" La pierre précieuse, voire de grand prix aux yeux de certains, qu'est l'émeraude, se voit insultée par un morceau de verre habilement truqué, s'il ne se rencontre personne qui soit capable de procéder à un examen et de démasquer la faute. Et lorsque de l'airain a été mêlé à l'argent, qui donc, s'il n'est connaisseur, pourra aisément le vérifier ? "(Saint Irénée, Contre les hérésies)


lundi 17 novembre 2014

Meslier et ses Mémoires : un exemple d'athéisme et d'antichristianisme




Sur l’un des murs du Kremlin[1], nous pouvons trouver une surprenante épigraphe élogieuse d'un prêtre catholique français : Jean Meslier. Dans les anciens pays communistes, il était présenté comme le précurseur de l’idéologie communiste. En France, il est généralement peu connu aujourd'hui, hors de certains cercles athées. Pourtant, ces derniers ne ménagent pas leurs efforts pour le promouvoir par la diffusion de nombreux articles, notamment au travers de sites Web, et par l’organisation de conférences. Nous avons aussi pu constater sa présence dans certains cercles philosophiques[2]. Jean Meslier fait aussi l’objet d'un ouvrage plutôt récent[3] et d’une pièce de théâtre en 2009[4].

Pourquoi Jean Meslier serait-il intéressant pour notre étude ? Il est en effet parfois considéré comme « le premier athée de l’humanité »[5], « le premier penseur à réunir en une seule et unique conception du monde et de la vie, l'athéisme, le matérialisme, le communisme et la pensée révolutionnaire »[6]. Il n’existe pas en notre connaissance de livres sérieux cherchant à s’opposer aux idées profondément athées de Jean Meslier. Ainsi nous nous sommes naturellement pencher sur son athéisme…
Jean Meslier n’a pas professé d’athéisme de son vivant. A sa mort, il a laissé à sa postérité un ouvrage intitulé Mémoires, connu aussi sous le nom de Testament, dans lequel il a professé un véritable athéisme. C’est donc à partir de ce livre que nous connaissons ses pensées qui ont probablement influencé d’autres penseurs et polémistes athées ou antichrétiens.

Qui est Jean Meslier ?
Jean Meslier est né en 1664 sous le règne de Louis XIV à Mazerny dans les Ardennes au Nord de la Champagne, près de la frontière actuelle belge. L’archevêque Charles-Maurice Le Tellier se décide à reconvertir la région tombée aux mains des protestants. Pour cela, il souhaite former des prêtres d’élite à son séminaire de Reims. Parmi les séminaristes, se trouve Jean Meslier, fils de marchands. Il en sort en 1689 pour être le curé de la paroisse d’Étrépigny et de Balaive, proche de Charlevilles et de Sedan. 
Selon la biographie de Voltaire, il aurait embrassé la religion pour obéir à ses parents et non par conviction. Nous ne le croyons pas tant son livre est animé d’une amère et profonde déception. Or une déception ne peut naître que d’une désillusion, d’un écœurement, d’une espérance autrefois vivante, désormais morte. Il aurait pu perdre sa foi au cours de son ministère…
Meslier est donc le curé d’une centaine d’âmes, un curé sans histoire. Il est vrai qu'il emploie des servantes beaucoup trop jeunes par rapport aux règles de l'Église, ce qui fait jaser les villages. Pour avoir enfreint les règles canoniques, il doit passer un séjour d’un mois dans un monastère[7]. Une autre histoire attire l’attention sur lui. Pour avoir dénoncé en chaire le seigneur local qui maltraitait ses paroissiens, il est sévèrement tancé par son évêque[8]Sa vie semble ensuite être paisible. Sa bibliothèque est constituée de différents types d’ouvrages : la Sainte Bible, des livres des Pères de l’Église, des auteurs grecs et latins, Flavius Joseph, Pascal, Montaigne, La Bruyère, Fénélon, le dictionnaire de Bayle, La Boétie, etc.[9].
En 1729, Jean Meslier meurt à 75 ans après 40 ans de sacerdoce. A sa mort, il laisse un essai explosif intitulé Mémoire. Avant de mourir, il a pris toutes les précautions nécessaires pour que son ouvrage soit connu et qu’il puisse être à l’abri de la censure et de toute destruction. Il laisse aussi des annotations qui tentent de réfuter la Démonstration de l’existence de Dieu de Fénelon.

Un curé aux multiples manipulations
De nombreux feuillets tirés de l’ouvrage de Meslier se sont alors répandus sous le manteau dès sa mort. Une première version d’un extrait des Mémoires a été publiée en 1762. Il s’intitule Extrait des sentiments de Jean Meslier. Il est précédée d’un Abrégée de la vie de l’auteur. Voltaire en est l’auteur. Mais comme l’indique de nombreux commentaires, Voltaire a édulcoré l’ouvrage original en supprimant toute idée athée, politique et philosophique, pour ne sauvegarder que l’aspect antichrétien et anticlérical de l’ouvrage. Il devient ainsi une de ses armes dans son combat contre l’Église. La version est en effet résolument théiste et antichrétien.

Au XIXe siècle, est publié un ouvrage profondément athée intitulé Le bons sens du curé Meslier qu’on attribue faussement à Meslier. Nous savons aujourd’hui qu’Holbach en est le véritable auteur.
En 1864, le libre penseur hollandais Rudolf Charles publie Mémoire des pensées et des sentiments de Jean Meslier. Il est différent des manuscrits que possède la Bibliothèque Nationale de France. « Modernisé et allégé »[10], il est de nouveau publié en 2007.
De 1970 à 1972, un autre ouvrage est publié [11]. Il reprend les Mémoires de Jean Meslier et les annotations qu’il a laissées sur la Démonstration de l’existence de Dieu de Fénélon. Il est reconnu comme étant l’ouvrage le plus fiable.

Le curé Jean Meslier a-t-il vraiment existé ? 
Certains en doutent comme George Duval, Léo Taxil ou Maxime Leroy. Au XVIIIe siècle, il est en effet plutôt courant de se cacher derrière une fausse identité pour attaquer l’Église. Le livre de Meslier est en outre une bonne aubaine pour les ennemis de l’Église. L’attaque a en effet plus de poids lorsque son auteur est un prêtre. En 1965, une étude [12] semble confirmer l’existence de ce curé, non sans contradiction. Mais laissons cette polémique. Considérons en effet que cet ouvrage est bien authentique.

 Quelques remarques
Le premier véritable intellectuel reconnu athée est donc un prêtre catholique. Cela ne nous surprend guère. Elle confirme notre idée que l’athéisme est un produit du christianisme en tant que réaction. Comme nous l’avons déjà longuement évoqué, l’athéisme est en effet tout récent et n’a véritablement existé que dans des sociétés chrétiennes. En Allemagne, les philosophes athées proviennent en grande partie du protestantisme. L’histoire montre enfin que la religion chrétienne précède toujours l’athéisme. Il ne se pose finalement qu’en face du christianisme. Aujourd’hui, nous arrivons même à une absurdité déconcertante. On parlerait même d’athéisme chrétien ! Qu’est-ce cela peut bien signifier ? L'athéisme en soi n'existe pas...
Rappelons que Meslier évolue dans un contexte très particulier. Il est prêtre d’une ville frontalière de Mézières sous le règne de Louis XIV puis de Louis XV. Il vit auprès de paroissiens d’origine très modeste, voire très pauvres, dans une région plutôt sinistrée. Voie de passage pour les invasions, cette région subie en effet de nombreuses guerres. Meslier doit vivre au milieu de la souffrance et de la désolation. Il est donc face au mal.


En plusieurs articles successifs, nous allons traiter des Mémoires de Meslier. Nous commencerons par l’ouvrage de Voltaire [13] avant d'étudier plus en détail l’ouvrage de Meslier à partir d’une étude d’un étudiant en maîtrise de philosophie. Nous utiliserons aussi des commentaires que des athées et des chrétiens ont pu porter sur ce dernier ouvrage. Nous finirons par une critique ..




Références
[1] Meslier est à la 7e position sur l'obélisque consacré au penseur socialiste situé au jardin Alexandrovski à Moscou,voir wikipédia.
[2] Notamment un article La sagesse colérique de Jean Meslier, prêtre athée et parrhêsiaste de Florian Brion, dans Les Cahiers Philosophiques n° 120, décembre 2009.
[3] Jean Meslier, curé et athée révolutionnaire, introduction au mesliérisme et extraits de son œuvre de Deruette (2008), éditions Aden, Bruxelles et Les aventures véridiques de Jean Meslier (1664-1729) curé, athée et révolutionnaire[3] de T. Guilabert (2010), les éditions libertaires, Saint-Georges d’Oléron.
[4] Bernard Froutin et Gilles Rosière, Jean Meslier, athée profession : curée, 2009.
[5] Mgr Denis Lecompte, Au cœur des objections antichrétiennes, athéisme et paganisme, au cœur de la foi chrétienne, Cerf, 2013.
[6] Deruette, Jean Meslier, curé et athée révolutionnaire, introduction au mesliérisme et extraits de son œuvre cité dans le Mémoire de Jean Meslier : contre la religion et la tyrannie pour la libération des peuples de Richard-Olivier Mayer,  Maîtrise de philosophie, Université du Québec à Montréal, mai 2011.
[7] Fait mentionné par Pascal BAJOU, Le curé Meslier (1664-1723), athée et révolutionnaire dans Humanisme, septembre 2008. Il serait tiré du livre de Deruette. Selon l’article Wikipédia, Voltaire serait la source de cette information.
[8] Fait relaté par l’article Wikipédia, probablement à partir de Jean Meslier, curé et athée révolutionnaire, de Deruette
[9] Fait relaté par l’article Wikipédia, probablement à partir de Jean Meslier, curé et athée révolutionnaire, de Deruette
[10] Voir Mémoire des pensées et des sentiments de J[ean] M[eslier], Éditions Talus d'approche, Soignies, 2007, texte corrigé et en français moderne (H. Baudry-Kruger, T. Borriello, M. Bourdain, S. Gurnicky ; préface, notes, essai sur la bibliothèque de J. Meslier, bibliographie (1972-2007) par H. Baudry-Kruger.
[11] Œuvres de Jean Meslier, édition animée et coordonnée par Roland Desné, Paris, Anthropos, 1970-1972, 3 tomes.
[12] Voir Maurice Dommanget, Le curé Meslier. Athée, communiste et révolutionnaire sous Louis XIV, Julliard, 1965.
[13] Site web : http://classiques.uqac.ca/, accessible aussi sur  http://gallica.bnf.fr. Le document numérisé provient de la bibliothèque nationale de France.

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