Les
Évangiles
présentent clairement la position de Notre Seigneur Jésus-Christ à l’égard de
la foi juive et du pharisaïsme. Notre Seigneur ne se présente ni comme un
conservateur ni comme un fondateur de religion innovante. Comme l’ont bien
souligné certains critiques, il ne se revendique pas comme porteur d’une
nouvelle religion. Mais de manière un peu hâtive, ils en concluent à tort que le
christianisme n’est pas son œuvre. Il aurait été conçu et développé de manière
consciente ou non par les chrétiens eux-mêmes. Il serait ainsi un mouvement
judaïque qui aurait évolué selon les besoins des fidèles ou en se confrontant
au paganisme et à l’hellénisme. Pour s’opposer à une telle erreur, il est
nécessaire de revenir au temps où le christianisme s’est affirmé devant le
judaïsme.
Rappel
de nos précédents articles
La Transfiguration du Christ
Duccio di Buoninsegna
|
En
refusant Notre Seigneur Jésus-Christ et les signes qui témoignent de sa mission,
les Juifs ont rompu avec une histoire dont ils étaient pourtant les porteurs. Ils ont
fait sécession. Ils se sont séparés de Dieu. Ancrés dans leur certitude, ils
sont demeurés aveugles et fermés à toute pénitence et conversion. Ils ont
refusé la Parole de Dieu et persécuté les chrétiens, croyant anéantir une œuvre
humaine.
Cependant,
conformément aux ordres de Notre Seigneur Jésus-Christ et à leurs privilèges de
peuple de Dieu, les Apôtres ont d’abord apporté la bonne nouvelle aux Juifs,
obtenant alors de nombreuses conversions. Mais conduits par la Providence et les
circonstances souvent miraculeuses, les Apôtres l’enseignent également aux
Gentils, réalisant ainsi les prophéties sur la vocation des nations ...
Le
christianisme n’est pas une invention destinée à répondre aux attentes des hommes ou à satisfaire leurs besoins mais il est
véritablement une œuvre divine dont les hommes ont besoin pour répondre à de
nouvelles nécessités, introduites par Dieu Lui-même selon un plan déterminé. Certes, en
un sens, nous pouvons dire que le christianisme répond aux nouveaux besoins du
genre humain, mais contrairement aux affirmations erronées de certaines thèses,
ces besoins ne sont pas commandés par l’homme mais par Dieu. Le temps
nouveau nécessite un esprit nouveau. Ainsi l’homme doit s’adapter à cet esprit
et se convertir au christianisme qui répond parfaitement à cet esprit. Notre Seigneur Jésus-Christ a fondé le christianisme pour fournir à
ses fidèles les moyens efficaces pour s’unir à Dieu selon la propre volonté
divine.
Dans
les articles précédents, nous avons rappelé l’enseignement des Apôtres sur la
« continuité » et la
« nouveauté » du christianisme
et décrit leurs positions sur le « judaïsme »,
nous allons désormais nous intéresser à
l’enseignement des Pères apostoliques, c’est-à-dire des disciples des Apôtres.
Les
Pères apostoliques
Les
Pères apostoliques ont connu les Apôtres. Ils les ont suivis alors que le
judaïsme se construisait et que le christianisme quittait définitivement les
synagogues. Leurs textes nous apprennent alors ce que l’Église chrétienne
confessait entre les années 100 et 150. Ils représentent la première génération
de chrétiens.
Nous
comptons aujourd'hui huit Pères apostoliques :
- Saint Clément de Rome, pape et auteur de deux lettres qu’il a écrites aux Corinthiens ;
- Hermas, l’auteur d’une œuvre étrange intitulée le Pasteur ;
- Saint Ignace, évêque d’Antioche, auteurs de nombreuses épîtres aux Magnésiens, aux Smyrniotes, aux Philadelphiens, à Polycarpe, évêque de Smyrne ;
- Papias dont nous n’avons que des fragments d’un traité ;
- l'auteur de la Didaché, dite encore la Doctrine des douze Apôtres, un auteur qu’on croyait autrefois être Saint Barnabé ;
- Polycarpe dont nous avons son Martyre.
Ce
ne sont pas des auteurs inspirés. Ce ne sont pas non plus de brillants
théologiens. A part Saint Ignace d’Antioche, ce ne sont pas de grands penseurs.
Ce sont des témoins des premières années de l’Église.
Continuité
dans la Sainte Écriture
La
Sainte Écriture est la source principale d’où les Pères apostoliques puisent
leur enseignement et l’autorité sur laquelle ils prétendent l’asseoir. Leurs
écrits citent de très nombreux versets bibliques. Ils mettent les textes du Nouveau Testament au rang des écrits sacrés. Saint Clément introduit les Évangiles
par une expression propre à ce qui deviendra l’Ancien Testament. Les trois
évangiles synoptiques sont appelés « Écriture »[1] ou
littéralement « l’autre Écriture ».
Cependant,
les judéo-chrétiens refusent de leur donner la même autorité que celle de
l’Ancien Testament. « J’en ai
entendu qui disaient : si je ne
le trouve pas dans les archives, je ne crois pas dans l’Évangile. »[2] Ils en viennent
à opposer l’Ancien Testament aux Évangiles. Leur principe est
simple : ce qu’ils ne trouvent pas dans l’Ancien Testament, ils ne le
croient pas, même s’ils le trouvent dans les Évangiles. Ils refusent aussi
de voir dans l’Ancien Testament une annonce de l’Évangile. Saint Ignace oppose aux
judéo-chrétiens le témoignage de Notre Seigneur Jésus-Christ : « pour moi, mes archives, c’est Jésus-Christ »[3]. Dans
son Épître
aux Smyrniotes, il met les Évangiles au rang des textes sacrés. Il demande en
effet aux fidèles de s’attacher aux prophètes, et spécialement à l’Évangile[4].
Finalement,
les Pères apostoliques « regardaient
la parole des apôtres, aussi bien que celle de Jésus-Christ, là où ils
pensaient la posséder, comme une autorité décisive établissant irréfrégablement
la doctrine et la foi. »[5]
Dans
ses épîtres, Saint Ignace d’Antioche oppose le christianisme et le judaïsme. Il
est le premier écrit qui stipule clairement cette opposition. Certains[6] y voient
la consommation de leur rupture. Des
changements dans la vie des fidèles témoignent clairement de cette rupture. Par exemple, le jour saint n’est plus le sabbat mais le jour du
Seigneur, c’est-à-dire le premier jour de la semaine, dimanche. Saint Jean est
le premier à le mentionner (Apoc., I, 10). Saint Ignace
d’Antioche nous parle aussi du jour de la Résurrection de Notre Seigneur
Jésus-Christ, « le jour du Seigneur,
jour où notre vie s’est levée par lui et par sa mort »[7]. Il
l’oppose au sabbat. Les jours de jeûne sont aussi changés. « Que vos jeûnes n’aient pas lieu en même
temps que ceux des hypocrites. »[8]
Nous
retrouvons en fait une opposition entre deux esprits. « Ne priez pas non plus comme les hypocrites ; mais comme le Seigneur l’a ordonné dans
son évangile »[9]. L’auteur
choisit sciemment le terme d’« hypocrite »
pour désigner le Juif comme Notre Seigneur l’a aussi utilisé pour désigner le
Pharisien (Voir Matth., VI, 16).
Nous
voyons aussi une opposition dans la lecture et l’interprétation de la Sainte
Écriture comme dans la compréhension des prescriptions de la Loi. Les Chrétiens
ont donc bien conscience des différences fondamentales qui existent entre le
christianisme et le judaïsme. Tout en ayant la Sainte Écriture comme fondement
de la foi, ils se différencient par l’esprit qui guide sa lecture et son
interprétation. Cet esprit n’est pas nouveau comme l’indiquent clairement les
Pères apostoliques mais les Juifs se sont égarés et se sont obstinés dans une
compréhension littérale de la Parole de Dieu.
La
réalisation des promesses
Dans
leurs lettres, les Pères apostoliques usent souvent des versets messianiques
pour des raisons apologétiques ou pastorales. Sans oublier les extraits qui
dessinent un Christ glorieux, ils s’attachent surtout à en montrer son aspect
souffrant. Il ne s’agit pas seulement de prouver systématiquement que Notre
Seigneur Jésus-Christ est le vrai Messie mais de décrire davantage
l’esprit qui doit habiter le Chrétien. Les Pères apostoliques usent aussi de
ces prophéties pour montrer les erreurs du peuple juif et ceux qui guettent les Chrétiens. Elles apparaissent comme une leçon toujours d’actualité. Il s’agit
donc plus d’affermir la foi des Chrétiens, notamment contre le
judéo-christianisme, que de dénoncer le judaïsme.
Dans
une épître du Ier siècle, le Pape Saint Clément de Rome, juif helléniste
converti, s’adresse aux Corinthiens pour faire cesser une querelle. Il évoque
sans cesse la Sainte Écriture pour ramener la paix et leur donner la voie à
suivre. Par cet exemple, nous voyons combien l’Histoire sainte demeure une réalité
bien vivante pour les Chrétiens. Les grandes figures de l’Histoire sainte restent
des exemples à suivre. Il cite Abraham, Moïse, Job, David : « tous ces personnages si grands et si saints
par leur humilité et leur abaissement sont pour nous des maîtres dans
l’obéissance, et non pas pour nous seulement, mais aussi pour les générations
qui nous ont précédés, pour tous ceux qui ont accueilli les paroles de Dieu
dans la crainte et la vérité. »[10]
Saint
Clément de Rome montre d’abord que la jalousie a sans-cesse contrecarré le plan
de Dieu comme le montre la Sainte Écriture à plusieurs reprises. Les Apôtres en
ont aussi été victimes. Il la définit comme la cause de nombreuses séditions.
Pour ne pas y succomber, il demande aux Chrétiens de fixer leur regard sur la
religion depuis le commencement.
De
même qu’il a parcouru l’Histoire sainte pour montrer la nuisance de la
jalousie, Saint Clément de Rome parcourt aussi les âges bibliques pour montrer les
qualités que doivent acquérir et cultiver les Chrétiens en citant de nombreux
exemples de la Sainte Écriture. Il puise dans la Sainte Bible ses
justifications pour demander à ses fidèles la patience, l’obéissance,
l’humilité. Mais le plus parfait modèle qu’il décrit est bien Notre Seigneur
Jésus-Christ. Pour cela, il rappelle les versets bibliques qui l’annoncent. Ce
modèle s’inscrit parfaitement avec les autres exemples bibliques. Les exemples
bibliques à suivre atteignent même leur perfection dans Notre Seigneur
Jésus-Christ. Mais Saint Clément fait plus que les citer : il donne aussi
le véritable sens des faits bibliques et l’unité qui les relie tous. Nous
voyons ainsi dans la Sainte Écriture une même volonté, un même esprit, une même foi. Le Chrétien doit y
demeurer fidèle.
Saint
Clément rappelle aussi la cause de la justification des Justes de l’Ancien
Testament. Leur salut ne provient pas en soi de leurs mérites, notamment de
leur obéissance scrupuleuse de la Loi : « Tous ont reçu de la gloire et de la grandeur, non à cause d’eux et de
leurs œuvres, ou de la justice qu’ils auraient pratiquée, mais bien par le bon
plaisir de Dieu. »[11] Dieu
en est bien le véritable auteur. Tous les hommes ont été justifiés par la foi
depuis le commencement. Cependant, une foi sans les œuvres est vaine, « manifestant notre justice par des actes, et non par des paroles »[12]. Il souligne enfin qui est leur ennemi : « les méchants qui s’opposent à la volonté de
Dieu. » [13]
Le point fondamental du christianisme est bien l’union à Dieu…
Un
nouvel ordre du monde
Dans
son Épître
aux Magnésiens, Saint Ignace, évêque d’Antioche, s’oppose à une hérésie
qui tente d’introduire dans le christianisme l’observance de la Loi juive et
des spéculations juives. Il décrit les juifs comme vivant « dans l’ancien ordre des choses » [14], un
temps que Notre Seigneur Jésus-Christ a achevé, un temps révolu dans lequel les
prophètes étaient déjà « ses
disciples par l’esprit », qui « l’attendaient comme leur maître » [15]. Ainsi
devons-nous ne plus observer le sabbat mais le jour du Seigneur. Saint Ignace
demande donc de rejeter « le vieux
levain, vieilli et aigri » et de se transformer « en un levain nouveau » [16]. Il
rejette donc le judaïsme comme étant dépassé et désormais inutile. Nous
retrouvons l’enseignement de Saint Paul.
Dans
son Épître
aux Philadelphiens, Saint Ignace est encore plus clair. Si un converti
juif ou païen ne parle pas de Notre Seigneur Jésus-Christ, « ils sont pour moi des stèles et des tombeaux
de morts » [17].
Le
judaïsme converti au christianisme
Le
christianisme est la religion de Dieu, une religion à vocation universelle, à
laquelle doit se convertir le juif. « Il
est absurde de parler de Jésus-Christ et de judaïser. Car ce n’est pas le
christianisme qui a cru au judaïsme, mais le judaïsme au christianisme, en qui
s’est réunie toute langue qui croit en Dieu. »[18]
Dans
son Épître
aux Smyrniotes, Saint Ignace revient encore sur la vocation universelle
du christianisme. Les Chrétiens ont vocation de « rassembler ses saints et ses fidèles, venus soit des Juifs soit des
gentils, dans l’unique corps de son Église » [19].
Dans
son Épître
aux Philadelphiens, il demande aussi de ne pas interpréter la Sainte
Écriture selon le judaïsme. Il est aussi inutile de revenir à la Loi et aux
pratiques juives. L’espérance se trouve désormais en Notre Seigneur
Jésus-Christ, notre seul maître. Nous devons donc nous adapter au nouvel
esprit.
Une
mauvaise interprétation de la Loi
Plaque d'ivoire (Metz) La Synagogue s'éloigne du Christ. Elle doit laisser sa place à l'Église. |
Il s’agit donc de « comprendre, si nous ne sommes pas sans intelligence, l’intention toute de bonté de notre Père et [...] le vrai moyen de nous approcher de lui. »[21] Or le juif n’a pas compris le vrai sens de ces sacrifices. Il a pris à la lettre les prescriptions de la Loi. Infidèle à l’esprit de la Loi, il devient alors infidèle à la Loi elle-même.
Premiers
disciples des Apôtres, les Pères apostoliques reprennent fidèlement
leur enseignement. Ils ne s’opposent pas aux Juifs en tant que
tels mais cherchent à consolider la foi des chrétiens et à leur expliquer le
nouvel ordre des choses que Dieu a promis puis a inauguré par Notre Seigneur
Jésus-Christ, un temps qui nécessite un nouvel esprit. Dans leur écrit, la
Sainte Écriture est bien présente. Il n’y a pas de rupture avec le temps ancien.
Il y a plutôt perfectionnement. Ils se battent aussi contre ceux qui tentent
d’imposer le joug de la Loi, pourtant devenu inutile. Le judéo-christianisme n’aura
cependant aucune influence sur le christianisme.
[2]
Saint Ignace d’Antioche, Épître aux Philadelphiens, VIII, 1.
[3]
Saint Ignace d’Antioche, Épître aux Philadelphiens, VIII, 2.
[4]
Voir Saint Ignace d’Antioche, Épître aux Smyrniotes, VII, 2.
[5]
Tixeront, Histoire des Dogmes, Tome I, La Théologie antinicéenne,
chapitre III, Gabalda, 1909,.
[6]
Voir Naissance d’un vocabulaire chrétien,
article « Christianisme », Les
Écrits des Pères apostoliques, les éditions du Cerf, 1962.
[7]
Saint Ignace d’Antioche, Épître aux Magnésiens, IX, 1.
[8]
Didaché,
VIII, 1 dans Les Écrits des Pères apostoliques, les éditions du Cerf, 1962.
[9]
Didaché,
VIII, 1.
[10]
Saint Clément de Rome, Lettre aux Corinthiens, XIX, 1 dans Les
Écrits des Pères apostoliques.
[11]
Saint Clément, Lettre aux Corinthiens, XXXII, 3.
[12]
Saint Clément, Lettre aux Corinthiens, XXX, 1.
[13]
Saint Clément, Lettre aux Corinthiens, XXXVI, 6.
[14]
Saint Ignace d’Antioche, Épître aux Magnésiens, IX, 1 dans Les
Écrits des Pères apostoliques.
[15]
Saint Ignace d’Antioche, Épître aux Magnésiens, IX, 2.
[16]
Saint Ignace d’Antioche, Épître aux Magnésiens, X, 1.
[17]
Saint Ignace d’Antioche, Épître aux Philadelphiens, VI, 1
dans Les
Écrits des Pères apostoliques.
[18]
Saint Ignace d’Antioche, Épître aux Magnésiens, X, 3.
[19]
Saint Ignace d’Antioche, Épître aux Smyrniotes, I dans Les
Écrits des Pères apostoliques.
[20]
Lettre
de Barnabé, I, 1 dans Les Écrits des Pères apostoliques.
L’auteur cite Isaïe, I, 11-13.
[21]
Lettre
de Barnabé, II, 9.
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