« L’Église a réécrit l’Histoire » [1]. Il
n’est pas rare de trouver certains ouvrages décrire le christianisme comme une
construction, voire une « revisitation »
de l’histoire. Le récit de ses origines aurait été revu ou imaginé pour être
acceptable aux yeux de tous, surtout depuis qu’il se serait déclaré universel.
La Sainte Écriture et tous les documents qui attestent son existence auraient
été manipulés pour des motivations idéologiques ou pour répondre à des
nécessités religieuses ou politiques. En un mot, le christianisme actuel est vu
comme une déformation du christianisme primitif au cours de l’histoire. Deux
thèses semblent être bien répandues. La première thèse prétend que les faits
historiques auraient été mal interprétés par les disciples de Notre Seigneur
Jésus-Christ au point de les avoir déformés de manière inconsciente. La seconde
thèse suggère que cette même interprétation a évolué au cours du temps pour
répondre aux besoins de l’Église. Ainsi existerait-il un Jésus de l’histoire et
un Jésus de la foi, un Jésus du passé et un Jésus des dogmes, un Jésus vrai et
un Jésus idéal. Telles sont les nombreuses idées que nous retrouvons
régulièrement dans de nombreuses discours [2].
Comme
nous l’avons souvent remarqué, ces attaques contre le christianisme ne sont pas
nouvelles. Déjà le philosophe Porphyre a cherché à séparer le Jésus de
l’histoire du Jésus des chrétiens [8]. Cependant, leur objectif a évolué. L’intention
première de Prophyre était de montrer que les chrétiens étaient des
menteurs. Il ne pouvait en effet concevoir Notre Seigneur tel que l’Église le
présentait puisqu'il s’opposait fondamentalement à sa conception païenne et
helléniste de la divinité. Comment un dieu peut-il se laisser
crucifier dans de véritables humiliations ? Aujourd'hui, l’objectif est différent.
En établissant la distinction entre la réalité historique et les énoncés
dogmatiques, on cherche toujours à attaquer l’enseignement de l’Église, non
plus par dénigrement mais en relativisant les vérités de foi en
vue de modifier le christianisme, de le reconstruire, de l’adapter à des
pensées étrangères. Il ne s’agit donc plus de remettre en cause la sincérité
des chrétiens mais de faire évoluer la valeur de leur foi. Contrairement aux
discours actuels imprégnés de progressisme, c’est aujourd'hui qu’on tente de
reconstruire le christianisme et non au cours de l'histoire. Or
la distinction entre le Jésus de l’histoire et le Jésus de la foi n’est
possible qu’en remettant en cause le récit des Évangiles et les écrits des Apôtres,
c’est-à-dire la véracité de la Sainte Écriture.
Les
attaques contre la véracité des Saintes Écritures ne sont pas nouvelles. Sans
remonter jusqu'à l’antiquité, nous pouvons commencer par citer la thèse d’Hermann
Samuel Reimarus (1694 ?-1768), professeur de langue orientale à l’université
de Hambourg. Sa thèse est connue grâce à Lessing qui a édité des fragments d’un
de ses ouvrages [3].
Déiste anglais, il applique un rationalisme radical à l’égard des Évangiles. Reimarus
voit en effet Jésus comme un juif qui a combattu les Romains pour libérer les
juifs de leur domination. Messie politique, il échoue dans son projet. Il meurt,
délaissé par tous, dans le désespoir. La croix manifeste son échec. Ses
disciples ont alors tout inventé, notamment pour vivre commodément aux frais de
leurs fidèles.
Cette
thèse a déjà été proposée par Baruch Spinoza (1632-1677). Voltaire, Diderot et Frédéric II l'ont ensuite utilisée. La distinction entre la réalité
et les Évangiles viendrait donc des premiers chrétiens. « On trouve chez lui le germe de la séparation
entre la réalité de Jésus et la prédication de l’Église primitive. »[4] Notons
qu’elle serait consciente et purement vénale.
La
théorie de l’exagération
Un
autre courant ne voit aucune fraude dans le Nouveau Testament mais des
altérations involontaires, voire inconscientes. Selon H.E. Gottlob Paulus
(1761-1851), tout serait vrai dans le Nouveau Testament mais certains faits auraient
été exagérés. L’imagination des Orientaux aurait donné à certains faits
ordinaires un caractère de merveilleux. Tel serait l’origine des miracles. Tout
s’expliquerait donc naturellement. Jésus aurait été un ingénieux médecin. Ses
compétences médicinales expliqueraient ainsi un grand nombre de miracles.
D'autres relèveraient de l’illusion ou de confusions.
La
théorie de l’idéalisation
Une
théorie plus sérieuse est celle de la mythisation ou l’idéalisation. « David Friedrich Strauss (1808-1874)
introduit la catégorie du mythe pour la compréhension de l’Évangile. » [5] Certains
faits des Évangiles seraient des mythes que les premiers chrétiens auraient élaborés
pour magnifier l’image de Jésus comme Messie. Les chrétiens ne peuvent en effet
être des témoins impartiaux. A cause de leur ferveur et toujours sous l’effet
de l’imagination, une image idéale de Notre Seigneur se serait formée,
différente de la réalité historique. « Les
évangiles sont considérés comme les enveloppes mythiques de l’idée que l’on
veut se faire de Jésus. Ils ne nous apprennent rien sur l’histoire. »[6]
Nous
retrouvons cette théorie de l’idéalisation chez Ernest Renan (1823-1892). Les
Évangiles ne seraient que des légendes développées au cours du temps à partir
d’un noyau historique. La cause serait le lyrisme imaginatif des premiers
chrétiens. « Dans quelles conditions
l’enthousiasme, toujours crédule, fit-il clore l’ensemble de récits par lequel
on établit la foi en la résurrection ? […] Disons simplement que la forte imagination de Marie de Magdala joua
dans cette circonstance un rôle capital. Pouvoir divin de l’amour !
Moments sacrés ou la passion d’une hallucinée donne au monde un Dieu
ressuscité ! »[7]
Ces deux dernières théories ne remettent pas en cause la sincérité des
évangélistes mais tendent à refuser et à éliminer tout élément surnaturel en
l’attribuant à un travail plus ou moins conscient des chrétiens. Elles partent en effet du principe que le surnaturel n’existe pas. Ainsi les
Évangiles ne seraient pas des livres historiques mais des livres d’édification.
La
théorie de la signification
Plus
pernicieux, Martin Kähler (1835-1912) introduit la distinction devenue
classique entre les faits bruts du passé, qui ne seraient accessibles que par
la science de l’histoire, et les significations données aux faits, qui aurait
une valeur permanente. Selon cette distinction, les Évangiles ne décriraient
pas la réalité historique mais donneraient la signification que lui ont donnée
les premiers chrétiens. Il est en ce sens historique. Ils nous renseigneraient
sur ce que pensaient les premières communautés et non sur les faits en
eux-mêmes. Selon cette distinction, William Wrede a émis l’idée que les
évangélistes ont fait œuvre de théologien et non d’historien.
Ferdinand
Christian Baur (1792-1860), fondateur de l’École critique de Tübingen, voit dans l’Évangile des déformations qui
proviendraient de deux tendances de l’Église primitive, une tendance
judaïsante, le pétrinisme, et une tendance de l’hellénisme, le paulinisme. Selon
l’École critique de Tübingen, le Nouveau Testament serait l’aboutissement d’un
effort de conciliation entre le pétrinisme et le paulinisme. L’un des disciples de cette école, Bruno Bauer (1809-1882), en
vient même à nier complètement l’historicité de Notre Seigneur Jésus-Christ. Le
christianisme serait la synthèse entre des éléments gréco-romains et
judaïques. L’hégélianisme et sa méthode
dialectique les ont influencés.
Les
théories que nous venons brièvement de résumer ne s’opposent pas en général
contre l’existence de Notre Seigneur Jésus-Christ mais opposent le Jésus historique du Jésus des
Évangiles. Elles prétendent alors par l’emploi des méthodes critiques retrouver
le véritable Jésus, notamment en expurgeant dans le Nouveau Testament tout
élément surnaturel. L’emploi d’une démarche rationnelle permettrait alors de
découvrir les mensonges ou les erreurs et de rétablir la vérité, c’est-à-dire
de revenir aux sources du christianisme. En un mot, la raison serait capable de
revenir à un christianisme authentique en différenciant le Christ de l’histoire
du Christ de la foi.
Certes
la théorie de la fraude n’est plus admise par les critiques sérieux. Le temps
où les Saintes Écritures étaient considérées comme un tissu de mensonges et
d’impostures est terminé. C’est déjà une belle victoire que nous oublions
parfois de rappeler. Mais de nouvelles théories plus dangereuses encore sont venues
remplacer cette vieille attaque devenues inopérantes. Elles distinguent
aujourd'hui la sincérité de la véracité des Saintes Écritures. Les Livres
saints ne seraient plus historique au sens qu’ils décrivent exactement des
récits du passé mais soit répondent à un but particulier (apologétique,
édification), soit reflètent la foi d’une communauté. En un mot, ils ne
seraient pas d’origine divine. Ils nous permettraient aussi de connaître le christianisme tel qu'il était perçu. C’est uniquement en ce sens qu’ils
sont dits historiques. Par conséquent, selon ces thèses, il serait faux d’y
voir des vérités absolues et encore moins des vérités révélées. De telles
théories conduisent finalement à la destruction de la foi.
Références
[1] Mordillat, Le Point, 25 mars 2004 cité dans Historiquement incorrect de Jean Sévilla, chapitre 1, Fayard, 2011.
[2] Récemment encore, le Monde de la Bible en fait son thème.
[3] Hermann Samuel Reimarus, Apologie pour ceux qui honorent Dieu rationnellement. Lessing en édite trois fragments en 1774, 1777 et 1778, cité dans Apologétique , La crédibilité de la Révélation divine transmise aux hommes par Jésus-Christ, abbé Bernard Lucien, éditions Nuntiavit, 2011.
[4] Selon Fisichella, La Révélation et sa crédibilité. Essai de théologie fondamentale, Le Cerf, 1989 dans Apologétique , La crédibilité de la Révélation divine transmise aux hommes par Jésus-Christ, abbé B. Lucien.
[5] Abbé B. Lucien, Apologétique, La crédibilité de la Révélation divine transmise aux hommes par Jésus-Christ.
[6] Père Henri de l’Eprevier, Jésus au risque de l’histoire, revue Résurrection, mi-juin 2009.
[7] E. Renan, Vie de Jésus, édition 13, cité dans Apologétique , La crédibilité de la Révélation divine transmise aux hommes par Jésus-Christ, abbé Bernard Lucien.
[8] Émeraude, Contre Porphyre, un philosophe antichrétien redoutable, novembre 2014
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