" La pierre précieuse, voire de grand prix aux yeux de certains, qu'est l'émeraude, se voit insultée par un morceau de verre habilement truqué, s'il ne se rencontre personne qui soit capable de procéder à un examen et de démasquer la faute. Et lorsque de l'airain a été mêlé à l'argent, qui donc, s'il n'est connaisseur, pourra aisément le vérifier ? "(Saint Irénée, Contre les hérésies)


mercredi 11 décembre 2013

Retour à des notions scientifiques essentielles : loi, modèle et théorie

Il nous arrive parfois de s’exprimer ainsi : « les planètes décrivent telle orbite en raison de la loi de Kepler ou tel phénomène se produit en raison de telle loi scientifique ou de telle équation ». Ce langage est trompeur. En réalité, les lois scientifiques ou les formules mathématiques, qui en sont une traduction, ne sont pas la « raison » ou la cause de ses phénomènes. Cette façon de s’exprimer revient à donner corps aux lois de la Science, c’est-à-dire à en faire des entités, des substances qui existeraient par elles-mêmes et pourraient agir comme des causes efficientes. 

Pour mieux connaître ce qu’est véritablement la science, ses limites comme ses forces, il est impératif de mieux comprendre le vocabulaire qu’elle utilise afin d’éviter de telles erreurs. La vulgarisation des théories et la diffusion de la connaissance scientifique à une population toujours plus massive ne permettent guère de s’attarder sur des notions pourtant essentielles

Qu’est-ce qu’une loi scientifique ? 

« Une loi scientifique est l’expression mathématisée d’une corrélation répétable, d’un comportement constant ou d’une fréquence statistique observée parmi un ensemble de faits. Elle est déduite d’un certain nombre d’observations et généralise celles-ci, en retenant le caractère stable. Il est donc inexact de dire que les faits sont régis par des lois : il faut dire que les faits comportent des lois. A la différence du sens juridique usuel, la loi scientifique est constative et non normative »[1]. 

A partir de faits et de mesures répétés, les scientifiques dégagent des lois. Elles traduisent ce qui est observé et non ce qui est. Elles dépendent donc des moyens qui nous permettent d’observer et de mesurer la réalité, et elles dépendent de l'interprétation des mesures obtenues. 

Certains énoncés scientifiques parlent aussi de principes. Ce sont des lois très générales qui dépassent de très loin les faits qui les ont suggérés. Ils ne sont ni démontrés ni démontrables. Tels sont les principes de Newton. Ils correspondent aux axiomes mathématiques.

Qu’est-ce qu’un modèle ?

Les lois sont regroupées et unifiées de manière cohérente dans des modèles. Elles permettent de décrire une réalité observée et d’approfondir notre connaissance sans être pourtant une description exacte de la réalité. La modélisation des faits observés sous forme calculatoire est très féconde en science et est parfaitement légitime tant qu’il n’y a pas de confusion entre la réalité et le modèle qui la représente. Un fossé infranchissable sépare le monde ainsi représenté et le Monde réel. L’écart qui les sépare dépend de nombreux paramètres qui dépendent aussi bien de nos capacités d’observation et d’interprétation que de la nature même des choses. Il y a véritablement progrès dans la connaissance quand nous pouvons évaluer cet écart…

Un tel fossé entre la réalité et le modèle est inhérent à la conception même du modèle. Car tout modèle est obtenu par abstraction du réel, ce qui conduit inévitablement à une perte irrémédiable d’informations. Le modèle enrichit aussi ce qu’il est censé représenter par le langage et le formalisme qu’il utilise. C’est cette quantité d’informations effectivement perdues et ajoutées qui détermine l’exactitude du modèle. 

Comme pour la loi, le modèle n’a pas un rôle normatif. Il est « un cadre représentatif, idéalisé et ouvert, reconnu approximatif et schématique mais jugé fécond par rapport à un but donné : prévoir, agir sur la nature, la connaître mieux, etc. »[2]. 

Qu’est-ce qu’une théorie ?

Une théorie est un système cohérent qui coordonne, relie et unifie des lois, des hypothèses, des principes et des modèles. Elle est plus générale que les modèles qu’elle replace dans un contexte général. Elle permet de déduire des lois et de déterminer des faits non encore déterminés par l’observation. Elle a aussi une fonction de représentation. « Les modèles et le cadre fournis par une théorie offrent une représentation de l’univers sensible, qui permet à chacun d’ordonner sa vision du monde » [3]. Notre conception de l’Univers se forme à partir des théories…

La théorie est donc une abstraction de phénomènes observés. Par des grandeurs quantifiables et mesurables, elle tente de reproduire ce qui est constaté. Toute abstraction est avant tout une simplification pour ne retenir que l’essentiel, c’est-à-dire ce que le scientifique tente d’identifier. Une théorie est donc élaborée pour rendre compte de certains phénomènes dans un domaine d’étude particulier. Elle n’est donc valable qu’en prenant en compte le cadre dans lequel elle a été définie. Contrairement à la réalité, la « vérité scientifique » est conditionnelle.

Les hypothèses scientifiques sont plus ou moins explicites. Les lois de Newton ne sont ainsi valables que dans un certain type de référentiels, appelé galiléens. Certaines hypothèses peuvent même être définies a posteriori, notamment quand une nouvelle théorie vient en montrer toutes les limites du modèle. Les lois de Newton ne sont plus valables à un niveau microscopique comme l’ont montré les théories scientifiques du XXème siècle. Aucune loi, aucun modèle, aucune théorie n’existe donc sans un minimum de conditions. C’est par leur étude que nous pouvons alors évaluer leur exactitude à représenter la réalité. En les oubliant, nous pouvons commettre de graves contre-sens. Une loi ou un modèle sans hypothèses n’a aucun sens…

Conclusion pour l’étude apologétique

Lorsqu'une proposition scientifique s’oppose à notre foi, ce n’est pas la proposition en elle-même qu’il faut peut-être tenter de réfuter si effectivement elle est l’aboutissement d’une démarche scientifique rigoureuse et honnête. La plupart du temps, c’est peine perdue et cela nécessite des efforts considérables. Nous entrons en outre dans un domaine qui n’est pas celui de la foi. 

L’effort doit plutôt être tourné vers les hypothèses qui l’encadrent. Elles sont généralement à notre portée. Ainsi nous éviterons probablement des erreurs d’appréciation qui discréditent finalement ce que nous voulons défendre. 

En envisageant la théorie comme hypothétique, c’est-à-dire incapable de saisir toute la réalité, nous nous heurtons à une conception du Monde qui longtemps a dominé le monde scientifique et continue de s’imposer dans la pensée dominante : « le déterminisme scientifique » … 



Référentiel
[1] Introduction à la pensée scientifique moderne de Pierre Sagaut, Institut Jean Le Rond d’Alembert, Université Pierre et Marie Curie – Paris 6. 
[2] L. Soler, Introduction à l’épistémologie, Ellipses, 2000 cité dans Introduction à la pensée scientifique moderne de Pierre Sagaut. 
[3] L. Soler, Introduction à l’épistémologie.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire