" La pierre précieuse, voire de grand prix aux yeux de certains, qu'est l'émeraude, se voit insultée par un morceau de verre habilement truqué, s'il ne se rencontre personne qui soit capable de procéder à un examen et de démasquer la faute. Et lorsque de l'airain a été mêlé à l'argent, qui donc, s'il n'est connaisseur, pourra aisément le vérifier ? "(Saint Irénée, Contre les hérésies)


lundi 3 mars 2014

La foi, acte réflechi

Est-il raisonnable de croire que l'Église ait plongé les hommes dans l'obscurantisme pendant des siècles pour maintenir son emprise sur les esprits ? C'est bien méconnaître l’Histoire et notre civilisation. C'est aussi bien ignorer la doctrine chrétienne. C'est enfin bien sous-estimer l'homme et ses capacités intellectuelles. Pouvons-nous en effet croire à l'expansion du christianisme sur toute la surface de la Terre et à toutes les époques s'il n'était fait que pour des gens simples et ignorants ? Pourrions-nous encore admirer les œuvres chrétiennes si elles n'étaient que l'œuvre  de la déraison ? Notre patrimoine est le plus beau témoignage de la force rationnelle du christianisme...


Si la foi est un don de Dieu, si même l'inclination vers le commencement de la foi est une grâce divine, Dieu nous demande un acte libre d'adhésion que seule peut fournir notre raison. Par le baptême, nous devenons chrétiens. Par l'éducation, nous apprenons à vivre et à grandir chrétiennement. Et au cours de ce cheminement, Dieu nous interpelle. Crois-tu ? Crois-tu au-delà du mimétisme et des habitudes ? De même, sans naître et grandir dans un milieu chrétien, Dieu arrête l'homme dans son histoire et lui pose la même question : crois-tu ? Ou encore, comme Saint Paul sur le chemin de Damas, pourquoi me persécutes-tu ? Pourquoi ne crois-tu pas ?


Comme nous le rappelle le 1er Concile du Vatican (1870), « le fidèle ne peut arriver à la foi par la raison mais il peut se convaincre qu'il est raisonnable de croire les mystères ». La foi n'est pas en effet le fruit de la raison. Mais nous ne pouvons pas croire à ce que Dieu a dit si d'abord nous ne sommes pas convaincus que Dieu existe et qu'Il a parlé. « L'homme ne croirait pas s'il ne voyait que cela est croyable » Nous sommes bien dans l'ordre de la conviction et donc de la raison. Et pour nous convaincre, nous avons besoin d'arguments, c'est-à-dire de signes ou de témoignages qui nous persuadent qu'effectivement Dieu existe et qu'Il a parlé. Ces signes sont appelés « motifs de crédibilité ». Ce sont des signes certains et à la portée de toutes les intelligences. C'est en se positionnant devant la véracité des motifs de crédibilité que l'homme adhère librement à la foi ou la rejette, accepte ou refuse le don de Dieu.

L'acceptation des témoignages ne réclame pas nécessairement une recherche personnelle approfondie. Il n'est pas en effet nécessaire que chaque fidèle parvienne par lui-même à se convaincre de l'existence de Dieu et de sa Révélation. Il peut recevoir d'autrui, par une foi naturelle, ces deux vérités de raison et passer ensuite à la foi surnaturelle. Ainsi, par l'intermédiaire d'un croyant, nous pouvons raisonnablement croire que Dieu existe et qu'Il a parlé.

Comme nous le rappelle Saint Augustin, l'adhésion par la foi naturelle à des vérités est une attitude naturelle parfaitement louable. Nous pouvons nous référer à une personne pour admettre des vérités qui nous dépasse. Telle est le principe de l'enseignement et de l'éducation. C'est faire preuve de Sagesse. Cette foi naturelle s'appuie notamment sur la confiance et encore sur des signes. Nous croyons en ce que dit un enseignant car non seulement il est revêtu de toute la crédibilité nécessaire pour enseigner mais aussi parce qu'il inspire la confiance. Ses connaissances ne suffisent pas pour les transmettre efficacement. Il a besoin d'établir un lien de confiance avec son élève afin de toucher sa raison. Combien d'étudiants assistent-ils à des cours sans que rien ne se passe ? Combien d’heures perdues au fond d’une classe ? Cependant cette foi naturelle et cette confiance nécessitent encore un acte de raison. Nous devons en effet juger de la légitimité de cette personne par laquelle nous jugeons raisonnable ce qu’il nous propose. Les faux prophètes et les faux docteurs sont en effet nombreux ...

L'Église n'exige pas pour chaque fidèle une science personnelle avant la foi. Elle laisse chacun suivre sa propre voie selon ses propres capacités. Mais cette voie passe nécessairement par un acte de raison. Avant sa conversion, le fidèle doit se rendre compte que la vérité divine est croyable et qu'elle doit être crue.

Cependant, la raison ne suffit pas pour adhérer à l'appel de Dieu. La volonté joue également un rôle important. Que d'obstacles en effet au travail sérieux du commencement de la foi ! Paresse et légèreté, orgueil et esprit mondain, passion et immoralité. Il est encore plus difficile de croire dans un monde imprégné de rationalisme et de scientisme, de pensée unique et de censures. Se détacher d'un milieu peu propice à la foi ou contraire à la foi demande de vrais efforts et exige un courage parfois surhumain. Il s'agit bien de disposer suffisamment de liberté pour réfléchir et pour poser l’acte. Il n'y a pas de réflexion sans détachement, sans libre examen, sans volonté de se retirer du Monde au moins le temps de la réflexion.

Une autre difficulté plus dangereuse : c’est de vivre chrétiennement par conviction et véritable adhésion et non par mimétisme. A l’heure des persécutions et des épreuves se dévoilent l’authenticité et la profondeur de la foi. Le rapide déclin du christianisme dans notre pays s’explique probablement par le conformisme qui a supplanté la foi. De nombreux fidèles ont apostasié lors d’une des dernières persécutions romaines à cause peut-être de la légèreté de leurs conversions.

Sans la décision de la volonté, l'intelligence ne peut non plus mener à bout le travail pénible et sérieux qu'est l'examen des motifs de crédibilité. Sans volonté, elle ne peut maintenir sa concentration loin des turbulences du Monde. Sans courage, nous sommes plutôt enclins à suivre le confort de la routine intellectuelle. Ne pas se poser de questions pour être tranquilles conduit parfois à l'enfermement de l'âme et au refus de Dieu. S'en poser trop conduit aussi à l'impasse. Se référer à un Sage est la meilleure des solutions. La grâce divine y est aussi probablement nécessaire.


Saint Paul prêchant à Athènes 

(Raphaël)

L'examen des motifs de crédibilité n'est pas une invention des théologiens avides de spéculations. Il n'est pas non plus une tentative de couvrir le christianisme du voile de la raison pour répondre aux accusations des rationalistes. La Sainte Écriture est formelle. Saint Paul exhorte à tout éprouver : « N’éteignez point l’Esprit » (I .Thess., V, 21), c’est-à-dire « la partie rationnelle de l’âme, siège de la raison, de la liberté et de la grâce »[1]. L’apôtre des Gentils rajoute : « Éprouvez tout ; retenez ce qui est bon ». Saint Jean demande aussi que nous éprouvions notre esprit : « Mes bien-aimés, ne croyez point à tout esprit, mais éprouvez les esprits, s’ils sont de Dieu » (I. Jean, IV, 1). Car notre service à Dieu doit être raisonnable (Rom., XII, 1). Nous ne devons pas croire à la légère. Le fidèle doit en effet se protéger contre les faux prophètes et les faux docteurs. Il doit notamment vérifier la conformité de leurs discours avec leur enseignement. En outre, Saint Pierre demande au chrétien qu’ils soient « toujours prêts à satisfaire quiconque vous demandera la raison de l’espérance qui est en vous » (I. Pier., III, 15).

Songeons aussi aux Pères apologistes et aux Pères de l’Église qui ont défendu le christianisme contre des païens, des schismatiques et des hérétiques, en usant de nombreux arguments et démarches rationnels. Ils ont su convaincre des philosophes, des scientifiques et des autorités, et pas uniquement des « gens simples ». Nous ne convertissons pas une société uniquement en convertissant les « gens simples ». La foi a pénétré toutes les couches de l'Empire, y compris son élite. C’est ainsi qu’elle a vaincu le paganisme.

Pour défendre la foi, nous avons tendance à utiliser l'argument d'autorité. Mais comment s'appuyer sur un tel argument pour convaincre des hommes qui la refusent ? Ce n'est pas en usant de l'autorité de la Sainte Écriture que nous pouvons convaincre celui qui n'y croit pas. Il est plutôt plus pertinent de commencer la discussion sur les points auxquels nous sommes en accord. L'homme est un être raisonnable. Ainsi les Pères apologistes ont-ils usé du droit de la raison commune à tous pour défendre la foi [2].

Mais les motifs de crédibilité ont une efficacité relative. Leur pertinence dépend en effet du contexte dans lequel ils sont présentés. Il est alors nécessaire de nous les réapproprier et d'adapter les discours pour les rendre audibles tout en demeurant fidèles à l'enseignement de l’Église. Pour garantir cette fidélité, il est nécessaire de faire appel à une autorité indéfectible.

Le christianisme peut-il vraiment être déraisonnable ? N'a-t-il converti un empire que par la force et le mensonge ? Interrogeons-nous parfois sur son expansion depuis qu'un jour, douze Juifs d'origine inconnue ont osé parcourir le Monde pour annoncer la Parole ! Imaginons les obstacles qu'ils ont connus dès le départ : adversité des Juifs, opposition des païens, moqueries des philosophes, inquiétudes des marchands des temples, déviations doctrinales. Avant de subir les persécutions, ils ont porté le poids des railleries et des humiliations. Auraient-ils pu supporter la Croix et la planter et convertir des peuples et des sociétés de toute région et de toute époque s'il était vraiment déraisonnable de croire ?

Il n'est pas encore temps pour nous de présenter toute la légitimité et la force de cet argument. Nous souhaitons simplement suggérer que le christianisme n'a pas pu s'étendre et être encore aujourd'hui si présent s'il n'était pas raisonnable et convaincants. La présence même des hérésies et de ses adversaires suffisent pour montrer toute la valeur et la force rationnelles du christianisme ! Il est parfois possible de juger de la valeur d'une doctrine en mesurant la force de ses adversaires. Ces derniers ont notamment permis aux chrétiens de développer et de révéler toute la force rationnelle qui existe dans le christianisme. Croire encore que le chrétien est un rétrograde, c’est finalement préférer l’injure et le mensonge à la raison. C’est renier une réalité pour éviter le débat…



Références
[1] Note de la Sainte Bible selon la Vulgate, trad. l’abbé J.B. Glaire, édition DFT, 1992, annoté par le R.P. Eusèbe Tintori.
[2] Saint Augustin, Ep., CXXX, 3;  Sermo., XLIII, 9}

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