" La pierre précieuse, voire de grand prix aux yeux de certains, qu'est l'émeraude, se voit insultée par un morceau de verre habilement truqué, s'il ne se rencontre personne qui soit capable de procéder à un examen et de démasquer la faute. Et lorsque de l'airain a été mêlé à l'argent, qui donc, s'il n'est connaisseur, pourra aisément le vérifier ? "(Saint Irénée, Contre les hérésies)


lundi 20 avril 2015

Judaïsme, christianisme : continuité, rupture ?

Cathédrale de Strasbourg
En quelques articles, nous avons décrit le monde dans lequel évoluait Notre Seigneur Jésus-Christ. Nous avons pu voir que le peuple juif est marqué par une très grande diversité. En dépit de son hétérogénéité, il apparaît néanmoins uni par une même croyance en un Dieu unique et tout-puissant, juste et miséricordieux. C’est aussi un peuple en attente. Il espère en Dieu et voit en lui la source de son bonheur. Cependant son espérance tend à être bien matérielle et détournée de l’élévation spirituelle qu’ont pourtant engagée les Prophètes. Il espère en un libérateur, en un Messie capable de réunir les tribus juives et de soumettre les païens au règne de Dieu, en une Jérusalem glorieuse, centre de l’univers. Les Juifs, docteurs de la Loi compris, sont préoccupés d’un monde où le Juste dominera l’impie, où il recevra la récompense de sa fidélité à la Loi, où le pécheur sera condamné. Plus proches du peuple, les Pharisiens leur enseignent l’obéissance aux prescriptions de la Loi et des coutumes afin de gagner des mérites pour le monde à venir. Le regard est ainsi tourné vers la sanction et le jugement dernier. Le salut ne réside donc que dans la Loi. Grande est donc la tentation de ne se croire sauvé que par ses propres mérites.

Derrière cette espérance, nous sentons une attente vive, fortifiée par un contexte douloureux, celui d’une Terre sainte soumise aux Romains. Il n’est pas possible de comprendre le peuple juif sans prendre en compte cette occupation païenne, vécue de manière humiliante. Leur lecture de la Sainte Écriture en est affectée. De manière générale, les Juifs y recherchent leur espérance et leur consolation selon des vues bien humaines. 

La foi suit donc un chemin dangereux et périlleux. Comme Il le proclame lui-même, Notre Seigneur Jésus-Christ n’est pas venu abroger la Loi mais l’accomplir. Il redirige le regard du croyant vers la vérité divine, une vérité qui tente de s’estomper dans le cœur juif. Il n’y a donc pas rupture dans son enseignement, dans ses faits et gestes. Il y a plutôt éclaircissement et perfectionnement.


La Synagogue
Il est tentant de voir aujourd’hui le judaïsme comme la continuité de la foi juive, censée être imperturbable depuis des siècles et des siècles. Or ce regard est faux. Le judaïsme n'est pas l’héritière fidèle de la foi juive et des promesses divines. Il est plutôt la continuité d’un des courants qui est né de l’exil de Babylone et n’a cessé de prendre de l’ampleur depuis le retour du peuple juif sur la Terre sainte. Le judaïsme actuel est la continuité du mouvement pharisien. En un sens, il est en rupture avec la foi juive ancestrale. Le Temple n’est plus au cœur de la foi. Il a définitivement brûlé. Le prêtre a laissé sa place au scribe. Les sacrifices ont été abandonnés, les prières se sont tues, la Loi de Moïse n’est plus. Qui entend encore la voix du lévite qui comme l’encens s’élevait vers les cieux ? Les prescriptions héritées du passé et les nombreux commentaires des rabbins occupent désormais le centre de la religion juive. La Synagogue a remplacé le Temple. La sainteté consiste en une stricte obéissance à des pratiques, à l’étude des commentaires et à la recherche des récompenses éternelles en vue de se préparer au monde à venir. La lecture de la Sainte Écriture est tournée vers ces préoccupations. Enfin, le messianisme juif a poursuivi ses erreurs, devenant un messianisme sans Messie. Il semble désormais s’incarner dans un nationalisme exacerbé.

Finalement, le judaïsme actuel ne peut pas prétendre être fidèle à la religion juive même s’il tire son origine du pharisaïsme, c’est-à-dire d’une des branches les plus actives et les plus proches du peuple juif au temps de Notre Seigneur Jésus-Christ. Il est donc inopportun et simpliste de vouloir le comparer avec le christianisme et de le prendre comme référence pour dénoncer ensuite l’infidélité des chrétiens à l’égard de la religion ancestrale. Les païens ne peuvent donc prétendre opposer les Chrétiens et les Juifs pour traiter les premiers de traîtres et les seconds de fidèles. Il est donc faux de conclure que le christianisme a rompu avec la foi que le peuple juif a transmise de génération en génération depuis Abraham.

Le christianisme n’est pas non plus une des tendances juives qui se serait affirmées au temps de Notre Seigneur Jésus-Christ avant que ne s’impose le judaïsme actuel. Telle est l’opinion de certains rabbins qui voient dans notre religion un des rameaux de la religion juive avant que ne soit définie l’orthodoxie juive, c’est-à-dire le judaïsme actuel. 

À l’imitation de Notre Seigneur Jésus-Christ, les chrétiens se sont opposés aux Sadducéens et aux Pharisiens, à tous ceux qui se sont enfermés dans un exclusivisme religieux et ont restreint la portée et la lumière des Paroles divines. Le Messie a libéré le peuple de Dieu non de ses ennemis bien matériels mais de ses propres erreurs et des conceptions humaines qui ont fini par aveugler les Juifs et endurcir leur cœur.

L'Église
L’autre erreur est de voir dans le christianisme l’influence persistante du judaïsme. Telle était l’opinion de Voltaire, des idéologues nazis et de bien d’autres encore. Or le Talmud révèle le contraire, c’est-à-dire l’influence du christianisme dans la pensée juive. L’enseignement de Notre Seigneur Jésus-Christ, le prosélytisme chrétien et leurs argumentations n’ont pas laissé insensibles les rabbins. Ils ont en effet dû se positionner sur certains sujets, notamment éclaircir le rôle du Messie et commenter les prophéties qu’ils avaient tendance à oublier.

En outre, que deviendrait le christianisme s’il se coupait de sa racine ? L’homme doit-il renier son passé en devenant adulte ? Doit-il méconnaître ses parents et son éducation du fait qu’il a acquis l’âge de la majorité ? Il y a continuité dans la fidélité à Dieu. Les chrétiens croient en l’origine divine de l’Ancien Testament et le vénère. Leur culte est plein de réminiscence du culte ancien. L’histoire sainte fait intégralement partie de leur histoire. La morale chrétienne repose encore sur les dix commandements. Il n’y a donc aucun abandon mais continuité. La foi juive authentique telle qu'elle existait chez les Patriarches et les Prophètes n'est pas extérieure à la foi chrétienne.

Enfin, résumer le christianisme comme une synthèse entre Saint Pierre et Saint Paul, entre la fidélité au judaïsme et l’ouverture à la gentilité, c’est le simplifier à l’extrême. C’est tenter d’appliquer l’hégélianisme au christianisme. C’est vouloir ignorer les difficultés qu’ont pu éprouver des Juifs quand ils ont dû quitter leurs erreurs et leurs conceptions religieuses pour embrasser la foi nouvelle. Le judéo-christianisme est issu de ces difficultés. C’est finalement ne pas prendre en compte les réalités humaines, c’est-à-dire tout le mystère de la conversion. On ne devient pas chrétien par un coup de baguette magique comme si toute une histoire disparaissait…

Telle est donc la conclusion de nos premières réflexions. Pour les confirmer, nous pourrions étudier le judaïsme actuel et le comparer au christianisme et à la Sainte Écriture afin d’identifier les points de divergence. Mais cette étude serait trop éloignée de notre sujet. Cela reviendrait aussi à étudier une méthode particulière sur laquelle repose la science comparative des religions. Nous allons rester au début de l’ère chrétienne pour connaître davantage les relations qui ont existé entre les Juifs et les Chrétiens. Comment s’est produite leur séparation ? Comment a-t-elle été perçue par les protagonistes ? Comment les Chrétiens et les Juifs se sont-ils défendus ? Mais avant toute chose, comment Notre Seigneur Jésus-Christ s’est-il positionné devant les Sadducéens et les Pharisiens ? Défendre la foi consiste aussi à rappeler les faits historiques…

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire