Dans nos pensées comme dans nos prières, en quel Créateur croyons-nous ? Est-ce un habile horloger qui a construit un beau mécanisme capable de tourner des siècles et des siècles ? Intervient-Il parfois en cas de pannes pour relancer la machine ou laisse-t-Il son ouvrage se dérouler selon des lois inexorables jusqu’à l’arrêt irrémédiable. Ou est-ce un incroyable géomètre qui a bâti un Monde pour le délaisser aussitôt ? Dieu serait-Il comme un enfant qui, las de son jouet, a abandonné la Création à son terrible destin. Ou maître incontesté, Il supporte l’Univers, maîtrisant tout, manipulant ses créatures comme des pantins, désignant les uns aux feux de l’éternité et aux autres aux félicités sans fin ?
Pouvons-nous en effet envisager l’origine du Monde sans songer à sa continuité ? L’instant zéro de la Création n’a de sens que s’il est le commencement d’un temps qui s’écoule. L'idée de la Conservation du Monde est inséparable de celle de sa Création…
Dieu Créateur et Conservateur…
Nous le savons et nous le professons : Dieu est cause première et suprême de toute chose. Il est le Créateur de tout ce qui existe. Du néant, Il a fait naître toute chose. Nous croyons fermement en une Création « ex nihilo ». Ainsi nous croyons en sa puissance infinie.
Mais il n’est pas seulement le « Tout-Puissant », Il est également le « Pantocrator », le Souverain de l'Univers [1]. Par conséquent, Il est aussi cause de la conservation du Monde et de ses créatures. Tout être persiste dans l’existence en vertu de sa volonté et de sa puissance. L’œuvre créatrice se poursuit ainsi dans sa conservation. La Création et la Conservation sont un seul acte divin. La Conservation est une Création continuée, selon Saint Augustin,…
Comme souverain absolu, Dieu dirige tout. Rien n’échappe à sa connaissance et à sa volonté. Omniscient, Il protège et gouverne le Monde à tout instant. Ainsi est-Il appelé le « roi des siècles »[2]. Sa souveraineté est aussi de toute éternité.
Quelles différences entre Création et Conservation ?
La Création pose l’être. Dans la Conservation, aucun être n’est produit mais l’être déjà existant est continué. Elle suppose la création de l’être. L’existence suppose l’avènement. Constatant notre existence, nous ne pouvons pas nier que nous existons. Nous sommes témoins tous les jours de notre permanence mais nous ne pouvons pas témoigner par nous-mêmes de notre origine si ce n'est par un raisonnement inductif.
La Création appartient au passé, à une lointaine origine. Elle est au commencement. Elle est même à l’origine du temps. La Conservation appartient à la durée. Elle est du passé comme du présent et devrait se poursuivre dans le futur.
Enfin, dans la Création, seul Dieu agit. Lui-seul peut créer « ex-nihilo ». Dans la Conservation, Dieu peut aussi agir. Les créatures agissent aussi avec Lui dans la mesure où elles coopèrent à leur durée. Il peut en quelque sorte déléguer son pouvoir à ses créatures. La Conservation peut donc être considérée comme une œuvre partagée entre Dieu et ses créatures.
Un Monde inexplicable naturellement
Revenons au commencement, c’est-à-dire à la Création. Comme nous l’avons déjà évoqué, la Création est une œuvre divine, parfaitement libre, œuvre de pure bonté, de pur amour. Rien ne pouvait obliger Dieu à faire sortir Ciel et Terre du néant. L’homme n’est pas en soi un être indispensable. Une fleur au parfum ravissant peut ne pas exister. Tout ce qui nous entoure n’est pas en soi nécessaire. L’Univers dans sa totalité pouvait ne pas être. Tout repose sur ce mystère. Il est possible de concevoir le Big Bang selon un mécanisme sensé et cohérent mais qui peut expliquer l’atome primitif ? Qui peut justifier l’instant primordial ? Nul ne peut répondre. L’instant avant l’instant, c’est-à-dire le non-instant, demeure inexplicable. Cela dépasse notre intelligence. Nous vivons dans le temps et nous pensons avec le temps. Nous ne pouvons concevoir un Monde sans temps. Que le temps soit, tout le monde le conçoit, mais pourquoi il y eut une première seconde, nul ne peut le dire. Car il n’y a pas de nécessaire raison à cela…
Un Monde ordonné
Mais depuis que l’Univers est sorti du néant, tout est devenu nécessaire. Supprimez toutes les fleurs et vous verrez un Monde bancal. Devant les ravages écologiques de notre temps, nous constatons bien l’importance de chaque élément constituant notre Monde et encore plus des relations existantes entre elles. La fin du XXème siècle nous a probablement rappelé cette vérité. Un degré de température de plus sur notre planète et tout se dérègle. Nous parlons même d’écosystème pour traduire l’interdépendance entre toutes les créatures. Sans abeilles, les fleurs pourraient-elles encore exister ? Le bruissement d’une aile de papillon peut changer le Monde.
Peut-il y avoir interdépendance sans ordre ? Plus nous découvrons le Monde, plus nous sommes frappés par les inextricables relations qui lient les créatures entre elles, et encore plus l’homme à son environnement. Deux questions : d’où vient cet ordre ? Et comment demeure-t-il dans le temps ? D’autres questions se posent aussi : ces relations sont-elles des causes de phénomènes ou des conséquences ? Une fleur a-t-elle besoin des abeilles ou profite-elle d’elles ? Enfin, ultime question sur notre propre connaissance : construisons-nous ces liens pour expliquer ce que nous observons ou existent-ils indépendamment de nos observations ? Questions délicates à l’origine de bien d’erreurs…
Le Monde œuvre d’une intelligence
Guiard des Moulins,
Bible historiale
Paris, début XVe siècle
|
Une si grande multitude si bien ordonnée peut-elle être l’œuvre d’un caprice ou du hasard ? Lorsque le regard se porte sur le Monde qui nous entoure et quand nous admirons l’ordre qui y règne, la question de son origine se pose comme se pose celle de sa continuité. Comment se fait-il que tout se déroule si admirablement chaque jour ? Chaque matin, le Soleil nous révèle un véritable miracle : un Monde toujours existant…
Récemment, nous avons rencontré un ancien ingénieur dans l’automobile, qui, au bout d’une carrière bien remplie, avait découvert toutes les facettes de cette industrie. D’un air étonné et émerveillé, il avouait que si une voiture fonctionnait aujourd’hui sans panne, cela revenait d’un miracle tant elle était le résultat de diverses opérations interdépendantes aux multiples acteurs et fournisseurs. Que pouvons-nous dire du Monde ?...
Si nous croyons en un Dieu Créateur de toute chose, pouvons-nous concevoir qu’Il puisse être capricieux et agir en aveugle ? Un horloger serait-il plus sage que le Tout-Puissant ? L’homme au-dessus de Dieu ? N’est-Il pas plutôt concevable que ce Monde puisse être l’œuvre d’un Être intelligent, agissant selon une fin précise ? Il n’a pas créé par hasard ou par aveuglement ou selon le mouvement d’une pensée sans lendemain. Il a assigné à son œuvre une fin bien précise. La Terre et le Ciel témoignent par eux-mêmes l’existence de ce plan. « Interroge les bêtes, et elles t’enseigneront ; et les volatiles du ciel, et ils te l’indiqueront. Parle à la terre, et elle te répondra ; et les poissons de la mer te le raconteront. Qui ignore que toutes ces choses la main du Seigneur les a faites ? » (Job, XII, 7-9). Tout cela nous conduit à la Providence divine.
Le Monde, témoin de la Providence divine
S’il y a création continuée, il y a plan divin. Aucune créature ne peut se soustraire à la fin que Dieu lui a assignée. Consciente ou non, elle l’accomplit et Le sert selon sa nature. Mais cette fin spéciale propre à chaque créature s’insère dans une fin générale. Le Tout est sous la main de Dieu comme chacun de ses éléments.
Dieu assigne donc à la Création et à chaque créature une fin déterminée. Dans ce cas, pouvons-nous croire qu’Il puisse se désintéresser de son œuvre ? La laissera-t-Il se détruire ? Soit Il serait impuissant à accomplir sa propre volonté, Lui qui est si puissant pour la tirer du néant. Soit Il accepterait de ne pas atteindre le but qu’Il s’est lui-même fixé en dépit de sa souveraine puissance. Deux raisons intenables à soutenir.
« Comment quelque chose pourrait-il subsister, si vous ne l’aviez pas voulu ? Ou comment ce qui n’aurait pas été ordonné par vous se conserverait-il ? ». La Sainte Écriture nous répond : « Mais vous êtes indulgent envers tous, parce que tout est à vous, Seigneur, qui aimez toute chose » (Sag., XI, 26-27).
Dieu Tout-Puissant et Pantocrator
Qui pourra comparer Dieu à l’homme ? Il n’est pas versatile. Qui pourra contester sa Toute Puissance ? Il ignore la faiblesse. « Ma résolution sera inébranlable, et toute ma volonté s’exécutera » (Is., XLVI, 9). Ce qu’Il veut s’accomplit nécessairement. La Sainte Écriture nous apprend davantage. S’il est « omnipotentem », il est avant tout « Pantocrator », c’est-à-dire souverain de toute chose. « C’est vous qui avez fait le ciel et la terre, et tout ce qui est renfermé dans l’enceinte du ciel. Vous êtes le Seigneur de toutes choses, et il n’y a personne qui puisse résister à votre majesté » (Esther, XIII, 10-11). Dieu est donc Celui qui gouverne Tout. « Vous avez fondé la terre, et elle demeure stable, par votre ordre persévère le jour, parce toute chose vous sont assujetties » (Ps., CXVIII, 90).
Dieu n’est ni un despote, ni un tyran. Notre Seigneur Jésus-Christ nous montre à plusieurs reprises un Père plein de douceur et d‘attention, prenant soin de la Création. « Regardez les oiseaux du ciel ; ils ne sèment ni ne moissonnent, ni n’amassent dans les greniers, et votre Père céleste les nourrit ». Et « les lis des champs, comme ils croissent, ils ne travaillent ni ne filent. Or je vous dis que Salomon même dans sa gloire n’a jamais été vêtu comme l’un d’eux » (Matth.VI, 26-29). Pas un seul passereau ne peut tomber sur la terre sans qu’Il ne le sache. « Les cheveux même de votre tête sont tous comptés » (Matth., X, 30). Ainsi Dieu garde et gouverne par sa Providence tout de ce qu’Il a créé, « atteignant avec force d’un bout du monde à l’autre et disposant tout avec douceur » (Sag., VIII, 1) »[3].
Et l’homme, objet de ses sollicitudes
Dieu n’a pas exclu l’homme de sa Providence. Créé à son image et à sa ressemblance, il est sa plus belle créature. Prendrait-Il soin de toute la Création tout en se désintéressant de lui ? « Lui-même a fait le grand et le petit, et qu’il a également soin de tout » (Sag., VI, 8). Cela est encore plus vrai pour notre âme qui est le joyau de notre être. Dieu œuvre donc pour notre sanctification et notre salut. Car « c’est le même Dieu qui opère tout » (I. Cor, XII, 6), « selon sa bonne volonté » (Phil., II, 13). Il ne coopère pas simplement à notre sanctification, Il en aussi la cause. Nul ne peut se sauver si Dieu ne le sauve pas. « Humiliez-vous donc sous la puissante main de Dieu, pour qu’Il vous exalte au temps de sa visite, rejetant en Lui toutes vos sollicitudes, parce qu’Il a lui-même soin de vous » (I, Pier., V, 6-7).
Ainsi Dieu est le commencement, le milieu et la fin de toute chose. « Celui qui est la cause de tout, aime tout, en raison de l’excès de sa bonté, il fit tout, il accomplit tout, il maintient tout, il dirige tout et est l’amour pour le bien à cause du bien » (Pseudo-Denys). Ainsi « il n’a pas créé pour s’éloigner ensuite » (Saint Augustin).
Devant nos regards souvent négligents, parfois las des merveilles qui nous environnent, la Vie nous témoigne continuellement l’œuvre continue de Dieu. Elle reflète sa Puissance, sa Sagesse, sa Bonté qui œuvrent encore parmi nous. Que faisons-nous ici-bas ? Question perpétuelle sans réponse satisfaisante si nous demeurons enfermés en nous-mêmes. Osons alors élever notre regard et notre intelligence. La raison ne refuse pas un Dieu Créateur, encore moins un Dieu Conservateur. Nous assistons à chaque instant de notre existence à la Création continuée. Nous sommes témoins chaque jour de l’amour de Dieu et de son existence…Rendons grâce à Dieu…
Références
[1] Émeraude, octobre 2013, article « Le Christ Pantocrator ».
[2] Saint Augustin, Sermon 215, Denzinger, 21.
[3] Concile du Vatican, Constitution dogmatique Dei Filius sur la Foi catholique, chap.I, Denzinger ,3003.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire