Nous
avons assisté récemment à une étrange cérémonie religieuse. Elle s’est déroulée
dans une superbe abbatiale du XIe siècle. Annonçant déjà l’heure glorieuse du
gothique, elle porte encore l’esprit du roman. Étirée dans une simplicité
étonnante, elle attire notre regard vers les cieux et tend à sortir notre âme de
sa misère. Élancée dans une nudité toute lumineuse, elle garde précieusement le
silence des prières anciennes. Les voies grégoriennes et polyphoniques semblent
encore résonner dans ces pierres que le temps et les hommes ont préservées. Une
âme hante encore ce trésor de la chrétienté.
Or
dans cette abbatiale, une cérémonie religieuse s’est déroulée comme un corps
étranger. Le dernier chant reflète à lui-seul l’esprit qui a guidé cette Messe
dite sous la forme ordinaire. D'un rythme effréné, le chant final nous a emportés
dans une charge héroïque, loin de ce temps qui avait élevé l’abbatiale. Ce
rythme harassant ne nous a pourtant pas étonnés. Depuis plus d’une heure déjà, notre
âme se battait pour essayer de se recueillir dans ce lieu sacré. Sans-cesse
dérangés par d’incessants chants haletants, elle a éprouvé bien des difficultés
pour s’élever de terre. Le silence en était presqu'absent.
Ce
dernier chant a définitivement brisé nos efforts de recueillement. Pourtant le
prêtre avait annoncé aux assistants un chant de louange en faveur de la Sainte
Vierge. Notre âme pourrait-elle enfin quitter son moi terriblement
alourdi ? Notre espoir a été de très courte durée. Les paroles étaient
certes belles, d’une grande vérité, aussi antique que l’abbatiale, aussi
confiante que ces voix d'antan. Mais non seulement le rythme pressant du chant a gâché l’âme de
cette prière mais la prière elle-même nous a déçus. Est-il possible de chanter
Saint Bernard avec un air d’exaltation de la fin du XXe siècle ? Née d’une âme confiante à l'égard de la Reine du ciel, la prière s'est transformée en un chant de marche pour des pèlerins hardis et vaillants en quête de courage. Les voix ont alors abîmé cette prière. Mais chose plus grave, en dépit de sa beauté et de sa profondeur, les paroles de cette prière était loin d’une prière
de louange comme le prêtre avait pourtant annoncé. Elle ne louait pas,
elle demandait. Elle ne chantait pas les louanges de la Sainte Vierge mais sortie
d’une âme, elle se tournait vers Sainte Marie à la recherche de faveurs
célestes. Nous étions ainsi loin de ces chants de louange que cette abbatiale a
pourtant connus par cœur. C’était encore le moi qui demandait et se présentait
avec force et fanfare dans une assemblée exaltée…
Le
chant fini, nous avons pensé à ces âmes qui, s’oubliant dans leurs prières,
nous a légués de beaux cantiques de louanges. La Sainte Écriture nous donne de
beaux modèles. Les prières de louange s'adressent à Dieu et louent ses œuvres
admirables. Elles parlent à ses saints et ne voient que la bonté et la
puissance divines qui se manifestent en eux. L’âme s’oublie pour contempler et magnifier Dieu dans ses
saints et ses œuvres. Elle n’est ni demande, ni pardon. Elle est pure louange.
En
quittant l’abbatiale si riche de prières et de présence, nous avons aussi pensé
aux paroles du prêtre demandant à ses fidèles de vivre davantage en présence de
Dieu. La cérémonie à laquelle nous avons assisté en silence en était malheureusement
bien dépourvue. Certes des paroles ont chanté à tue-tête des prières ou des
acclamations mais est-ce en disant « Seigneur,
Seigneur » que nous pouvons nous unir à lui ? Nous n’avons
entendu que l’exaltation d’un moi tonitruant. Nous étions loin de l’âme de
cette bâtisse si humble et pourtant si éprise de hauteur et de profondeur…
Nous
avons enfin pensé à cette Messe vieille de cinquante ans qui devait renouer
avec les origines du christianisme et le revigorer. Aujourd'hui encore, nous
constatons avec plus de clarté et d'amertume l’erreur des innovateurs. Elle est dépourvue de
tout le trésor de l’Église comme elle nous éloigne aussi de la Sainte Écriture.
Nous avons cherché en vain l’âme des Patriarches, des Prophètes et des Apôtres. Coupée du passé, elle est même dépourvue de sens. Elle ne parle pas à l’âme. Les
assistants ont même perdu le sens biblique de la prière. Quelle ironie !
Le
temps est en effet sans complaisance. Avec le temps, la Messe dite de forme
ordinaire apparaît telle qu’elle est. Nous voyons avec une véritable tristesse combien
elle éloigne l’âme d’une véritable élévation spirituelle. Certes elle est riche en émotions et favorise la participation des fidèles mais à quel prix ! Ne soyons donc pas étonnés de la
fuite massive des fidèles qui ont vidé les églises. On a beau y réintroduire les mots
et symboles anciens, pourtant bannis il n’y a pas si longtemps encore. Cela ne
suffit pas.
Vide de sacré et de sens, incapable de toucher réellement les âmes
de toutes conditions, elle se remplit naturellement de bons sentiments humains,
de fortes émotions, de belles exaltations. On recherche la participation, on
fuit le silence, on se perd dans des chants ou plutôt dans des rythmes exaltants. Le prêtre devient presque un animateur. Or les hommes en quête de Dieu ne recherchent ni un spectacle
ni un concert. Ils ne sont pas dupes. Ils recherchent avant tout la présence divine dans des silences et des chants sacrés afin que s'opère leur union à Dieu. Ils ne veulent point laisser leur moi envahir l'église mais se remplir de Dieu... Comment pouvons-nous
en effet nous tourner véritablement vers Dieu si nous sommes si emplis de
nous-mêmes ?…
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