La
Foi et la Raison ne sont pas incompatibles. Au contraire, elles se complètent harmonieusement
pour exposer et défendre la Vérité, objet de toute connaissance. Nous sommes des êtres raisonnables. Dieu ne demande pas que
nous rejetions notre nature humaine qu'Il a lui-même créée. La grâce divine
s'appuie au contraire sur notre nature pour l'élever. Ainsi use-t-elle de toutes nos qualités naturelles pour que nous grandissions dans la vérité et l'amour de Dieu. Le salut ne va pas à l'encontre de notre nature
humaine.
Au
cours du temps et dès les premières heures, les chrétiens ont usé de raisons
pour justifier de leur foi. En lisant les épîtres de Saint Paul, nous
découvrons une pensée étonnante d'une élévation extraordinaire. Saint Jean nous
élève à une pensée édifiante que bien peu d’écrivains peuvent atteindre. La
première page de l’Évangile selon Saint Jean reste une merveille de la pensée.
Nous demeurons toujours agréablement surpris par cette lumière de quiétude qui
se dégage de la lecture de la Sainte Écriture.
Un
contexte défavorable à la naissance et au développement du christianisme
Le Salut qu'annonce la bonne nouvelle est universel. Il touche non seulement le peuple juif mais aussi le païen, les élites comme la populace, tous les hommes quel que soit leur niveau sociale, leur origine raciale ou ethnique, ... Aucun exclusivisme communautaire. La bonne nouvelle s'adresse à tous. Car Dieu sauve tous les hommes sans aucune exception. Sur la Croix, Notre Seigneur n'a exclu personne. Seul l'homme s'exclue de lui-même. Le bonheur qu'Il offre est donc accessible à tous. Et tous doivent le savoir.
Cet
universalisme extraordinaire a de quoi choquer un païen et un philosophe. Il
choque aussi le juif. Les païens rattachent leur religion à leur histoire, à
leur culture ou à leur cité. Elle forme leur identité. Les philosophes refusent
de diffuser la connaissance au bas peuple et la restreignent à une communauté
intellectuelle. Les Juifs se renferment aussi dans une foi exclusive. Parole
étonnante en effet qui n’aurait du naturellement ne jamais rencontrer un si
grand succès. Cas exceptionnel, incompréhensible pour l’homme. Un véritable
miracle ...
Face
aux Juifs, la Sainte Écriture
Saint Pierre et Saint Paul (Le Greco) |
La Sainte Écriture est le point commun qui rapproche les juifs et les chrétiens. C'est donc à partir de l'Ancien Testament que les chrétiens débattront. Revendiquant le même héritage, ils montrent que les prophéties de l'Ancien Testament sont réalisées en Notre Seigneur Jésus-Christ. Ce qui était obscur est désormais lumineux[1]. Deux points sont en particulier développés : la valeur des prophéties comme valeur de démonstration et leur réalisation en Notre Seigneur Jésus-Christ.
Les
chrétiens engagent aussi un débat sur le rapport entre les deux Alliances et
par conséquent sur le plan divin. L'Histoire prend un sens. L'Ancienne Alliance
entre dans un plan pédagogique. Provisoire, il s’adapte à la dureté de cœur du
peuple de Dieu et le prépare à recevoir le Salut annoncé dés les origines. Le
temps de la Nouvelle Alliance est alors venu, une alliance définitive destinée
à toutes les nations, une alliance longtemps annoncée par les prophètes. Ainsi les
chrétiens démontrent que Dieu est auteur de l'Ancienne comme de la Nouvelle
Alliance, la première laissant sa place à la seconde en vue d’atteindre un but unique, la première préparant la seconde.
Enfin,
les chrétiens doivent présenter les mystères de la foi qui apparaissent pour un
Juif irrationnels et scandaleux. Le mystère de l'Incarnation et la folie de la
Croix leur sont difficilement compréhensibles. Un effort est alors entrepris
pour en montrer toute leur cohérence au regard de l'Ancien Testament. En outre,
s'ils sont incompréhensibles, ils ne sont pas déraisonnables au vue de l'Ancien
Testament. Car ce qui leur paraît incompréhensible a été en effet annoncé. Et
justement, c'est parce que cela est naturellement incompréhensible qu'il
fallait le témoignage de l'Écriture pour qu'au jour où cela se produit, les
âmes y adhèrent avec certitude. La Sainte Écriture devient donc motif de
crédibilité. Le plan de Dieu est lumineux.
Ainsi
la Sainte Écriture devient matière à démonstration pour la foi. Elle ne porte
pas uniquement une Parole. Elle entre pleinement dans le plan divin.
Face
aux hérétiques, la Tradition
Avant
même de porter la bonne parole aux païens, les Apôtres sont rapidement
confrontés à des erreurs au sein même des communautés chrétiennes. Dans ses
épîtres, Saint Paul combattent les judéo-chrétiens qui veulent maintenir le
joug de la Loi. Il doit éclairer les communautés, approfondir leur foi, leur montrer
toute la dimension de la Nouvelle Alliance. Averti des dangers de faux
docteurs, Saint Paul demande aussi aux communautés chrétiennes de ne pas
entendre les gnostiques qui diffusent leurs erreurs et déforment la vérité [5]. Il
doit leur rappeler ce qu'ils ont appris : être fidèles à la foi qu’ils
ont reçue.
La tâche des chrétiens est alors de démasquer l'erreur par rapport à l’enseignement reçu, d'en montrer les contradictions et son inconsistance rationnelle. « Quiconque veut les convertir doit connaître exactement leurs systèmes : impossible de guérir des malades, si l'on ignorer le mal dont ils souffrent »[2]. Les chrétiens se montrent particulièrement soucieux d'être bien informés de leurs adversaires et de se munir des documentations et témoignages nécessaires pour approfondir leurs pensées et les récuser. Saint Irénée et Saint Optat de Milève sont des exemples de ces hommes qui ne combattent pas l'erreur à la légère. Ils s’appuient sur des faits vérifiés et solides. Leur combat ne se borne pas à dénoncer et à réfuter les erreurs. Ils exposent aussi la doctrine chrétienne, et la clarifient, la précisent, l'approfondissent.
Saint Hilaire de Poitiers Saint Athanase |
Pour
appuyer leurs propos, les hérétiques abusent de la Sainte Écriture, inventent
des textes, les manipulent ou les falsifient. De nouveau, le discernement est
nécessaire pour distinguer le vrai du faux à la lumière de la foi. Un canon est élaboré afin d'établir
ce qui constitue la Sainte Écriture. Un effort est aussi fourni pour mieux
comprendre ce que sont la Sainte Écriture et l’origine de son autorité.
De quelle autorité les hérétiques peuvent-ils alors modifier la règle de la foi ou la Saint Écriture ? Aucune. Leur argumentation est donc irrecevable. Car les chrétiens ne peuvent adapter la foi à leur volonté mais au contraire la volonté doit s'y soumettre. Toute nouveauté en matière de doctrine est donc proscrite. La fidélité est gage de vérité. Cela ne signifie pas que la doctrine ne peut pas être approfondie, éclaircie, précisée. Elle doit être tirée d’une source irréfutable. Pour réfuter une erreur, il est alors nécessaire d’identifier l’autorité sur laquelle ils s’appuient et d’en mesurer toute sa légitimité.
Mais
si tout a été révélé, tout n’est pas compris à sa juste mesure. Sur des points obscurs de l’enseignement,
toute discussion est alors possible dans l’Église jusqu'au jour où l’Église par la voix du Pape tranche la question et parle. La discussion laisse
alors place à l'obéissance. Le silence est aussi parfois nécessaire quand la
discussion tourne au drame sans qu'une réponse mature s'en dégage.
L’enseignement
de l’Église n’est ni l’enseignement d’une école théologique, ni celui d’un
homme. Les chrétiens ne suivent que le Christ. Ils ne sont disciples ni de
Saint Paul, ni de Saint Augustin, ni de Saint Thomas. Ils appartiennent à
l’Église avant d’appartenir à une nation ou à une communauté. Les donatistes se
sont égarés en prétendant suivre Saint Cyprien de Carthage [4]. Des protestants ont
quitté l’Église en croyant suivre des idées de Saint Augustin. Les exemples ne
manquent pas où l’attachement à un homme ou à des opinions ont égaré bien des âmes. Saint Paul nous
a bien rappelé l’exigence de la fidélité à l’égard de l’Église.
Une
hérésie peut mettre en exergue l'un des points de la doctrine chrétienne soit en le
négligeant, soit en le surestimant au détriment de l'ensemble. Elle remet ainsi
en cause la cohérence de la foi et finalement la foi elle-même. Tout excès fait
naître l'erreur. Le combat contre l’erreur nécessite alors un effort conséquent
pour la comprendre et la réfuter, pour approfondir la compréhension de la
doctrine et améliorer le discours de la foi. L’Église s'oppose à toute
déviation à l'égard de la règle de la foi. Le Credo reste le socle sur lequel
se rapporte toute discussion. Parfois, des hérésies acceptent la règle de foi
mais l'interprètent mal et en abusent. L’Église doit alors préciser son enseignement
pour éviter des malentendus et dénoncer les fausses interprétations.
Face
aux schismatiques, l’Église
L’Église
est aussi très tôt victime de schismes qui remettent en cause non la doctrine
de la foi mais son unité et finalement l'autorité qui la garantit. La tunique
du Christ est aujourd'hui bien déchirée. O scandale des scandales ! Les
schismes naissent d’un refus de se soumettre à une autorité légitime de
l’Église et de la volonté de la supplanter. Ils peuvent naître de querelles de
personnalités, de malentendus malheureux, de refus de suivre des décisions, de s'obstiner dans une opinion.
Dans
la défense de la foi, l’Église ne recherche pas simplement à enseigner la
Vérité. Elle recherche aussi l'unité. La vérité ne suffit pas. Tout est en
effet vain sans la charité. L'erreur n'excuse pas les fautes envers la charité.
Nous pouvons être dans la vrai au niveau de la doctrine tout en étant hors de
l’Église. La défense de la foi doit en effet répondre à une double exigence
fondamentale dans l'Église : la communion de l'esprit et des cœurs. L’unité de
l’Église est alors au centre des débats entre chrétiens désunis. La
reconnaissance de la véritable Église et la légitimité d’une autorité
deviennent alors l’enjeu des discussions entre catholiques et schismatiques.
Face
aux païens, la droite raison
Dans
la société païenne, les chrétiens font l'objet d'accusations injurieuses et
calomniatrices. Ils dénoncent alors l'injustice dont ils sont victimes. Ils
combattent les mensonges, les calomnies, les persécutions. Leurs discours
portent donc sur la notion de justice.
Le
recours à la Sainte Écriture pour justifier la foi aux païens n'est guère
pertinent. Seul l'appel à la raison est utile et efficace. Les chrétiens
utilisent notamment la rhétorique en usage et toute la culture gréco-romaine
pour se défendre contre les calomnies et exposer leurs doctrines. Toute la
richesse de la philosophie est aussi utilisée pour défendre la vérité dont ils
sont porteurs. Leurs discours doivent surtout se faire reconnaître comme
rationnels, non seulement comparables à ceux des religions païennes mais encore
supérieurs. Les chrétiens montrent alors que la philosophie et le christianisme
sont compatibles. Certains apologètes prétendent même que des philosophes ont
joué un rôle identique auprès des Gentils à celui des prophètes auprès du
peuple juif : préparer les esprits à recevoir la bonne nouvelle.
Certains chrétiens s'adressent en philosophes à des philosophes comme Saint Justin et
font appel à la vérité. D'autres se présentent comme avocats auprès des juges,
faisant alors appel à la justice, comme Tertullien. Maîtres de toutes les
ressources de la rhétorique et du droit, ils exposent une plaidoirie vigoureuse
et argumentée. Contre les accusations d’infamie, ils décrivent les vertus
chrétiennes et expliquent le culte qu'ils rendent à Dieu. Contre les
accusations de traîtrise, ils prouvent combien ils sont au contraire fidèles et
loyaux envers la société à laquelle ils sont utiles. Ils prient même pour les
empereurs païens. Ils montrent aussi le rôle bénéfique des chrétiens dans
le monde. Ils sont « l'âme du monde ».
Leur argumentation devrait nous faire réfléchir, nous qui, parce que la société
n'est pas juste, en profitons parfois pour être injustes. Les exigences de la foi ne
dépendent pas de la valeur de la société, de sa perversité ou de son degré de
christianisation. Notre Seigneur nous l'a enseigné : nous devons aussi être bons
avec ceux qui nous maltraitent.
Les
chrétiens accusent surtout leurs calomniateurs de ne pas s'informer à leur
sujet et de ne pas respecter les procédures. Il retourne aussi les accusations
contre eux. Ce sont eux qui méprisent Dieu, trahissent leurs lois, pratiquent
des crimes et se livrent à l'immoralité. Le défenseur se fait attaquant.
Conclusion
La
foi chrétienne ne peut vivre dans un environnement fermé. La lumière ne peut
briller pour elle-même. Ouverte à tous les hommes, elle doit alors se
confronter à la raison commune et rendre raison d'elle-même. Elle ne peut
ignorer les contestations, les oppositions, les calomnies dont elle fait
nécessairement objet. Inlassablement, au cours des siècles, l’Église reprend le
débat avec la même espérance et les mêmes exigences. Croire que le christianisme n'est pas
rationnelle, c'est ignorer et lui refuser ce débat.
Les
chrétiens mettent au service de la foi toutes leurs ressources, chacun
apportant sa pierre à l'édifice sous l'œil vigilant d'une autorité garante du
dépôt sacré. L'exposition de la foi, la réfutation des erreurs, la nécessité de
débattre, l'exigence de la Parole de Dieu nécessitent réflexion, intelligence
et sagesse. La foi ne supprime pas les qualités de chacun mais les oriente, les
élève, les sublime. Ainsi la foi et la raison s'épaulent mutuellement pour que
la vérité se répande.
Mais
cette exigence de vérité n'est pas une fin en soi. Elle répond à deux autres
exigences, probablement beaucoup plus hautes et difficiles. D'une part, le
grand commandement de la charité est la véritable âme des défenseurs de la foi.
La douceur, la miséricorde, l'humilité accompagnent la raison afin que la
lumière de la vérité ne blesse pas l'âme. Il s'agit bien de combattre
l'ignorance, l'erreur et la mauvaise foi et non ceux qui en sont victimes.
D'autre part, tout cela serait vain et même nuisible si les paroles ne sont pas
accompagnées d'un véritable témoignage de vie chrétienne. Le chrétien ne peut
être objet de scandale. Leur témoignage vaut en effet tout discours. Si un
chrétien fait semblant de se convertir pour avoir la vie sauve, il aura
peut-être sauvé sa vie mais il aura perdu le combat de la foi. S'il fraude
publiquement l'État pour mieux garantir son confort, toute tentative
d'apostolat est vouée à l'échec. Si les chrétiens se montrent uniquement juges
de la vérité, terribles censeurs au cœur dur, indéfectibles dans la quête du
mensonge, intraitables dans la dénonciation, ces chrétiens défendront peut-être
la vérité mais pas la foi...
Si le christianisme est rationnel et doit justifier sa rationalité,
il n'oublie pas qu'il doit aussi répondre à des exigences encore plus élevées.
L'appel à la raison ne suffit pas... C'est pourquoi le christianisme n'est ni
une philosophie ni une science...
Référence
[1] Saint Justin, Dialogue avec Tryphon.
[2] Saint Irénée, Contre les hérésies, Dénonciations et réfutations de la gnose au nom menteur, trad. par Adelin Rousseau, les éditions du Cerf, 2001.
[3] Voir Émeraude, décembre 2013, "Le Manichéisme", et "Saint Augustin et le manichéisme : raisons du succès et de l'échec du manichéisme".
[4] Voir Émeraude, septembre 2013, "Le Donatisme, un peu d'histoire", "Le Donatisme : premières réfutations", "Le Donatisme : la victoire de l'Eglise".
[5] Voir Émeraude, juin 2013, "Le gnosticisme au IIe siècle une hérésie de la connaissance".
[6] Voir Émeraude, mars 2013, "Le pélagianisme : son histoire" et "Le pélagianisme : sa doctrine".
[1] Saint Justin, Dialogue avec Tryphon.
[2] Saint Irénée, Contre les hérésies, Dénonciations et réfutations de la gnose au nom menteur, trad. par Adelin Rousseau, les éditions du Cerf, 2001.
[3] Voir Émeraude, décembre 2013, "Le Manichéisme", et "Saint Augustin et le manichéisme : raisons du succès et de l'échec du manichéisme".
[4] Voir Émeraude, septembre 2013, "Le Donatisme, un peu d'histoire", "Le Donatisme : premières réfutations", "Le Donatisme : la victoire de l'Eglise".
[5] Voir Émeraude, juin 2013, "Le gnosticisme au IIe siècle une hérésie de la connaissance".
[6] Voir Émeraude, mars 2013, "Le pélagianisme : son histoire" et "Le pélagianisme : sa doctrine".
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