A
partir de la réalité sensible, la raison peut nous conduire à l’affirmation de
l’existence de Dieu en dépit de réelles difficultés. La philosophie est ainsi
un moyen de Le connaître. Mais elle n’est pas l’unique voie que Dieu nous a
donnée pour que nous puissions nous approcher de Lui. Réduire la connaissance
naturelle de Dieu à une démonstration rationnelle est une erreur. La Création
nous parle sans cesse de son Créateur…
La
vérité n’est pas l’apanage d’une élite intellectuelle
De
nombreux philosophes chrétiens ont proposé des démonstrations satisfaisantes de
l’existence de Dieu. Saint Thomas d’Aquin en a exposé une synthèse. Mais cela
ne signifie pas que seuls les philosophes peuvent accéder à Dieu de manière naturelle. La
superstition n’est pas non plus propre à une certaine catégorie d’hommes. De
telles pensées feraient alors croire que les hommes adhèrent à des religions plus
ou moins vraies selon leur capacité intellectuelle. Plus nous serions doués,
plus nous nous approcherions de la véritable religion. Telle était aussi la
pensée de certains philosophes grecs qui réservaient le paganisme au peuple. D’autres
méprisaient aussi le christianisme car il se diffusait parmi le bas peuple. Or
cette croyance n’est pas seulement erronée, elle est aussi dangereuse et
nuisible. Elle donne une image détestable de Dieu. Elle écarte la plupart des
hommes de la connaissance réelle et intime de Dieu. Elle justifie finalement le
rejet de Dieu et l’indifférence. Elle favorise le comportement athée…
La
vérité, affaire de spécialistes ?…
Nous
pouvons peut-être approcher cette erreur d’une autre encore plus préoccupante
qui nous détourne d’une des sources de notre foi. Parlons en effet
des difficultés que nous pouvons rencontrer lors de la lecture de la Sainte
Bible. Elle n’est pas un ouvrage aisé à lire et à comprendre. Avant même de la
lire, nous pourrions déjà être persuadés qu’elle nous est inaccessible. Nous finirions
alors par croire que seuls les experts sont capables de la comprendre et donc
de la lire. De même, face aux difficultés que soulèvent certaines objections
antichrétiennes, nous finirons aussi par croire que seuls les spécialistes
peuvent être des apologistes, voire des apôtres. Les connaissances à acquérir seraient
finalement si complexes et approfondies qu’aujourd’hui seuls les experts ou les
spécialistes seraient capables d’accéder à un tel savoir. Il serait même
inconcevable de croire que nous puissions parvenir à une connaissance de Dieu
et du christianisme.
Nous
arrivons aujourd'hui à une telle spécialisation des connaissances que nous
pourrions en conclure à l’impossibilité de connaître et donc à la vanité de toute
recherche. A quoi bon ?!... Belle justification pour ne rien entreprendre
et demeurer dans l’ignorance…. Belle faiblesse à exploiter pour ceux qui veulent
imposer leur opinion ou leur idéologie… Belles raisons à défendre pour prôner
le relativisme et l’agnosticisme. « Vous
avez peut-être raison de croire mais vous ne pouvez pas affirmer votre croyance
puisque vous n’avez pas toute la connaissance. » En un mot, tout devient
opinion aux yeux de tous. Notre foi est ainsi ravalée à une opinion peut-être
belle et honorable mais elle reste au niveau de l’opinion. Que devient alors la
vérité ?...
Certes,
certaines choses ne sont pas accessibles à l’homme sans de longues études et une bonne
formation. Croire que toute connaissance serait accessible serait même folie.
Mais cela ne signifie pas que la vérité n’est accessible qu’aux spécialistes et
aux experts. Cela ne signifie pas non plus que les spécialistes et les experts ont
toujours raison. Nous pouvons évidemment évaluer la véracité d’une proposition
en fonction de la compétence de celui qui la propose mais elle n’est pas le
seul critère de crédibilité.
Un
discours rationnel pour exposer, éclaircir, défendre la foi
Revenons
aux philosophes chrétiens et à leurs démonstrations de l’existence de Dieu. Ne
nous trompons pas en effet sur leurs intentions. D’une manière générale, leur
but n’est pas de démontrer que Dieu existe mais que la foi et la raison sont
compatibles, surtout à une époque où cette relation posait problème ou était
remise en cause. Ils ont aussi pour objectif de justifier la foi en y apportant
des motifs de crédibilité efficaces face à tous ceux qui doutent ou qui s’y opposent. Ils n’ont pas pour but de démontrer les
dogmes ou d’édifier une religion intellectuelle ou philosophique.
Par ailleurs,
leurs discours sont généralement destinés à des élèves et à des philosophes et non à
l’ensemble de la population. Nous oublions souvent le contexte dans lequel ils rédigeaient
leurs textes. Nous avons aussi tendance à présenter ces démonstrations comme
seule voie d’accès à la vérité. Or si ce chemin est la voie royale et sûre,
il est aussi rude et exigeant. Il ne convient pas à tous. La rudesse du
chemin ne doit pas nous détourner du point à atteindre, de la vérité elle-même.
« Par le spectacle de la Création, [Dieu] nous a pris par les mains pour nous conduire à la connaissance de Dieu »[1]
« Les cieux racontent la gloire de Dieu »
(Psaumes,
XVIII, 2). La philosophie n’est pas la seule voie qui peut nous conduire à
Dieu. La beauté de la Création peut aussi nous mettre au contact de notre
Créateur. « Qui peut suffire à
raconter ses œuvres ? Car qui sondera ses merveilles ? Et la puissance
de sa grandeur, qui l’énoncera ? » (Ecclésiastique, XVIII,
1-4).
Par le spectacle de la nature, Dieu offre à tous la possibilité de Le connaître. « Oui lorsque tu vois la beauté [des cieux], leur grandeur, leur hauteur, leur place, leur allure qu’ils conservent
depuis si longtemps, comme si tu entendais une voix et recevais un enseignement
par leur spectacle, tu adores celui qui a fait un corps si beau et si
extraordinaire. »[2] Elle n'a point de bouche pour parler et pourtant elle enseigne de grandes vérités.
« Le ciel se tait mais sa vue émet
un son plus éclatant qu’une trompette : elle nous instruit par les yeux,
non par l’ouïe. » [3]
Il
n’est pas besoin de livres et de cours pour entendre ce que la Création nous
dit. Le riche comme le pauvre, le savant comme l’ignare accèdent à la même
connaissance. Le français, le chinois, l’arabe ou l’américain entendent sa voix
et peuvent la comprendre. Il suffit d’être un homme. Et en tout lieu, nous accédons à
la même connaissance en levant les yeux et en contemplant le spectacle. « La création émet une voix que peuvent
facilement embrasser d’un seul coup d’œil les barbares aussi bien que les Grecs
et en un mot tous les hommes » [4].
La
vérité est donc accessible à tous par la beauté qui se manifeste dans la
Création. Ce n’est ni par un discours savant ou un ouvrage ardu, ni dans une
langue particulière qu’elle se livre à tous. Dieu « offre à tous un spectacle, son spectacle, celui de la Création dont il
est l’auteur » [5].
La
contemplation de la Création se poursuit alors naturellement par une action de
grâce. « Que vos œuvres sont magnifiques.
Seigneur ! Que vos pensées sont infiniment profondes ! » (Psaumes,
XCI, 6).
La
beauté de la Création participe donc à notre connaissance de Dieu. Mais nous
devons dépasser cette contemplation du réel pour atteindre l’auteur de la
réalité. Il faut s’élever vers la source de cette beauté. Il faut s’appuyer sur
ce qui est visible pour voir l’invisible. « En effet, ses perfections invisibles, rendues compréhensibles depuis la
création du monde par les choses qui ont été faites, sont devenues visibles
aussi bien que sa puissance éternelle et sa divinité » (Épître aux Romains, I, 20).
Il
faut impérativement dépasser le visible et ne pas s’arrêter à ce niveau de
connaissance. « Ne t’en tiens pas
là : tends ton esprit jusqu’à leur créateur. »[7] Le
danger autrefois était de confondre le Créateur avec la créature au point que
la créature était adorée au lieu du Créateur. La Création est admirable mais
c’est perversion de remplacer Dieu par son œuvre. Les Justes, les Apôtres et
les Pères de l’Église n’ont pas cessé d’insister sur ce manque de discernement.
Aujourd’hui, le danger n’est plus le paganisme. Rares sont ceux qui adorent véritablement les créatures. Nous sommes face à une autre difficulté : l’incapacité d’élever le regard vers le ciel à partir des choses créées. Nos contemporains admirent toujours la Création et les œuvres humaines mais leur admiration s’arrête là. Leur regard est comme figé, paralysé. « Représente-toi comment pourrait être, si l’objet créé est si admirable et extraordinaire et s’il dépasse tout entendement humain, celui qui par un seul ordre verbal l’a produit. »[8]
Peut-être
cette beauté les interroge-t-elle ? Parfois, surpris dans leur admiration, ils se
demandent comment tout cela est possible. La beauté est alors source d’un
questionnement étrange. Il ne s’agit pas en effet de savoir « qui » en est l’auteur mais « comment » cela est possible.
Leur regard devient scientifique. Ils se tournent donc vers la science pour
avoir des réponses. Ils cherchent à expliquer ce qu’ils admirent. Car peut-être
sont-ils convaincus que tout cela vient naturellement ?
Se
détacher de l’homme…
Nos
contemporains vivent dans un monde qui a profondément été modifié par l’homme.
Ils vivent dans un univers presque artificiel au sens que leur perception a été terriblement rabaissée à celle de leur existence ordinaire. Les
conquêtes de l’homme, les progrès scientifiques et technologiques qui ont
apporté puissance, confort, quiétude, ont probablement fait croire à l'homme que
tout était à sa mesure. En outre, emporté par l’urbanisation, l’exode rural, le
développement industriel et des services, l’homme s’est de plus en plus détaché
de la terre. Il s‘est éloigné de la Création pour vivre sur une autre planète
où il est en quelque sorte devenu le créateur, l’architecte, l’autorité. Les
villes sont son ouvrage. Il apporte l’électricité et tous les moyens modernes
pour que sa vie soit sans accroc. Et naturellement, il s’admire. Comment ne
peut-il pas s’émerveiller devant les capacités humaines qui ont permis de tels
ouvrages ? Lorsque nous nous émerveillons devant la Tour Eiffel ou Notre
Dame de Paris, nous en venons naturellement à louer leurs auteurs.
Moins
assujettis au travail, nous avons plus de temps pour nous consacrer à nos
propres envies. Le tourisme s’est en particulier développé. Toute la terre ou
presque est un lieu de villégiature, voire encore d’aventure. Mais nous ne vivons plus
avec la nature. Nous partons peut-être dans le but d’être émerveillés, de
connaître des sentiments que nous n’éprouvons plus, d’oublier notre
quotidienneté. Nous cherchons à approfondir notre culture, à vivre d’autres expériences, à nous divertir et à nous distraire. Notre regard est encore
tourné vers nous-mêmes et non vers la Création et par conséquent il ne perçoit plus notre Créateur. Nous restons encore au niveau de l’homme…
Un
regard plein de vie intérieure
Comment
pouvons-nous nous attarder sur les créatures pour les contempler quand notre
esprit est pris dans un engrenage et dans un mouvement incessant ? La contemplation a besoin de repos, d’un repos silencieux, d’un esprit maître de
lui-même. Il a aussi besoin de silence intérieur, de vie intérieure. Dans nos
sociétés modernes, nous sommes loin de ces dispositions. La contemplation de
l’œuvre divine nous est devenue difficile.
Une
vie terrestre propre à rabaisser notre regard
Dans
ces conditions, nous comprenons les raisons du succès de certaines philosophies
et idéologies athées ou agnsotiques. Les hommes sont de plus en plus réceptifs ou dociles envers les
idées pernicieuses car elles correspondent à leur environnement et à leur
comportement. Le monde dans lequel nous vivons nous éloigne de la Création et
par conséquent de la connaissance naturelle de Dieu. Ce n’est donc pas étrange
que l’idée de Dieu s’éloigne lentement du cœur des hommes ou que les vérités naturelles deviennent aussi inaccessibles pour un
grand nombre de nos contemporains. Les philosophies ne sont pas les principales
responsables de l’agnosticisme, de l’indifférentisme ou de l’athéisme même si elles les favorisent.
Une
doctrine est fortement liée à l’environnement dans lequel elle s’est construite
et se diffuse. Ce n’est pas un hasard si au XIXe siècle, le matérialisme, le
positivisme, l'évolutionnisme et tant d’autres idéologies se sont développées. Aujourd’hui, le déconstructivisme ne surprend guère dans notre société très
bouleversée. Aurait-il eu un avenir aux temps antiques ou au
Moyen-âge où l’être était primordial, la stabilité une vertu ? Évidemment,
ces idéologies à leur tour influencent la société. Mais faut-il encore qu’elle
soit réceptive à ces nouveautés…
Tous
peuvent connaître la vérité sans appartenir à une élite mais cet accès dépend
fortement de notre manière de vivre, de notre capacité à nous abstraire de
notre environnement pressant, à nous détacher d’un regard
purement matériel. La Création est riche de connaissances si
nous parvenons à la contempler et élever notre regard vers le ciel. Elle a
beaucoup de choses à nous dire mais faut-il encore l’entendre.
Quel drame d'enliser notre esprit dans la créature au lieu de la dépasser ? Nous avons tendance à avoir un regard uniquement
scientifique, cherchant uniquement à questionner la nature. Nous devrions ne pas oublier que notre regard doit dépasser cette dimension certes
légitime mais réductrice. Autrefois, faute d’élan, l’homme se perdait dans le
paganisme, adorant ce qu’il contemplait. Aujourd'hui, le risque est de se
laisser cloisonner dans un regard uniquement scientifique tel qu’il est
développé dans les sciences modernes depuis plus de deux siècles. Pourtant, la science
est aussi source de questionnement. Elle appelle à d'autres questions, à un
autre regard, à une autre dimension. Il faut donc profiter de nos connaissances
plus étendues et approfondies pour davantage élever notre regard vers l’auteur
de toutes les choses.
Reconnaître ses faiblesses
Et à
chaque instant, tout homme est spectateur d'une œuvre superbe et fragile.
Pourtant, ce spectacle passe inaperçu. Le monde qu’il a construit tend à voiler
ces merveilles qui perdurent. Il éloigne l’homme de cette connaissance
accessible à tous. Elle est pourtant encore possible
s’il ose détourner son regard de sa propre personne. S’il s’obstine à ne
penser qu’à lui et à satisfaire ses désirs, s’il construit un univers autour de lui-même,
il demeurera dans une ingratitude affligeante. Et « Dieu nous demandera
des comptes des jours de notre vie : à quoi avons-nous dépensé chaque
jour ? »[10] Avons-nous
persisté dans notre ingratitude ? Avons-nous entendu son œuvre qui révèle sa
sagesse et sa puissance de Dieu ? Qu’avons-nous fait de cette connaissance à
portée de tous ? Quelles que
soient notre position sociale, notre richesse, notre capacité intellectuelle,
Dieu se fait connaître par l’admiration qu’Il suscite en nous au moyen de ses œuvres…
Références
[1] Saint Jean Chrysostome, De Anna, I, 2 cité dans Connaissance des Pères de l’Eglise, La Création, décembre 2001, n°84, article La Lecture chrysostomienne des deux premiers chapitre de la Genèse : une Création ordonnée et offert en spectacle à l’homme, Laurence Brottier.
[2] Saint Jean Chrysostome, De statuis, IX, 2.
[3] Saint Jean Chrysostome, De statuis, IX, 2.
[4] Saint Jean Chrysostome, De statuis, IX, 2.
[5] Laurence Brottier, La Lecture chrysostomienne des deux premiers chapitre de la Genèse :une Création ordonnée et offert en spectacle à l’homme dans Connaissance des Pères de l’Eglise, La Création.
[7] Saint Jean Chrysostome, Homélie sur la Genèse, VI, 6.
[8] Saint Jean Chrysostome, Homélie sur la Genèse, VI, 6.
[9] Saint Jean Chrysostome, De Anna, I, 2, cité dans Connaissance des Pères de l’Eglise, La Création.
[10] Saint Jean Chrysostome, Contra ludos et theatra, 2, cité dans Connaissance des Pères de l’Eglise, La Création.
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