du christianisme, seul l'essence du christianisme est vraie. Or le dogme est une expression figée de ce développement. Il n'appartient pas à l'essence du christianisme. Il est donc relatif. Le point important du chrétien est alors de chercher son essence qui reste immuable. Plus il serait proche de l'essence du christianisme, plus il s'approcherait de la véritable religion. Le protestantisme serait le plus fidèle à cette essence. Son œuvre est en effet apologétique…

Loisy, le développement du christianisme

Loisy (1857-1940)
Pour répondre à sa théorie, Loisy écrit un ouvrage intitulé L’Évangile et l’Église. Comme Harnack, il se place sur le plan de l’histoire mais sans chercher à en faire une œuvre apologétique, nous dit-il. « On n’entend pas démontrer ici la vérité de l’Évangile ni celle du christianisme catholique, mais on essaye seulement d’analyser et de définir le rapport qui les unies dans l’histoire. »[4]

Loisy développe l'idée que le christianisme absolu n’est pas dans une prétendue essence immuable mais dans sa vie elle-même. Cette vie se développe sans se compromettre si le christianisme demeure fidèle à ses principes internes. Par conséquent, le christianisme est vivant au sens où il se réalise avec le temps. « L’Évangile n’est donc pas une doctrine absolue et abstraite, directement applicable par sa propre vertu à tous les hommes de tous les temps, mais une foi vivante, engagée de toutes parts dès sa naissance dans le temps et le milieu où elle vit et dure. » [5]

Contrairement à la thèse d’Harnack, le développement du christianisme est sa loi. Le christianisme se réalisant en effet avec le temps, il devient ce qui a besoin d’être. Le développement du dogme est un aspect de la croissance de l’Église. Il est « fatal, donc légitime en principe » [6]. Les dogmes ne sont pas contenus dans l’Évangile mais ils sont apparus nécessaires. « L’historien y voit l’interprétation de faits religieux, acquise par un laborieux effort de la pensée théologique. »[7] L’Évangile n’aurait pas constitué la religion mais simplement un mouvement religieux qui par évolution serait devenu religion structurée. Loisy refuse donc de voir dans les Évangiles des documents historiques et des œuvres littéraires. Ce ne sont que des témoignages de foi. Il voit alors dans le catholicisme la véritable vie du christianisme.

Burtmann (1884-1976)
L’École des formes

Au début du XXe siècle, une nouvelle critique apparaît contre l’historicité des Évangiles. Au fond des faits et des récits que relatent les Évangiles se trouvent en fait des éléments historiques primitifs auxquels se sont mêlés des éléments nouveaux que les générations de chrétiens ont ajoutés. Elle forme une école, appelée École des formes ou encore en allemand « Formeschichte », dont le principal représentant est Bultmann, théologien protestant. Elle a été très populaire chez les progressistes catholiques.

L’École des formes isole du Nouveau Testament des unités littéraires, des « formes », qu’elle classifie et dont elle essaie de déterminer le milieu d’origine et la transmission. La forme d’un texte est en effet en rapport avec la fonction qu’il doit remplir dans un milieu précis (social, liturgique). La forme et la fonction commandent alors son contenu.

A partir des formes, elle prétend donc rechercher les éléments historiques primitifs. Il s’agit de retrouver l’évangile prêché, de reconstruire la tradition orale. Pour remonter à cette tradition orale, l’École des formes refuse toute authenticité des Évangiles. Ils ne sont que des juxtapositions de recueils indépendants qui ont été placés dans un cadre. Ils ne seraient que le fruit d’une création collective

Par conséquent, les Évangiles ne permettent pas de saisir le vrai Jésus, le Jésus de l’histoire. Il nous serait alors inaccessible par les écrits actuels. Par conséquent, la démarche critique influencée par le rationalisme et le positivisme appliquée aux écrits est vouée à l’échec. Il s’agit donc de retrouver leurs origines. « Il ne s’agit plus de se préoccuper des sources écrites, mais de remonter le cours de la tradition jusqu’à ses origines : l’évangile prêché »[8].

Bultmann voit aussi dans les Évangiles le témoignage de la foi et non des biographies. La Sainte Écriture est constituée de mythes dans le but de décrire non pas le monde tel qu’il est mais l’homme tel qu’il se comprend. Tout énoncé de Notre Seigneur est un énoncé sur l’homme. Elle doit donc être comprise d’une façon anthropologique ou encore de manière existentielle. Il y a donc un travail de démythologisation. Le théologien est profondément influencé par l’existentialiste Heidegger. Selon Bultmann, la foi est en effet d’ordre existentiel : croire, c’est se comprendre devant Dieu.

Les disciples de Bultmann réagissent à la dichotomie induite par la pensée de leur maître. Séparer le Jésus de la foi du Jésus de l’histoire transforme le christianisme en un vaste mythe. La foi exige leur identité. Tout en admettant que les Évangiles ne peuvent être des biographies objectives, Käsemann (1906-1998) définit des critères pour discerner ce qui est historique dans les Saintes Écritures. Il en conclut que Notre Seigneur Jésus-Christ a revendiqué une autorité divine. Selon Bornkamm (1905-1990), ce n’est pas la foi des chrétiens qui a créé l’autorité de Notre Seigneur mais bien son autorité qui a suscité la foi des chrétiens.

Harnack, Loisy ou encore Bultmann renient notre capacité de connaître Notre Seigneur Jésus-Christ tel qu’Il est décrit dans les Évangiles ou dans l'enseignement de l'Église. Sous couvert d’une démarche rationnelle, ils décrivent le christianisme comme développement purement humain et nécessaire de la religion ou comme manipulation plus ou moins consciente. Ce que nous adorons, professons, adorons serait donc faux, un être purement idéalisé. Il y aurait donc deux solutions : 
  • soit accepter notre impossibilité de connaître Notre Seigneur Jésus-Christ, ce qui reviendrait à abandonner notre foi ou à la vider de sa réalité, ce qui revient au même ;
  • soit chercher au travers des écrits ce qu’il aurait été, ce qui revient à démonter le christianisme pour reconstruire une autre religion et relativiser notre foi

Or « la foi exige le réalisme de l’événement »[9]. Elle ne peut subsister si le Jésus de l'histoire est dissociée du Jésus de la foi. La foi est fondée sur une réalité historique et non sur une quelconque idéalisation.

Des « vies de Jésus » sont ainsi écrites non selon la vérité mais selon la philosophie de leur auteur, répandant des opinions sous couvert de la science et de la raison.







Références
[1] Hanarck cité dans Histoire, dogme et critique dans la crise moderniste, Émile Poulat, 1ère partie,I, Albin Michel, édition de poche, 1996.
[2] Rivière, Le modernisme dans l’Église cité dans Histoire, dogme et critique dans la crise moderniste, Émile Poulat.
[3] E. Poulat, Histoire, dogme et critique dans la crise moderniste, 1ère partie, I.
[4] Loisy, L’Évangile et l’Église cité dans Histoire, dogme et critique dans la crise moderniste, Émile Poulat, 1ère partie, II.
[5] E. Poulat, Histoire, dogme et critique dans la crise moderniste, 1ère partie, I.
[6] Loisy, L’Évangile et l’Église cité dans Histoire, dogme et critique dans la crise moderniste, Émile Poulat, 1ère partie, II.
[7] Loisy, L’Évangile et l’Église cité dans Histoire, dogme et critique dans la crise moderniste, Émile Poulat, 1ère partie, II.
[8] Abbé Bernard Lucien, Apologétique, éditions Nuntiavit, 2011, Voir Latourelle, L’accès à Jésus par les évangiles, Desclée/Bellarmin, 1978.
[9] Intervention du cardinal Ratzinger, préfet de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi à l’occasion du centenaire de la constitution de la Commission biblique pontificale, Rome, le 29 avril 2003 cité dans Jésus au risque de l’histoire de Père Henri de l’Eprevier , revue Résurrection, mi-juin 2009.

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