" La pierre précieuse, voire de grand prix aux yeux de certains, qu'est l'émeraude, se voit insultée par un morceau de verre habilement truqué, s'il ne se rencontre personne qui soit capable de procéder à un examen et de démasquer la faute. Et lorsque de l'airain a été mêlé à l'argent, qui donc, s'il n'est connaisseur, pourra aisément le vérifier ? "(Saint Irénée, Contre les hérésies)


mardi 19 novembre 2013

La validité de la connaissance scientifique

Détachée de l’arbre, une pomme tombe à terre car elle est attirée par la Terre selon la force gravitationnelle. Selon Newton, cette force est égale au produit de la masse de la pomme et d’une constante. Par une formule très simple, nous pouvons donc mesurer la force gravitationnelle. Mais cette force garde un mystère peut-être insoupçonnable. Parfois, des esprits de bon sens posent de bonnes questions, des questions qui dérangent. Cette force garde un mystère devant lequel Newton lui-même a tremblé.

Une force distante ?

La théorie de Newton pose en effet une difficulté qui, au départ, a fait obstacle à sa compréhension. Ses lois ont en effet fait l’objet de nombreuses critiques, notamment de la part des disciples de Descartes. Mais à force de les utiliser et compte tenu de leurs succès incontestables, les critiques ont fini par se taire.  


Newton introduit dans la physique un concept nouveau qu’il a associé à tout mouvement : le concept de force. Ce concept est pourtant étrange. Prenons le cas de la force gravitationnelle. Elle est immatérielle et intervient sans aucun contact physique. En classe de seconde, nous apprenons en effet qu’elle agit à distance. Or les contemporains de Newton ne voient de cause efficiente que par interaction matérielle. Sans contact, aucune action possible. Les lois de Newton s’opposent ainsi à la pensée de l’époque. Elles bouleverse la notion de cause. La causalité au sens physique introduite par Newton, ne correspond pas à la causalité au sens métaphysique. Il y a rupture …


Force occulte ?

Comment fonctionne concrètement la force gravitationnelle ? Nous l’ignorons. C'est pourquoi les cartésiens critiquent les lois de Newton. Ils les voient comme un retour à des discours irrationnels. Newton est lui-même conscient de leurs limites. « Qu'un corps puisse agir à distance sur un autre dans le vide, sans que rien n'explique par quel moyen cette force est transmise, est pour moi une absurdité si grande qu'à mon avis, quiconque possède une compétence en matière de philosophie ne pourra jamais y céder »[1]. Le grand savant Leibniz va même qualifier cette force de force occulte. Il faudra attendre le XXème siècle pour donner une explication à la force gravitationnelle mais en lui enlevant toute réalité. 


Qu’est-ce que la force ? Une réalité ou une construction commode de la pensée…

« La force imprimée est une action exercée sur le corps, qui a pour effet de changer son état de repos ou de mouvement rectiligne uniforme. Cette force consiste dans l’action seule, et elle ne persiste pas dans le corps dès que l’action vient à cesser »[2]. La force est ce qui cause un changement d‘état. Nous retrouvons la première loi de Newton. Comme nous avons évoqué dans le précédent article, la définition du concept est inclue dans la loi. Hors de cette loi, il est inutile de savoir exactement ce qu’est la force gravitationnelle. Si la pomme tombe, c’est parce que la Terre, compte tenu de sa masse, l’attire vers elle, mais quelle est la nature de cette force ? La notion de force a pourtant un sens. Elle signifie que la cause du mouvement d’un objet n’est pas dans l’objet même mais qu'elle repose à l’extérieur de l’objet. 

Revenons à notre question. Qu’est-ce que la force ? Est-ce un outil capable de mieux représenter le monde ou effectivement un mécanisme réel ? Les théories utilisent de nombreuses notions ou concepts qui, parfois, ne sont que des inventions ingénieuses pour mieux expliquer des phénomènes. « Les notions abstraites qui constituent l’outillage de la physique, les concepts de masse, force, atome, qui n’ont pas d’autre rôle que de rappeler les expériences systématisées dans un but d’économie, sont dotées par la plupart des investigateurs de la nature d’une existence réelle, en dehors de la pensée. Bien plus, on en arrive à croire que ces masses et ces forces sont les choses essentielles à rechercher […] L’homme qui ne connaîtrait l’Univers que par le théâtre, et qui viendrait à découvrir les trucs et les machinations de la scène, pourrait penser que l’Univers réel a aussi des ficelles et qu’il suffirait de les tirer pour acquérir la connaissance ultime de toutes choses. Nous ne devons pas considérer comme bases de l’Univers réel des moyens intellectuels auxiliaires dont nous nous servons pour la représentation du Monde sur la scène de la pensée »[3]. Nous pouvons nous demander effectivement si les notions utiles pour représenter l’Univers sont inventées par l’homme ou indépendants de son intelligence. La force est-elle alors une invention de Newton ? 

La force est une représentation de ce que nous pouvons percevoir. La Science construit des modèles du Monde à partir de principes et d’outils capables de développer un modèle et de l’expérimenter. Si l’expérimentation valide un modèle, ce dernier sert alors à construire une représentation du Monde. La force semble alors être une simple convention que suggère l’expérience…

La nature des choses, hors sujet !

Le modèle de Newton s’appuie sur la notion de forces dont nous ignorons finalement tout. Mais pouvons-nous y chercher du sens quand peut-être elle n’est finalement qu’une convention ? Mais qu’importe ! Le physicien ne se préoccupe pas de connaître la nature des choses. « Son objet est de formuler des théories quantitatives, conduisant à des prédictions mesurables. La « vérité » des théories physiques ne porte pas sur autre chose que leur adéquation à l’expérience, la « réalité » des objets de la physique est circonscrite aux dispositifs expérimentaux »[4]. La Science ne prétend pas refléter ou traduire la réalité. Qu’est-ce que donc l’objet de la physique classique ? « La physique porte sur la confrontation de prédictions théoriques avec des mesures réalisées par des instruments, mais ne se prononce pas sur la « réalité » de ses concepts ou des objets du monde extérieur, hors de l’expérience » [5]. Elle semble donc exclure la philosophie de son champ d’action… 

Influences de Newton

Newton a ainsi introduit de nouveaux concepts, simples et féconds, qui ont permis de construire une nouvelle science en se détachant de la réalité. L’expérience lui a permis de concevoir et de valider la notion de forces qui n’a finalement aucune réalité physique. Pourtant, cette notion permet de prédire des phénomènes et de dominer le Monde d’où son succès. Jeux de l’esprit ? L’ordinateur ne reflète pas non plus la réalité en dépit de ses capacités exceptionnelles. C’est la force et la richesse d’un modèle. Il est suffisamment approximatif pour suffire… Newton a finalement montré toute la puissance de la raison.

Newton a aussi fait évoluer la vision du Monde. Elle est devenue quantitative ou encore calculatoire. Elle ne contient pas réellement de sens tant les concepts utilisés ne sont pas définis. Elle est régie par des formules mathématiques, des règles, des lois… Le Monde de Newton est un véritable « système ». Il est alors tentant de croire que le Monde est finalement un immense calculateur. « Tout se passerait […] comme si les forces physiques en œuvre, et les grandes lois dites fondamentales par lesquelles elles s'expriment, pouvaient être simulées sans faute sur un ordinateur géant »[6]. Aujourd’hui, certains de nos contemporains s’imaginent peut-être que par l’ordinateur, nous pouvons nous passer de la réalité. Ils oublient que nous construisons des modèles qui comme tout modèle ne se servent que de conventions…

Une théorie fausse ? Encore hors sujet

Finalement, pouvons-nous dire qu’une théorie scientifique est fausse ? Cette question n’a pas de sens. Croire qu’il est possible d’atteindre la Vérité par la Science révèle une profonde méconnaissance de son objet et de son fonctionnement[7]. Il est aussi absurde de vouloir démontrer l’existence ou non de Dieu par la Science. La Science ne donne qu’un modèle approximatif de la réalité, modèle dont son existence ne tient qu’à son efficacité à agir dans le Monde réel. Comme tout modèle, il nécessite au préalable des principes et des conventions. Si Dieu y est exclu par principe, comment voulez-vous démontrer quoi que ce soit ? Il est donc tout aussi absurde de vouloir opposer la Science et la religion comme il est illusoire de demander à la Science de prouver la religion !


Mais un modèle n’est valable que sous certaines conditions. Les théories de la physique quantique et de la relativité ont montré les limites de l’Univers de Newton, pourtant considéré comme des piliers de la connaissance. « Newton, pardonne-moi », aurait soupiré Einstein. Le XXème siècle a été probablement un siècle majeur dans la connaissance. La Science s’est de plus en plus éloignée de notre perception naïve de la réalité pour pouvoir se munir d’un modèle encore plus efficace. Le choc qu’ont provoqué les nouvelles théories a été pourtant salutaire. Il a été la cause d’une profonde réflexion sur la validité de la connaissance que peut apporter la Science par rapport aux autres savoirs. La Science ne peut guère désormais ignorer les enjeux philosophiques de ses théories comme la philosophie ne peut pas non plus se désintéresser d'elles. Comme l’art, elle est perçue comme une certaine vision du Monde mais contrairement aux autres savoirs, cette vision peut être invalidée par l’expérience. Elle ne prétend plus révéler la Vérité… Le savant est capable de Sagesse…





Références
[1] Newton dans sa correspondance avec Bentley du 25 février 1693, cité dans L'idée d'univers de la science classique à la cosmologie moderne, Bernard Coly (DEA, 2006). 
[2] Pierre Sagaut, Introduction à la pensée scientifique moderne, Institut Jean Le Rond d'Alembert, Université Pierre et Marie Curie, cours de culture générale, Licence, 2008-2009.
[3] E. Mach, La mécanique, exposé historique et critique de son développement, 1883.
[4] Pierre Marage, Relativité, mécanique quantique et ruptures épistémologiques
[5] Pierre Marage, Relativité, mécanique quantique et ruptures épistémologiques
[6] Jean-Paul Baquiast, Lagrange au secours de la cosmologie moderne, 13 février 2013.
[7]Cette question a fait l’objet de profondes réflexions au XXème siècle, donnant lieu à l’épistémologie. Cette nouvelle « science » est précieuse pour celui qui veut défendre la foi contre les scientistes.

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