Sur l’un des murs du Kremlin[1], nous pouvons trouver une surprenante épigraphe élogieuse d'un prêtre catholique français : Jean Meslier. Dans les anciens pays communistes, il était présenté comme le précurseur de l’idéologie communiste. En France, il est généralement peu connu aujourd'hui, hors de certains cercles athées. Pourtant, ces derniers ne ménagent pas leurs efforts pour le promouvoir par la diffusion de nombreux articles, notamment au travers de sites Web, et par l’organisation de conférences. Nous avons aussi pu constater sa présence dans certains cercles philosophiques[2]. Jean Meslier fait aussi l’objet d'un ouvrage plutôt récent[3] et d’une pièce de théâtre en 2009[4].
Pourquoi Jean Meslier serait-il
intéressant pour notre étude ? Il est en effet parfois considéré comme
« le premier athée de l’humanité »[5], « le premier penseur à réunir en une seule et
unique conception du monde et de la vie, l'athéisme, le matérialisme, le
communisme et la pensée révolutionnaire »[6]. Il n’existe pas
en notre connaissance de livres sérieux cherchant à s’opposer aux idées
profondément athées de Jean Meslier. Ainsi nous nous sommes naturellement
pencher sur son athéisme…
Jean Meslier n’a pas professé d’athéisme
de son vivant. A sa mort, il a laissé à sa postérité un ouvrage
intitulé Mémoires, connu aussi sous le nom de Testament, dans lequel il
a professé un véritable athéisme. C’est donc à partir de ce livre que nous
connaissons ses pensées qui ont probablement influencé d’autres penseurs et
polémistes athées ou antichrétiens.
Qui est Jean Meslier ?
Jean Meslier est né en 1664 sous le
règne de Louis XIV à Mazerny dans les Ardennes au Nord de la Champagne, près de
la frontière actuelle belge. L’archevêque Charles-Maurice Le Tellier se décide
à reconvertir la région tombée aux mains des protestants. Pour cela, il souhaite
former des prêtres d’élite à son séminaire de Reims. Parmi les séminaristes, se
trouve Jean Meslier, fils de marchands. Il en sort en 1689 pour être le curé de
la paroisse d’Étrépigny et de Balaive, proche de Charlevilles et de Sedan.
Selon
la biographie de Voltaire, il aurait embrassé la religion pour obéir à ses
parents et non par conviction. Nous ne le croyons pas tant son livre est animé d’une amère et profonde déception. Or une déception ne peut naître que d’une désillusion,
d’un écœurement, d’une espérance autrefois vivante, désormais morte. Il aurait pu perdre sa foi au cours de son ministère…
Meslier est donc le curé d’une
centaine d’âmes, un curé sans histoire. Il est vrai qu'il emploie des servantes beaucoup trop jeunes par rapport aux règles de l'Église, ce qui fait jaser les villages. Pour avoir enfreint les règles
canoniques, il doit passer un séjour d’un mois dans un monastère[7]. Une
autre histoire attire l’attention sur lui. Pour avoir dénoncé en chaire le
seigneur local qui maltraitait ses paroissiens, il est sévèrement tancé par son
évêque[8]. Sa vie semble ensuite être paisible.
Sa bibliothèque est constituée de différents types d’ouvrages :
la Sainte Bible, des livres des Pères de l’Église, des auteurs grecs et latins,
Flavius Joseph, Pascal, Montaigne, La Bruyère, Fénélon, le dictionnaire de
Bayle, La Boétie, etc.[9].
En 1729, Jean Meslier meurt à 75 ans
après 40 ans de sacerdoce. A sa mort, il laisse un essai explosif intitulé
Mémoire.
Avant de mourir, il a pris toutes les précautions nécessaires pour que son
ouvrage soit connu et qu’il puisse être à l’abri de la censure et de toute
destruction. Il laisse aussi des annotations qui tentent de réfuter la Démonstration
de l’existence de Dieu de Fénelon.
Un curé aux multiples manipulations
De nombreux feuillets tirés de
l’ouvrage de Meslier se sont alors répandus sous le manteau dès sa mort. Une
première version d’un extrait des Mémoires a été publiée en 1762. Il
s’intitule Extrait des sentiments de Jean Meslier. Il est précédée d’un Abrégée
de la vie de l’auteur. Voltaire en est l’auteur. Mais comme l’indique
de nombreux commentaires, Voltaire a édulcoré l’ouvrage original en supprimant
toute idée athée, politique et philosophique, pour ne sauvegarder que l’aspect
antichrétien et anticlérical de l’ouvrage. Il devient ainsi une de ses armes dans
son combat contre l’Église. La version est en effet résolument théiste et antichrétien.
Au XIXe siècle, est publié un ouvrage profondément athée intitulé Le bons sens du curé Meslier qu’on attribue faussement à Meslier. Nous savons aujourd’hui qu’Holbach en est le véritable auteur.
En 1864, le libre penseur hollandais
Rudolf Charles publie Mémoire des pensées et des sentiments
de Jean Meslier. Il est différent des manuscrits que possède la Bibliothèque
Nationale de France. « Modernisé et
allégé »[10], il est
de nouveau publié en 2007.
De 1970 à 1972, un autre ouvrage est
publié [11]. Il
reprend les Mémoires de Jean Meslier et les annotations qu’il a laissées
sur la Démonstration de l’existence de Dieu de Fénélon. Il est reconnu
comme étant l’ouvrage le plus fiable.
Le curé Jean Meslier a-t-il vraiment
existé ?
Certains en doutent comme George Duval, Léo Taxil ou Maxime
Leroy. Au XVIIIe siècle, il est en effet plutôt courant de se cacher derrière
une fausse identité pour attaquer l’Église. Le livre de Meslier est en outre
une bonne aubaine pour les ennemis de l’Église. L’attaque a en effet plus de
poids lorsque son auteur est un prêtre. En 1965, une étude [12] semble
confirmer l’existence de ce curé, non sans contradiction. Mais laissons cette
polémique. Considérons en effet que cet ouvrage est bien authentique.
Quelques remarques
Le premier véritable intellectuel reconnu athée
est donc un prêtre catholique. Cela ne nous surprend guère. Elle confirme notre
idée que l’athéisme est un produit du christianisme en tant que réaction.
Comme nous l’avons déjà longuement évoqué, l’athéisme est en effet tout récent
et n’a véritablement existé que dans des sociétés chrétiennes. En Allemagne,
les philosophes athées proviennent en grande partie du protestantisme.
L’histoire montre enfin que la religion chrétienne précède toujours l’athéisme.
Il ne se pose finalement qu’en face du christianisme. Aujourd’hui, nous
arrivons même à une absurdité déconcertante. On parlerait même d’athéisme
chrétien ! Qu’est-ce cela peut bien signifier ? L'athéisme en soi n'existe pas...
Rappelons que Meslier évolue dans un
contexte très particulier. Il est prêtre d’une ville frontalière de Mézières
sous le règne de Louis XIV puis de Louis XV. Il vit auprès de paroissiens
d’origine très modeste, voire très pauvres, dans une région plutôt sinistrée. Voie
de passage pour les invasions, cette région subie en effet de nombreuses guerres. Meslier
doit vivre au milieu de la souffrance et de la désolation. Il est donc face au
mal.
En plusieurs articles successifs, nous
allons traiter des Mémoires de Meslier. Nous commencerons par l’ouvrage de Voltaire [13] avant d'étudier plus en détail l’ouvrage de Meslier à partir d’une étude d’un étudiant en maîtrise de philosophie. Nous utiliserons aussi
des commentaires que des athées et des chrétiens ont pu porter sur ce dernier
ouvrage. Nous finirons par une critique ..
Références
[2] Notamment un
article La sagesse colérique de Jean Meslier, prêtre athée et parrhêsiaste de Florian Brion, dans Les Cahiers Philosophiques n°
120, décembre 2009.
[3] Jean
Meslier, curé et athée révolutionnaire, introduction au mesliérisme et extraits
de son œuvre de Deruette (2008), éditions
Aden, Bruxelles et Les aventures véridiques de Jean Meslier
(1664-1729) curé, athée et révolutionnaire[3]
de T. Guilabert (2010), les éditions libertaires, Saint-Georges
d’Oléron.
[4] Bernard
Froutin et Gilles Rosière,
Jean Meslier, athée profession :
curée, 2009.
[5] Mgr Denis Lecompte,
Au
cœur des objections antichrétiennes, athéisme et paganisme, au cœur de la foi
chrétienne, Cerf, 2013.
[6] Deruette, Jean Meslier, curé et athée
révolutionnaire, introduction au mesliérisme et extraits de son œuvre cité dans le Mémoire de Jean Meslier :
contre la religion et la tyrannie pour la libération des peuples de Richard-Olivier Mayer,
Maîtrise de philosophie, Université du Québec à Montréal, mai 2011.
[7] Fait mentionné par Pascal
BAJOU, Le curé Meslier
(1664-1723), athée et révolutionnaire
dans Humanisme,
septembre 2008. Il serait tiré du livre de Deruette. Selon l’article Wikipédia,
Voltaire serait la source de cette information.
[8] Fait relaté par
l’article Wikipédia, probablement à partir de Jean Meslier, curé et athée
révolutionnaire, de Deruette
[9] Fait relaté par
l’article Wikipédia, probablement à partir de Jean Meslier, curé et athée
révolutionnaire, de Deruette
[10] Voir Mémoire des pensées et des sentiments de
J[ean] M[eslier], Éditions Talus d'approche, Soignies, 2007,
texte corrigé et en français moderne (H. Baudry-Kruger, T. Borriello, M.
Bourdain, S. Gurnicky ; préface, notes, essai sur la bibliothèque de J.
Meslier, bibliographie (1972-2007) par H. Baudry-Kruger.
[11] Œuvres
de Jean Meslier, édition animée et coordonnée par Roland Desné, Paris,
Anthropos, 1970-1972, 3 tomes.
[12] Voir Maurice
Dommanget, Le curé Meslier. Athée, communiste et révolutionnaire sous Louis XIV,
Julliard, 1965.
[13] Site web : http://classiques.uqac.ca/, accessible aussi sur
http://gallica.bnf.fr. Le document
numérisé provient de la bibliothèque nationale de France.
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