Il est difficile d’étudier une idéologie ou un mouvement sans connaître ses fondateurs ou ses pionniers. Ainsi pour comprendre ce qu’est le « Birth Control », devons-nous découvrir l‘une de ses fondatrices, Margaret Sancher. Cette femme à forte personnalité ne peut nous laisser indifférents. Des articles la décrivent comme « un monstre de l’histoire de l’humanité »[1] ou comme un apôtre de la liberté et des droits de la femme. Notre article n’a pas pour but de juger cette femme – laissons cette terrible responsabilité à Dieu - mais de comprendre ce qui la conduit à être la pionnière du « Birth Control » afin de mieux juger le mouvement lui-même.
Margaret Sanger (1879-1966) est issue d’une famille nombreuse catholique de 18 enfants dont 11 ont survécu. Sa mère meurt à l’âge de 50 ans, emportée par la tuberculose. Margaret Sanger voit la cause de sa mort dans les grossesses successives. « Quand j’avais dix-sept ans, ma mère mourut de surmenage et de tension nerveuse à cause de ses grossesses trop fréquentes. Je dus m’occuper des plus jeunes et partager le fardeau de tous »[2].
Imaginons un instant cet enfant. Très jeune, elle est en charge d’un foyer, de ses frères et de ses sœurs, probablement de son père aussi. Le poids d’une telle responsabilité dans le destin d’un enfant devenue femme si tôt n’est pas anodin. Il est probablement la clé de toute son histoire. Elle a vécu concrètement ce que pouvait conduire les grossesses nombreuses et fréquentes, cause probable selon elle de la mort de sa mère.
Rongée probablement par la rancœur et la colère, elle a fini par rejeter un modèle familiale qu’elle considère comme la cause de son malheur. Son expérience profondément malheureuse ne doit pas être occultée. La misère, elle sait ce que cela signifie réellement.
Au contact d’une réalité aussi dramatique
Une autre expérience aussi désastreuse l’attend. Devenue infirmière, elle découvre alors une réalité encore plus terrible : l’inégalité sociale. Elle découvre le sort des femmes pauvres, les enfants abandonnés, les avortements clandestins, plus ou moins bien réussis. Elles découvrent aussi des femmes de bonne société qui utilisent les méthodes de contrôle de naissance. « Quelques années de ce travail [d’infirmière] m’amenèrent à la découverte choquante - que la connaissance des méthodes de contrôle de naissance était accessible aux femmes bien nanties alors que les travailleuses étaient délibérément tenues dans l’ignorance ! » [2]. Elles dénoncent surtout les médecins de faire perdurer cette inégalité, cause de malheurs et d’une souffrance qu’elle connaît bien pour les avoir vécus. Dans les milieux défavorisés, l’avortement apparaît pour certaines femmes pauvres et esseulée la meilleure solution à leur détresse. Mal pratiqué, il est souvent cause de morts…
Un drame particulier finit par la faire basculer. Elle est témoin d’une histoire particulièrement dure. Elle est probablement vraie. Cette histoire est considérée comme le point de départ de ce qui deviendra véritablement une révolution.
Une femme, mère de trois enfants, est conduite à l’hôpital dans lequel elle exerce. Elle a essayé d’avorter lorsqu’elle s’est trouvée enceinte une quatrième fois. Son état est très grave. Margarete Sancher assiste le médecin qui la sauve in extremis. Au moment de sortir de l’hôpital, la femme demande au médecin les moyens de ne plus être enceinte. Le médecin se contente de rire. Témoin de cette scène, Margarete Sancher en sort profondément choquée. Quelques mois plus tard, la femme revient à l’hôpital, de nouveau pour avoir essayé d’avorter, mais cette fois-ci, elle est morte…
Depuis ce drame, Margarete Sancher décide de se battre pour éviter qu’une telle situation se reproduise. « Je ne pouvais en supporter davantage, je savais que je ne pourrais plus me contenter de ma tâche d’assistance aux mourants. J’étais résolue à agir pour changer le destin de ces mères de famille dont la misère était aussi immense que le ciel »[2].
Une femme rebelle
Margaret Sancher nous raconte son histoire. Elle est peut-être exagérée ou erronée. Elle cherche probablement à émouvoir les âmes pour justifier son combat. Peut-être… Mais à une époque où effectivement la misère sociale est si grande, où les iniquités sont si criantes et choquantes, elle nous paraît vraisemblable, voire parfaitement crédible. Nous savons ce qu’est une famille nombreuse et ce qu’elle peut générer de drames - et de bonheur également.
Nous découvrons donc une femme profondément en colère. Elle finie par se rebeller contre un modèle familial et contre une inégalité sociale forte qu’elle juge responsable de tant de malheurs.
Mais qu’a-t-elle vu finalement ? Une mère toujours enceinte, fatiguée de ces grossesses répétées. Que conserve-t-elle comme souvenir d’une mère d’une famille nombreuse ? Une mère « chargée d’une demi-douzaine d’enfants non-voulus, sans aide, affamés, mal habillés, accrochés à votre jupe, vous-même n’étant plus que l’ombre de la femme que vous étiez auparavant » [2]. Mais décrit-elle sa mère ou plutôt elle-même quand elle portait cette charge ?
Margarete Sancher voit aussi des mères enceintes qui refusent d’accoucher au risque de mourir. Des femmes plus aisées qui, grâce à leur fortune et à leur position sociale, disposent de vrais moyens de contraception. Elle en conclue donc que la meilleure solution pour éviter les drames qu’elle a vécus est de propager les moyens de contraception à toutes les femmes. Or la loi s’y oppose. Elle interdit en effet toute publicité et toute diffusion de pratique anticonceptionnelle. Pour elle, trois adversaires sont à combattre : les hommes, les médecins, les politiques.
Vers une révolution sociale
Pour que la femme ait un rôle actif dans la procréation, elle prône la rébellion, c’est-à-dire le rejet d’un modèle social et un changement profond de société. Pour cela, elle diffuse ce qu’elle lui paraît être une injustice devant la connaissance. Les femmes des milieux défavorisées doivent savoir ce que savent les femmes des milieux aisés.
Le combat de Margaret Sanger ne consiste pas uniquement à diffuser la « bonne parole ». Elle fournit aussi les moyens de la rendre effective. En 1916, elle ouvre la première clinique de contraception à Brooklyn, puis en 1921, elle fonde le premier centre de planning familial. Elle y prodigue conseil, informe les femmes sur les méthodes contraceptives disponibles et en propose. Ce n’est pas un véritable succès. Car elle rencontre deux obstacles : les techniques ne sont pas efficaces et le centre n’attire guère de femmes. En un mot, c’est un échec.
Déconstruire la femme
Margarete Sanchez a donc rompu avec les valeurs qui étaient les siennes et avec le modèle familial dans lequel elle a été élevée. Elle en voit les causes de ses propres malheurs et de la misère dont elle a été témoin. Pour s’opposer à ce modèle, le remède lui paraît alors simple : la contraception. Mais elle comprend que cela est impossible tant que la femme n’est pas libérée d'un modèle. Il ne suffit pas de diffuser la bonne parole et les moyens de contraception ; il faut aussi déconstruire le modèle dans lequel elle pense et vit. Son objectif est désormais de casser ce modèle dans la société américaine et bien au-delà encore puisqu'elle déploie des cliniques de contraceptions en Angleterre.
Quelle est donc son erreur ?
A ses adversaires qui l’accusaient d’immoralité, Margarete Sancher répond : « qu’est-ce qui est plus moral – exhorter les femmes de cette classe à n’avoir que les enfants qu’elles désirent et dont elles peuvent s’occuper ou les tromper en leur disant qu’elles peuvent se reproduire insouciamment ? Quelle est la définition américaine de la moralité » [2]. Sa réponse est foudroyante car elle révèle un véritable problème : l’irresponsabilité dans l’acte de la procréation. La société de l’époque a tendance à déresponsabiliser les parents dans cet acte essentiel. La cause est donc profondément morale.
Malthus l’avait déjà bien perçue. Il a proposé comme remèdes d’une part la chasteté et la responsabilisation des parents, notamment des pères, par l’éducation, et d’autre part, la fin de la propagande nataliste. Margarete Sancher rejette catégoriquement ces solutions naturelles. Elle considère notamment la chasteté comme nuisible et néfaste.
Elle pourrait aussi réclamer une aide auprès des femmes pour élever leurs enfants, fonder des associations pour la prise en charge des familles nombreuses, etc. Elle rejette les œuvres de charité qui ne font, selon elles, qu’entretenir la misère et exciter les femmes à avoir des enfants. Elle ne cherche pas à améliorer le sort des enfants et des familles. Elle n’en veut pas simplement…
Elle pourrait aussi comprendre que la misère est la cause réelle de la détresse des femmes et des familles. Par conséquent, les remèdes ne sont que conjecturels. Or son combat est un combat de principe…
Finalement, quel est son véritable combat ? La misère ? Non. Le bonheur des hommes ? Non. Elle rejette un modèle qu’elle considère comme la cause de son malheur, malheur devenu un mal en soi. Pour y parvenir, elle a compris qu’il fallait combattre les principes sur lequel il s’appuie. C’est pourquoi son combat ne s’arrête pas à la contraception. Elle prône aussi la libéralisation du mariage, l’émancipation de la femme… Tous les moyens sont bons pour y arriver…
[1] Dickès, Cahiers Saint Raphaël.
[2] Margarete Sanger, The Case of Birth Control, citée dans La vérité sur l’euthanasie, la stérilisation et les cobayes humains sous Hitler, Réponse au docteur Dickès, directeur de la revue les Cahiers Saint Raphaël.
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