Tacite
mentionne Jésus une fois à l’occasion du récit de l’incendie de Rome sous
Néron. « Aussi, pour faire cesser
ces rumeurs, [Néron] accusa les chrétiens qui étaient haïs pour leurs
abominations, les chargea de cette culpabilité, et les punit par toutes sortes
de tortures affreuses. Ce nom leur vient de Christ, qui fut mis à mort par
Ponce Pilate, procurateur de Judée sous le règne de Tibère ; mais la
superstition pernicieuse qui fut réprimée pour un temps perça de nouveau, pas
seulement en Judée où le méfait tenait ses origines, mais aussi dans la cité de
Rome, où tout ce qu’il y a d’affreux et de honteux dans le monde afflue et
trouve une nombreuse clientèle. »[1]
Le
passage est largement jugée authentique. Il nous informe de l’époque de la mort
de Notre Seigneur, de l’ordre d’exécution et de l’existence du mouvement
chrétien avant l’exécution.
Cependant,
sûr de ses connaissances, le monde pourrait nous apprendre que Ponce Pilate
n’était pas procurateur mais préfet de Judée. Ce détail pourrait remettre en
cause la fiabilité du texte. En fait, l’exacte titulature de Ponce Pilate est
un de ses vieux débats qui agitent les historiens. Flavius Joseph et Philon, juif
alexandrin, philosophe et exégète, né vers l’an 20 avant Jésus-Christ, le
désignent aussi comme procurateur. Les évangélistes parlent plutôt de « gouverneur » (Matth., XXVII, 2). Or une
inscription trouvée sur le site de Césarée en 1961 précise que Ponce Pilate était préfet de Judée[2].
En outre seul un préfet pouvait permettre une exécution capitale. Il est vrai
que parmi ses tâches, il doit s’occuper de la levée des impôts qui est la
fonction même du procurateur. Cependant le titre de procurateur était donné au gouverneur de Judée bien plus tard, avant l'empereur Claude (11-54). Tacite serait donc
mal renseigné. Ou un simple anachronisme ? Nous pourrions aussi conclure
que les sources de Tacite ne viendraient pas des registres officiels de Rome
mais plutôt des chrétiens ou d’un autre historien, par exemple de son ami Pline
le Jeune.
Voyons
en effet Pline le Jeune (61 - 114 ). Nous possédons aujourd'hui une lettre qu’il a
écrite à Trajan lorsqu’il était proconsul de Bithynie en 111-113. Pline raconte
son action contre le christianisme qu’il juge méprisable. Il explique aussi l’attitude
des chrétiens et leur culte. Il se plaint qu’à cause de leur influence,
les temples de sa région sont abandonnés. Il demande alors à l’empereur des
instructions sur la manière de les traiter. Nous possédons aussi la réponse de
Trajan qui lui donne des instructions. Elles sont similaires à ceux que nous
pouvons lire dans un rescrit d’Hadrien qui nous est parvenu grâce à Eusèbe dans
son Histoire
ecclésiastique (IV, 9). Sa réponse est aussi connue par Saint Justin[3].
Le monde pourrait écouter avec intention ses informations sur l’influence et
l’importance du christianisme au IIe siècle mais serait-il suffisant pour le
convaincre ? Comprendra-t-il que l’existence de Notre Seigneur
Jésus-Christ était une certitude pour les Romains ? Ils ne la remettent jamais en
cause alors qu’ils tentent de combattre le mouvement chrétien.
Suétone
( 69 - 125) est le troisième historien. Il est l’auteur d’une Vie
des douze Césars composée vers 117-122. Il mentionne l’expulsion des
Juifs de Rome par l’empereur Claude parce qu’ils étaient « devenus, sous l’impulsion de Chrestus une
cause permanente de désordre »[4].
Saint Luc mentionne le même événement dans les Actes des Apôtres (XVIII,
2).
En
l’an 55, dans une Histoire du monde méditerranéen oriental, un autre païen,
l’historien Thallus, mentionne un miracle qui aurait eu lieu lors de la mort de
Notre Seigneur Jésus-Christ. Il est mentionné par Georges Syncellus (vers 800)
qui cite lui-même Jules l’Africain (vers 220). « Dans le troisième livre de son Histoire,
Thallus explique les ténèbres comme étant une éclipse de soleil, ce qui me
semble bien déraisonnable. » Le monde pourrait sourire de ce
témoignage de troisième main. Soulignons cependant qu’il est le plus ancien que
nous possédons et qu’il tente non pas de récuser l’existence de Notre Seigneur ou
le phénomène qui accompagne sa mort mais de justifier les ténèbres qui ont eu
lieu lors de sa mort. Un historien du Ier siècle, Phlegon, est aussi cité par
Jules l’Africain et par Origène[7].
Il mentionne une éclipse de soleil au temps de Tibère.
Dans la Vie de Pélégrinus, Lucien de Samosate (vers 115-200) raconte la vie d’un converti au christianisme qui devient apostat. Cet ancien chrétien attaque le christianisme et le critique avec ironie. Il décrit les chrétiens qui « vouent un culte » à « l’homme qui fut empalé en Palestine pour avoir introduit dans le monde un culte nouveau ». Ils « adorent ce sophiste crucifié et suivent ses lois ». Ce païen hostile et méprisant nous donne donc encore une vision des chrétiens du IIe siècle. Il n’attaque nullement l’existence de Notre Seigneur Jésus-Christ mais insiste sur les aspects dégradants de sa mort. Le grand adversaire du christianisme du IIe siècle, Celse, lui-aussi, ne remet jamais en cause la réalité des faits. Ses successeurs, dont Porphyre, suivront le même chemin.
Nous constatons donc que les adversaires du christianisme les plus proches du temps de Notre Seigneur Jésus-Christ n’ont rejeté ni son existence ni les principaux faits que nous connaissons, notamment son enseignement, sa condamnation, sa crucifixion. Au IIe siècle, tout paraît d’une extrême évidence non seulement pour les chrétiens mais aussi pour les juifs et les païens. Les philosophes attaquent le christianisme en insistant sur l’absurdité de l’enseignement, la folie des chrétiens et sur l’immoralité de leur culte sans remettre en cause les faits historiques.
Le
monde pourrait-il encore refuser ce témoignage si évident ? S'il persiste dans son refus, il devrait alors s’interroger sur ses propres connaissances
historiques. Il verrait peut-être que des choses si évidentes aujourd’hui, telles que l’existence de César, s’appuient en fait sur des témoignages plus fragiles et
plus incertains. Aujourd’hui, rares sont finalement ceux qui contestent
l’existence de Notre Seigneur Jésus-Christ et les grands événements que
relatent les Évangiles. L’objet des contestations concerne plutôt leur
interprétation et leur caractère surnaturel.
Références
[1] Tacite, Annale, 15.44 cité dans Apologétique, La crédibilité de la Révélation divine transmise aux hommes par Jésus-Christ, Abbé Bernard Lucien.
[2] Mentionné par Jean-Pierre Lemonon, L’inscription de Pilate, dans Les Origines du christianisme. L’inscription n’est pas complète. Sur la pierre trouvée, on peut lire S TIBERIEUM NTIVS PILATVS ECTUS IVDA..E. L’auteur propose la lecture suivante « […]s Tiberieum [Po]ntius Pilatus [praef]ectus Iuda[ea]e/[fecit]. » Elle a été trouvée en 1961 par des archéologues italiens lors d’une fouille au théâtre de Césarée.
[3] Justin, Ière apologie, LXIX.
[4] Suétone, Claude, 25.4, cité dans Apologétique, La crédibilité de la Révélation divine transmise aux hommes par Jésus-Christ, Abbé Bernard Lucien.
[5] Manuscrit Syriaque n° 14658 du British Muséum (date : 73 environ).
[6] Cité dans Apologétique, La crédibilité de la Révélation divine transmise aux hommes par Jésus-Christ, Abbé Bernard Lucien.
[7] Voir Origène, Contre Celse, livre 2, 14, 33, 59.
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