Pourquoi devons-nous
connaître Dieu ? Devant la pluralité des religions et des attitudes
religieuses, devant le foisonnement des sentiments religieux, n’est-il pas plus
raisonnable de vivre selon notre bon plaisir, dans l’indifférence et dans
le refus de toute recherche ? Certes, il est possible de connaître Dieu par nos
lumières naturelles mais cette possibilité induise-t-elle des
obligations ?...
Grâce en particulier au télescope spatial
Hubble, nous pouvons admirer les merveilles qui peuplent l’espace. En soi,
cette connaissance n’apporte rien à l’homme. Certes, elle nourrit notre soif de
connaissance et cultive notre curiosité mais elle nous semble bien inutile pour
notre vie quotidienne bien terrestre. Pourtant, la beauté des nébuleuses, des supernovas et
des astres célestes nous élèvent à une connaissance incroyable. Elle nous mène
à la contemplation de Dieu. « Bénis,
mon âme, le Seigneur ; Seigneur, mon Dieu, votre magnificence a paru avec
un grand éclat. » (Psaume CIII, 1).
La connaissance de
Dieu n’est pas vaine. Elle nous est en effet utile. Elle implique en outre des
exigences. La Sainte Écriture rappelle à plusieurs reprises le manque
d’intelligence de ceux qui résistent dans l’incrédulité. « Insensés sont tous les hommes qui ont ignoré
Dieu » (Sagesse, XIII, 1-5). En quoi est-il en effet folie de refuser
une telle connaissance ?
La réalité qui nous
entoure nous répond. La voie qui peut nous conduire à la connaissance de
Dieu est source de lumière. L’existence de Dieu s’impose à notre
esprit notamment par le principe de causalité que nous appliquons aux choses et
aux êtres qui nous entourent. Elle nous montre également leur contingence. Par
la raison, Dieu s’impose naturellement comme la cause première, moteur immobile,
principe de toute chose et de toute vie. Ainsi nous pouvons
reconnaître notre dépendance envers un Être qui est l’Être même. Nous en
concluons que nous dépendons entièrement de notre Créateur. Cette dépendance prend
naissance dès notre origine et se poursuit dans le temps. Dieu ne laisse pas sa
Création se mouvoir seule à travers le temps après avoir déclenché l’impulsion
nécessaire. Notre dépendance perdure depuis le commencement. Elle est
permanente. Elle est à tout instant. « Ainsi
je vous bénirai pendant ma vie ; et en votre nom je lèverai mes
mains » (Psaume, LXII, 5).
Notre connaissance naturelle
de l’existence de Dieu induit donc une double reconnaissance :
- reconnaissance de notre dépendance à l’égard de Dieu qui est puissance et souverain de toute chose ;
- reconnaissance de sa bonté sans laquelle nous n’aurions point vu le jour.
Sans
Dieu, nous ne serions point là. Et rien n’oblige Dieu. Rien ne nécessite notre
existence. Par conséquent, un double sentiment doit habiter notre âme : le
respect et le remerciement.
Ce ne sont point des sentiments éphémères mais un
devoir impérieux de justice que nous devons envers Dieu. Comme il est juste
d’être reconnaissant envers nos parents qui nous ont transmis la vie et nous
ont élevés, il est juste et bon de l’être encore plus pour Celui qui en est la
source. Cet hommage s’impose donc à tout homme qui reconnaît l’existence de
Dieu.
« Le ciel est beau, mais c’est afin que tu te
prosternes devant celui qui l’a fait ; le soleil est brillant, mais c’est
enfin que tu adores son auteur ; si tu dois t’arrêter à l’admiration de la
création et t’en tenir à la beauté des œuvres, la lumière est devenue pour toi obscurité, ou plutôt tu t’es servi de la lumière pour la changer en obscurité. »[1]
Conscients de
notre dépendance envers Dieu, nous nous rendons compte que notre destin, notre
avenir, notre bonheur sont liés à sa volonté. Nous ne sommes donc pas les seuls
acteurs de notre propre existence, de nos joies comme de nos peines. Dieu peut
influencer le cours de notre vie.
L’homme n’est donc point
seul, pleinement indépendant au sens qu’il serait la cause absolue de ce qu’il
entreprend et réalise. Il ne peut maîtriser sa propre existence. Il ne peut donc
pas vivre comme s’il était le seul maître à bord.
Il prend également conscience
que le monde dans lequel il vit et agit avec d’autres
créatures ne lui appartient pas. Son action sur son environnement est donc
limitée et encadrée. Lorsqu’une chose ne nous appartient pas, naturellement,
nous en prenons soin car évidemment le véritable propriétaire en demandera des
comptes. Nous reconnaissons ses droits comme une voix intérieure nous appelle
aux sentiments et aux vertus les plus simples. De même, nous ne pouvons pas abîmer
l’œuvre divine. Nous
sommes donc redevables envers Celui qui a tout créé et qui maintient son œuvre. Cela est aussi vrai à l’égard des rapports que nous pouvons établir avec les
hommes. Nous ne pouvons pas faire ce que nous voulons à l’égard de toute
créature. La connaissance de l’existence de Dieu impose aussi des obligations
sociales.
L’homme se rend aussi
compte qu’il n’est pas non plus maître de lui-même. Si la vie et son existence
sont dues à Dieu, elles lui sont aussi redevables. Nous ne pouvons pas agir
envers nous-mêmes comme si nous croyons que nous sommes la raison même de notre
subsistance. Dieu est notre maître qui légitimement a des droits envers nous. De
Lui viennent la vie et l’être…
Notre raison nous
montre que Dieu n’est pas simplement Créateur mais aussi Providence. Il donne à
chacun les moyens dont il a besoin pour parvenir à une finalité qu’Il a lui-même fixée.
Il soutient notre existence. Il nous accompagne dans notre vie afin que nous atteignions notre épanouissement, c’est-à-dire le bien. Dieu est donc aussi source
de notre bonheur. Ainsi notre reconnaissance dépasse le simple constat de notre
dépendance envers Dieu. La créature que nous sommes ne voit pas simplement en
son Créateur un maître à qui nous devons un véritable hommage empli de
gratitude, nous voyons aussi en Lui le guide qui nous garantit la plénitude de notre
être, la plénitude de notre existence, en un mot, le bien ineffable auquel nous
aspirons.
« Mon Dieu, mon Dieu, je
veille et j’aspire vers vous dès la lumière. Mon âme a soif de vous ; en
combien de manière ma chair est pour vous ! » (Psaume
LXII, 2).
Nous reconnaissons finalement
que tout n’est pas vain ici-bas, le fruit d’un hasard ou les résultats d’un jeu
de dés machiavélique. Tout a un sens. Tout prend sens. La connaissance prend
également tout son sens. La science est ainsi possible.
Et notre connaissance
ne se réduit pas à ce que nos sens peuvent nous fournir puisque nous connaissons
Dieu et que Dieu n’est point directement accessible à nos sens. Par les choses
visibles, nous atteignons l’invisible. Le monde tel qu’il existe prend ainsi
une dimension qui dépasse notre nature humaine. Notre perception de l’Univers se trouve
ainsi changée. Nous ne sommes plus au centre du monde. L’Univers tourne
désormais autour d’un autre pôle, Dieu.
Enfin, la connaissance
naturelle de Dieu nous pousse inévitablement à nous poser la question de
l’intervention de Dieu dans le monde et dans l’histoire. L’idée de la
Révélation devient possible, compréhensible, crédible. Elle peut même s’imposer
naturellement. Si Dieu agit ici-bas, ne peut-Il pas aussi parler aux
hommes ? Sa bonté se limite-elle à la Création et à la Providence ? …
En accédant à Dieu et en apercevant ses attributs, certes de manière imparfaite,
nous arrivons à une meilleure connaissance du monde dans lequel nous vivons et
de nous-mêmes. Sa grandeur et sa puissance éclairent notre faiblesse et notre
petitesse. Nous prenons conscience de ce que nous sommes réellement.
Aujourd’hui, la science nous montre de manière éclatante notre ignorance
abyssale et nos vanités. Les connaissances que nous puisons de l’infiniment
petit comme de l’infiniment grand nous montrent notre fragilité et nos
prétentions. Que pouvons-nous alors dire quand nous découvrons Dieu ? Nous
ne pouvons guère cacher notre misère quand la raison rend visible l’Absolu…
Nous sommes peu de choses. Et pourtant, nous sommes encore présents, profitant
pleinement du monde qui nous entoure…
Ainsi la connaissance
naturelle de Dieu nous impose des obligations, une légitime et profonde
reconnaissance de Dieu en tant que Créateur et Providence. Elle encadre aussi
nos actions à l’égard de l’Univers et de l’humanité, et envers nous-mêmes. Elle
donne sens à notre vie, à notre science, à notre bonheur. Elle rend compte de
notre foi sans en être la cause. La connaissance naturelle de Dieu nous pousse
finalement à élever notre regard vers Dieu, c’est-à-dire à prier. Le connaissant
comme source de tant de bienfaits, pouvons-nous en effet croire qu’Il n’est pas
à l’écoute de notre âme ? Une mère si intentionnelle se
désintéresserait-elle des pensées de ses enfants, de ses souhaits, de ses peines ?
A la connaissance s’ajoute donc la confiance en Dieu.
La connaissance
naturelle de Dieu n’est donc pas vaine. Elle est source d’une connaissance plus
vaste, plus profonde, qui agit véritablement dans notre vie. Elle nous conduit
vers la source de notre bonheur et vers notre fin. Le monde et notre existence
finissent par être remplis de Dieu. Dieu finit par être l’objet de nos désirs,
l’être aimé. « Je bénirai le
Seigneur en tout temps ; toujours sa louage sera dans ma bouche. Mon âme
se glorifiera dans le Seigneur ; que les hommes doux m’entendent et qu’ils
soient comblés de joie. » (Psaume XXXIII, 2-3).
Mais ce premier
contact peut apparaître insatisfaisant, voire déroutant. Comment en effet
pouvons-nous répondre aux exigences d’une telle prise de conscience ? Contrairement
aux êtres qui l’entourent, l’homme a une conscience. Il sait qu’il sait et donc
il vit selon cette connaissance. Comment pouvons-nous en effet être justes et
pleins de gratitude envers Dieu, connaissant nos faiblesses et notre misère ?
Comment pouvons-nous prier ? Qu’attend Dieu de notre part ? Quand
nous prenons conscience de l’existence de Dieu, nous n’en nous contentons pas.
Nous avons faim d’une connaissance plus approfondie, plus haute, plus lumineuse
encore. Nous voulons encore mieux Le connaître et mieux connaître sa volonté.
Et nous découvrons notre misère, notre incapacité de répondre à cette faim qui
nous démange. En fait, une conclusion s'impose : seul Dieu peut nous nourrir…
« Si Dieu s’est manifesté à nous dans la
Création et se manifeste continuellement, Il veut que nous fassions attention à
cette manifestation.»[2]
Références
[1] Saint Jean Chrysostome, Sermon sur la Genèse, I, 1 cité dans cité dans Connaissance des Pères de l’Église, la Création, décembre 2001, n°84, article La Lecture chrysostomienne des deux premiers chapitre de la Genèse :une Création ordonnée et offert en spectacle à l’homme, Laurence Brottier.
[1] Saint Jean Chrysostome, Sermon sur la Genèse, I, 1 cité dans cité dans Connaissance des Pères de l’Église, la Création, décembre 2001, n°84, article La Lecture chrysostomienne des deux premiers chapitre de la Genèse :une Création ordonnée et offert en spectacle à l’homme, Laurence Brottier.
[2] Mgr B.
Bartmann, Précis de Théologie dogmatique, Livre premier, chapitre I, §19,
éditions Salvator, 1944.
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