Dès
le commencement, les chrétiens font l’objet de nombreuses oppositions doctrinales tant
externes (judaïsme, paganisme) qu’internes (hérésie). Face à chaque adversaire,
ils doivent se défendre avec des arguments propres pour qu’ils
soient entendus. Leurs adversaires eux-mêmes doivent aussi répondre à leurs
attaques. Chacun tente alors de se justifier en prenant soin de reposer leur
argumentation sur une base solide commune. La philosophie est par exemple l’un
des champs de bataille où s’affrontent les chrétiens et les païens. Nous allons
nous intéresser plus particulièrement aux premières hérésies dont le lieu
d’affrontement est la Sainte Bible.
Les
hérétiques et les chrétiens fidèles à la foi défendent leur doctrine notamment à partir
de la Sainte Écriture. Chacun justifie en effet ses positions en fonction des
textes sacrés. Mais dans ce combat, la Sainte Bible n'est pas identique. Pourtant chacun la présente comme étant la seule véridique. Chacun apporte aussi sa propre grille de lecture. Rapidement, la défense de la foi soulève un problème de
fond : l’intégrité de la Sainte Écriture.
Une
des premières difficultés que rencontre l’Église est notamment de préserver l’unité de la
Sainte Bible, en particulier les liens entre l’Ancien et le Nouveau Testament. Deux erreurs la remettent en cause. Les uns veulent rattacher le Nouveau
Testament à l’Ancien au point que la Nouvelle Alliance est soumise à l’Ancienne.
Telle est la position des ébionites. Les autres veulent rompre ce lien au point
de les opposer. C’est la position des marcionistes.
L’ébionisme
Une
partie des juifs convertis au christianisme reste très attachée au judaïsme. Après la ruine de Jérusalem et la destruction du Temple en l'an 70, ils ont abandonné la Ville sainte et ont accentué leur particularisme. Certains d’entre d’eux finissent par s’écarter
du christianisme. Ce sont les judéo-chrétiens…
L’ébionisme
est un mouvement judéo-chrétien du IIe siècle. A partir de Jérusalem, il se
répand en Alexandrie et à Rome. Son nom est tiré du terme hébreu « ebion » qui signifie « pauvreté ». Selon Tixeront [1],
il viendrait d’une communauté chrétienne émigrée et établie au-delà
du Jourdain. Sa doctrine est une continuation du judaïsme.
Pour
les ébionites, Notre Seigneur Jésus-Christ est le dernier prophète, le plus
grand, fils naturelle de Sainte Marie et de Saint Joseph. Certains d’entre eux
croient à sa naissance virginale. Mais tous refusent catégoriquement de reconnaître
la divinité de Notre Seigneur Jésus-Christ. Ils prônent donc un ferme
monothéisme. La seule vertu de Notre Sauveur serait d’avoir été justifiée par
sa fidélité à la Loi. Dieu l’aurait en effet élu le jour de son
baptême. Pour arriver au salut, il faudrait donc l’imiter, c’est-à-dire
observer intégralement la Loi. Les ébionites gardent donc toutes les prescriptions
du judaïsme (circoncisions, sabbat, etc.).
Vers
100, certains ébionites s’unissent aux esséniens et forment une communauté qui
prône une ascèse rigoureuse : ablutions quotidiennes, régime végétarien,
etc. Leur doctrine est un mélange de judaïsme, de christianisme, d’essénisme et
de pythagorisme. A partir de ces ébionites esséniens, un nouveau groupe émerge,
celui des elkasaïtes [2].
Les ébionites persévèrent ainsi dans l’attachement à l’Ancienne Loi. Ils choisissent donc les
textes du Nouveau Testament selon leurs doctrines. « Ils n’utilisent que l’Évangile selon Matthieu, rejettent l’apôtre Paul
qu’ils accusent d’apostasie à l’égard de la Loi. »[3]
L’Évangile selon Saint Matthieu est en effet écrit pour des chrétiens de la
Terre Sainte nés dans le judaïsme. Il est le plus proche du judaïsme. Saint Paul
est logiquement rejeté puisque dans ses épîtres, il s’oppose avec force aux
judéo-chrétiens et étend la Parole du salut aux Gentils. Dans ses lettres, il
expose en effet l’union et la parfaite égalité des juifs et des païens dans
l’œuvre du salut, ce que rejettent finalement les ébionites.
Le
marcionisme
Le
marcionisme est une version particulière du gnosticisme. Marcion en est le
fondateur. Contrairement à l’ébionisme, il refuse toute soumission à l’Ancienne
Loi au point d’opposer le judaïsme et le christianisme en un dualisme
radical : « entre judaïsme et
christianisme opposition irréductible aboutissant à un dualisme métaphysique
absolu. »[4]
La
doctrine de Marcion s’appuie sur un dualisme fondamental qui
expliquerait l’histoire de l’humanité. Il croit en effet en l’existence de deux
dieux, l’un malfaisant, l’autre bienveillant. « Marcion est l’homme d’une idée, ou plutôt d’une opposition
d’idée : le Yahvé juif, Dieu juste et rigoureux, le Christ, Dieu bon et
miséricordieux. Loi du talion pour le premier et miséricorde pour le second.»[4]
Le premier serait décrit dans l’Ancien Testament, le second dans le Nouveau
Testament. Il voit dans le premier un démiurge revendicatif incompatible avec
le Dieu d’amour révélé dans le Nouveau Testament. Ainsi naturellement, il
rejette l’Ancien Testament en faveur du seul Nouveau Testament.
Nous
retrouvons aussi ce dualisme chez les justifiés. Marcion considère les Justes
comme étant les fidèles au dieu mauvais quand les réprouvés de l’Ancien
Testament (sodomites, égyptiens, gentils) se rallieraient à Notre Seigneur Jésus-Christ. Le Dieu bon laisserait les infidèles au Dieu mauvais qui les
châtierait.
Marcion
se démarque des autres hérétiques gnostiques par son attractivité. Plus simple
et remarquable administrateur, plus efficace et donc séduisant, il s’avère être
un adversaire plus sérieux et redoutable pour les défenseurs de la foi. Il
fonde une église hiérarchique sur le même modèle que l’Église. Le marcionisme subsiste
jusqu’au Xe siècle. Après sa mort, le marcionisme se divise en plusieurs
sectes. Son principal disciple, Apelle, atténue le dualisme de Marcion et
revient au monisme, c’est-à-dire à un seul principe divin.
Manipulations
de la Sainte Écriture
Marcion exposant son canon |
Contrairement
aux ébionites et autres gnostiques, Marcion est « le seul à avoir eu l’audace de mutiler ouvertement les Écritures »[5].
Il modifie les textes sacrés et expurge des épisodes. Tout doit en effet se
plier sur son dualisme métaphysique. Est par exemple rejeté tout livre supposé
entaché de judaïsme. Il élabore sa propre version de la Sainte Bible à partir
de l’Évangile selon Saint Luc et des épîtres de Saint Paul sauf les épîtres aux
Hébreux, à Tite et à Timothée. Certains épisodes de l’Évangile selon Saint Luc
sont aussi supprimés, par exemple toute mention de Sainte Marie et des
« frères » de Notre Seigneur Jésus-Christ, l’annonce de la Passion et
toute référence avec l’Ancien Testament comme la référence au signe de Jonas.
Il expurge tout hébraïsme et tout lien avec le judaïsme.
Pour
justifier sa doctrine, Marcion mène un travail de critique biblique. Dans ses Antithèses,
il relève les contradictions apparentes dans la Sainte Écriture. Il souligne l’opposition
entre l’Ancien Testament qui manifeste un Dieu terrible et le Nouveau Testament
qui révèle un Dieu de miséricorde et d’amour. Ainsi refuse-t-il les deux
alliances et parlent plutôt de deux dieux.
Le
christianisme, synthèse du judéo-christianisme et du marcionisme ?
Nous
pourrions croire que le christianisme résulterait d’une synthèse entre le
judéo-christianisme et le marcionisme selon une dialectique bien pratique. Mais
les faits historiques nous ramènent à la réalité. Saint Paul s’oppose aussi
bien aux chrétiens qui veulent soumettre la Nouvelle Loi dans le giron du
judaïsme et aux gnostiques qui excluent l’Ancienne Loi dans le plan de Dieu. Et
les premiers chrétiens ne se sont pas non plus trompés. Ils se sont battus
aussi bien contre les uns que contre les autres. Leur histoire apparaît comme une
radicalité d’une position intangible.
Rajout
de Textes sacrés
D’autres
hérétiques rajoutent à la Révélation de nouveaux textes. Les Valentiniens se
vantent de posséder d’autres Évangiles. Les disciples de Marc le Magicien
« introduisent subrepticement une
multitude infinie d’Écritures apocryphes et bâtardes confectionnées par eux
pour faire impression sur les simples d’esprit et sur ceux qui ignorent les
écrits authentiques. »[6]
Comme nous l’informe aussi Sainte Irénée, d’autres gnostiques arrivent même à
réécrire les Évangiles en disposant autrement les paroles et les actes de Notre
Seigneur Jésus-Christ[7].
Ainsi
les hérétiques élaborent une nouvelle Bible. Ils tirent des
textes sacrés ce dont ils ont besoin, en expurgent les extraits les plus
défavorables à leurs doctrines, en rajoutent à la lumière de leurs convictions. La
défense de la foi nécessite alors de préciser et de défendre l’intégrité de la
Sainte Écriture.
Pour
défendre l’enseignement de la foi contre le gnosticisme, il n’est guère
pertinent d’argumenter à partir de la Sainte Écriture puisque les hérétiques
ont diffusé de nombreux livres qu’ils considèrent aussi comme inspirés.
Puis
que devient leur lecture de la Sainte Bible quand ils ne sont pas convaincus de
sa véracité ? Ils l’interprètent à leur fantaisie et soulèvent contre elle
d’incessantes difficultés. Ce ne sont que d’intarissables ergoteurs.
Enfin,
que devient la Sainte Écriture quand ils en détournent certaines paroles ?
Tout est interprété selon leurs doctrines. Marcion croit d’abord au dualisme puis
l’applique dans l’interprétation des versets. Leurs pensées dirigent la lecture
de la Sainte Bible alors que cette dernière devrait les inspirer. Ainsi faut-il
montrer leurs erreurs en soulignant cette perversion.
Ainsi
le problème ne réside pas dans les textes sacrés en eux-mêmes mais dans leur
lecture. Saint Irénée et Tertullien rappellent en effet aux gnostiques que la
Sainte Écriture doit être lue à la lumière de la foi. La lecture n’est pas
livrée à l’imagination mais bien soumis à une règle bien simple, celle du
symbole de foi baptismal, « règle de
vérité » pour Saint Irénée ou
« règle de foi » pour
Tertullien. Seule l’Église a reçu la grâce de l’Esprit Saint de transmettre
cette règle.
C’est
donc aux véritables pasteurs, gardiens de cette règle, qu’il faut interroger
pour connaître la véritable interprétation de la Sainte Bible et pour trouver
une réponse aux difficultés qu’elle soulève. Il est donc inutile et dangereux
d’en chercher une explication hors de l’Église. Et cette explication n’est
point cachée. La vérité est accessible à tous. « Il ne faut donc plus chercher auprès d’autres la vérité qu’il est
facile de recevoir de l’Église, car les apôtres, comme en un riche cellier, ont
amassé en elle, de la façon la plus plénière, tout ce qui a trait à la vérité,
afin que quiconque le désire y puise le breuvage de la vie. »[9]
Le
dernier critère de la vérité est donc dans la Sainte Tradition « qui a été manifestée dans le monde entier,
c’est en toute Église qu’elle peut être perçue par ceux qui veulent voir la
vérité »[10]. Parmi toutes les Églises que
les Apôtres ont fondées, celle qui apparaît comme la plus sûre est l’Église
romaine. C’est donc au regard de son enseignement que nous pouvons distinguer
l’erreur et la vérité. Nous « confondrons
tous ceux qui, de quelques manières que ce soit, ou par infatuation, ou par
vaine gloire, ou par aveuglement et erreur doctrinale, constituent des
groupements illégitimes »[11].
La complémentarité de la Sainte Tradition
Saint
Irénée évoque l’autorité de la Tradition. Grâce à la succession continue des
évêques, la vérité est en effet enseignée de manière continue depuis les
Apôtres. C’est le rôle des évêques de préserver la pureté des vérités de
foi. « Nous devons garder sans
l’infléchir la règle de foi »[12].
C’est donc à la lumière de l’Église et de la Tradition que nous devons étudier
et interpréter la Sainte Écriture.
Et
c’est au nom de l’autorité de la Tradition que Saint Irénée défend l’existence
des quatre évangiles. Ce sont les seules versions d’Évangile qui nous donnent
l’accès à la Parole de Dieu. Disciple de Polycarpe, lui-même disciple des
Apôtres, il peut rappeler le témoignage des anciens de l’Église qui ont connu
les Apôtres et raconté ce qu’ils ont vu et entendu. Le témoignage de ces
anciens est donc complémentaire des Saintes Écritures. Et ce témoignage est
publique, accessible à tous contrairement aux gnostiques qui ne transmettent
leurs connaissances qu’à leur élite, les élus. Rien n’est caché…
Appropriation illégitime
Tertullien |
Saint
Irénée n’est pas le seul à dénoncer l’illégitimité de ces « groupements » qui prétendent
enseigner la vérité. Tertullien s’oppose aux marcionistes en leur soulevant une
objection fondamentale : qui sont-ils pour toucher et modifier la Sainte
Écriture ?
De
formation d’avocat, Tertullien rappelle la procédure romaine en usage dans le droit. Un
plaignant peut être débouté de sa plainte avant même que l’affaire ne soit
jugée sur le fond si la partie adverse peut prouver que le plaignant n’a aucun
droit sur l’objet réclamé. Or, par leurs déviations doctrinales, les gnostiques
se sont exclus de l’Église, la seule légitime à commenter la Révélation. Par
conséquent, ils ne peuvent toucher ce dont ils ne sont pas propriétaires.
Tertullien nie donc aux marcionites le droit de modifier et d’interpréter
librement la Sainte Bible. Faut-il
vraiment examiner leurs objections puisqu'elles s’appuient sur des preuves rejetables ?
Qui
sont-ils pour modifier l’enseignement de l’Église ? Nul ne peut
prétendre à une telle folie. L’Église elle-même ne fait que transmettre ce
qu’elle a reçu. Car comme le rappelle Tertullien, l’enseignement des vérités de
foi est intouchable. « Le Christ
recommande de ne pas s’enquérir d’autre chose que de ce qu’il a enseigné »[13].
Cela vaut aussi pour l’interprétation de la Sainte Écriture qui jouit d’une
pleine autorité parce qu’elle vient des Apôtres. Elle appartient au dépôt
primitif dont l’Église doit défendre l’intégrité. « O Timothée, conserve le dépôt
» (I, Timothée, VI, 20).
Contrairement aux agissements des gnostiques, le dépôt sacré a pour rôle de
justifier l’enseignement de l’Église et non de le contredire. Ainsi doit-il être conservé
dans son intégrité. Il est un moyen de preuve pour la doctrine. Si des
personnes souhaitent enseigner autrement que fait l’Église, alors elles sont
dans l’obligation de toucher à l’intégrité du dépôt sacré. La modification de
la Sainte Écriture est la marque d’une nouveauté. « Ceux qui voulaient changer l’enseignement ont dû nécessairement
disposer autrement les instruments de la doctrine »[14].
Les
ébionites et les marcionites ne
recherchent ni Dieu ni la vérité dans la Sainte Écriture. Ils se recherchent et
ne veulent que consolider leurs doctrines…
Unité et continuité de la Sainte Écriture
Les
ébionites et les marcionites ont aussi un autre point commun : ils
remettent en cause l’unité des deux Testaments. Une lecture erronée peut en
effet conduire à leur opposition et à leur exclusion mutuelle. Or comme le
rappelle Saint Irénée, l’Église nous enseigne que la Révélation a un seul
auteur. L’unité de Dieu implique l’unité des Livres Saints. Tout ce qui est
révélé ne peut provenir que de Lui. « Écoute
Israël : le Seigneur notre Dieu est l’unique Seigneur. »(Deutéronome,
VI, 4). Et puisque Dieu est parfait, sa volonté est unique, son plan également.
Donc la Sainte Bible doit aussi révéler l’unité du plan de Dieu. Seul l’homme
est changeant. C’est pourquoi s’il peut exister des contradictions entre les
deux Testaments, elle ne doit pas aller à l’encontre de cette unité. Elle doit
être explicable.
L’Ancien Testament, une préparation au Nouveau
L’unité
de la Sainte Écriture trouve sa pleine justification dans l’unité du dessein de
Dieu, c’est-à-dire dans sa volonté de sauver l’homme, tous les hommes,
c’est-à-dire l’humanité dans sa globalité. Une remise en cause de l’unité des
Livres Saints revient à refuser cette Rédemption universelle. C’est ne plus
rien comprendre de l’œuvre divine. C’est mépriser la pédagogie divine. L’Ancien
Testament prépare finalement le Nouveau. Selon Saint Irénée, les deux Testaments seraient deux moments de l’éducation de l’homme, deux étapes de sa marche vers la vérité et la liberté.…
Une apparente contradiction
Pour
se justifier, Marcion souligne une contradiction entre les deux lois. L’une
préconise la loi du talion : « œil
pour œil, dent pour dent », quand l’autre exige le précepte de l’amour
de l’ennemi. Dans son ouvrage Contre Marcion, Tertullien réfute son
argument. En dépit de leur apparente incompatibilité, il démontre que les Livres Saints prescrivent en fait la même loi. C’est aussi ce que dit Saint Paul. Il
ne faut point rendre le mal pour le mal car « à moi est la vengeance ; c’est moi qui ferai la rétribution, dit le
Seigneur ». (Rom., XII, 19). Saint Paul trouve
dans l’Ancien Testament (Deutéronome, XXXII, 35-36) la
justification de la loi d’amour.
L’ancienne
loi interdit à tout homme de faire justice soi-même et impose d’oublier les offenses
dont il était victime « Voici ce que
dit le Seigneur des armées : Jugez
selon la vérité, usez de miséricorde et de clémence chacun envers son frère. Et
n’opprimez point la veuve, ni l’orphelin,, ni l’étranger, ni le pauvre ;
et qu’un homme ne médite pas dans son
cœur le mal contre son frère. » (Zacharie, VII, 9-10). Le prophète
nous le répète encore : « qu’aucun
de vous ne médite en son cœur le mal contre son ami. » (Zacharie,
VIII, 17).
Tertullien
voit dans la loi du talion une force dissuasive : « le talion de la Loi […] retenait de prendre
l’initiative d’une offense par crainte que celle-ci ne fut rendue en retour »[15].
Elle s’adresse donc moins à celui qui veut rendre justice qu’à celui qui veut
commettre l’injustice. Elle est aussi généralement comprise comme une juste
rétribution du préjudice : la pénitence ne peut dépasser le crime commis.
Elle encadre donc la peine et évite une sanction injuste de l’offensé que
pourrait inspirer la vengeance. Pour Saint Justin, de manière générale, elle
est un moindre mal pour maintenir un peuple difficile et rude dans la fidélité
et la justice.
Tertullien
s’attaque à d’autres prétendues contradictions et montre leur fausseté par
l’emploi exact et judicieux des versets bibliques. Il utilise en effet des
passages qui contredisent directement les objections de Marcion. Les
contradictions apparentes peuvent notamment s’expliquer lorsqu’elles sont
remises dans leur contexte.
Enfin,
nous pouvons peut-être rajouter que la justice n’exclut pas l’amour ; elle
le présuppose même. Car face à un ennemi détesté, rien ne peut arrêter le bras
armé. L’amour est capable de rappeler la loi et de la faire appliquer. Elle est même l’unique force de loi qui permet de freiner la haine de l’offensé. Existe-il une autre
vertu capable de faire taire la haine ? La justice est ainsi bien
appliquée lorsqu’elle prend sa source dans la loi de l’amour. Telle est une des
leçons que nous donne Notre Seigneur Jésus-Christ et que nous transmet la
Sainte Écriture…
Notre
Seigneur Jésus-Christ va au-delà de la simple application de la loi en
rappelant la source d’où elle doit émaner et la vertu avec lequel la justice
doit s’appliquer. Il nous demande de dépasser la lettre pour suivre l’esprit de
la loi. Tous ses préceptes « n’impliquent
ni la contradiction ni l’abolition des précédents, comme le vocifèrent les
disciples de Marcion, mais leur accomplissement et leur extension »[16].
Il élève finalement les exigences de la loi et les enracine en nous. « Si votre justice ne dépasse celle des
scribes et des pharisiens, vous n’entrerez pas dans le royaume des cieux. »
(Matthieu,
V, 20). Il ne nous prescrit pas simplement de ne pas nous abstenir ce que
défend la Loi mais même de ne pas le vouloir. Est-ce contredire la Loi de ne pas se
restreindre à l’acte mais de l’étendre aussi à l’intention ? Il n’y a pas
contradiction mais sublimation…
Nous
percevons ainsi la pédagogie de Dieu. La Loi était établie pour éduquer l’âme
et la rendre docile aux commandements par des actes extérieurs. L’homme apprend
ainsi à obéir à Dieu. Il était encore sous le joug de la servitude du
péché. Mais avec Notre Seigneur Jésus-Christ, le temps de la Rédemption tant promise
est arrivé. Notre Seigneur est en effet venu libérer l’âme et la détacher de cette
servitude. L’homme n’est donc plus esclave mais libre, ce qui exige désormais une
autre soumission plus exigeante, celle de l’esprit. Il ne cède plus ni à la
crainte ni à la nécessité mais il donne désormais de bon cœur. Dieu étend
finalement la Loi sans la contredire. « Je ne vous appelle plus esclaves […] mais je vous ai appelés amis. »(Jean,
XV, 15).
Ainsi
dans leur combat contre les judéo-chrétiens et les gnostiques, Saint Irénée et
Tertullien sont animés d’une même volonté de protéger la Sainte Écriture de
tout commentaire déviant et de toute manipulation. Ils défendent aussi sa
lecture : elle ne doit pas être lue dans le but d’asseoir une doctrine
contraire à l’enseignement de l’Église. Une telle lecture implique
inéluctablement une altération de la vérité. L’esprit biaise le regard et le
détourne de la pureté de la foi.
Toute lecture et toute interprétation doivent donc être
guidées à la lumière de la foi. Elles s’appuient donc sur l’enseignement de
l’Église puisque seule l’Église est le dépositaire du dépôt sacré. Elle-seule
détient la lumière suffisante pour l'éclairer. La Sainte Bible
ne peut non plus être séparée de la Sainte Tradition. Finalement, sans la
lumière de la foi, la Sainte Écriture ne devient qu’un instrument de nos
pensées et non celui de la vérité.
Références
[1] J. Tixeront, Histoire des Dogmes, Tome
I, chap. IV, §3, librairie Lecoffre, 1909.
[2] Leur nom est tiré soit de leur
fondateur El Kasaï (ou Elxaï) ou d’un terme hébreu « Hêil-Kesai » qui signifie face « cachée ». Voir Le Dieu du Salut, chap. I, B.
Sesboüe et J.Wilinski, Desclée, 1994 et Histoire
de l’Église de Dom. C Poulet, Tome I, 1ère période, chapitre VII, II, ,
Beauchesne, 1926.
[3] Saint Irénée, Contre les Hérésies, I,
26, 2.
[4] Dom C. Poulet, Histoire de l’Église,
Tome I, deuxième période, chap.II, II.
[5] Saint Irénée, Contre les Hérésies, I,
27, 4.
[6] Saint Irénée, Contre les hérésies, I,
20, 1.
[7] Voir Saint Irénée, Contre
les hérésies, I, 8, 1.
[9] Saint Irénée, Contre les Hérésies, III,
4, 1.
[10] Saint Irénée, Contre les Hérésies, III,
3, 2.
[11] Saint Irénée, Contre les Hérésies, III,
3, 2.
[12] Saint Irénée, Démonstration de la prédication
apostolique.
[13] Tertullien, Sur la Prescription des
hérétiques, 9, 4
[14] Tertullien, Sur la Prescription des
hérétiques, 38, 2.
[15] Tertullien, Contre Marcion, V, 14,
13.
[16] Saint Irénée, Contre les hérésies, IV,
13, 1.
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