" La pierre précieuse, voire de grand prix aux yeux de certains, qu'est l'émeraude, se voit insultée par un morceau de verre habilement truqué, s'il ne se rencontre personne qui soit capable de procéder à un examen et de démasquer la faute. Et lorsque de l'airain a été mêlé à l'argent, qui donc, s'il n'est connaisseur, pourra aisément le vérifier ? "(Saint Irénée, Contre les hérésies)


lundi 25 février 2013

L'Islam et les non-musulmans


« La nature de la tolérance islamique — sa portée et ses limites — sont souvent mal comprises. Deux mythes courants, deux stéréotypes, s'opposent à ce propos : d'un côté, la vision d'un islam bigot, intolérant, tyrannique, symbolisé par l'image légendaire du guerrier fanatique déferlant du désert, le Coran dans une main et l'épée dans l'autre, et offrant à ses victimes le choix entre les deux ; de l'autre, celui de l'égalité des droits, de l'utopie interreligieuse et interraciale dans laquelle musulmans, chrétiens et juifs auraient collaboré dans un âge d'or de libre effort intellectuel » [1]. 


Nous sommes en effet régulièrement confrontés à deux réalités que nous ne pouvons ignorer : des atrocités sont commises au nom de l'islam alors que des discours le présentent comme une religion tolérante, voire pacifique. Au delà de la peur ou de la colère, que génère la violence islamique à l'égard des chrétiens ou d'autres non-musulmans, au delà aussi de la démagogie et de la volonté de dédramatiser les passions, nous souhaitons étudier de plus près les relations entre l'Islam et les non-musulmans. Pour cela, nous vous proposons encore de revenir aux origines de l’Islam... 

Revenons d'abord à la conquête islamique, en particulier sur le rôle économique des non-musulmans dans la société arabe et dans l’État naissant. Dans la mentalité tribale, d'où émane l'Islam, le vaincu doit se soumettre à son vainqueur. Or, le vaincu est le non-musulman (chrétien, juif, zoroastrien, païen), le vainqueur, le musulman. Or, l’Islam est la religion du vainqueur. Cette soumission du vaincu se manifeste par le paiement d'un tribut si le vaincu ne devient pas esclave ou s'il ne meurt pas. Elle se concrétise au moyen d'un contrat parfois précaire, dépendant de la bonne volonté du vainqueur. Le non-musulman est donc source de profit et de richesse. Il doit être préservé. C'est pourquoi l’État tente de le protéger contre la cupidité et l'esprit belliqueux des tribus arabes. C'est pourquoi également il refusera toute conversion des vaincus lorsqu'elle conduira à une diminution inquiétante des recettes. Ils n'hésiteront pas, non plus, à quitter une région conquise, même stratégique, au prix d'une rançon si cette dernière est plus rentable... 

Revenons aussi à la situation difficile des musulmans au lendemain de la conquête arabe. En dépit de leurs victoires incontestées et de leur domination, les musulmans sont en position de faiblesse. De vastes régions civilisées au passé prestigieux et dotées d'une culture supérieure sont tombées rapidement entre leurs mains. Ils sont minoritaires et ignorent l'art de gouverner. Ils méprisent même les travaux de la ville et de la terre. Ils dépendent donc entièrement des peuples vaincus, de leur savoir et de leurs labeurs, et de leur soumission. Ils sont ainsi dans l'obligation de recourir aux services des juifs et des chrétiens pour administrer leurs territoires. Les Grecs chalcédoniens, fidèles à Byzance, ont généralement rejoint les terres byzantines, les autres continuent leur travail et les remplacent, s'adaptant au changement de régime. Des collaborations se mettent en place entre les vaincus et les conquérants. Mais l'intérêt de l’État est évidemment de renforcer sa mainmise sur les populations et de diminuer l'inégalité démographique, culturelle et politique. Ainsi pratique-t-il une forte politique migratoire, accompagnées de mesures d'arabisation pratiques. Les langues indigènes, l'araméen (Irak, Mésopotamie, Syrie, Palestine), le copte (Égypte), le pehlvi (Perse), sont ainsi interdites dans l'administration. Une autre culture tente de s'affirmer et de se substituer aux autres... 

Enfin, les conflits pour des questions de pouvoirs ne sont pas rares dans l'histoire de l'Islam. L'autorité est disputée entre des tribus puis entre des peuples. Damas supplante La Mecque après que celle-ci se soit imposée devant Médine. Les omeyades (arabes) écrasent Ali et sa tribu avant que les abbassides (perses) ne remplacent les arabes à la tête de l'empire. Des considérations sociales entrent aussi en jeu dans cette quête du pouvoir. Les premiers califes représentent plutôt la classe des notables alors que leurs adversaires semblent plutôt porter les classes les moins aisées. Les relations entre l'Islam et les non-musulmans s'intègrent également dans ces perpétuels rapports de force. 

Les non-musulmans sont donc traités selon des considérations économiques, politiques et sociales. Nous pourrions alors croire que les considérations religieuses sont alors secondaires et que l'Islam n'intervient guère dans leur persécution ou leur tolérance. Pour y voir encore plus clair, revenons au tout début de l'Islam, au moment où l’Islam rencontre pour la première fois des non-musulmans... 

Avant que Mahomet et ses disciples ne convertissent la péninsule arabique, cette dernière était essentiellement païenne. Elle abritait aussi certains courants spirituels provenant de ses puissants voisins. Le judaïsme puis le christianisme, surtout nestorien et monophysite, s'y étaient répandus. Des tribus arabes s'établissent sur la lisière des déserts syriens et mésopotamiens ou se sont infiltrées dans l'empire byzantin. Elles se sont converties au christianisme. Elles ont maintenu leur contact avec leurs tribus sœurs ou alliées, restées païennes. 

Selon la tradition islamique, en l'an 10 de l'hégire, soit en 632, Mahomet rencontre des chrétiens nestoriens de Najran, conduits par leur évêque. A cette occasion, un pacte est conclu aux termes duquel les chrétiens obtiennent l'autorisation de conserver leur culte en contrepartie du paiement d'un tribut. « Au fur et à mesure que le pouvoir musulman s'établit dans la péninsule arabe, il semble que la pratique se soit répandue de doter les chrétiens d'un régime politique discriminatoire mêlant les marques d'infériorité et les garanties de protection (ex.: fiscales), la sécurité et le droit de vivre selon leurs us et coutumes leur sont assurés » [2]. 


Mahomet conclut aussi un accord avec les Juifs cultivant l'oasis de Khaybar, à 150 kilomètres de Médine. Le prophète confirme aux Juifs la possession de leurs terres mais la propriété comme les fruits reviennent aux musulmans. Pour conserver leur religion et leurs biens, ils doivent leur remettre la moitié de leurs récoltes. « Cet accord devient un locus classicus de la jurisprudence ultérieure portant sur le statut des sujets conquis non musulmans dans l'État musulman » [1]. Mais, ce statut n'est pas définitif. Mahomet et ses successeurs se réservent le droit de l'abroger quand il le veut. Ainsi, en 640, le calif Umar rompt le pacte et chasse du Hijâr les tributaires juifs et chrétiens pour respecter cet adage : « deux religions ne doivent pas coexister dans la péninsule arabique ». En absence de contrat ou de soumission, la mort est inéluctable. Elle peut cependant être commuée en réduction à l'esclavage. Progressivement, un statut s'établit donc pour les non-musulmans. Ce statut s'appuie sur un rapport de force et sur l'appartenance religieuse. Il légitime des mesures de discrimination. 

Les zoroastriens subissent aussi cette politique, mais leur situation est plus dramatique. « A la différence de l'Empire chrétien, l'Empire perse a été vaincu et entièrement détruit ; son territoire et sa population sont passés sous la domination du califat islamique. Le clergé zoroastrien était étroitement associé à la structure du pouvoir. Privé de cette association, manquant de la stimulation de puissants partisans à l'étranger, dont bénéficiaient les chrétiens, ou de l'habileté à survivre amèrement acquise qui animait les juifs, les zoroastriens tombent dans le découragement et déclinent. Leur nombre diminue rapidement.»[1]. 





Pour légitimer la politique des califes, notamment fiscale, les juristes musulmans s'appuient en particulier sur « le pacte d'Umar », attribué par les chroniqueurs arabes tantôt à Umar Ier (634-644), tantôt à Umar II (717-720). Ce contrat est intéressant non seulement parce qu'il conditionne les relations pratiques entre l'Islam et les non-musulmans, mais aussi parce qu'il donne l'esprit qui les régit. Umar a négocié les conditions de redditions en fonction de tribut versé par les indigènes. Conscient que les vaincus représentent la source de la puissance arabe, il a limité l'esclavage et le partage des populations. Pour imposer ses décisions, il a invoqué celles prises par Mahomet lors de ses guerres contre les juifs Médinois. Par un contrat, le calife garantit la sécurité de leur vie, de leurs biens et de leur foi, et s'abstient d'intervenir dans leurs affaires, moyennant tribut. Ces populations sont finalement sous sa protection. Ce sont des « dhimmis », des protégés. Ceux qui ne sont pas sous cette protection appartiennent au butin à partager individuellement selon les modalités de la conquête. Ainsi, les vaincus sont partagés entre la protection assurée par les califes et les prédations des nomades. 

Nous pourrions constater qu'il n'existe pas de volonté de conversion de la part des musulmans. La situation n'est pas en fait aussi simple. A Médine, Mahomet entre en conflit avec les trois tribus juives qui y vivent. Toutes sont vaincues et, selon la tradition musulmane, deux d'entre elles eurent à choisir entre la conversion et l'exil ; la troisième, la tribu Banu Qurayza, entre la conversion et la mort. Cette opposition juive laissera de la rancœur notamment dans le Coran. Elle expliquerait aussi le changement de l'orientation de la prière musulmane. A l'origine orientée vers Jérusalem, elle sera désormais tournée vers La Mecque. 

Si au début de leur expansion, les musulmans rencontrent des populations plus propres à se soumettre qu'à combattre, la situation change au fur et à mesure de leur progression. Mahomet entre en conflit avec des tribus chrétiennes. Une attitude moins favorable aux chrétiens apparaît alors dans les textes saints de l'Islam. 

Enfin, les massacres et la mort touchent les populations non pour des raisons religieuses mais probablement par « plaisir », selon des « coutumes de guerre », comme il était souvent pratiqué à cette époque par les autres conquérants, néanmoins avec beaucoup plus de mesures. L'esprit des tribus arabes, et non des considérations purement religieuses, peut en partie expliquer la sauvagerie constatée. Attardons-nous sur un fait en apparence anodin. Selon la tradition arabe, les tribus peuvent attaquer une caravane mais il leur est strictement interdit de faire répandre le sang. Un tel crime est systématiquement suivi d'une véritable vendetta. Or, la troupe de Mahomet rompt brutalement cet usage. Le sang coule lorsqu'elle attaque les convois de La Mecque. Le scandale et l'indignation sont énormes. Mais, heureusement, le Coran vient divinement justifier son action et apaiser les mauvaises consciences… 


Que constatons-nous finalement ? D'une part, l'histoire a un rôle essentiel dans les relations entre l'Islam et les non-musulmans. Des faits historiques précis justifient des attitudes décrites par le Coran et les autres textes saints, attitudes désormais couvertes par l'autorité de Dieu. D'autre part, le pouvoir recherche dans le passé une jurisprudence qui lui permet de gérer les relations avec les non-musulmans, faute de réponses dans ses textes fondateurs. L'histoire a donc laissé une forte empreinte dans l'Islam. Le Coran y est en effet fortement imprégné... Il en devient incompréhensible sans cette lumière historique… 

Au delà de ses considérations historiques, les relations entre l'Islam et le non-musulman se fondent sur un usage, un esprit, probablement d’origine tribale. Le non-musulman apparaît avant tout comme un vaincu qui doit se soumettre au conquérant. Sa défaite légitime sa domination. Cette soumission se réalise pratiquement, sous des signes visibles, et même elle est statuée juridiquement. Le vaincu est véritablement une rançon et un butin que Dieu livre aux musulmans. Les vainqueurs peuvent donc en abuser comme tout autre bien ici-bas. L'Islam ne fait que réconforter et accentuer ce sentiment de supériorité. Il lui donne une légitimité spirituelle incontestable. Ou plutôt la victoire réconforte l’Islam. Car Dieu seul peut apporter la victoire. Le non-musulman est donc avant tout un soumis ... 

L’Islam a profondément modifié ces relations en y instaurant un nouvel esprit. La mort n'y est pas exclue. C'est probablement une rupture par rapport aux antiques traditions arabes. Et la mort y est présentée comme l'expression de la volonté divine. 

En conclusion, les relations entre l'Islam et les non-musulmans se définissent plus par opportunisme que par conviction religieuse. Elles sous-entendent une relation de supériorité et une forte discrimination qui écrasent et annihilent le non-musulman, relations qu’aggrave l’Islam. Cela peut justifier toutes les atrocités. L'Islam a surtout figé une attitude historique, devenue désormais une référence pour les générations suivantes. Il apparaît de plus en plus comme une œuvre purement humaine, bien éloignée de Dieu qui dépasse toute génération... 



Références
[1] Bernard Lewis, L'islam et les non-musulmans, dans Annales. Économies, Sociétés, Civilisations, n°3-4. 1980,http://www.persee.fr/web/revues.
[2] Jean-Pierre Valognes, Vie et Mort des chrétientés d'orient, Des origines à nos jours, Fayard, 1994, 1ère partie, chap. 2.

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