« Il me paraît bon d’exposer à tous les raisons pour lesquelles je me
suis laissé convaincre que la superstition des Galiléens est une fiction
humaine, mise en œuvre par la malice ; qu’elle n’a rien en elle de divin,
mais a mis à profit le penchant pour le faible, le côté puéril et insensé de
l’esprit pour transformer un récit fantastique en témoignage véridique »[1].
Selon l’empereur Julien (331 ou 332-363), le contenu du christianisme serait intellectuellement faible, incohérent et mensonger. Les chrétiens sont alors accusés d’être des imposteurs et d’abuser des faibles, notamment des femmes et des esclaves, ce qui encouragerait le fanatisme. Enfin, la pratique des commandements évangéliques serait néfaste à la société. Julien n’est pas seul à combattre la religion nouvelle. L’élite païenne et le monde de l’enseignement se dressent contre elle. Ils présentent le christianisme comme contraire à la sagesse et à la raison. Les philosophes païens somment les chrétiens de s’expliquer et de justifier leur foi. Un de leurs griefs « consiste à reprocher au christianisme son caractère irrationnel et le rôle excessif dévolu à la foi » [2].
Selon l’empereur Julien (331 ou 332-363), le contenu du christianisme serait intellectuellement faible, incohérent et mensonger. Les chrétiens sont alors accusés d’être des imposteurs et d’abuser des faibles, notamment des femmes et des esclaves, ce qui encouragerait le fanatisme. Enfin, la pratique des commandements évangéliques serait néfaste à la société. Julien n’est pas seul à combattre la religion nouvelle. L’élite païenne et le monde de l’enseignement se dressent contre elle. Ils présentent le christianisme comme contraire à la sagesse et à la raison. Les philosophes païens somment les chrétiens de s’expliquer et de justifier leur foi. Un de leurs griefs « consiste à reprocher au christianisme son caractère irrationnel et le rôle excessif dévolu à la foi » [2].
Aujourd'hui, le discours
antichrétien n’a peut-être guère évolué. Nous pourrions néanmoins rajouter à cette
diatribe l’accusation d’anachronisme. Il n’est pas raisonnable d’être chrétien
de nos jours comme il ne l’était pas au temps de l’empire romain. C’est pourtant
dans cette atmosphère peu favorable que le christianisme a grandi et s’est
développé et qu’il continue de perdurer en dépit de l’opposition parfois agressive
d’une élite intellectuelle sûre de sa rationalité et de sa supériorité.
Julien l'Apostat Musée de Cluny |
Leurs discours présentent un autre intérêt. Ils témoignent de l’existence d’une élite intellectuelle chrétienne, capable de répondre de manière rationnelle à leurs adversaires. L’intelligence et la culture ne sont pas simplement du côté de l’élite païenne. Des chrétiens connaissent et maîtrisent leurs philosophies. Ils sont cultivés et peuvent rivaliser ses membres les plus éminents. Les païens finissent même par recourir à des maîtres chrétiens. Origène, « l’esprit le plus universel de son temps »[3], a gagné une renommé internationale au point que des princes païens veulent l’entendre. Son autorité est incontestable.
Les écrivains chrétiens ne sont donc
ni des faibles, ni des ignorants. Le fait même de répondre et d’être entendus
par les philosophes païens suffirait à montrer à leurs adversaires que les
chrétiens peuvent être aussi savants qu’eux. Ce sont en effet de véritables
philosophes qui répondent à des philosophes, arguments contre arguments selon
leurs propres méthodes, n’hésitant pas parfois à utiliser la même argumentation.
Les païens apprennent ainsi à leur dépend que les chrétiens sont loin d’être des esprits faibles. Par leurs ouvrages, le christianisme a
gagné ses lettres de noblesse.
D'où viennent ces chrétiens qui
osent ainsi répondre à l’élite païenne ?
Certains proviennent de cette
élite. Autrefois membres de l’intelligentsia, ils se sont convertis au
christianisme. Tatien était un rhéteur renommé avant sa conversion. Athénagore
était un maître platonicien avant qu’il ne reçoive le baptême. « Son érudition […] le désigne tout à fait comme un de ces maîtres privés qu’employaient
les cités pour former leur jeunesse »[4]. Saint
Justin est probablement le premier « philosophe »
chrétien qui surpasse tous ses prédécesseurs. « Représentant parfait de la classe moyenne de son temps », il est
devenu philosophe. En quête de vérité, il découvre le stoïcisme qu’il juge
stérile, le pythagorisme, trop érudit, et le platonisme. Il finit par
conclure : «le christianisme est la
seule philosophie solide et utile que j’ai jamais trouvée »[5]. Dans
son ouvrage Dialogue avec Tryphon le juif,
il démontre l’incomparable supériorité du christianisme dans la
connaissance de Dieu. Car la philosophie consiste essentiellement en une
recherche, en une quête de Dieu. La réponse se trouve dans la personne de Notre
Seigneur Jésus-Christ.
Ainsi le christianisme peut toucher
des hommes éminents de la société. Comment pouvons-nous alors accepter les
accusations de Julien, de Celse ou des intellectuels ? De telles
conversions suffisent à rejeter leurs arguments fallacieux. Étaient-ils tous en
effet idiots et faibles ces Saint Justin, Athénagore, Tatien, Origène et Saint
Augustin ? Mais nous pouvons encore citer dans l’histoire d’autres
intellectuels illustres qui ont embrassé la foi. N’oublions pas surtout qu’au
IIe siècle, le fait d’être chrétien pouvait conduire à la mort. Saint Justin
finira sa vie en martyr. Une conversion ne répond pas à des intérêts
économiques, sociaux ou politiques. Elle est une entrave à la célébrité, à la
tranquillité sociale, à un avenir radieux. Elle est à l’encontre de la sagesse
du Monde…
Le christianisme n’attire pas
seulement des gens rationnels et cultivés, parfaitement conscients de l’aspect
raisonnable de la foi, il forme également des hommes à exercer leurs
intelligences et à élever leurs cultures, et finalement à faire progresser
l’humanité sur la voie de la connaissance et de la raison.
Pour ceux qui veulent approfondir leurs connaissances et mieux comprendre la doctrine, il leur est possible de recevoir un enseignement plus poussé auprès de maîtres réputés, généralement sous la forme d’entretiens publics ou individuels, de causeries, de conversations au cours duquel un maître témoigne auprès de chrétiens déjà instruits de la doctrine. Saint Irénée écoute Saint Polycarpe qui transmet ce qu’il avait lui-même entendu des Apôtres et qui délivre une interprétation de la Sainte Écriture. Ce type d’enseignement s’inscrit dans la transmission de la Tradition. Saint Irénée écoute Saint Polycarpe qui est le porte-parole de Saint Jean, lui-même porte-parole de Notre Seigneur Jésus-Christ. L’approfondissement de la doctrine passe ainsi par la relation entre un maître et un élève.
A côté de cet enseignement personnel se créent aussi de véritables écoles qui approfondissent non seulement la doctrine chrétienne mais enseignent aussi les matières classiques de l’époque. A l’imitation des écoles philosophiques classiques des païens, des philosophes chrétiens enseignent et forment d’autres chrétiens pour les instruire et parfaire leurs connaissances, notamment celles des Écritures, mais aussi pour les initier à la philosophie. Un véritable enseignement solide « était dispensé au sein de véritables écoles, tout à fait comparables à celles que connaissaient le monde hellénistique »[6]. Le christianisme favorise ainsi l’enseignement et le progrès de la connaissance. L’Histoire montre suffisamment son apport dans la construction intellectuelle de l’Occident, aussi bien dans la préservation de sa connaissance, notamment au cours des invasions barbares grâce au travail des monastères, que dans son développement grâce aux écoles monastiques et aux universités prestigieuses qu’il a fondées dans de nombreuses régions. De nombreux philosophes et scientifiques illustres sont sortis de ces écoles et ont fait progresser les connaissances et les sciences.
Après sa conversion, Athénagore
christianise son enseignement et fonde une des toutes premières écoles
chrétiennes. Muni du manteau grec qui distingue les philosophes, Saint Justin
enseigne la philosophie en authentique maître de sagesse. Son école atteint une
telle réputation qu’elle est en lutte contre d’autres écoles, en particulier
celle de Crescens. Nous pouvons encore citer Origène qui attire chrétiens,
païens et hérétiques.
Dans tout l’empire romain naissent
et croissent ainsi de nombreuses écoles chrétiennes dont la réputation attire la jeunesse.
De nombreux chrétiens n’hésiteront pas à faire de grands voyages pour entendre
des maîtres à penser, comme nous le montre « le
périple de Saint Clément d’Alexandrie sur les pourtours de la Méditerranée »[7].
Saint Athanase Saint Cyrille d'Alexandrie (1561) |
Saint Ambroise |
En conclusion, des membres de
l’élite païenne se sont convertis au christianisme et ont contribué par leur
intelligence et leur culture à défendre la foi pour répondre aux attaques de
leurs anciens coreligionnaires. Le christianisme a aussi formé une élite
capable de répondre aux accusations et aux objections des païens. Des chrétiens
ont enfin approfondi leur culture en se formant auprès des maîtres païens. Tout
cela montre évidemment que le christianisme ne s’adresse pas uniquement aux
faibles et aux ignorants. Il s’adresse à tous les hommes sans exception. Car
Notre Seigneur est venu apporter la lumière à tous.
Si au contact des chrétiens, les païens ont hâtivement accusé le christianisme d’être une religion puérile, nous pouvons peut-être les comprendre car la graine était à peine semée. Mais après deux mille ans d’histoire où les chrétiens ont déployé tant d’énergie pour combattre l’obscurantisme et développer les connaissances dans tous les domaines, nous ne pouvons qu’être atterrés et attristés d’entendre une même accusation. Les fables du XVIIIe siècle sont-elles encore plus imposantes que la force de la raison ? La haine contre l’Église a-t-elle plus de poids que la connaissance et la sagesse réunies ?
Au IIIe siècle, l'empereur Julien comme tant d’autres
païens connaissent la valeur de leurs adversaires. Dans leurs ouvrages, ils
dénoncent le sectarisme des chrétiens, c’est-à-dire leur opiniâtreté dans leur
croyance. Ce n’est donc pas leur démarche rationnelle qui est vraiment remise
en cause mais leur comportement, leur inébranlable fidélité à leur foi.
Aujourd'hui, avons-nous auprès de nos élites chrétiennes cette certitude de
posséder la vérité ?
L’autre élément perturbant pour les
païens est le refus des chrétiens de rester neutres face à la Vérité. Car la connaissance de la vérité implique un comportement, un changement de vie. Elle n’est pas que paroles à
transmettre ou à étudier. Elle implique un choix et des décisions. Elle est principe d'actions. En prenant
conscience de la Vérité, l’homme ne peut pas fuir devant ses responsabilités. Il
ne peut plus vivre comme s’il ne savait pas. « Il importe maintenant de prendre ouvertement fait et cause pour cette
Vérité, à l’encontre de tout préjugé et de toutes les calomnies, ainsi qu’il
convient aux philosophes et même, s’il le faut, en y risquant sa vie »[9].
Et finalement, les païens accusent les
chrétiens de mettre la foi au-dessus de la raison. « Il y a là un élément qui rend irréconciliable, du point de vue des
philosophes, le christianisme et la philosophie » [10]. Les
philosophes païens acceptent que la foi joue un rôle dans l’activité
philosophique mais en tant que marchepied à la raison. Or chez les chrétiens,
la raison est servante de la foi. L’adhésion au christianisme
repose sur une révélation. Tout repose sur Notre Seigneur Jésus-Christ et non à
des motifs de raison. Comme les Pères de l’Église n’ont cessé de l’affirmer, la
raison et la philosophie ne suffisent pas pour saisir la Vérité et pour la
vivre. L’Histoire du christianisme en montre tout leur danger quand elles sont
livrées à des hommes égarés. Il faut s’en remettre nécessairement à l’autorité
de l’Église.
C’est pourquoi forts de la foi, les
écrivains chrétiens ont une liberté incroyable. La supériorité de Saint Justin
« n’est pas simplement le fruit
d’une culture plus riche, plus profonde, mais tient avant tout à l’attitude
très personnelle que Justin prend lui-même à l’égard de cette culture »[11]. Ils ne
sont pas assujettis à un modèle social ou intellectuel. Notre Seigneur
Jésus-Christ nous donne cette liberté contrairement aux accusations des païens. Le chrétien est un homme libre...
« En acceptant la confrontation avec l’hellénisme, les Pères ont permis à
une secte juive dissidente de se transformer en une institution capable non
seulement d’accueillir les gens simples de tout l’empire romain, mais aussi de
répondre aux besoins des lettrés et des élites »[12]. Sous
la lumière de la foi, les Pères de l’Église montrent que les doctrines
chrétiennes sont croyables et non déraisonnables. Audacieux, ils en arrivent
même à démontrer l’ignorance de leurs adversaires et leur indignité dans leur
rôle de philosophes[13]. Enfin,
leurs activités littéraires et philosophiques sont de beaux témoignages d’une
vérité profonde : la foi élève les capacités de l’homme et ne les supprime
pas. Aujourd’hui, de manière inattendue, nous avons pu entendre un philosophe
des sciences, scientifique réputé, prendre comme référence Saint Augustin dans
une des questions clés de la science d’aujourd’hui qu’est la notion du temps.
Quel plus bel hommage que nous pouvons rendre à ces chrétiens ! …
Références
[1] Julien, Contre les Galiléens, cité dans De Julien à Cyrille de Pierre Evieux, dans Les Apologistes chrétiens et la culture grecque, sous la direction de Bernard Pouderon et Joseph Doré.
[2] Gilles Dorival, Apologétique chrétienne et culture grecque dans Les Apologistes chrétiens et la culture grecque.
[3] Hans von Campenhausen, Les Pères grecs, traduit de l’allemand par O.Marbach, éditions de l’Orante, 1963.
[4] Bernard Puderon, Sur la formation d’une élite chrétienne dans Les Apologistes chrétiens et la culture grecque.
[5] Saint Justin cité dans Hans von Campenhausen, Les Pères grecs.
[6] Bernard Pouderon, Sur la formation d’une élite chrétienne.
[7] Bernard Puderon, Sur la formation d’une élite chrétienne.
[8] Saint Grégoire de Nazianze, Discours, 43, 21 cité dans Hans von Campenhausen, Les Pères grecs.
[9] Saint Justin cité dans Hans von Campenhausen, Les Pères grecs.
[10] Gilles Dorival, Hellenisme et patristique grecque : continuité et discontinuité, Université de Provence et Centre Lenain de Tillemont.
[11] Saint Justin cité dans Hans von Campenhausen, Les Pères grecs.
[12] Gilles Dorival, Hellenisme et patristique grecque : continuité et discontinuité.
[13] Comme Origène auprès de Celse (Voir "Celse et Origène, un combat qui dure encore", Émeraude, 14/02/2012, Saint Justin démontre que Crescens, son adversaire, ignore ce qu’il condamne.
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