" La pierre précieuse, voire de grand prix aux yeux de certains, qu'est l'émeraude, se voit insultée par un morceau de verre habilement truqué, s'il ne se rencontre personne qui soit capable de procéder à un examen et de démasquer la faute. Et lorsque de l'airain a été mêlé à l'argent, qui donc, s'il n'est connaisseur, pourra aisément le vérifier ? "(Saint Irénée, Contre les hérésies)


lundi 11 février 2013

Le Monde, second ennemi spirituel

Nous sommes engagés dans un combat, non pas physique, où se mêleraient armes et sueur, mais spirituel. Nous sommes en lutte contre les « recteurs des ténèbres et les esprits des malices qui sont dans les espaces célestes » (1). L'ennemi est clairement désigné : « nous combattons contre le diable et les anges, qui se réjouissent de nos désordres ». L’Église nous enseigne que nous devons lutter contre un autre ennemi : le Monde. Or, depuis plus de cinquante ans, il semblerait que cette lutte serait dépassée et qu'au contraire, l’Église devrait se rapprocher du monde. Aujourd'hui, il n'est pas rare d'entendre, y compris de la part de prêtres inconséquents, la nécessité d'une réadaptation de la vie chrétienne à la vie du monde. 
Ainsi, le monde ne serait plus un ennemi à redouter mais un partenaire à concilier. Ce changement de posture imposerait naturellement une modification de l'enseignement de l’Église. Or, ce qui était hier ennemi est-il devenu aujourd'hui ami, voire neutre ? La Révélation nous a-t-elle trompées depuis tant de siècles ? Ou avons-nous mal interprété ce que Dieu n'a cessé de nous dire ? ... 

Joseph, vendu par ses frères, Overbeck
Avant tout, revenons au sens des mots (2). Cela évitera bien des malentendus et des confusions. Qu'est-ce que le monde au sens de la Sainte Écriture ? Il signifie plusieurs choses. A l'origine, il désigne le ciel et la terre, c'est-à-dire tout ce qui existe, tout ce que Dieu a créé. Il peut avoir un sens plus restreint et ne comprendre que la terre habitable. Les prophètes emploient surtout ce terme pour rattacher le monde à sa fin, qui est la gloire de Dieu. Ils s'attaquent donc à tout ce qui peut attenter à sa gloire. Dans un sens plus restreint, il peut représenter l'ensemble des biens, des richesses et des grandeurs de la Terre. 
Dans l’Évangile selon Saint Jean, le mot « monde » traduit deux termes grecques: « aïôn » et « cosmos ». 

  • « aïôn » désigne la durée, ce qui se traduit par : les générations s'il s'agit des hommes, ou des siècles s'il s'agit du temps. L'ensemble des générations ou des siècles peuvent constituer le monde. Il peut désigner l'Histoire. Il prend aussi un sens plus retreint pour désigner l'époque à laquelle les apôtres vivaient. Il est aussi utilisé pour opposer le monde actuel et le monde à venir ;
  • « cosmos », plus souvent employé, représente la demeure de l'homme avec ses richesses matérielles et ses pouvoirs constitués. Il présente aussi une manière de vivre, une culture (3). Le monde désigne alors la société organisée avec tout ce qui en émane, ou encore l'organisme social animé d'un esprit. Saint Paul présente ainsi Dieu et le monde comme deux esprits opposés. Saint Jean emploie enfin ce mot dans le sens de l'Humanité prise dans son ensemble, objet de compassion de la part de Dieu qui lui offre son salut. Le plus souvent, le terme de « monde » recouvre une conception morale. Il est alors synonyme de ténèbres et de mal. 
Quand nous parlons de l'esprit du Monde, nous ne considérons pas l'ensemble des personnes qui vivent dans le monde, ni leurs œuvres en soi, mais de tout ce qui s'oppose ici-bas à la fin de l'homme et donc à son bien, hors de l'homme et des démons. Extérieur à l'homme et différent des esprits mauvais, le Monde ainsi compris apparaît donc comme une entrave au bonheur de l'homme auquel Dieu le destine. Il s'oppose donc à la Volonté de Dieu... 


Nous sommes bien engagés dans un combat d'ordre spirituel. Notre bien est avant tout spirituel. Par conséquent, le Monde représente plus un état d'esprit qu'une personne ou un fait, état d'esprit qui se manifeste néanmoins dans les hommes et dans leurs œuvres. Ainsi, le Monde se définit par « ses esclaves » au sens où il est rendu visible par ceux qui vivent selon son esprit. Il englobe les incrédules, ceux qui sont hostiles à Dieu, les indifférents, qui ne s'en soucient guère, les pécheurs impénitents, qui aiment leurs péchés, et les mondains, qui croient et même pratiquent la religion mais en l'alliant à l'amour du Monde. Il ne s'agit pas de condamner ces personnes en tant que telles, mais de dénoncer les erreurs et les vices, et finalement, cet état d'esprit qui détourne l'homme de son bien et de son bonheur. Entendu en ce sens, le Monde est condamnable. 

Or, vivant dans le monde, les chrétiens côtoient inévitablement cet état d'esprit. Ces erreurs et ces vices peuvent les imprégner et infecter leur vie chrétienne par l'exemple, la parole ou la lecture. Compte tenu de l'informatisation continue de notre société, l'influence du Monde ne cesse de grandir autour de nous et dans nos foyers. Par la radio, la télévision et le réseau Internet, et par tous les moyens mobiles de communication, nous nous immergeons de plus en plus dans le Monde. Nous pouvons même dire que nous y sommes continuellement « connectés » … 

Essayons de définir l'esprit du Monde. Pour cela, il suffit de l'écouter. : il vante ses richesses matérielles, exalte la jouissance de la vie et prône la recherche du plaisir sous toutes ses formes. Les affiches et les écrans sont couverts de ses maximes. Son action ne se réduit pas à diffuser ses valeurs. Il cherche aussi à convertir les hommes à ces valeurs. Ainsi flatte-t-il sa curiosité, sa sensualité, sa volupté. Il rend le vice attrayant, relativise ses dangers, les expose de manière subtile. Le but est bien d'encourager les hommes à tomber dans ces dangers donc à contribuer à les répandre. Les mauvais exemples qu'il propose ne font qu'augmenter leur attractivité. Il est plus difficile d'y résister quand une majorité d'hommes et de femmes y succombent. Nous sommes fortement tentés de nous laisser entraîner à des plaisirs communs, si partagés que nous en oublions la nocivité. Ils peuvent ainsi paraître naturels, humains, et finalement sans danger. Combien se sentent ainsi encouragés aux vices par l'habitude, le mauvais exemple ou par les attraits du monde ? Le danger réside dans son pouvoir de séduction. 

Cette séduction n'est pas juste passive. Le Monde n'agit pas uniquement en exposant ses charmes ou en diffusant ses principes, il peut aussi, et plus souvent que nous ne le croyons, nous obliger à les embrasser, par une persécution sournoise. Il est beaucoup plus subtil que les persécuteurs sanglants du passé. On se moque de ceux qui sont à contre-courant du Monde et de ses modes, on les ridiculise, on les marque d'une étiquette d’infamie, on les prive de toute expression, etc. Le Monde dispose aujourd'hui de nombreux moyens au pouvoir de nuisance considérable. Un homme peut être si facilement détruit en quelques secondes par une image, un twit, une phrase. On prend aussi soin de légaliser la persécution. On dicte ce que vous ne devez plus croire sous peine de sanctions. Il faut alors beaucoup de courage et de force spirituelle pour s'opposer à tant d’acrimonie et de violences. 

Cranach



Le Monde veut séduire puis enchaîner les hommes pour en faire ses esclaves. Aujourd'hui, sûr de lui-même, avec des pouvoirs plus importants, il apparaît triomphateur et ne se cache plus guère. Il s'exprime plus facilement. Il suffit de se promener dans la rue ou d'écouter la radio pour saisir l'esprit du Monde. Nous sommes harcelés sans cesse par ses attraits. Certes, l'esprit du Monde existe depuis que l'homme s'est écarté de Dieu. Et Dieu n'a cessé de nous prévenir du danger par ses prophètes et ses apôtres. Il fait partie de notre monde déchu. Nous ne pouvons l'éviter quel que soit le degré de christianisation de notre société. Écoutons par exemple un prédicateur du XVIIIème siècle. « L'esprit du Monde est si contagieux et si dominant dans notre Siècle [qu’on] ne peut en dire assez pour le combattre. Cependant, ce n'est pas tant pour convertir les mondains que j'écris [… , mais] pour prémunir les vrais chrétiens. Car, hélas ! dès qu'on est une fois infatué de cet esprit du siècle il est bien difficile de s'en dépouiller pour se remplir de l'esprit de Dieu » (4). 

Que veut finalement le Monde ? Que propose-t-il, qu'impose-t-il ? Seulement la satisfaction de l'orgueil et du corps. Tout se cache derrière des intérêts purement temporels, matériels. Tout doit tendre vers le plaisir de la chair ou de l'esprit. Et par là, le Monde enchaîne l'homme. Il crée en lui non seulement un besoin : la cupidité, mais également la crainte, celle de perdre ses biens. Le regard s'abaisse au lieu de se tendre vers la céleste patrie. C'est ainsi que l'âme est atteinte par l'esprit du Monde et s'écarte de Dieu. Elle s'éloigne de la lumière, l'homme devient ténèbres. Or, « nous n'avons point reçu l'esprit de ce monde, mais l'esprit qui est de Dieu » (I Cor. II, 12). Les deux esprits sont radicalement opposés. « Si donc vous êtes ressuscités avec le Christ, recherchez les choses d'en haut, où le Christ est assis à la droite de Dieu. Goûtez les choses d'en-haut et non les choses de la terre [...] » (Col. III, 2). L'image de Notre Seigneur dans la crèche et le discours sur la montagne suffisent pour comprendre cette opposition radicale. Nous sommes ainsi fermés aux maximes du Monde : « Eux sont du monde ; c'est pourquoi ils parlent du monde, et le monde les écoute. Nous, nous sommes de Dieu. Qui connaît Dieu nous écoute ; qui n'est pas de Dieu ne nous écoute pas ; et c'est à cela que nous connaissons l'esprit de vérité et l'esprit d'erreur » (I Jean IV, 5-6)... 



Le Bon Samaritain, Delacroix
Dieu nous apprend à mépriser les choses terrestres, bien vaines et illusoires. Il oppose l'orgueil à l'humilité, l'avarice à la pauvreté, la colère à la patience, l'impiété à la charité, la crainte à l'espérance. « Le Fils de Dieu s'est offert à nous en exemple de vie » (5). Le Monde apparaît donc radicalement opposé à l'enseignement et à l'exemple de Notre Seigneur Jésus-Christ. Sa sagesse n'est que folie, ses joies, tristesse, sa liberté, esclavage. Notre Seigneur est bien signe de contradiction pour le Monde. 
« La charité parfaite est étrangère à la cupidité du siècle et à la crainte du siècle, c'est-à-dire à la cupidité avide des choses temporelles et à la crainte qui tremble de perdre les choses temporelles » (6). 
Notre Seigneur Jésus-Christ est très clair : « le monde ne peut recevoir l'esprit de vérité parce qu'il ne le voit pas et ne le connaît pas » (Jean XIV, 17). Il est irrémédiablement condamné. Il ne prie donc pas pour le Monde. « Malheur au monde ! » (Matth., XVIII, 7 ). Ainsi l’Église n'a cessé de prôner le mépris du Monde... 

Sermon on the Mount, Bloch

« Ne vous conformez pas à ce siècle » (Rom., XII, 2). Certes, nous vivons dans le monde mais non du monde, mais « que ceux qui usent de ce monde soient comme s'ils n'en usant pas car elle passe, la figure de ce monde » (I Cor., VII, 31). Notre Seigneur nous demande de nous détacher des biens de ce monde comme des étrangers sur cette terre qui ne ne font que passer. Ne nous attachons pas non plus au jugement du Monde. Car seul le Seigneur est notre juge. Le Monde est un aveugle qui conduit d'autres aveugles. L'enfant de Dieu est finalement mort au Monde. « Ne savez–vous point que l’amitié de ce monde est ennemi de Dieu ? Quiconque donc veut être ami de ce monde se fait ennemi de Dieu ». (Jacq., IV, 4). 



Ainsi le diable est « le prince de ce monde », un monde où se manifeste le mal, où se déploie sa puissance funeste et où meuvent ses esclaves. Mais, seul, il ne peut rien faire contre nous. Il a besoin de notre consentement. Or, l'esprit du Monde fragilise notre résistance et installe lentement une porte dérobée par laquelle il s'engouffre pour agir avec plus d'efficacité. Par la convoitise de la chair et des yeux, par l'orgueil de la vie, qu'excite l'esprit du Monde, le mal pénètre l'homme. Ainsi avons-nous deux ennemis extérieurs à combattre, deux ennemis qui unissent leurs forces avec ce seul but : notre perte. 

Mais « le prince de ce monde a été jeté dehors » (Jean, XII, 31). Il a été vaincu, mais comprenons bien la parole de Dieu. Il a été jeté « non hors du monde, mais hors des âmes de ceux qui adhèrent à la parole de Dieu, et qu'ils n'aiment pas le monde dont il est le prince » (7). Il s'agit pour nous d'éviter qu'il nous rattache à son empire.

« Sachez que j'ai vaincu le monde » (Jean, XVI, 33). La Parole de Dieu, si réconfortante, nous renforce dans le combat. Nous aussi, en Le servant et en utilisant ses armes spirituelles, nous pouvons vaincre. Les Saints en sont de vivants exemples. Or nous sommes tous appelés à la sainteté... 

« N'aimez point le monde, ni ce qui est dans le monde. Si quelqu'un aime le monde, la charité du Père n'est pas en lui. Parce que tout ce qui est dans le monde est convoitise de la chair, convoitise des yeux, orgueil de la vie ; or cela ne vient pas du Père, mais du monde. Or le monde passe, et sa concupiscence aussi : mais celui qui fait la volonté de Dieu demeure éternellement » (I Jean, II,13-17). 


Références
1. Saint Augustin, Le Combat chrétien, V, 5. 
2. M. Simon, prêtre docteur en théologie, Le grand dictionnaire de la Bible ou explication littérale et historique de tous les mots propres du Vieux et Nouveau Testament, gallica, tome second, 1703 ; Dictionnaire de la Bible, article « Monde », http://456-bible.123-bible.com/westphal/3583.htm. 
3. Benoît XVI, le 11 juin 2012, allocution au Congrès du Diocèse de Rome. 
4. Bienheureux Jean-Martin Moye (1730-1793), Traité sur l'esprit du monde. 
5. Saint Augustin, Le Combat chrétien, XI.12. 
6. Saint Augustin, Le Combat chrétien, XXXIII.35. 
7. Saint Augustin, Le Combat chrétien, I.1.

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