" La pierre précieuse, voire de grand prix aux yeux de certains, qu'est l'émeraude, se voit insultée par un morceau de verre habilement truqué, s'il ne se rencontre personne qui soit capable de procéder à un examen et de démasquer la faute. Et lorsque de l'airain a été mêlé à l'argent, qui donc, s'il n'est connaisseur, pourra aisément le vérifier ? "(Saint Irénée, Contre les hérésies)


mardi 7 octobre 2014

La connaissance naturelle de Dieu à la portée de tous...

A partir de la réalité sensible, la raison peut nous conduire à l’affirmation de l’existence de Dieu en dépit de réelles difficultés. La philosophie est ainsi un moyen de Le connaître. Mais elle n’est pas l’unique voie que Dieu nous a donnée pour que nous puissions nous approcher de Lui. Réduire la connaissance naturelle de Dieu à une démonstration rationnelle est une erreur. La Création nous parle sans cesse de son Créateur…

La vérité n’est pas l’apanage d’une élite intellectuelle

De nombreux philosophes chrétiens ont proposé des démonstrations satisfaisantes de l’existence de Dieu. Saint Thomas d’Aquin en a exposé une synthèse. Mais cela ne signifie pas que seuls les philosophes peuvent accéder à Dieu de manière naturelle. La superstition n’est pas non plus propre à une certaine catégorie d’hommes. De telles pensées feraient alors croire que les hommes adhèrent à des religions plus ou moins vraies selon leur capacité intellectuelle. Plus nous serions doués, plus nous nous approcherions de la véritable religion. Telle était aussi la pensée de certains philosophes grecs qui réservaient le paganisme au peuple. D’autres méprisaient aussi le christianisme car il se diffusait parmi le bas peuple. Or cette croyance n’est pas seulement erronée, elle est aussi dangereuse et nuisible. Elle donne une image détestable de Dieu. Elle écarte la plupart des hommes de la connaissance réelle et intime de Dieu. Elle justifie finalement le rejet de Dieu et l’indifférence. Elle favorise le comportement athée…

La vérité, affaire de spécialistes ?…

Nous pouvons peut-être approcher cette erreur d’une autre encore plus préoccupante qui nous détourne d’une des sources de notre foi. Parlons en effet des difficultés que nous pouvons rencontrer lors de la lecture de la Sainte Bible. Elle n’est pas un ouvrage aisé à lire et à comprendre. Avant même de la lire, nous pourrions déjà être persuadés qu’elle nous est inaccessible. Nous finirions alors par croire que seuls les experts sont capables de la comprendre et donc de la lire. De même, face aux difficultés que soulèvent certaines objections antichrétiennes, nous finirons aussi par croire que seuls les spécialistes peuvent être des apologistes, voire des apôtres. Les connaissances à acquérir seraient finalement si complexes et approfondies qu’aujourd’hui seuls les experts ou les spécialistes seraient capables d’accéder à un tel savoir. Il serait même inconcevable de croire que nous puissions parvenir à une connaissance de Dieu et du christianisme.

Nous arrivons aujourd'hui à une telle spécialisation des connaissances que nous pourrions en conclure à l’impossibilité de connaître et donc à la vanité de toute recherche. A quoi bon ?!... Belle justification pour ne rien entreprendre et demeurer dans l’ignorance…. Belle faiblesse à exploiter pour ceux qui veulent imposer leur opinion ou leur idéologie… Belles raisons à défendre pour prôner le relativisme et l’agnosticisme. « Vous avez peut-être raison de croire mais vous ne pouvez pas affirmer votre croyance puisque vous n’avez pas toute la connaissance. » En un mot, tout devient opinion aux yeux de tous. Notre foi est ainsi ravalée à une opinion peut-être belle et honorable mais elle reste au niveau de l’opinion. Que devient alors la vérité ?...

Certes, certaines choses ne sont pas accessibles à l’homme sans de longues études et une bonne formation. Croire que toute connaissance serait accessible serait même folie. Mais cela ne signifie pas que la vérité n’est accessible qu’aux spécialistes et aux experts. Cela ne signifie pas non plus que les spécialistes et les experts ont toujours raison. Nous pouvons évidemment évaluer la véracité d’une proposition en fonction de la compétence de celui qui la propose mais elle n’est pas le seul critère de crédibilité.

Un discours rationnel pour exposer, éclaircir, défendre la foi

Revenons aux philosophes chrétiens et à leurs démonstrations de l’existence de Dieu. Ne nous trompons pas en effet sur leurs intentions. D’une manière générale, leur but n’est pas de démontrer que Dieu existe mais que la foi et la raison sont compatibles, surtout à une époque où cette relation posait problème ou était remise en cause. Ils ont aussi pour objectif de justifier la foi en y apportant des motifs de crédibilité efficaces face à tous ceux qui doutent ou qui s’y opposent. Ils n’ont pas pour but de démontrer les dogmes ou d’édifier une religion intellectuelle ou philosophique. 

Par ailleurs, leurs discours sont généralement destinés à des élèves et à des philosophes et non à l’ensemble de la population. Nous oublions souvent le contexte dans lequel ils rédigeaient leurs textes. Nous avons aussi tendance à présenter ces démonstrations comme seule voie d’accès à la vérité. Or si ce chemin est la voie royale et sûre, il est aussi rude et exigeant. Il ne convient pas à tous. La rudesse du chemin ne doit pas nous détourner du point à atteindre, de la vérité elle-même.

« Par le spectacle de la Création, [Dieu] nous a pris par les mains pour nous conduire à la connaissance de Dieu »[1]

« Les cieux racontent la gloire de Dieu » (Psaumes, XVIII, 2). La philosophie n’est pas la seule voie qui peut nous conduire à Dieu. La beauté de la Création peut aussi nous mettre au contact de notre Créateur. « Qui peut suffire à raconter ses œuvres ? Car qui sondera ses merveilles ? Et la puissance de sa grandeur, qui l’énoncera ? » (Ecclésiastique, XVIII, 1-4).

Par le spectacle de la nature, Dieu offre à tous la possibilité de Le connaître. « Oui lorsque tu vois la beauté [des cieux], leur grandeur, leur hauteur, leur place, leur allure qu’ils conservent depuis si longtemps, comme si tu entendais une voix et recevais un enseignement par leur spectacle, tu adores celui qui a fait un corps si beau et si extraordinaire. »[2] Elle n'a point de bouche pour parler et pourtant elle enseigne de grandes vérités. « Le ciel se tait mais sa vue émet un son plus éclatant qu’une trompette : elle nous instruit par les yeux, non par l’ouïe. » [3]

Il n’est pas besoin de livres et de cours pour entendre ce que la Création nous dit. Le riche comme le pauvre, le savant comme l’ignare accèdent à la même connaissance. Le français, le chinois, l’arabe ou l’américain entendent sa voix et peuvent la comprendre. Il suffit d’être un homme. Et en tout lieu, nous accédons à la même connaissance en levant les yeux et en contemplant le spectacle. « La création émet une voix que peuvent facilement embrasser d’un seul coup d’œil les barbares aussi bien que les Grecs et en un mot tous les hommes » [4].

La vérité est donc accessible à tous par la beauté qui se manifeste dans la Création. Ce n’est ni par un discours savant ou un ouvrage ardu, ni dans une langue particulière qu’elle se livre à tous. Dieu « offre à tous un spectacle, son spectacle, celui de la Création dont il est l’auteur » [5]. La contemplation de la Création se poursuit alors naturellement par une action de grâce. « Que vos œuvres sont magnifiques. Seigneur ! Que vos pensées sont infiniment profondes ! » (Psaumes, XCI, 6).

La beauté de la Création participe donc à notre connaissance de Dieu. Mais nous devons dépasser cette contemplation du réel pour atteindre l’auteur de la réalité. Il faut s’élever vers la source de cette beauté. Il faut s’appuyer sur ce qui est visible pour voir l’invisible. « En effet, ses perfections invisibles, rendues compréhensibles depuis la création du monde par les choses qui ont été faites, sont devenues visibles aussi bien que sa puissance éternelle et sa divinité » (Épître aux Romains, I, 20).

Élever son regard

Il faut impérativement dépasser le visible et ne pas s’arrêter à ce niveau de connaissance. « Ne t’en tiens pas là : tends ton esprit jusqu’à leur créateur. »[7] Le danger autrefois était de confondre le Créateur avec la créature au point que la créature était adorée au lieu du Créateur. La Création est admirable mais c’est perversion de remplacer Dieu par son œuvre. Les Justes, les Apôtres et les Pères de l’Église n’ont pas cessé d’insister sur ce manque de discernement.


Aujourd’hui, le danger n’est plus le paganisme. Rares sont ceux qui adorent véritablement les créatures. Nous sommes face à une autre difficulté : l’incapacité d’élever le regard vers le ciel à partir des choses créées. Nos contemporains admirent toujours la Création et les œuvres humaines mais leur admiration s’arrête là. Leur regard est comme figé, paralysé. « Représente-toi comment pourrait être, si l’objet créé est si admirable et extraordinaire et s’il dépasse tout entendement humain, celui qui par un seul ordre verbal l’a produit. »[8]

Peut-être cette beauté les interroge-t-elle ? Parfois, surpris dans leur admiration, ils se demandent comment tout cela est possible. La beauté est alors source d’un questionnement étrange. Il ne s’agit pas en effet de savoir « qui » en est l’auteur mais « comment » cela est possible. Leur regard devient scientifique. Ils se tournent donc vers la science pour avoir des réponses. Ils cherchent à expliquer ce qu’ils admirent. Car peut-être sont-ils convaincus que tout cela vient naturellement ?

Se détacher de l’homme…

Nos contemporains vivent dans un monde qui a profondément été modifié par l’homme. Ils vivent dans un univers presque artificiel au sens que leur perception a été terriblement rabaissée à celle de leur existence ordinaire. Les conquêtes de l’homme, les progrès scientifiques et technologiques qui ont apporté puissance, confort, quiétude, ont probablement fait croire à l'homme que tout était à sa mesure. En outre, emporté par l’urbanisation, l’exode rural, le développement industriel et des services, l’homme s’est de plus en plus détaché de la terre. Il s‘est éloigné de la Création pour vivre sur une autre planète où il est en quelque sorte devenu le créateur, l’architecte, l’autorité. Les villes sont son ouvrage. Il apporte l’électricité et tous les moyens modernes pour que sa vie soit sans accroc. Et naturellement, il s’admire. Comment ne peut-il pas s’émerveiller devant les capacités humaines qui ont permis de tels ouvrages ? Lorsque nous nous émerveillons devant la Tour Eiffel ou Notre Dame de Paris, nous en venons naturellement à louer leurs auteurs. 

Moins assujettis au travail, nous avons plus de temps pour nous consacrer à nos propres envies. Le tourisme s’est en particulier développé. Toute la terre ou presque est un lieu de villégiature, voire encore d’aventure. Mais nous ne vivons plus avec la nature. Nous partons peut-être dans le but d’être émerveillés, de connaître des sentiments que nous n’éprouvons plus, d’oublier notre quotidienneté. Nous cherchons à approfondir notre culture, à vivre d’autres expériences, à nous divertir et à nous distraire. Notre regard est encore tourné vers nous-mêmes et non vers la Création et par conséquent il ne perçoit plus notre Créateur. Nous restons encore au niveau de l’homme…

Un regard plein de vie intérieure

Comment pouvons-nous nous attarder sur les créatures pour les contempler quand notre esprit est pris dans un engrenage et dans un mouvement incessant ? La contemplation a besoin de repos, d’un repos silencieux, d’un esprit maître de lui-même. Il a aussi besoin de silence intérieur, de vie intérieure. Dans nos sociétés modernes, nous sommes loin de ces dispositions. La contemplation de l’œuvre divine nous est devenue difficile.

Une vie terrestre propre à rabaisser notre regard

Dans ces conditions, nous comprenons les raisons du succès de certaines philosophies et idéologies athées ou agnsotiques. Les hommes sont de plus en plus réceptifs ou dociles envers les idées pernicieuses car elles correspondent à leur environnement et à leur comportement. Le monde dans lequel nous vivons nous éloigne de la Création et par conséquent de la connaissance naturelle de Dieu. Ce n’est donc pas étrange que l’idée de Dieu s’éloigne lentement du cœur des hommes ou que les vérités naturelles deviennent aussi inaccessibles pour un grand nombre de nos contemporains. Les philosophies ne sont pas les principales responsables de l’agnosticisme, de l’indifférentisme ou de l’athéisme même si elles les favorisent.

Une doctrine est fortement liée à l’environnement dans lequel elle s’est construite et se diffuse. Ce n’est pas un hasard si au XIXe siècle, le matérialisme, le positivisme, l'évolutionnisme et tant d’autres idéologies se sont développées. Aujourd’hui, le déconstructivisme ne surprend guère dans notre société très bouleversée. Aurait-il eu un avenir aux temps antiques ou au Moyen-âge où l’être était primordial, la stabilité une vertu ? Évidemment, ces idéologies à leur tour influencent la société. Mais faut-il encore qu’elle soit réceptive à ces nouveautés…

Tous peuvent connaître la vérité sans appartenir à une élite mais cet accès dépend fortement de notre manière de vivre, de notre capacité à nous abstraire de notre environnement pressant, à nous détacher d’un regard purement matériel. La Création est riche de connaissances si nous parvenons à la contempler et élever notre regard vers le ciel. Elle a beaucoup de choses à nous dire mais faut-il encore l’entendre.

Quel drame d'enliser notre esprit dans la créature au lieu de la dépasser ? Nous avons tendance à avoir un regard uniquement scientifique, cherchant uniquement à questionner la nature. Nous devrions ne pas oublier que notre regard doit dépasser cette dimension certes légitime mais réductrice. Autrefois, faute d’élan, l’homme se perdait dans le paganisme, adorant ce qu’il contemplait. Aujourd'hui, le risque est de se laisser cloisonner dans un regard uniquement scientifique tel qu’il est développé dans les sciences modernes depuis plus de deux siècles. Pourtant, la science est aussi source de questionnement. Elle appelle à d'autres questions, à un autre regard, à une autre dimension. Il faut donc profiter de nos connaissances plus étendues et approfondies pour davantage élever notre regard vers l’auteur de toutes les choses.

Reconnaître ses faiblesses



La contemplation de la Création conduit à celle de son Créateur. Cela répond à la volonté de Dieu. « Il a fait la création tout à la fois belle, grande et admirable, et par ailleurs, il a placé dans les créatures visibles de nombreux signes qui montrent leur faiblesse : la première afin que ses créatures fassent admirer sa sagesse à ceux qui les voient et les entraîne à lui rendre un culte à lui ; la seconde afin que les spectateurs de leur beauté et de leur grandeur ne laissent pas celui qui les a faites pour adorer les créatures visibles au lieu de lui, la faiblesse qui se trouve en elles étant capables de redresser leur erreur. »[9] La beauté de la Création nous ouvre les portes d’un monde qui nous émerveille et nous dépasse. Sa faiblesse nous évite de nous perdre dans notre émerveillement.

Et à chaque instant, tout homme est spectateur d'une œuvre superbe et fragile. Pourtant, ce spectacle passe inaperçu. Le monde qu’il a construit tend à voiler ces merveilles qui perdurent. Il éloigne l’homme de cette connaissance accessible à tous. Elle est pourtant encore possible s’il ose détourner son regard de sa propre personne. S’il s’obstine à ne penser qu’à lui et à satisfaire ses désirs, s’il construit un univers autour de lui-même, il demeurera dans une ingratitude affligeante. Et « Dieu nous demandera des comptes des jours de notre vie : à quoi avons-nous dépensé chaque jour ? »[10] Avons-nous persisté dans notre ingratitude ? Avons-nous entendu son œuvre qui révèle sa sagesse et sa puissance de Dieu ? Qu’avons-nous fait de cette connaissance à portée de tous ? Quelles que soient notre position sociale, notre richesse, notre capacité intellectuelle, Dieu se fait connaître par l’admiration qu’Il suscite en nous au moyen de ses œuvres…



Références

[1] Saint Jean Chrysostome, De Anna, I, 2 cité dans Connaissance des Pères de l’Eglise, La Création, décembre 2001, n°84, article La Lecture chrysostomienne des deux premiers chapitre de la Genèse : une Création ordonnée et offert en spectacle à l’homme, Laurence Brottier.
[2] Saint Jean Chrysostome, De statuis, IX, 2.
[3] Saint Jean Chrysostome, De statuis, IX, 2.
[4] Saint Jean Chrysostome, De statuis, IX, 2.
[5] Laurence Brottier, La Lecture chrysostomienne des deux premiers chapitre de la Genèse :une Création ordonnée et offert en spectacle à l’homme dans Connaissance des Pères de l’Eglise, La Création.
[7] Saint Jean Chrysostome, Homélie sur la Genèse, VI, 6.
[8] Saint Jean Chrysostome, Homélie sur la Genèse, VI, 6.
[9] Saint Jean Chrysostome, De Anna, I, 2, cité dans Connaissance des Pères de l’Eglise, La Création.

[10] Saint Jean Chrysostome, Contra ludos et theatra, 2, cité dans Connaissance des Pères de l’Eglise, La Création.

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