" La pierre précieuse, voire de grand prix aux yeux de certains, qu'est l'émeraude, se voit insultée par un morceau de verre habilement truqué, s'il ne se rencontre personne qui soit capable de procéder à un examen et de démasquer la faute. Et lorsque de l'airain a été mêlé à l'argent, qui donc, s'il n'est connaisseur, pourra aisément le vérifier ? "(Saint Irénée, Contre les hérésies)


vendredi 15 novembre 2013

Les Lois de Newton au-delà des formules

Quand nous étions au lycée, nous écoutions notre professeur de physique qui nous expliquait la mécanique classique. Puis nous avons appris à utiliser les lois de Newton pour déterminer les trajectoires de projectiles ou les contraintes exercées sur un corps. Tout nous semblait simple ou presque. Nous avions entièrement confiance en la Science qui nous dévoilait les lois de la Nature. Nous étions à l’école pour apprendre et nous écoutions. Aujourd’hui, après quelques années de recul, nous sommes probablement moins crédules et plus prudents. Les lois nous paraissent plus mystérieuses. Cet article et les suivants vont exposer quelques difficultés et nous allons en tirer des conclusions. Ils n’ont pas pour objet d‘effrayer les esprits non-scientifiques. 

Dans le précédent article, nous avons défini les lois de Newton qui fonde la mécanique classique. Elles sont apprises au lycée sous la forme mathématique. Leur utilisation permet rapidement de s’exercer sur des cas pratiques. Très anciennes, elles semblent aussi être très élémentaires. Mais est-ce vraiment simple de comprendre ce que signifient ces lois au-delà de l’aspect calculatoire qui peut dérouter bien des esprits ? 

Qu’est-ce que la masse ?

Les premières questions que nous pouvons nous poser se portent sur des mots en apparence très simples. Par exemple, qu’est-ce qu’une masse? Elle intervient dans toutes les formules. Elle nous est aussi familière. Prenons la définition que nous propose Newton : « je désigne la quantité de matière par les mots de corps ou de masse ». La masse mesure la quantité de matière. Qu’est-ce que la quantité de matière ? « La quantité de matière se mesure par la densité et le volume pris ensemble ». La première définition est littérale, la seconde, calculatoire.

Au sens calculatoire

Dans la définition calculatoire, la masse est le résultat d’une formule : masse = densité x volume Mais comment pouvons-nous définir la densité ? Elle est le rapport de la masse par le volume ! Nous retrouvons la notion de masse. Les définitions se renvoient alors les unes aux autres. Nous n’avançons guère. La notion de masse est en relation avec un autre concept lui-même indéfinissable par lui-même qu’est la densité. Les définitions sont cycliques. Nous tournons en rond. 

Nous pourrions aussi définir la masse en appliquant la deuxième loi de Newton, c’est-à-dire par un autre calcul : la division de la force qui s’exerce sur l’objet par l’accélération du mouvement de ce même objet. Au-delà de l’opération, nous constatons que la loi elle-même permet de déterminer des concepts qui sont censés pourtant l’expliquer. Ce sont des grandeurs commodes d’introduire dans les calculs. 

Au sens littéral

Prenons maintenant la définition littérale de la masse. Elle mesure « la quantité de matière » mais qu’est-ce que la matière ? Si elle est l’assemblage des particules qui la constituent, la masse d’un objet serait alors la somme des masses des particules le constituant. Le problème se complique. Qu’est-ce que la masse d’une particule ? Nous sommes encore plus perplexes car nous savons qu’il existe des particules sans masse pourtant bien matérielles ! Les mots nous échappent…




Pourquoi posons-nous tant de questions quand une simple balance électronique pourrait nous répondre immédiatement ? Erreur, la balance nous donne le poids de l’objet et non sa masse. En effet, le poids mesure l’intensité de l’attraction terrestre qui s’exerce sur notre objet. Votre poids est ainsi plus faible sur la Lune que sur la Terre sans cependant perdre de la masse. Mais selon la loi de gravitation universelle, il existe un rapport entre la masse d’un objet et son poids, ce qui signifie qu’à partir du poids d’un objet, nous pouvons sans difficulté déterminer sa masse. Nous revenons donc au problème précédent. Nous utilisons de nouveau les lois de Newton pour définir ce qui la constitue ! Avons-nous vraiment avancé ? Peut-être…

Une grandeur mesurable et calculatoire

Nous ne savons finalement rien de la nature de la masse. Les lois de Newton ne nous le dit pas. Cependant, ne soyons pas inquiets. Car le plus important pour le scientifique n’est pas de définir en soi la masse mais de fournir les moyens de la mesurer et de la manipuler. Les lois se rapportent en effet à une réalité expérimentale. 

Ainsi ce qui est important dans une loi ou une formule scientifique n’est pas le sens véritable des mots qu’elle emploie mais leur utilité. Ils doivent correspondre à des grandeurs mesurables et calculatoires. C’est tout l’intérêt des lois de Newton et la cause de leurs succès. Elles nous donnent les moyens d’agir efficacement sur la réalité.

Des notions internes aux lois qu’elles sont censées expliquer…

Les lois de Newton font introduire des notions dont les définitions nous échappent. Les mesures nous permettent néanmoins de contourner cet obstacle. Ainsi pouvons-nous les définir grâces aux mesures que nous pouvons effectuer. Elles nous rendent donc dépendantes des instruments de mesure et de leur précision. Elles nous obligent à ne saisir la réalité que par l’intermédiaire de ces outils. Le danger est alors de confondre la réalité avec le Monde mesurable. Ne serait réel que ce qui est observable...

Un autre problème nous attend. Pour mesurer ces « notions », nous devons faire appel aux lois elles-mêmes. Pour mesurer la masse d’un corps, il existe un dispositif appelé machine d’Attwood qui est une application pratique des lois de Newton. Mais « la machine d’Attwood ne nous apprend rien si nous ne savons rien de la mécanique newtonienne et que les concepts de force, de masse et d’accélération nous sont inconnus »[1]. Les outils restent dans un cadre newtonien. Finalement, il n’y a pas d’observation sans théorie scientifique. Les mesures nécessitent une interprétation dépendante des lois qu’elles sont censées justifier. 

Mais la réalité ne se laisse guère facilement observée. Pour obtenir des mesures, nous devons alors proposer des hypothèses au point que parfois, nous nous plaçons dans un monde idéal. Nous sommes loin de la réalité complexe dans laquelle nous vivons. 

Posons-nous encore une nouvelle question sur une notion fondamentale des lois de Newton…

Qu’est-ce que le mouvement ? 


Si vous êtes assis dans un train en direction de Paris, êtes-vous en mouvement ou non ? Si votre ami est dans le train assis à vos côtés, il dira que vous ne bougez pas. S’il est resté sur le quai de la gare, il confirmera que vous bougez effectivement. Un mouvement ne serait viable que par rapport à un objet de référence immobile. Ainsi nous parlons de mouvement relatif. L’étude d’un mouvement nécessite  un référentiel par lequel il est possible de le mesurer. 


Mais que se passerait-il si vous marchez dans le vide ? Vous saurez que vous êtes en mouvement car vous en êtes le moteur. Vous avez simplement conscience que vous marchez. Mais si nous marchons à vos côtés à la même vitesse, nous ne pourrons pas confirmer que vous marchez. Ce n’est donc pas le mouvement en soi qui est relatif mais bien la perception que nous avons du mouvement. Nous confondons alors mouvement et perception. 

Qu’est-ce que la perception d’un mouvement ? Il y a en effet deux façons de percevoir un mouvement : l’un plutôt subjectif, qui consiste à constater effectivement qu’un objet est en mouvement, l’autre plutôt objectif, qui consiste à évaluer ce mouvement à partir de grandeurs mesurables comme la vitesse ou la localisation de l’objet. Ainsi la perception est la connaissance que nous en avons par nos sens ou par des instruments de mesure. Elle nous permet de construire une image du mouvement effectif. Nous le modélisons au travers de cette image. Et pour cela, nous avons besoin d’un référentiel. Nos sens ont besoin d’un objet fixe pour percevoir le mouvement. Les grandeurs mesurables ont besoin d’un repère temporel et spatial. Nos modèles ne représentent donc pas le Monde mais ce que nous pouvons en percevoir en fonction d’un référentiel. 

Quand nous bougeons un objet, nous sommes certains de son mouvement quelque soit le référentiel car nous en sommes la cause. Nous sommes surtout conscients de nos gestes. Mais la théorie ne se préoccupe pas de ce que nous pouvons penser. Elle étudie l’objet sans prendre en compte de son degré de conscience. Par la pensée, elle extrait toute immatérialité de l’objet et du Monde. Elle ne se préoccupe que de la matière perceptible, c’est-à-dire mesurable, inconsciente. 

La question se complique quand nous songeons aux découvertes scientifiques. Car la Science sait que les grandeurs qu’elle utilise couramment, comme la masse, sont finalement immatérielles. Mais laissons encore de côté la physique quantique. 

S’il faut un référentiel pour modéliser le mouvement, existe-il un unique référentiel ? Évidemment non, il en existe une infinité puisque le mouvement d’un objet est perceptible du moment qu’il existe une autre qui ait un mouvement différent. La question que nous pourrions alors nous poser est de savoir s’il existe un référentiel absolu à partir duquel nous pourrions définir tout mouvement. Ce problème est très difficile. Il débouchera au XXème siècle sur la théorie de la relativité. 

Les lois que nous apprenons au lycée nous paraissent simples. La masse et le mouvement par exemple sont des notions simples en mécanique classique. Elles sont aussi intuitives. Pourtant, comme nous venons de le voir, leur définition n’est pas aussi simple. Ils deviennent même difficilement tenables lorsque nous nous posons quelques questions. C’est justement en se posant de bonnes questions sur ces termes que la Science s’est développée au XXème siècle d’une manière extraordinaire. D'autres notions aussi simples et intuitives que le temps et l’espace deviennent aussi très complexes quand nous les interrogeons. Au-delà des mots, il y a un sens à saisir. Or parfois, à force de les manipuler, nous finissons par les oublier et par leur donner vie sans même se poser de questions…

Des notions dépendantes d’un cadre spécifique

Les notions de mouvement et de masse, comme celles du temps et de l’espace, ne peuvent être guère compréhensibles dans d’autres théories que celles de Newton. Elles sont adaptées à ces lois et perdent tout sens en dehors. Ainsi la particule sans masse de la physique quantique n’est guère compréhensible dans la théorie de Newton. Les concepts prennent sens dans un cadre délimité par la théorie elle-même. « La masse newtonienne est une propriété d’un corps, alors qu’il s’agit d’une relation entre un objet physique et un système de référence chez Einstein » [1]. La théorie est close…

Certains notions sont partagées entre des théories mais leurs manipulations deviennent très complexes et floues. L’emboîtement des branches des sciences n’est pas si simple. La complexité est telle qu’il est bien illusoire de croire à une formule magique capable de tout décrire.

Des objets extraits de nos pensées…

Pour terminer cet article, posons-nous une dernière question. Imaginez que vous observez un lieu de très loin sans apercevoir ce qu’il s’y passe. Un de vos amis s’y trouve. Il est muni d’un détecteur qui vous permet de mesurer sa vitesse de marche. Le lieu est d’abord désert. Il marche donc selon une vitesse normale. Imaginons maintenant que votre ami rencontre des connaissances et comme il est bien élevé, il les salue avant de reprendre sa marche. Sa vitesse chute, devient nulle puis croît. Elle est désormais de 2 km/h. De votre lointain observatoire, vous ne pouvez que mesurer la vitesse de votre ami. Qu’allons-vous en déduire ? Que l’environnement a freiné le mouvement de votre ami. En parfait élève de Newton, vous conclurez donc que des forces se sont exercées sur lui, ce qui évidemment n’est pas le cas dans notre expérience « mentale ». Mais osons une autre suggestion. Et si le milieu dans lequel nous baignons interagissait avec nous ? En un mot, pouvons-nous dissocier l’objet de son milieu ? Ou encore, pouvons-nous croire que les grandeurs qui mesurent l’objet comme la masse par exemple sont indépendantes du milieu dans lequel il baigne ?...

En conclusion, une théorie modélise la perception que nous pouvons avoir du Monde selon la précision de nos instruments de mesure en vue d’agir sur la réalité. Elle se fonde sur ce qu'elle perçoit des éléments qui constitue le Monde et non sur ce qu'ils sont réellement. Dans ce modèle, ils sont aussi détachés du milieu dans lequel ils baignent. Les objets d'étude sont isolés du Monde. Est aussi considéré comme « valide » tout objet perceptible et plus précisément objet de mesure. Mais le Monde se réduit-il aux objets mesurables et aux limites de nos instruments de mesure ? Pouvons-nous isoler les objets du Monde dans lequel il vit sans biaiser notre regard ?

La physique classique issue des lois de Newton ne scrute finalement qu’un aspect du Monde et non la totalité de l’Univers, encore moins l’immatérialité. Son regard est biaisé. Par la nature même de ses principes, elle ne pourra pas nous faire connaître qu’une partie de la réalité et la déformer. Les réponses qu’elle pourrait apporter à nos questions ne pourront alors qu’être imparfaites et même faussées si ces questions portent sur l’Univers et la Vie. Et pourtant, en dépit des progrès considérables de la Science, la physique classique continue à façonner le regard de nos contemporains. Elle construit des modes de pensées qui les éloignent de la réalité et donc de Dieu. Elle construit de la naïveté et de la crédulité ! Sachons non pas rejeter la Science mais comprendre ses limites pour garder la pureté de notre regard…






[1] Introduction à la pensée scientifique moderne.

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