" La pierre précieuse, voire de grand prix aux yeux de certains, qu'est l'émeraude, se voit insultée par un morceau de verre habilement truqué, s'il ne se rencontre personne qui soit capable de procéder à un examen et de démasquer la faute. Et lorsque de l'airain a été mêlé à l'argent, qui donc, s'il n'est connaisseur, pourra aisément le vérifier ? "(Saint Irénée, Contre les hérésies)


jeudi 7 mai 2015

Christianisme : continuité dans le plan de Dieu et nouveauté dans l'homme

Selon une thèse fermement condamnée par l’Église, « le Christ n’a pas enseigné un corps de doctrine déterminé applicable à tous les temps et à tous les hommes, mais il a plutôt commencé un mouvement religieux adapté ou à adapter à divers temps et à divers lieux. »[1] Le christianisme ne serait qu’un mouvement religieux particulier, issu du judaïsme, que Notre Seigneur Jésus-Christ aurait initié en vue de mieux répondre aux besoins des hommes. Comme les besoins varient avec le temps et les lieux, le christianisme devrait aussi évoluer avec le temps. Selon une autre erreur, l’homme aurait eu besoin non pas d’un mouvement réformé ou adapté du judaïsme mais d’une nouvelle religion en rupture avec celles qui existaient en son temps. Le Christ aurait alors fondé une nouvelle religion. Ces thèses sont toutes erronées et dangereuses. Croire que le christianisme n’est qu’une réforme du judaïsme ou une rupture, c’est finalement le remettre en question et plus particulièrement remettre en cause son origine divine.

Une religion ne peut être en effet une nouveauté. Elle n’aurait aucune crédibilité. Elle doit être aussi vieille que le genre humain. Elle ne peut non plus se contredire dans le temps. Si elle n’est pas fidèle à elle-même, si elle ne s’enracine pas dans le passé, elle n’est qu’une chimère, qu'une invention humaine.

Le christianisme, adaptation ou rupture du judaïsme ?

Temple de Jérusalem (reconstitution)
La connaissance de l’époque de Notre Seigneur Jésus-Christ nous aide à saisir l'origine de ces erreurs. Elles oublient la réalité de la foi juive telle qu’elle existait à cette époque. A l’avènement de Notre Seigneur Jésus-Christ, le contexte est particulièrement difficile pour le Juif. Il éprouve bien des difficultés à s’écarter des pensées bien matérielles. Les passions sont grandes, l’espérance forte. Certes, le regard est toujours tourné vers Dieu mais il tend à se rabaisser et à se limiter à une vaine attente matérielle. Il est parfois porté par les douleurs et les déceptions. Sa foi reste cependant toujours vive, l’attente du Messie ardente. Nous ne pouvons pas en douter. Cependant son regard, ses souvenirs, ses sentiments tendent à se détourner de la véritable lumière.

Parmi les erreurs que nous avons présentées, certaines omettent également la multiplicité des opinions religieuses qui caractérise le temps de Notre Seigneur Jésus-Christ. Elles confondent souvent la religion juive de cette époque avec le judaïsme orthodoxe, c'est-à-dire celui qui s’est développé après la destruction du Temple en l’an 70.

La vision d’un christianisme comme une rupture ou une réforme de la religion juive ne se justifie pas. Elle provient probablement d’une vue simpliste de la situation religieuse au temps de Notre Seigneur Jésus-Christ. Elle est aussi généralement mêlée d’une mauvaise intention. Le but est bien de remettre en cause le christianisme en le présentant soit comme une nouveauté, soit comme une déviation d’une religion ancestrale donc vénérable. Dans les deux cas, les critiques tentent de le présenter comme une adaptation humaine de la religion juive, une déviation religieuse, une invention humaine.

Ce regard simpliste et erroné du christianisme s’efface rapidement lorsque nous étudions avec attention les différents témoignages historiques de l’époque. Les chrétiens eux-mêmes refusent une telle conception de leur religion. Il est vrai que leur position ne surprend pas. Quels croyants en effet ne prétendraient-ils pas être fidèles à une foi originelle et éternelle ? Aucune religion ne peut prétendre à une origine divine si elle ne demeure pas fidèle à une volonté divine durable et cohérente dans le temps. L’islam lui-même prétend remonter à la foi d'Abraham. Toute religion digne de ce nom tente alors de prouver que si elle est la continuité d’une religion antérieure authentique, elle la corrige et doit la remplacer. Elle apporterait ainsi la vérité et la lumière au sens où elle redresserait une foi menacée ou déviante et renouerait avec la foi originelle. L’ancienne religion est alors accusée de ne plus être légitime. L’islam dénonce ainsi les Juifs et les Chrétiens d’avoir trahi Dieu et falsifié les Saintes Écritures. Nous retrouvons aussi cette pensée dans le protestantisme ou dans le modernisme catholique. L’important est donc de savoir déceler cette continuité …

Dans notre article, il s’agit de présenter la position de Notre Seigneur Jésus-Christ Lui-même. Comment considère-t-il son enseignement par rapport aux pensées religieuses dominantes du peuple juif à laquelle il appartient ?

« Ne pensez pas que je sois venu abolir la Loi et les Prophètes »

Nous savons que Notre Seigneur Jésus-Christ fait l’objet de deux accusations de la part des autorités juives et des gardiens de la foi. Ils l’accusent de violer la Loi et d’être un usurpateur, un faux Messie. A plusieurs reprises, il est même dénoncé comme blasphémateur. Ainsi par son comportement et son enseignement, il est accusé d’éloigner les Juifs de la vérité et de la justice divine. Nous pourrions alors en conclure que le christianisme ne serait donc qu’un mouvement hétérodoxe juif.

Or les faits démontrent le contraire. Notre Seigneur Jésus-Christ est un Juif qui respecte les commandements de la Loi et demande à ses disciples de les respecter. Au lépreux qu’il vient de guérir, il lui demande de se présenter au prêtre et de se purifier comme le prescrit Moïse. Il demande aussi à la foule qui le suit d’appliquer ce qu’enseignent les Pharisiens. Son enseignement est en effet parfaitement clair : il n’est pas venu pour abroger la Loi.

La Sainte Écriture est en outre bien présent dans son enseignement. Notre Seigneur Jésus-Christ justifie ses paroles et ses gestes en la citant à plusieurs reprises. Il ne peut guère non plus surprendre celui qui connaît la Sainte Écriture. Il la reprend, la résume, l’éclaire. Il parle même comme un docteur avec une autorité qui ne trompe pas. Aucun scribe ou Pharisien ne parvient à le contredire ou à le confondre en dépit des nombreux pièges qu’ils lui présentent.

En outre, Notre Seigneur Jésus-Christ présente publiquement son enseignement. Il parle au Temple, dans les synagogues ou sur la place publique. Il ne refuse pas non plus les débats. Certes par prudence il emploie des paraboles mais pour celui qui sait entendre, rien n’est véritablement caché. La vérité doit être lumineuse. Il demande aussi à ses disciples de parler ouvertement.

Enfin n’oublions pas que parmi ses disciples se trouvent des Juifs. Certains sont mêmes des Pharisiens. L’un d’entre eux appartient au Sanhédrin. Son enseignement n’est donc pas si contraire à la foi juive.

Notre Seigneur Jésus-Christ participe aussi à tous les moments de la piété et du culte juifs. Le Temple est également au centre de ses pensées. Sa colère est ainsi grande de le voir transformer en un vaste marché. « Ne faites pas la maison de mon Père une maison de trafic » (Jean, II, 16).

En un mot, Notre Seigneur Jésus-Christ est irréprochable dans ses paroles et dans ses faits et gestes. Son enseignement est parfaitement orthodoxe et conforme à la Sainte Écriture. Il se repose sur l’autorité des Patriarches et des Prophètes qui témoignent de lui.


« Et vous, pourquoi transgressez-vous le commandement de Dieu, pour votre tradition ? » (Matth., XV, 3)

Il est vrai cependant que Notre Seigneur Jésus-Christ s’oppose fermement aux différentes prescriptions qui commandent l’existence du Juif à son époque. Car il fait une distinction entre les différentes règles qui s’imposent au Juif et règlent son existence, voire l’enchaînent. Certaines proviennent de la Sainte Écriture. Elles sont donc d’origine divine. D’autres ont été développées, précisées, ajoutées, notamment par les scribes lors de l’exil de Babylone. Elles viennent d’une tradition bien humaine. 

Notre Seigneur Jésus-Christ rappelle en effet aux Pharisiens cette distinction fondamentale. Il indique aussi qu’elles se reposent sur des autorités et des intentions d’inégales valeurs ; elles n’ont donc pas toutes la même importance. Il montre l’exemple de David qui par nécessité a mangé les offrandes qui étaient pourtant destinées aux seuls prêtres. Il rejette notamment les multiples pratiques liées au sabbat et aux ablutions. « Le sabbat a été fait pour l’homme, et non l’homme pour le sabbat. »(Marc, II, 27). Il les accuse donc de supplanter la Loi de Dieu par des lois humaines, de confondre ce qui est de Dieu et ce qui est de l’homme.

Cette confusion implique en particulier deux erreurs graves. Elle détourne d’abord le Juif de la véritable finalité de la religion au point qu'il se concentre uniquement sur les moyens. Les Pharisiens et les Sadducéens ne comprennent plus le sens même de la Loi et demandent d’appliquer des règles en les vidant de l’esprit de la Loi. Ils en oublient l’essentiel au point de désobéir aux commandements de Dieu. Ainsi en enfermant le Juif dans ces prescriptions, ils s’opposent à l’accomplissement de la Loi. Ce sont des aveugles qui guident des aveugles.

La deuxième erreur est encore plus redoutable. L’amour et la justice de Dieu ne consistent pas en effet en un strict suivi de multiples prescriptions mais en une obéissance beaucoup plus profonde, celle du cœur et de l’esprit. Notre Seigneur Jésus-Christ donne en effet le véritable sens des commandements de Dieu et veut les faire appliquer avec sagesse avant toute considération humaine. Il revient donc aux sources mêmes de la Loi, c’est-à-dire à Dieu. Il élève la foi alors qu’elle ne cesse d’être rabaissée par ceux qui sont censés en être les interprètes et les défenseurs. Que devient la justification de l’âme si elle ne se repose que sur des prescriptions extérieures ? Dieu ne récompense finalement que l’obéissance à des règles, aussi nombreuses soient-elles. Est-cela la justice divine ? Elle devient purement superficielle et rapidement dangereuse. Elle oriente en effet l’homme vers l’ostentatoire et l’hypocrisie, vers la pure extériorité…

Le discours de Notre Seigneur Jésus-Christ sur la montagne est significatif. Il prône une autre conception de la religion, plus intérieure et profonde. « Au lieu d’être extérieure, elle sera chose d’âme ; au lieu d’être une justice devant les hommes, elle sera une justice devant Dieu. »[2] Il demande en effet d’incliner notre vie vers Dieu et de gagner les biens surnaturels selon le jugement divin et non selon les pensées humaines. Il ne s’agit pas d’attirer les regards et l’approbation des hommes ou de gagner de la réputation en montrant ses largesses, ses pénitences et en étalant une dévotion tapageuse. Tout doit être gardé soigneusement dans le secret de l’âme que seul Dieu peut connaître. La prière, l’aumône ou le jeûne doivent garder un caractère intime et discret afin qu’ils ne s’accomplissent que devant Dieu et non devant les hommes. Et Dieu qui voit dans le secret récompensera… Notre Seigneur peut alors rappeler au Pharisien l’accusation d’Isaïe : « ce peuple s’approche de moi par sa bouche mais son cœur est loin de moi » (Isaïe, XXIX, 13). Dans un tel esprit, vain est le culte qu’ils rendent à Dieu.

« Là où est votre trésor, là aussi sera votre cœur. » (Luc, XII, 33-34)

La conception religieuse des Pharisiens et des Sadducéens est radicalement différente. Ils voient leur salut dans leur origine juive et le respect intégral de la Loi. Hors d’Israël, point de salut. Que devient alors la liberté de Dieu ? Cette prétention est vivement condamnée. Saint Jean Baptiste l’a déjà dénoncée en annonçant la venue de celui qui doit les confondre : « Race de vipère, qui vous a montré à fuir devant la colère qui va venir ?  […] Ne songez pas à dire en vous-mêmes : Nous avons Abraham pour père, car je vous le dis, Dieu peut, de ces pierres mêmes, susciter des enfants à Abraham. » (Matth., III, 8-9).

Notre Seigneur Jésus-Christ est en effet particulièrement sévère à l’égard du comportement des Pharisiens. Ses mots sont durs à entendre, terribles et sans nuance. Il les accuse d’hypocrites et d’orgueilleux, à la recherche d’applaudissements. « Gardez-vous soigneusement du levain des pharisiens et des sadducéens. »(Matth., XVI, 6). « Ce n’est pas ceux qui me disent : Seigneur, Seigneur, qui entreront dans le Royaume des cieux ; mais celui qui fait la volonté de mon Père qui êtes aux cieux. » (Matth., VII, 21) Il demande donc de respecter la Loi de manière authentique, le regard tourné uniquement vers Dieu. Tout en appliquant ce que les docteurs de la Loi enseignent, il ne s’agit pas d’imiter ceux qui ne recherchent qu’à plaire aux hommes. Ils obtiendront certes la satisfaction devant leurs contemporains mais non devant Dieu.

Or parmi les Pharisiens, cette ostentation n’est pas sans arrière pensée. « Il y a beaucoup de gens insubordonnés, vains discoureurs et séducteurs, surtout parmi les circoncis ; il faut fermer la bouche à ces hommes qui bouleversent des familles entières et, pour un misérable gain, enseignent ce qu’il ne faut pas. » (Matth., XXIII, 14) L’intention peut être guidée par le gain…

D’une manière profonde, Notre Seigneur recentre donc l’homme vers un rapport d’intimité avec Dieu. Toute la vie doit être ordonnée à Lui. Si l’œil se fixe sur le monde, l’âme vivra selon le regard du monde.

Nous pouvons alors comprendre les mots terribles qu’il jette sur les scribes et les Pharisiens. « Malheur à vous, scribes et pharisiens hypocrites, parce que vous fermez aux hommes le royaume des cieux. […] Malheur à vous, scribes et pharisiens hypocrites, parce que sous le prétexte de vos longues prières vous dévorez les maisons des veuves […] Malheur à vous guides aveugles […] qui négligez les choses les plus graves de la foi, la justice, la miséricorde et la foi […] parce que vous vous nettoyez les dehors de la coupe et du plat, tandis qu’au-dedans vous êtes pleins de rapines et de souillures […] Ainsi vous aussi, au dehors, vous paraissez justes aux hommes, mais au-dedans vous êtes pleins d’hypocrisie et d’iniquité. » (Matth., XXIII, 13).

« Si la lumière qui est en vous est ténèbres, quelles seront les ténèbres ! » (Matth., VI, 23)

L’enseignement de Notre Seigneur Jésus-Christ révèle aussi l’étroitesse spirituelle des Pharisiens. Ils demeurent ancrés dans leurs certitudes. Non seulement ils ne remplissent pas le rôle d’interprètes authentiques de la Parole de Dieu mais ils mènent les Juifs dans l’erreur. Ainsi ne voient-ils pas ce qu’ils doivent voir. Ils ne perçoivent pas les signes qui manifestent l’identité et la mission de Notre Seigneur Jésus-Christ. Pourtant, ce sont eux les savants du Livre. La Sainte Écriture leur est en fait inintelligible, inefficace, inutile. Les prophéties bibliques leur sont inaudibles. Devant l’ignorance des Pharisiens, l’aveugle-né guéri par Jésus-Christ s’étonne en effet : « il y a en cela une chose étonnante, c’est que vous ne sachiez d’où il est, et il a ouvert mes yeux » (Jean, IX, 30).

Mais comment peuvent-ils comprendre la Sainte Écriture quand leur regard est tourné vers des pensées bien matérielles et qu’ils ne songent qu’à protéger et défendre leurs certitudes ? Il y a bien une confrontation entre leur croyance et une réalité. Au lieu de remettre en cause leurs certitudes, les Pharisiens rejettent les témoignages de Notre Seigneur Jésus-Christ. Voilà le point d’achoppement. Ils n’entendent pas ce qu’ils devraient entendre. Ce n’est donc pas la réalité qui commande leur foi mais bien l’idée qu’ils s’en sont faits.

Le temps est enfin venu

Notre Seigneur Jésus-Christ n’est donc pas venu abroger la Loi mais lui redonner son sens véritable. Il ne s’est pas non plus présenté comme un innovateur mais comme un maître dont son enseignement dépasse de loin celui des Pharisiens. Il enseigne les grandes vérités religieuses, réaffirme la doctrine juive et apprend aux Juifs à les vivre réellement selon la volonté de Dieu.

Cependant, il ne se présente pas comme porteur d’une réforme ou d’un mouvement plus authentique. Il est plus qu’un maître et un sage, il se présente comme le Messie, non pas comme l’imaginent les Juifs mais comme l’annoncent les Saintes Écritures. Il est venu en effet accomplir ce qui était prévu. Il réalise en effet la Loi. Il n’est donc ni un conservateur ni un innovateur mais un réalisateur. Là est la nouveauté. Le temps a changé, les cieux se sont ouverts. Notre Sauveur est enfin parmi nous.

Voyez mes œuvres et jugez

Contrairement aux rabbins, Notre Seigneur Jésus-Christ n’apporte pas simplement un discours ou une interprétation de la Parole de Dieu. Il agit et se justifie plus par des actes que par des paroles. Ses miracles confirment ce qu’il enseigne et ce qu’il est. Et cette justification est vivement repoussée par les autorités juives. Le Talmud le présente comme un magicien. Des Juifs voient en lui un démon. Ils ne croient pas en ses miracles. Ont-ils oublié les miracles de Moïse ? Ont-ils perdu le sens surnaturel, la toute-puissance divine ? « Hypocrites, vous savez juger d’après l’aspect du ciel et de la terre ; mais ce temps-ci, comment ne le reconnaissez-vous point ? » (Luc, XII, 56).

La source de leur rejet est peut-être ailleurs. Comment cet homme en effet peut-il réaliser des miracles alors qu’il ne suit pas les prescriptions qu’ils demandent de suivre ? Les Juifs se heurtent toujours à leur conception de la religion. Pour eux, le Juste consiste à être fidèle à une pratique. Dieu récompensera l’homme selon son obéissance à la Torah. Notre Seigneur Jésus-Christ leur montre que la justice n’appartient qu’à Dieu et non à l’homme.

D’une manière générale, les Juifs sont scandalisés par l’attitude de Notre Seigneur Jésus-Christ. Il ose parler avec des pécheurs, des publicains et les gens du peuple. Il ose même s’entretenir avec une Samaritaine. Cela doit être choquant pour celui qui voit dans le peuple juif l’unique source du salut. Comment ? Il ne pratique pas les multiples ablutions corporelles. Comment le Messie peut-Il ignorer leur impureté ? Le Messie, n’est-il pas venu vaincre les impies ? Le Pharisien ne songe qu’au salut du peuple d’Israël, à un salut collectif. Or le cœur de l’enseignement de Notre Seigneur Jésus-Christ est le salut de l’homme. Deux points de vue qui s’opposent encore…


Le Bon Samaritain 

José Tapiro Baro (1836-1913)
Son enseignement et ses faits agacent des hommes déconcertés dans leurs habitudes et dérangés dans leur certitude. Ils reçoivent en public des leçons qui montrent leurs erreurs et les éclairent sur des vérités qui, eux docteurs, n’ont jamais soupçonnées ! Critiqué pour se mêler avec les pécheurs publics sans craindre leur souillure, Notre Seigneur Jésus-Christ leur rappelle que le médecin ne vient que pour guérir les malades. Ceux qui croient être en bonne santé ne demandent pas en effet ses services. Malheur donc à ceux qui se suffisent ! Malheur aussi à ceux qui n’ont pour les pécheurs que du mépris ! Il renvoie les Pharisiens au prophète Osée (Os., VI, 6) : « Allez et comprenez ce que veut dire : c’est la miséricorde que je veux, et non le sacrifice » (Matth., XII, 7).

Notre Seigneur Jésus-Christ se présente comme le Messie, le « Fils de l’homme » tant attendu. « Si vous croyiez à Moïse, vous croiriez sans doute à moi aussi, parce que c’est de moi qu’il a écrit. Mais si vous ne croyiez point à ses écrits, comment croirez-vous à mes paroles ? » (Jean, V, 46-47) Ses paroles le disent, les prophètes l’annoncent, ses actes le confirment. Mais que ce Messie est bien différent de l’image que les Juifs se sont faits ![3]

« Ne versez pas un vin nouveau dans une vieille outre »

Notre Seigneur Jésus-Christ ne cherche pas à adapter la religion comme l'imaginent les Pharisiens. Il exclut tout accommodement avec un tel judaïsme. Il n’est pas en effet pertinent de rapiécer un vêtement usager avec des morceaux d’étoffe solide ou de verser du vin nouveau dans de vieilles outres. Il refuse toute compromission ou fusion avec la religion telle qu’elle est conçue des Pharisiens et qui donnera le judaïsme orthodoxe actuel. Ancré dans ses certitudes, le Pharisien est habitué au vieux vin et ne peut apprécier la saveur du vin nouveau.


Le judaïsme des Pharisiens ou des Sadducéens est vétuste, incompatible avec le plan de Dieu. En réalisant la Loi, Notre Seigneur Jésus-Christ inaugure une nouvelle ère marquée par un nouvel esprit comme le prévoie la Sainte Écriture. Ce nouvel esprit réclame une nouvelle œuvre qu’est le christianisme. Ce dernier n’est donc pas une adaptation du pharisaïsme ou du mosaïsme aux besoins des fidèles ou une simple variété de la Loi juive. Il est véritablement une création nouvelle tout en étant fidèle au plan de Dieu. Continuité dans le plan de Dieu, nouveauté dans l’homme. Saint Paul l’a bien compris. Il s’agit de se dévêtir du vieil homme pour se revêtir de l’homme nouveau.



Voir Notre Seigneur Jésus-Christ comme un fondateur d’une religion innovante ou un réformateur, c’est ne rien comprendre à son enseignement. Il est un maître qui se présente comme la Voie à suivre pour demeurer fidèle à Dieu, une Voie que Dieu a tracée depuis le commencement. Il est venu éclairer la Parole de Dieu. Il est conforme à la Sainte Écriture dans son enseignement, dans son action, dans sa pédagogie. En un mot, si nous embrassons tout le passé, et non pas uniquement sur une période très courte de l’histoire, aussi importante soit-elle, nous constaterions sans difficulté qu’il est la continuité de l’histoire que Dieu mène en toute liberté et toute justice…

Mais soulignons-le, il n’est pas seulement un maître ou un sage, il est surtout le Messie tant promis, venu réaliser ce que les Patriarches et les Prophètes attendaient. L’œuvre de la Rédemption se réalise en Lui. Il est le Messie qui a instauré une ère nouvelle. La Loi n’est donc plus d’actualité. Par sa venue, tout ne peut plus être pareil. Le temps a changé. Le ciel s’est ouvert. Un nouvel esprit est nécessaire. Esclaves, nous sommes devenus libres.






Un abîme sépare aussi deux compréhensions de la volonté de Dieu et des rapports qui doivent exister entre le Créateur et l’homme. Dans cet article, nous avons présenté quelques « points de désaccords ». Il en existe d’autres. Mais ils suffisent pour montrer que le christianisme n'est ni un mouvement ni une réforme issue du judaïsme. Notre Seigneur Jésus-Christ ne réclame pas non plus des adaptations. Nous sommes à un autre niveau. L’homme est à un carrefour où il doit nécessairement choisir. Il est à un point de conversion, à un haut moment de la foi comme nous en rencontrons dans la Sainte Écriture. Mais ce point-là est unique, extrême. Soit il persévère dans ses certitudes et ses habitudes de pensées, soit il se soumet aux vérités qui se dévoilent à lui. Dieu pose à l’homme un choix fondamental. Pour cela, il doit se défaire de lui-même pour pouvoir avancer selon la volonté de Dieu. Nous sommes à un instant crucial. Rien ne peut plus être pareil après. Il est « la lumière qui éclairera les nations, et la gloire d’Israël » et « a été établi pour la ruine et la résurrection d’un grand nombre en Israël, et un signe que l’on contredira » (Luc, II, 34).










Références
[1] Décret du Saint Office, Lamentabili, 3 juillet 1907.
[2]Dom Paul Delatte, L’Évangile de Notre Seigneur Jésus-Christ le Fils de Dieu, chapitre V, Maison Alfred Mame et fils, 3ème édition, 1926.
[3] Voir Émeraude, avril 2015, article « L’idée du Messie au temps de Notre Seigneur Jésus-Christ ».

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