Est-il
raisonnable de croire que l'Église ait plongé les hommes dans l'obscurantisme pendant
des siècles pour maintenir son emprise sur les esprits ? C'est bien méconnaître
l’Histoire et notre civilisation. C'est aussi bien ignorer la doctrine
chrétienne. C'est enfin bien sous-estimer l'homme et ses capacités
intellectuelles. Pouvons-nous en effet croire à l'expansion du christianisme
sur toute la surface de la Terre et à toutes les époques s'il n'était fait que
pour des gens simples et ignorants ? Pourrions-nous encore admirer les œuvres
chrétiennes si elles n'étaient que l'œuvre
de la déraison ? Notre patrimoine est le plus beau témoignage de la
force rationnelle du christianisme...
Si
la foi est un don de Dieu, si même l'inclination vers le commencement de la foi
est une grâce divine, Dieu nous demande un acte libre d'adhésion que seule peut
fournir notre raison. Par le baptême, nous devenons chrétiens. Par l'éducation,
nous apprenons à vivre et à grandir chrétiennement. Et au cours de ce
cheminement, Dieu nous interpelle. Crois-tu ? Crois-tu au-delà du mimétisme et
des habitudes ? De même, sans naître et grandir dans un milieu chrétien, Dieu
arrête l'homme dans son histoire et lui pose la même question : crois-tu ? Ou
encore, comme Saint Paul sur le chemin de Damas, pourquoi me persécutes-tu ?
Pourquoi ne crois-tu pas ?
Comme
nous le rappelle le 1er Concile du Vatican (1870), « le fidèle ne peut arriver à la foi par la raison mais il peut se
convaincre qu'il est raisonnable de croire les mystères ». La foi
n'est pas en effet le fruit de la raison. Mais nous ne pouvons pas croire à ce
que Dieu a dit si d'abord nous ne sommes pas convaincus que Dieu existe et
qu'Il a parlé. « L'homme ne croirait
pas s'il ne voyait que cela est croyable » Nous sommes bien dans
l'ordre de la conviction et donc de la raison. Et pour nous convaincre, nous
avons besoin d'arguments, c'est-à-dire de signes ou de témoignages qui nous
persuadent qu'effectivement Dieu existe et qu'Il a parlé. Ces signes sont
appelés « motifs de crédibilité ».
Ce sont des signes certains et à la portée de toutes les intelligences. C'est
en se positionnant devant la véracité des motifs de crédibilité que l'homme adhère
librement à la foi ou la rejette, accepte ou refuse le don de Dieu.
L'acceptation
des témoignages ne réclame pas nécessairement une recherche personnelle
approfondie. Il n'est pas en effet nécessaire que chaque fidèle parvienne par lui-même
à se convaincre de l'existence de Dieu et de sa Révélation. Il peut recevoir
d'autrui, par une foi naturelle, ces deux vérités de raison et passer ensuite à
la foi surnaturelle. Ainsi, par l'intermédiaire d'un croyant, nous pouvons
raisonnablement croire que Dieu existe et qu'Il a parlé.
Comme
nous le rappelle Saint Augustin, l'adhésion par la foi naturelle à des vérités
est une attitude naturelle parfaitement louable. Nous pouvons nous référer à
une personne pour admettre des vérités qui nous dépasse. Telle est le principe
de l'enseignement et de l'éducation. C'est faire preuve de Sagesse. Cette foi
naturelle s'appuie notamment sur la confiance et encore sur des signes. Nous
croyons en ce que dit un enseignant car non seulement il est revêtu de toute la
crédibilité nécessaire pour enseigner mais aussi parce qu'il inspire la confiance.
Ses connaissances ne suffisent pas pour les transmettre efficacement. Il a
besoin d'établir un lien de confiance avec son élève afin de toucher sa raison.
Combien d'étudiants assistent-ils à des cours sans que rien ne se passe ?
Combien d’heures perdues au fond d’une classe ? Cependant
cette foi naturelle et cette confiance nécessitent encore un acte de raison. Nous
devons en effet juger de la légitimité de cette personne par laquelle nous jugeons
raisonnable ce qu’il nous propose. Les faux prophètes et les faux docteurs sont
en effet nombreux ...
L'Église
n'exige pas pour chaque fidèle une science personnelle avant la foi. Elle
laisse chacun suivre sa propre voie selon ses propres capacités. Mais cette
voie passe nécessairement par un acte de raison. Avant sa conversion, le fidèle
doit se rendre compte que la vérité divine est croyable et qu'elle doit être
crue.
Cependant,
la raison ne suffit pas pour adhérer à l'appel de Dieu. La volonté joue
également un rôle important. Que d'obstacles en effet au travail sérieux du
commencement de la foi ! Paresse et légèreté, orgueil et esprit mondain,
passion et immoralité. Il est encore plus difficile de croire dans un monde
imprégné de rationalisme et de scientisme, de pensée unique et de censures. Se
détacher d'un milieu peu propice à la foi ou contraire à la foi demande de
vrais efforts et exige un courage parfois surhumain. Il s'agit bien de disposer
suffisamment de liberté pour réfléchir et pour poser l’acte. Il n'y a pas de
réflexion sans détachement, sans libre examen, sans volonté de se retirer du
Monde au moins le temps de la réflexion.
Une
autre difficulté plus dangereuse : c’est de vivre chrétiennement par conviction et véritable adhésion et non par mimétisme. A l’heure des
persécutions et des épreuves se dévoilent l’authenticité et la profondeur de la
foi. Le rapide déclin du christianisme dans notre pays s’explique probablement
par le conformisme qui a supplanté la foi. De nombreux fidèles ont apostasié
lors d’une des dernières persécutions romaines à cause peut-être de la légèreté
de leurs conversions.
Sans
la décision de la volonté, l'intelligence ne peut non plus mener à bout le
travail pénible et sérieux qu'est l'examen des motifs de crédibilité. Sans
volonté, elle ne peut maintenir sa concentration loin des turbulences du Monde.
Sans courage, nous sommes plutôt enclins à suivre le confort de la routine
intellectuelle. Ne pas se poser de questions pour être tranquilles conduit
parfois à l'enfermement de l'âme et au refus de Dieu. S'en poser trop conduit
aussi à l'impasse. Se référer à un Sage est la meilleure des solutions. La
grâce divine y est aussi probablement nécessaire.
Saint Paul prêchant à Athènes (Raphaël) |
L'examen
des motifs de crédibilité n'est pas une invention des théologiens avides de
spéculations. Il n'est pas non plus une tentative de couvrir le christianisme
du voile de la raison pour répondre aux accusations des rationalistes. La Sainte
Écriture est formelle. Saint Paul exhorte à tout éprouver : « N’éteignez point l’Esprit » (I
.Thess., V, 21), c’est-à-dire « la partie rationnelle de l’âme, siège de la raison, de la liberté et de
la grâce »[1].
L’apôtre des Gentils rajoute : « Éprouvez
tout ; retenez ce qui est bon ». Saint Jean demande aussi que
nous éprouvions notre esprit : « Mes
bien-aimés, ne croyez point à tout esprit, mais éprouvez les esprits, s’ils
sont de Dieu » (I. Jean, IV, 1). Car notre service à Dieu doit être raisonnable (Rom.,
XII, 1). Nous ne devons pas croire à la légère. Le fidèle doit en
effet se protéger contre les faux prophètes et les faux docteurs. Il doit notamment
vérifier la conformité de leurs discours avec leur enseignement. En outre,
Saint Pierre demande au chrétien qu’ils soient « toujours prêts à satisfaire quiconque vous demandera la raison de l’espérance
qui est en vous » (I. Pier., III, 15).
Songeons
aussi aux Pères apologistes et aux Pères de l’Église qui ont défendu le
christianisme contre des païens, des schismatiques et des hérétiques, en usant
de nombreux arguments et démarches rationnels. Ils ont su convaincre des
philosophes, des scientifiques et des autorités, et pas uniquement des « gens simples ». Nous ne
convertissons pas une société uniquement en convertissant les « gens simples ». La foi a pénétré
toutes les couches de l'Empire, y compris son élite. C’est ainsi qu’elle a
vaincu le paganisme.
Pour
défendre la foi, nous avons tendance à utiliser l'argument d'autorité. Mais
comment s'appuyer sur un tel argument pour convaincre des hommes qui la
refusent ? Ce n'est pas en usant de l'autorité de la Sainte Écriture que nous
pouvons convaincre celui qui n'y croit pas. Il est plutôt plus pertinent de
commencer la discussion sur les points auxquels nous sommes en accord. L'homme
est un être raisonnable. Ainsi les Pères apologistes ont-ils usé du droit de la
raison commune à tous pour défendre la foi [2].
Mais
les motifs de crédibilité ont une efficacité relative. Leur pertinence dépend
en effet du contexte dans lequel ils sont présentés. Il est alors nécessaire de
nous les réapproprier et d'adapter les discours pour les rendre audibles tout en demeurant fidèles à l'enseignement de l’Église. Pour garantir
cette fidélité, il est nécessaire de faire appel à une autorité indéfectible.
Le
christianisme peut-il vraiment être déraisonnable ? N'a-t-il converti un empire
que par la force et le mensonge ? Interrogeons-nous parfois sur son expansion
depuis qu'un jour, douze Juifs d'origine inconnue ont osé parcourir le Monde pour
annoncer la Parole ! Imaginons les obstacles qu'ils ont connus dès le départ :
adversité des Juifs, opposition des païens, moqueries des philosophes,
inquiétudes des marchands des temples, déviations doctrinales. Avant de subir
les persécutions, ils ont porté le poids des railleries et des humiliations.
Auraient-ils pu supporter la Croix et la planter et convertir des peuples et des sociétés de toute région et de toute époque
s'il était vraiment déraisonnable de croire ?
Il
n'est pas encore temps pour nous de présenter toute la légitimité et la force de cet argument. Nous souhaitons simplement suggérer que
le christianisme n'a pas pu s'étendre et être encore aujourd'hui si présent
s'il n'était pas raisonnable et convaincants. La présence même des hérésies et de ses adversaires suffisent
pour montrer toute la valeur et la force rationnelles du christianisme ! Il est
parfois possible de juger de la valeur d'une doctrine en mesurant la force de
ses adversaires. Ces derniers ont notamment permis aux chrétiens de développer
et de révéler toute la force rationnelle qui existe dans le christianisme.
Croire encore que le chrétien est un rétrograde, c’est finalement préférer l’injure
et le mensonge à la raison. C’est renier une réalité pour éviter le débat…
[1] Note de la Sainte Bible selon la Vulgate, trad. l’abbé J.B. Glaire, édition DFT, 1992, annoté par le R.P. Eusèbe Tintori.
[2] Saint Augustin, Ep., CXXX, 3; Sermo., XLIII, 9}
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