Lors de nos recherches sur
Internet, nous avons trouvé un site particulièrement intéressant. Il est en effet intéressant par les erreurs qu’il colporte. Il s’agit du
CICAD[1], association qui œuvre contre l’antisémitisme. Un des articles[2]
décrit comment le christianisme s’est séparé du judaïsme.
Mur des Lamentations |
« Deux siècles avant la naissance de Jésus apparaît, au sein du judaïsme, une littérature spirituelle nouvelle selon laquelle la demeure de Dieu est céleste et les institutions traditionnelles ne sont que les reflets des réalités "d'en-haut" et à venir. »
L’auteur de l’article parle sans doute des écrits apocryphes ou esséniens. Rappelons que le Temple demeure pour tous la seule réalité religieuse, le centre de la religion juive. Seuls les Esséniens prônent la maison de Dieu comme un lieu céleste, considérant le Temple comme souillé par la dynastie asmonéenne. Cependant, les Esséniens créent de nouvelles institutions non comme « reflets des réalités supérieures » mais comme substitutions aux anciennes. En outre, chez les Esséniens comme dans la communauté de Qumrân, l’obéissance à la Loi et les prescriptions de la pureté corporelle sont encore accentuées. Nous sommes loin d’une religion toute spirituelle. La religion reste de manière générale charnelle.
« Jésus, Juif de Palestine, inscrit sa démarche dans la même optique
en annonçant le Temple céleste et l'imminence du monde à venir. Il dispense son
enseignement autour de la Torah qu'il affirme vouloir approfondir. »
Notre Seigneur ne parle pas d’approfondissement mais d’accomplissement de
la Loi. Son enseignement ne tourne pas autour de la Torah. Il y apporte un
regard lumineux, redressant sa compréhension et corrigeant les fausses
interprétations. Nous sommes aussi loin des écrits apocryphes et esséniens.
Il y a évidement un anachronisme évident dans ces termes très modernes. Par
ailleurs, de quelle exclusion parle-t-il ? Le publicain n’est ni un exclu
de la société, ni un marginal. Dirons-nous aujourd'hui que le percepteur des
impôts ou le fonctionnaire est un marginal ? Le Samaritain n’est pas non
plus un exclu en Samarie.
Notre Seigneur Jésus-Christ n’hésite pas à
rencontrer des personnes que les Pharisiens et les Sadducéens jugent souillées et méprisées. Il est proche de toutes les « classes » de la population, sans exception. Sa démarche est
bien différente de celle des Pharisiens, des Sadducéens et des Esséniens. Dans
l’article, Notre Seigneur Jésus-Christ semble se réduire à un abbé Pierre.
« […] il propose un comportement basé sur une
nouvelle vision de la vie. Certains disciples retrouvent en Jésus un profil
messianique. Jésus ne s'annonce jamais lui-même comme le Messie, mais il
affirme la proximité du règne de Dieu, un Dieu de justice et d'amour qui
ressuscitera les justes. »
Nous rencontrons une des critiques les plus
classiques de nos jours. Elle consiste à dire que Notre Seigneur ne s’est
jamais proclamé Messie et donc que sa messianité n’est qu’une invention de ses
disciples. Plusieurs de nos articles traiteront prochainement de cette erreur. Soulignons cependant que par ses paroles et ses gestes, Notre Seigneur Jésus-Christ s'est affirmé comme étant le Messie. En outre, ce n’est pas une nouvelle vision de la vie qu’il propose mais
un nouvel esprit, une meilleure connaissance de Dieu, une nouvelle Loi. Il ne
propose pas non plus un nouveau comportement mais une nouvelle vie, une nouvelle voie.
« Les autorités romaines, qui contrôlent le territoire d'Israël,
s'inquiètent de l'agitation autour de Jésus et, en accord avec les prêtres
sadducéens (l'une des tendances du judaïsme antique proche du pouvoir romain),
décident de l'exécuter sur une croix, supplice romain infligé habituellement
aux prisonniers de droit commun. »
Ecce homo ! Mihaly Munkacsy (1844-1900) |
L’auteur de
l’article rend les Romains directement responsables de la mort de Notre
Seigneur Jésus-Christ. Les Sadducéens n’auraient donné que leur accord.
Pourquoi auraient-ils besoin de leur accord pour condamner Notre Seigneur
Jésus-Christ lorsqu'ils en avaient le droit ? C'est plutôt les autorités juives qui ont besoin de l'accord des Romains. Des agitateurs juifs ont été condamnés sans leur aide comme
le montre Flavius Joseph. Par ailleurs, à de nombreuses reprises, les autorités
romaines ont refusé de condamner des hommes que les Juifs ont voulu punir de
mort. En outre, l’auteur ne parle que des Sadducéens et oublie le rôle des
Pharisiens, qui forment aussi « une
des tendances du judaïsme antique ».
« Après la mort de Jésus, les disciples, tous juifs, font
l'expérience d'une "résurrection" de Jésus qu'ils expriment par des récits
d'apparitions. »
La foi se présenterait donc comme le témoignage
d’une expérience et non d’une réalité. La Résurrection ne serait qu’imaginaire,
le fruit d’une « expérience ».
Qu’est-ce que cela peut bien signifier ? Les disciples ont-ils été des rêveurs
ou eu des hallucinations ?
« Paul de Tarse s'attache à diffuser l'essentiel du message aux
païens. »
Saint Paul s’est d’abord adressé aux Juifs avant de se
tourner vers les Gentils. Saint Pierre a aussi enseigné aux païens. L'auteur simplifie la réalité historique.
« En désaccord avec la communauté-mère de Jérusalem dirigée par
Jacques, Paul s'oppose à ce que les convertis d'origine païenne adoptent tous
les rites juifs (circoncision, règles alimentaires). »
C’est oublier que c’est sous l’impulsion de Saint Pierre que les Gentils convertis
ont d’abord été exemptés des prescriptions de la Loi. C’est parce que des
chrétiens circoncis veulent leur imposer l’observance de la Loi que Saint Paul
réagit. Saint Paul ne s’oppose pas à « la
communauté-mère de Jérusalem ». Et que signifie « communauté-mère » ? Nous
savons enfin que réunis, les Apôtres confirment que la Loi n’étant pas la
source de la justification ne peut être imposée aux Gentils sauf certains rites
précis à la demande de Saint Jacques pour éviter des scandales.
« Progressivement, une église autonome se constitue et prend ses
distances du judaïsme. »
Les
synagogues et le Temple formeraient-elles une église ? Ou la « communauté-mère de Jérusalem » est-elle
considérée comme une église attachée au judaïsme ? Au-delà de ces
questions, nous voyons plutôt les Juifs chasser les chrétiens des synagogues.
Ce rejet les conduit à se tourner vers les païens.
« Durant tout le premier
siècle, les disciples de Jésus n'ont que la Bible hébraïque comme Écriture
sainte, ils pratiquent la liturgie juive et vénèrent la Torah à la synagogue. »
Rappelons que la Bible du premier siècle n'est pas la Bible hébraïque puisqu'elle a été définie bien après les
événements. Au premier siècle, on pouvait lire la bible palestinienne ou grecque ou samaritaine. « Les disciples de Jésus » utilisent plutôt la Septante.
Il
est étrange que l’auteur ne parle pas du Temple qui est le centre de la foi
juive mais des synagogues, lieux privilégiés des Pharisiens. La Torah est
d’abord vénérée au Temple.
« En l'an 70 de notre ère, la catastrophe s'abat sur Jérusalem : le
Temple est détruit par les armées romaines, les populations juives massacrées
ou déportées. Exilés à Jamnia, une partie des rabbins de la tendance
pharisienne (prônant une observance stricte à la Loi) travaillent à élaborer de
nouveaux repères pour que le judaïsme surmonte la perte du Temple. Ils
définissent les critères du judaïsme orthodoxe en 90, en excluant les croyants
qui ne sont pas en conformité avec leurs vues. »
Effectivement, le judaïsme actuel est d’origine pharisienne. À Jamnia, les
rabbins n’élaborent pas de nouveaux repères. Ils retranscrivent la tradition
héritée des Pharisiens et définissent le canon biblique avant de fixer les
textes bibliques. Ils ne prônent pas seulement l’observance stricte de la Loi,
qui est la position des Sadducéens, mais l’observance de la Loi et de la
Tradition.
Le baptême du centurion Corneille par Saint Pierre Michel II Corneille (1642-1708) |
« Face à l'élan de ces rabbins, Paul et ses collaborateurs
réorganisent les communautés chrétiennes hors de la synagogue. »
Saint Paul réagit plutôt
à l’exclusion des chrétiens des synagogues. Il comprend que les circonstances
le tournent vers les Gentils. Le terme d’« élan des rabbins » cache un peu la réalité. Il s’agit plus
précisément de « persécutions »
que mènent notamment les Pharisiens. Une des conséquences de ces violences est l’expansion
du christianisme hors de Jérusalem et de la Judée. Saint Paul n’est pas non
plus le seul à organiser les communautés chrétiennes hors de la synagogue.
Saint Pierre en a été le premier, ayant dispensé les chrétiens d’origine
païenne le joug de la Loi. Il n’y a pas non plus de réorganisation. Et nous le
répétons, la synagogue n’est pas le centre de la foi juive mais bien le Temple.
« Les premiers écrits de ce qui deviendra le
"Nouveau Testament" circulent. Ce sont des commentaires des
événements et du message de Jésus. »
Ce ne sont pas des commentaires
mais des témoignages (évangiles) ou des éclaircissements de l’enseignement de
Notre Seigneur Jésus-Christ (épîtres)[3]. Ils font partie avant tout
de la Révélation à l’égal de l’Ancien Testament.
« Au début du IIe siècle, les liens entre judaïsme et christianisme se
distendent jusqu'à une rupture qui va se préciser dans les écrits spirituels de
chacune des deux traditions issues de la même origine. »
L’auteur de l’article présente ainsi le judaïsme et le christianisme
comme deux « traditions issues
d’une même origine ». Il est
vrai que son article commence par renier ce qui fait la nouveauté de Notre
Seigneur et oublie les différences fondamentales entre ces « deux traditions ». Notre Seigneur
Jésus-Christ montre justement que le pharisaïsme, à l’origine du judaïsme
orthodoxe, n’est pas fidèle à la volonté divine mais mélange la Loi avec des
pensées humaines tout en oubliant l’esprit de Dieu. Toute la question est
justement de voir qui est vraiment fidèle à la volonté divine. Enfin, comme
l’article l’a souvent noté, la rupture a bien eu lieu avant le IIe siècle.
« L'arrivée en masse de païens convertis dans
les communautés chrétiennes accentue cette distanciation, d'autant plus que le
grec prend le dessus sur la langue araméenne (que parlait Jésus et ses
disciples). Les Chrétiens vont s'intégrer dans la société romaine et Rome va
devenir un pôle important dans la vie des Églises. »
Les Chrétiens peuvent-ils
vraiment s’intégrer dans une société qui va les exclure et les persécuter,
parfois avec l’aide des Juifs ? Ce sont des exclus comme le dirait
l’auteur. L’auteur a tendance à oublier que la « distanciation » vient aussi des Juifs qui persécutent les
chrétiens en demandant le soutien des autorités romaines. Remarquons le refus
implicite de nommer l’Église au singulier. L’auteur voit le christianisme comme
un ensemble d’Églises.
Cet article
ramasse finalement en quelques lignes quatre principales erreurs :
- le christianisme ne représenterait qu’un mouvement religieux issu du judaïsme antique comme le judaïsme actuel. Ils exprimeraient chacun une « sensibilité » ou un aspect d’une même religion ;
- Notre Seigneur Jésus-Christ ne serait jamais affirmé être le Messie. Ce seraient ses disciples qui l’auraient présenté comme le Christ, imaginant par ailleurs sa Résurrection ;
- les principaux responsables de la mort de Notre Seigneur Jésus-Christ seraient les Romains aidés des Sadducéens, déresponsabilisant ainsi les Pharisiens, probablement pour éviter de ternir le judaïsme actuel ;
- ce seraient les chrétiens qui se seraient seuls exclus des synagogues, notamment par la volonté de Saint Paul et par l’incorporation des païens. La synagogue apparaît comme le centre du judaïsme, oubliant le rôle du Temple.
Il nous semble que l’auteur
tente de montrer que le judaïsme contemporain et le christianisme sont deux
mouvements égaux, deux « traditions
issues d’une même origine ». La rupture entre ces deux « traditions » s’expliqueraient
uniquement par des circonstances : « l’expérience des disciples », « l’élan des rabbins », « l’approfondissement des pharisiens », « la prédication de Saint Paul », « l’incorporation
des païens »… Le problème est beaucoup plus profond. Ces « circonstances » ne sont que des
manifestations d’une rupture et non ses causes. Pourquoi les autorités juives
réagissent-elles aux discours des chrétiens, notamment par la persécution ?
Pourquoi Saint Paul se tourne-t-il vers les Gentils ? L’incorporation des
païens est-elle si simple ?
L’auteur semble oublier le
cœur du problème. Ces « deux
traditions » qui se réclameraient d’une même religion sont-elles vraiment
les dignes héritiers de leur « mère » ?
Sont-elles en rupture ou la continuité avec la religion juive qu'elles remplacent ? S’il y a nouveauté, en quoi
consiste-t-elle ? Nous voyons aussi dans cet article l’intention de ne pas
ternir les Pharisiens et d’oublier le rôle du Temple. Est-ce pour protéger le
judaïsme actuel ? L’article n’est qu’une série d’affirmations qui
présentent une vision erronée et anachronique d’une réalité beaucoup plus
complexe et profonde…
Notes et références
[1] CICAD Centre Intercommunautaire contre l'Antisémitisme et la Diffamation, http://www.cicad.ch/.
[2] CICAD, article « La séparation du christianisme et du judaïsme », cicad.html.
[3] Le terme de "commentaire" est trop imprécis et peut porter confusion car il porte en soi un aspect subjectif fort qui s'adapte mal avec la Révélation. Saint Paul n'est pas un commentateur. Il explique, dénonce, éclaircit, répond aux questions qu'on lui pose...
[2] CICAD, article « La séparation du christianisme et du judaïsme », cicad.html.
[3] Le terme de "commentaire" est trop imprécis et peut porter confusion car il porte en soi un aspect subjectif fort qui s'adapte mal avec la Révélation. Saint Paul n'est pas un commentateur. Il explique, dénonce, éclaircit, répond aux questions qu'on lui pose...
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire