Il serait bien long de présenter tous les arguments de Jean
Meslier contre la religion et l’existence de Dieu tant ils sont nombreux. Les
suivre selon l’ordre de son ouvrage pour ensuite les réfuter serait aussi bien
difficile tant il manque de cohérence. Nous avons donc pris le choix de traiter plutôt sa démarche.
La valeur de la certitude
A plusieurs reprises, Meslier rejette les arguments en faveur de
la religion ou de l’existence de Dieu car n’apportant aucune certitude, ils ne
sont pas fiables. Il s’appuie en fait sur un principe qu’il rappelle
souvent.
« Des signes ou des effets
qui peuvent également venir de l'erreur comme de la vérité » ne peuvent
être considérés comme des preuves valables de vérité. Ainsi ils ne seraient pas
légitimes de les utiliser. Par exemple, si la foi est le principe des religions
et que toutes les religions, sauf peut-être une, sont fausses, cela signifie
que la foi justifie le vrai et le faux donc elle n’est pas fiable. Ainsi
faut-il la rejeter. Si les miracles sont utilisés par toutes les religions pour
se justifier et que toutes les religions ne peuvent être vraies, ils sont de
même rejetables.
Comment pouvons-nous adhérer à un tel principe ? Si la
science est utilisée pour justifier des affirmations contradictoires, faut-il
aussi la rejeter ? Un tel principe met fin à toute connaissance. Nous
pourrions même retourner son principe contre lui-même. Il utilise en effet les
miracles et les prophéties pour montrer l’absurdité de la foi. Or comme ils
sont aussi employés pour montrer que la foi est raisonnable, ils ne peuvent être
fiables pour justifier l’absurdité de la foi. Car finalement, ce ne sont pas
les faits ou les signes qui sont fiables ou non mais leur interprétation et
leur utilisation. Si des faits semblables justifient des affirmations opposées, cela signifie simplement une erreur dans leur compréhension ou
dans le raisonnement, voire la mauvaise foi. Cela ne remet pas systématiquement en cause les faits
eux-mêmes. Il s’agit donc de porter un regard critique sur l’interprétation et
sur le raisonnement. Ce n’est donc pas obligatoirement l'objet de l'argumentation qui est non fiable mais l'argumentation elle-même.
En fait, selon Meslier, la certitude ne peut être garantie que par
la raison. Par
principe, il rejette alors l’enseignement chrétien doctrinal et moral tant que
les chrétiens n’auront pas prouvé l’existence rationnelle de Dieu. « C'est à eux à
établir et à prouver la prétendue vérité de leur foi et de leur religion [...]. Et c'est ce
que je les défie de pouvoir faire (car la raison naturelle ne saurait
démonstrativement prouver des choses qui sont contraires, contradictoires et
incompatibles). Et ainsi, tant qu'ils ne le feront pas, qu'ils soient tenus
pour convaincus d'erreurs et d'abus dans leur doctrine et dans leur morale [...] » En un
mot, Meslier considère la raison comme seul mode de connaissance fiable. Il n’en connaît pas d’autre. Il
rejette donc naturellement tout enseignement non rationnel. Or de telles
affirmations auraient mérité une démonstration. Pourquoi la raison est-elle
l’unique mode de connaissance fiable ? Si effectivement nous commençons
par de tels principes, nous ne pouvons pas admettre la foi comme mode de
connaissance. En absence de preuves rationnelles, il rejette finalement toute
idée de religion et de l’existence de Dieu…
Mais la raison est-elle vraiment la source de ses certitudes ?
Meslier appuie plutôt ses affirmations sur le bon sens et plus précisément sur
l’aspect visible des choses : « […] se former des idées, des pensées et des connaissances plus ou moins
parfaites de quelque objet que l'on ne voie point réellement et véritablement,
ne sont que des actes d'imaginations […] » Il attaque en effet les
mystères et les sources de la foi en montrant leur absurdité, c’est-à-dire leur
prétendue incompatibilité avec le bon sens. Il attaque l’idée de Dieu car Dieu
n’est pas visible. Mais la vérité et la réalité se réduisent-elle au monde visible ? Et son bon sens peut nous étonner. « Il est visible que tous les ouvrages de la Nature
[...] ne dépendent dans leur formation et dans leur dissolution que du
mouvement de la matière et de l'union ou de la désunion de ses parties […] »
D’où vient cette évidence ? Il prône la soumission à la raison mais
quelles preuves raisonnables apporte-t-il à cette affirmation ? « On
ne peut douter que l'être en général n'ait de lui-même son existence et son
mouvement. » Est-ce
si évident de voir la nature créatrice d’elle-même ? Son principe de connaissance est donc fondé
sur des a priori et non sur la raison.
L’art
de mal conclure
Parfois,
Meslier raisonne juste mais hélas il conclut ses raisonnements de manière hâtive.
Par exemple, il montre qu’il ne peut y avoir qu’une seule religion vraie ou
aucune. En effet, comment des religions peuvent-elles être toutes vraies alors
qu’elles affirment des vérités différentes ? Elles sont donc toutes
fausses, sauf peut-être une, puisque la vérité est une. Comme les chrétiens
croient que leur religion est la vraie, Meslier affirme qu’il va chercher à les
convaincre de la fausseté du christianisme. Par conséquent, la fausseté du
christianisme montrera la fausseté de toute religion. Erreur. Cela ne
signifiera simplement que le christianisme n’est pas la vraie religion et donc
que les chrétiens sont dans l’erreur. Sauf s’il est convaincu que le
christianisme ne peut qu’être la seule religion. Faut-il encore la prouver…
Et toujours selon la même démarche, si la seule religion supposée vraie est fausse alors Dieu n’existe pas. « Je m'attacherai
principalement à vous faire clairement voir la vanité et la fausseté de votre
religion, ce qui suffira pour vous désabuser en même temps de toutes les autres
puisqu'en voyant la fausseté de la vôtre, que l'on vous a fait accroire être si
pure, si sainte et si divine, vous jugerez assez facilement de la vanité et de
la fausseté de toutes les autres. » Son
raisonnement est d’une très grande simplicité, voire simpliste. Comment Dieu en effet
peut-Il accepter que les hommes ne puissent pas suivre la vraie religion ?
La pluralité de la religion est incompréhensible quand il songe à la bonté et à
la sagesse de Dieu. Cela signifie simplement que Dieu n’est pas bon et sage
comme il l’entend. Et comment sait-il que Dieu accepte cette pluralité ?
L’existence d’une chose ne signifie pas qu’elle soit nécessairement acceptée
moralement. Mais finalement, allons au fond du problème. Toute
existence est-elle voulue moralement par Dieu ? Voilà un problème sérieux
à résoudre. Si oui, que devient la liberté de l’homme ? Si non, que
devient la puissance divine ? Nous sommes au cœur d’un mystère que Meslier
n'aborde pas.
Comment avec de tels raisonnements peut-il s’opposer aux déistes qui conçoivent
Dieu comme indifférent à l’égard de ses créatures ? Son raisonnement est
assez étonnant. Par principe, il affirme que l’existence de Dieu est
nécessairement liée à la religion. Donc en attaquant la religion, il remet en
cause l’existence de Dieu. Mais il devrait plutôt montrer d’abord que si Dieu
existe, la religion est alors une nécessité puis que la religion est une
absurdité pour démonter enfin l’absurdité de son hypothèse. Sa démarche est
différente. Il commence par prouver la fausseté des religions pour conclure par la négation de l’idée de Dieu. En outre, au lieu d’attaquer la
religion en elle-même, il ne raisonne qu’avec une conception chrétienne de la
religion. Sa démarche manque de rationalité et d’objectivité…
La faiblesse des arguments
Meslier
tente de démontrer l’origine humaine des religions et de l’idée de Dieu. En
s’appuyant sur des faits historiques, il explique qu’elles ont été inventées
pour tromper le peuple au profit des puissants et
pour satisfaire l’orgueil de certains individus. Elles se seraient maintenues
par lâcheté, flatterie ou pour des intérêts politiques.
Des faits historiques peuvent-ils
prouver quelque chose de manière générale ? Un fait peut illustrer ou
confirmer une affirmation mais il ne peut pas prouver une hypothèse. Il peut toutefois
la contredire et donc montrer sa fausseté. La religion chrétienne des premiers
siècles était parfaitement contraire à la société et à la pensée païennes. C’est pourquoi elle a
été persécutée. Par conséquent, les persécutions contredisent la thèse de Meslier. Voilà bien une religion qui n’a
pas été créée pour soutenir les puissants. Est-ce aussi pour tromper le peuple
que les chrétiens ont accepté d’être martyrisés ? L’exemple du
christianisme primitif contredit sa thèse…
Et puis, supposons que Meslier ait raison, qu’est-ce que cela
signifie ? L’histoire nous montre en effet que des régimes politiques se
sont maintenus grâce notamment à la religion mais cela n’explique pas la
religion. Un tel rôle de la religion n’explique rien sur son origine. En outre, le fait qu’elle
puisse être un outil politique n’induit pas nécessairement sa fausseté. Elle
peut être en effet incomprise et manipulée. Certes Meslier
explique que des hommes peuvent inventer des dieux mais cette capacité
imaginative ne permet pas de conclure à l’inexistence de Dieu.
L’art de mal raisonner
Suivons un autre raisonnement classique de Meslier. Si la foi est
le principe des religions et que toutes les religions, sauf peut-être une, sont
fausses, cela signifie que la foi n’est pas fiable. La foi ne pouvant être un
critère de véracité est donc un principe d’erreur. Par conséquent, les
religions sont toutes fausses.
Ce raisonnement est-il exact ? Les religions s’appuient-elles toutes sur la même notion de
foi ? Car sa première hypothèse affirme l’unicité du concept. D’où vient
une telle affirmation ? Mais surtout comment parler de religion sans
parler de croyance et de croyance sans parler d’adhésion donc de foi au
sens commun du terme ? Et au fait, de quelle foi parle-t-il ?
Or si Meslier veut démontrer que le fait de croire est à rejeter de l'ordre de la connaissance car
il est source d’incertitude, nous devrions rejeter tout ce que nous ne savons
pas par nous-mêmes, tout ce que nous n’avons pas acquis par la raison. Et puisque la raison produit aussi des erreurs, allons-nous la rejeter à son
tour car elle n’est pas fiable ? Son raisonnement conduit finalement à
rejeter les principes de la connaissance. Nous arrivons donc à une
absurdité…
Quelle est donc son erreur ? Si nous
adhérons à une religion par la foi, ce n’est pas la foi qui fait la religion.
La foi au sens commun du terme est une adhésion à des propositions qu’enseigne
la religion comme étant des vérités sans avoir de preuves formelles ou directes
sur leur véracité. Si toutes les religions sont fausses sauf une, ce n’est donc
pas à cause de la foi mais à cause de la fausseté des propositions qu’elles
enseignent. La pluralité des religions montrent donc simplement que l’homme peut
se tromper sur la valeur d’une proposition. Si des théories scientifiques
sont erronées, cela ne signifie pas que nous devons rejeter la science qui est
leur mode de connaissance mais que ce mode n’est pas infaillible. Faut-il alors
ne plus faire de science car il existe une possibilité d’erreur ? Faut-il
ne plus croire car la foi peut nous conduire à l’erreur ? Il s’agit
donc de déterminer la cause des erreurs de jugement des croyants qui adhèrent à des propositions fausses en les croyant vraies. Il s’agit aussi de savoir en
quoi une religion est fausse et par conséquent de définir ce qu'est une religion vraie. Voilà
les véritables bonnes questions que nous devons nous poser.
En outre, la foi se base sur un ou plusieurs témoignages. Donc l’erreur de jugement pourrait venir du témoignage. Un témoin affirme qu’une
chose est vraie alors que finalement elle est fausse. Et c’est parce que ce
témoin, nous le jugeons digne de confiance que nous croyons finalement à sa
parole. Or toutes les religions s’appuient-elles sur le même témoignage ? Tous
les témoignages ont-ils la même valeur ? Évidemment non. Donc la foi au
sens classique du terme peut conduire à des erreurs à cause d’un mauvais
jugement sur la force de la preuve sans remettre en cause la foi en elle-même comme mode de connaissance. Si le témoin
ne peut se tromper et ne veut pas non plus nous tromper, la chose dont il témoigne ne peut
qu’être vraie. Par conséquent, la foi nous permet d’accéder à la vérité. En
quoi est-elle alors un principe d’erreur ?
Le chrétien ne croit en des vérités que sur l’autorité même de
Dieu qui, juge-t-il, ne peut ni se tromper, ni nous tromper. Par conséquent, la
foi est un mode de connaissance qui atteint la certitude des choses dans
ce cas précis. Pour s’opposer à une telle foi, il faut donc montrer que soit
Dieu n’existe pas, soit Il peut se tromper ou nous tromper. La question de
l’existence et de la nature de Dieu est donc primordiale.
Ainsi la pluralité des religions ne montre pas le manque de
fiabilité de la foi comme mode de connaissances mais rappelle la capacité de l’homme de
mal juger. La raison peut aussi élaborer des théories fausses à cause de la
faiblesse intellectuelle de l’homme. La cause n’est donc ni dans la religion ni
dans la science mais dans l’homme. En un mot, l’erreur est du côté de l’homme.
Un raisonnement malhonnête
Meslier refuse toute véracité dans le christianisme tant que les
chrétiens ne prouveront pas que Dieu existe. Nous penserions, peut-être à tort,
que c’est à lui, l’accusateur, de prouver que le christianisme est faux pour
ensuite parvenir à la conclusion de l’inexistence de Dieu. Mais en raisonnant
ainsi, il commet de nombreuses erreurs, voire des fautes graves.
Il part en effet du principe que le christianisme est faux car il
est déjà convaincu de l’inexistence de Dieu. Effectivement, s’il ne croit pas
en l’existence de Dieu, la foi n’a plus aucun sens, le christianisme non plus. Quelle
est donc cette démarche rationnelle qui consiste à partir d’un postulat qui
contient déjà ce qu’il doit démontrer ?
Meslier demande alors aux chrétiens d’exposer leurs arguments
pour qu’il puisse les réfuter. Mais à quoi bon discuter surtout lorsqu’il
n’y a pas de discussion, sa mort empêchant en effet toute réponse ? Son
silence et sa mort rendent caduque son raisonnement. Cette question sans
réponse possible est en fait significative. Il ne veut entendre aucune réponse,
aucune justification. Où est l’exigence de la vérité ?
Imaginons qu’il est encore capable de répondre. Il est alors obligé
de répondre à toutes les démonstrations que les chrétiens peuvent lui
présenter. Il est donc en attente. Il est aussi totalement dépendant de leurs argumentations.
Cette posture n’est-elle pas une marque de faiblesse ? Il ne croit pas en
Dieu non pas parce que la raison a démontré son inexistence mais parce que les
arguments des chrétiens ne le convainquent pas. Un honnête homme aurait
simplement suspendu son jugement. Il aurait aussi pu adopter l’agnosticisme.
Et si sa raison n’est pas convaincue par les démonstrations des
chrétiens, cela ne peut que démontrer soit la faiblesse de leurs démonstrations,
soit celle de sa raison. Cela ne signifie pas l’incapacité de la raison de
démontrer l’existence de Dieu. Certes il est plus facile de démonter des
arguments en partant du principe qu’ils sont certainement faux…
Sa faute est encore plus grave puisque comme nous le voyons dans
son ouvrage, il ne connaît pas toutes les démonstrations classiques de
l’existence de Dieu, et pire encore, son raisonnement s’appuie sur des variantes de démonstrations. Il s’attaque en fait aux arguments de Fénelon, de
Malebranche et de Descartes. C’est peu quand nous connaissons tous les efforts
qu’ont entrepris les philosophes grecs et chrétiens pour démontrer l’existence
de Dieu et de son unicité.
Que de confusions !
Meslier affirme comme évident que tout être est lié aux trois
dimensions que sont le temps, l’espace et la matière. Acceptons de nouveau
cette affirmation si forte. Occupons-nous d’abord de la dimension temporelle de
l’être. Pour pouvoir comprendre, nous aimerions connaître ce qu’il entend par
le terme de « temps », qui
lui semble en effet si évident au point qu’il ne daigne pas le définir. De
nouveau, nous voyons un homme qui ne traite pas les questions fondamentales.
Pourtant comment peut-il ignorer le problème du temps ?
Ignore-il Saint Augustin lui qui a si admirablement perçu toute la difficulté
de cette notion indéfinissable ? Avec Meslier, nous surfons en fait
constamment dans un vague absolu, peu propice à une véritable réflexion.
Peut-être conçoit-il le temps de manière classique, c’est-à-dire comme la
manifestation ou la mesure d’un mouvement physique. Dans ce cas, il n’y
a du temps que dans un monde mobile ou changeant. Si Meslier affirme que l’être
est lié au temps, cela signifie qu’il est obligatoirement changeant, en
mouvement. Il se situe donc uniquement dans un monde matériel. Il exclut par
conséquent toute idée de Dieu en tant qu’être immobile, être de toute éternité.
L’éternité telle que nous le comprenons n’a donc plus de sens. Meslier n’est
pas dans le même monde que celui des chrétiens. Il introduit des termes de son
univers matérialiste dans un autre qui ne l’est point d’où des absurdités, des
incompatibilités, des contradictions. La raison de son refus de la religion ne réside pas dans la religion
mais dans son incompréhension de la religion. L'idée de Dieu est incompréhensible dans le monde qu'il s'est construit.
Meslier tente donc de répondre à l’un des arguments classiques des
chrétiens, argument par ailleurs mal compris. Les croyants affirmeraient que
Dieu précède le temps par l’éternité. Comment ? L’éternité ne serait-elle
pas du temps, nous demande-t-il ? Car il conçoit l’éternité comme une suite de
temps sans début et sans fin. Comment peut-il alors précéder le temps quand il
est dans le temps ? Absurde, s’exclame-t-il. Absurde plutôt sa
démarche ! Il veut juger la valeur d’un argument quand il n’en comprend
pas les termes. L’éternité de Dieu, est-ce une suite infinie d’instants ? Au contraire, c’est l’absence
de succession. C’est un instant sans commencement, sans fin. C’est un instant
éternel. Ainsi il arrive à une contradiction non pas parce que l’hypothèse de
départ est fausse mais parce qu’il manipule des notions sans aucune rigueur.
Plus rapidement, traitons
du problème de l’espace. Il le conçoit comme la place occupée par un objet. Le raisonnement de Meslier
est donc rapide. Dieu ne peut créer l’espace car il a besoin d’un espace pour
être. « Ce qui
n'est nulle part n'est point, et ce qui n'est point ne peut créer aucune chose ». Ce n’est pas l’idée de Dieu qui est absurde, c’est le concept de
l’être lié à l’espace. Ce qui est surtout insensé, c’est le fait de concevoir
Dieu de manière anthropomorphique. « Pour créer, il faut agir; pour agir il faut se mouvoir ; et pour se
mouvoir il faut de l'espace et de l'étendue. »
En fait, Meslier n'envisage rien sans matière.
Il ne conçoit que l’être matériel. Par conséquent, avec une telle pensée, Dieu
perd tout sens. Finalement, Meslier démontre maladroitement l'incompatibilité entre l'idée de Dieu et le matérialisme...
Suivons un autre raisonnement plus révélateur d’une autre erreur
fondamentale. Meslier veut montrer que la matière est éternelle et qu’elle n’a
pas pu être créée. La première étape de sa démonstration consiste à montrer que
« l’être est » au moyen de
la connaissance évidente de l’existence du monde et celle de notre propre être.
Si ces deux principes peuvent être indiscutables, au moins pour les réalistes,
nous ne voyons pas comment cette relation conduit à l’affirmation que « l’être est ». L’association nous
paraît simpliste. Acceptons cependant sa conclusion. Or l’être ne peut pas ne
pas avoir été. Car ce qui n’existe pas ne peut pas se faire exister. Et il ne
peut pas avoir reçu l’être d’un autre puisque l’être n’existe pas en dehors de
lui. Donc l’être est éternel. Par conséquent, il n’a pas été créé. « Il n'y a rien de créé, et par conséquent, point de créateur».
Or Meslier oublie quelques fondamentaux.
D’une part, il ne définit pas ce qu’il entend par l’être. Soit il ne voit pas
le problème, soit il l’esquive. Dans les deux cas, il ne philosophe pas, il
baratine. D’autre part, il ne fait pas de distinction entre l’être et
l’existence. Donc évidement si ces deux notions se confondent, nous arrivons
sans problème à montrer que tout est éternel. Or justement, pouvons-nous les
confondre ? Nous n’existons pas par nous-mêmes. Nous recevons
l’existence ; nous ne sommes pas l’existence. Or son raisonnement pourrait
montrer qu’il y a nécessairement un être qui a par lui-même l’existence, une
entité dans lequel l’être et l’existence sont confondus. Alors selon son
raisonnement, cet être est obligatoirement éternel. Il ne peut pas être créé. Nous
l’appelons Dieu, « celui qui est »…
L’art
de ne pas se poser de questions
A plusieurs reprises, Meslier justifie ses attaques en prenant à
témoin les chrétiens eux-mêmes. Par exemple, les prophéties ne sont pas
fiables. Saint Paul lui-même nous demande de nous méfier des faux prophètes.
Par conséquent, selon un de ses principes que nous avons déjà évoqués, Meslier en conclut par le rejet pur
et simple des prophéties comme motif de crédibilité. Évidemment, il ne cherche
pas à comprendre pourquoi l’apôtre nous avertit de l'existence des faux prophètes.
Sa rage le rend-il aveugle ? Nous sommes parfois embarrassés devant quelques affirmations. Au cours d’un raisonnement, il nous
présente un principe en affirmant sans inquiétude son évidence. Prenons par
exemple celui-ci : « l'ignorance où
l'on est de la nature d'une chose ne prouve nullement que cette chose ne soit
pas ». Après avoir en effet tenté de démontrer que tout est matière et
mouvement, il avoue qu’il est incapable de dire comment la matière peut se mouvoir
par elle-même. Or la question est essentielle. Nous dirons même que tout repose
sur cette question. La matière est-elle capable de se mouvoir par
elle-même ? Par son postulat d’ignorance, il esquive le problème. Mais pire
encore, il commet une faute : comment pouvons-nous affirmer qu’une chose
est sans connaître sa nature ? Cela pourrait être compréhensible lorsque
la connaissance n’est que le fruit de l’expérience. Une chose est car nous
faisons uniquement l’expérience de son existence. Mais nous ne sommes plus dans une
démarche de rationalité comme il l’aime si bien répéter mais dans une démarche
purement existentielle. En outre - et c’est là probablement sa plus grande
erreur - il confond l’être et l’existence. Hors de cette démarche existentielle
et de cette confusion, son principe n’a plus aucun sens …
Pour
conclure, Meslier présente de nombreuses erreurs de raisonnement. Les principes
qu’il pose portent en eux-mêmes leurs conclusions. Il ne discute pas sur leur
valeur. Il ne s’interroge pas non plus sur les véritables questions fondamentales.
Il semble même refuser de les aborder. Ses conclusions nous étonnent aussi par leur simplisme. Enfin, si nous
suivons ses principes avec plus de rigueur, ce n’est pas Dieu que nous
rejetterions mais l’idée même de la connaissance. L’athéisme ne survivrait pas…
Mais l’une des plus grandes fautes qu’il
commet de manière systématique est d’utiliser des notions difficiles comme le
temps, l’être, l’existence, sans chercher à les définir. Or comment traiter des
questions sans chercher à en définir les notions qu’elles impliquent ? Comment philosopher sans se poser de questions et de bonnes questions ? En
absence de définition rigoureuse et claire, il confond souvent des termes
essentiels et fait naturellement des contre-sens puis s’étonne d’arriver à des
absurdités. Pire encore. Il use des termes dans un sens purement matérialiste
pour les appliquer ensuite sur une vision théiste du monde et il s’étonne encore à des contradictions et à des stupidités. Mais au lieu de remettre en cause son
raisonnement, il rejette la vision théiste du monde. Tout cela n’est guère
digne d’un penseur. L’ouvrage est finalement une série d’arguments qui tentent
de persuader et non de convaincre. Nous ne sommes donc pas dans l’ordre de la
raison mais du sentiment…
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