Enseignée
dans tous les manuels, l’interprétation classique de Copenhague a longtemps
dominé dans la communauté scientifique. Mais cela ne reste qu’une
interprétation parmi tant d’autres. Il n’existe pas en effet une seule
interprétation de la physique quantique compte tenu de la forte abstraction et du
formalisme importants d’une théorie si peu intuitive. Pour continuer notre voyage dans le Monde quantique, nous allons présenter dans cet article une autre interprétation, celle dite de Bohm-Broglie.\\
Rappel sur l’interprétation de Copenhague
L’interprétation
de Copenhague prétend décrire le Monde quantique de manière complète grâce à un outil prédictible, appelé fonction d’onde. Donnant des résultats
probabilistiques, elle conduit à croire que la physique quantique est
indéterministe. En outre, elle juge qu'en absence de langage adapté, nous sommes bien incapables de décrire le Monde quantique et donc de le rendre intelligible.
Nous sommes trop ancrés dans une physique classique du Monde, incompatible et inadéquate pour comprendre le Monde quantique d’où les phénomènes quantiques en apparence si étranges. Certains physiciens se sont opposés à cette
interprétation si peu réaliste et si instrumentaliste. D'autres ont développé
une autre vision du Monde quantique avant même que l’interprétation de
Copenhague ne soit développée.
Revenons
à la dualité onde-corpuscule. Selon l’interprétation de Copenhague, les natures
corpusculaires ou ondulatoires ne sont que des faces complémentaires d’une même
réalité. D'autres physiciens ont émis une autre interprétation plus réaliste de ce principe.
Schrödinger :
une mécanique ondulatoire
Auteur
de la formule qui porte son nom et qui est au cœur de la physique quantique,
Schrödinger conteste l’existence des corpuscules, ne considérant réelles que
les ondes. Pour expliquer les phénomènes corpusculaires observés, il présente
les objets quantiques comme étant des petits trains d’onde. Ainsi pouvons-nous
appliquer au Monde quantique la physique classique des ondes. Mais cette
interprétation ne tient pas devant les caractéristiques d’une onde, notamment
sa capacité à s’étendre dans l’espace.
Louis de Broglie (1892-1987) |
La
théorie « double solution »
Une
troisième interprétation de la dualité onde-corpuscule, toute aussi concrète,
vient de Louis de Broglie. Partant des découvertes multiples du début du XXe
siècle, notamment d’Einstein sur les natures ondulatoire et corpusculaire de la
lumière, Louis de Broglie en propose une synthèse. Il applique cette dualité à
la matière et associe à tout mouvement de corpuscule la propagation d’une
onde.
En
effet, au lieu de les séparer et de les considérer comme des aspects différents
d’un même phénomène, de Broglie associe concrètement les deux aspects. « Je m'imaginais donc tout naturellement le
corpuscule comme une sorte de singularité au sein d'un phénomène ondulatoire
étendu, le tout ne formant qu'une seule réalité physique. »[1] Selon les grandeurs du phénomène, un objet se comporte alors comme un corpuscule ou une onde, les deux étant réels mais non perceptible en même temps.
Le corpuscule est au centre d’un phénomène ondulatoire. Son mouvement est guidé
par une onde dont la phase correspond à celle de la fonction d’onde de
Schrödinger. L’amplitude de l’onde de la fonction d’onde représente la
probabilité de la position du corpuscule. Elle se modifie en fonction de son
environnement, et notamment en fonction des informations fournies par
l’observation. Ainsi, le corpuscule dépend de l’évolution du phénomène
ondulatoire et de toutes les circonstances que ce phénomène rencontrerait dans
sa propagation dans l’espace.
Mais
de Broglie ne parvient pas à résoudre des problèmes mathématiques complexes et
à éclaircir cet étrange mélange de statistique et d’individualité. En
1927, il expose une théorie plus simple, appelé « onde pilote ». La fonction d’onde décrit l’onde guidant le
mouvement du corpuscule.
Mais il reçoit peu d’audience de la communauté scientifique. Prenant conscience des
difficultés mathématiques que génère sa théorie, il finit par adhérer à
l’interprétation de Copenhague.
L’interprétation
de Bohm-Broglie ou des variables cachées
En
1951, Bohm redécouvre la théorie de l’onde-pilote et en développe les bases
mathématiques. Ainsi se développe l’interprétation dit de Bohm-Broglie ou
encore mécanique bohmienne. Le Monde quantique est défini comme des systèmes
de particules décrits par deux grandeurs : la fonction d’onde qui évolue
selon l’équation de Schrödinger et les positions, dites « variables cachées »[2], de ces
particules qui évoluent selon une équation particulière.
La
fonction d’onde est « aussi réelle
et objective que, par exemple, les champs électromagnétique de Maxwell »[3]. Elle
est authentiquement physique et n’est pas simplement un outil. La fonction
d’onde elle-seule guide l’évolution des particules. Elle influe sur les
particules sans que ces dernières n’influent sur la fonction d’onde. L’interprétation
de Bohm-Broglie respecte la non-localité, elle en donne même une
explication : les positions de particules sont interdépendantes par la
fonction d’onde. Le changement de l’une modifie donc l’autre.
Les
particules ont une position précise. Elles peuvent être définies à tout instant
en fonction de leurs positions initiales. Néanmoins, leurs positions initiales
ne sont pas connues mais distribuées aléatoirement dans l’espace selon une
probabilité donnée par le carré du module de la fonction d’onde. C'est pourquoi ces positions sont dites variables cachées.
Tous
les objets quantiques peuvent s’exprimer au moyen de cette position et leur
détermination revient finalement à la connaître. Les positions des corpuscules
déterminent le résultat d’une mesure qui définit bien des faits réels mais
dépendent du contexte de l’expérimentation.
Selon cette interprétation, la
physique quantique apparaît donc totalement déterministe. Mais compte tenu de
notre ignorance sur la valeur de la position initiale et sur d’autres grandeurs non encore connues, nous
sommes dans l’obligation d’utiliser les probabilités. Si chaque position
d’une particule est déterminée, si sa trajectoire est aussi définie, il n’est
pas possible de connaître l’ensemble des particules constituant le système. Nous
sommes donc dans la même situation qu’en mécanique statistique classique. Nous ne pouvons
connaître que des moyennes. La fonction d’onde impose aussi une limite dans la
connaissance, ce qui ne permet pas d’améliorer les prédictions… Ainsi, la
physique quantique est incomplète pour décrire le Monde quantique.
En
pratique, l’interprétation de Bohm-Broglie donnent les mêmes prédictions que
celle de l’interprétation classique, les équations étant équivalentes. Elle
permet d’expliquer des phénomènes comme ceux qui se manifestent dans
l’expérience des fentes de Young. Néanmoins, les bases sur lesquels elle s’appuie sont différentes de celles de l'interprétation classique. Pour cette dernière, les probabilités
sont inhérentes au Monde quantique, fondamentale. La fonction d’onde le décrit
parfaitement. Pour l’interprétation de Bohm-Broglie, elles ne reflètent que
notre ignorance, que l’incomplétude de la fonction d’onde. Si sous l’aspect
instrumentaliste, les deux interprétations sont équivalentes, elles diffèrent
radicalement dans la vision du Monde quantique…
Comme
elle fournit les mêmes prédications que celles de l’interprétation classique
tout en étant moins manipulable, l’interprétation de Bohm-Broglie n’a guère eu
de succès chez les physiciens. Pourtant, elle a un intérêt qui est d’être
ontologiquement interprétable. Elle conserve un certain réalisme que ne possède
pas l’interprétation classique. Elle rejette la réduction de la fonction d’onde
qui donne un résultat aléatoire de la mesure. Nous retrouvons les principes fondamentaux de la physique
classique. Néanmoins, son réalisme est limité et elle rencontre les mêmes
obstacles que ceux de l’interprétation classique sans apporter de véritables
réponses.
Références
[1] Louis de Broglie, La physique quantique restera-t-elle indéterministe ? dans Revue d’histoire des sciences et de leurs applications, 1952, Tome 5, n°4, www.persee.fr.
[2] Ces « variables cachées » sont observables mais non manipulables. Les ondes sont manipulables mais non observables.
[3] J.S. Bell, physicien, cité dans [3] Thomas Boyer, La pluralité des interprétations d'une théorie scientifique : le cas de la mécanique quantique, thèse pour l’obtention du grade de docteur en Philosophie de l’Université de Paris 1 Panthéon-Sorbonne, 2 décembre 2011.
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