En proposant l’hypothèse d’un système héliocentrique, un Monde désormais centré sur le Soleil et non plus sur la Terre, le chanoine Copernic bouleverse les esprits. Le vieux système de Ptolémée n’est plus le seul capable de décrire l’Univers. Pire, il ne sauve plus les apparences. Il est aussi devenu terriblement complexe au cours du temps. Plus soucieux de simplicité et d’harmonie, l’héliocentrisme finit par s’affirmer au fur et à mesure des progrès de l’observation. Les principes antiques apparaissent également désuets. L’Univers n’est plus aussi harmonieux comme l’entendaient les anciennes cosmologies. La conception aristotélicienne du Monde est contestée. Un vif débat finit par diviser les esprits et les cœurs. Que choisir entre une conception ancienne de moins en moins défendables et le nouveau modèle si prometteur mais si révolutionnaire ? Newton est l’un des savants qui apporteront le coup décisif sur un système moribond, désormais incapable de « sauver les apparences ».
Dans cet article et les suivants, nous allons étudier les lois de Newton et leurs influences sur notre manière de concevoir le Monde. Nous essayerons de rendre ces textes accessibles à tous.
Le changement de conception de l’Univers est-il un danger à notre foi ?
Certains ecclésiastiques, dont des scientifiques, se sont opposés à l’héliocentrisme sous prétexte de défendre la foi. Cette opposition a conduit à l’affaire de Galilée [1]. Ils pensaient probablement que le christianisme et l’Église dépendaient de l’aristotélisme. Les discours de l’Église cadraient en effet parfaitement avec les cosmologies d’Aristote et de Ptolémée. Ils étaient même construits pour cela afin d‘être entendus dans une société qui vivait dans ce référentiel. Cependant, le christianisme et l’Église ne dépendent pas de ces modèles. Notre maître n’est ni Aristote, ni Ptolémée mais bien Notre Seigneur Jésus-Christ.
Nous pouvons néanmoins comprendre l’inquiétude de ces hommes qui devaient se référer désormais à une autre conception de l’Univers. Est-elle toujours en accord avec la foi comme l’était le modèle de Ptolémée ? En outre, elle s’affirme au moment même où l’athéisme fait des ravages. Le temps n’est guère propice pour une telle révolution. Des esprits « éclairés » s’appuient notamment sur Newton pour rejeter un Dieu Créateur et une Providence divine. Les progrès scientifiques deviennent entre certaines mains des armes redoutables pour s’opposer à l’Église. Portés par des discours scientistes, ils éloignent les intelligences du christianisme. Elles abusent des découvertes de Newton pour montrer l’incompatibilité entre la foi et les sciences. Mais le système de Newton est-il vraiment opposé à notre foi ? La nouvelle science, porteuse de modernité, conduit-elle nécessairement à l’incroyance et à l’athéisme ? Allons plus loin dans notre questionnement. Soyons audacieux. N’apporte-t-il pas au contraire des motifs de crédibilité supplémentaires à notre foi ?
Le modèle de Newton
Isaac Newton |
« J'ai donné dans les livres précédents les principes de la philosophie naturelle, et je les ai traités plutôt en mathématicien qu'en physicien, car les vérités mathématiques peuvent servir de base à diverses recherches philosophiques, telles que celles sur les lois des mouvements et des forces motrices. […] Il me reste à expliquer par les mêmes principes mathématiques le système général du monde »[2].
Au XVIIIème siècle, Newton a révolutionné la Science. Il a notamment posé le fondement de la physique classique en exposant les lois du mouvement des corps et de la gravitation universelle. Ces lois permettent d’expliquer bien des choses : la chute des corps, la trajectoire des projectiles, les mouvements des planètes, les orbites des comètes, les marées, et bien d’autres phénomènes.
Newton définit des lois qui décrivent le mouvement de tout corps en fonction des forces qui s'exercent sur lui. Les forces traduisent les actions que le corps subit. Quelles sont ces lois ? La première loi postule que : « tout corps persévère dans l'état de repos ou de mouvement uniforme [3] en ligne droite dans lequel il se trouve, à moins que quelque force [...] ne le contraigne à changer d'état ». En absence de force qui s’exerce sur lui ou de forces qui se compensent, un objet a deux positions : soit il est au repos, soit il se déplace selon une vitesse constante selon une trajectoire parfaitement rectiligne. Ce principe semble être conforme à notre expérience quotidienne.
La deuxième loi est une extension de la première loi. Elle est liée à l'impulsion de mouvement subie par un corps. « Le changement du mouvement est proportionnel à la force motrice imprimée et se fait suivant la droite par laquelle cette force est imprimée ». L’accélération du mouvement est due à l'intervention de forces et sa valeur dépend de la masse de l’objet auquel elles s’appliquent. L’accélération est ainsi nulle si aucune force ne s’exerce sur le corps en question. Nous retrouvons la première loi.
Ainsi pour connaître le mouvement d’un objet, par exemple sa vitesse, sa trajectoire ou sa localisation à un instant donné, il faut déterminer l’ensemble des forces qui s’exercent sur lui. Connaissant sa masse, il est en outre possible de connaître son accélération et sa vitesse. Des formules mathématiques permettant de relier les différentes grandeurs. La connaissance de certaines permet ainsi d’en déterminer d’autres.
Une troisième et dernière loi assure que l'action d'une force sur un corps doit nécessairement aboutir à une réaction de ce dit corps égale et contraire. Newton affirme que : « à toute action est toujours opposée une réaction égale ».
Enfin, Newton définit une loi fondamentale : la gravitation universelle. Deux corps s‘attirent mutuellement, la force de l’attraction étant proportionnelle à leur masse. Le corps dont la masse est la plus grande attire l’autre. C’est pourquoi détachée de l’arbre, une pomme ne peut que tomber. Compte tenu du rapport de masse entre notre planète et le fruit, la Terre l’attire irrésistiblement vers elle. C’est l’attraction terrestre. La force gravitationnelle permet aussi de justifier l’héliocentrisme. En effet, compte tenu de leur masse, le Soleil attire la Terre et non l’inverse. Le Soleil ne peut qu’être au centre du système solaire.
Les principes révolutionnaires de la philosophie naturelle de Newton
Le titre de son ouvrage majeur, les Philosophiae naturalis principia mathematica, est révélateur. Newton énonce des principes mathématiques de philosophie naturelle. En un seul livre et de manière claire et sobre, il a reformulé toutes les connaissances sur les corps en mouvement en vue de présenter une explication du Monde.
Deux règles semblent suffire pour Newton. La première règle est celle de la simplicité : « il ne faut admettre de causes, que celles qui sont nécessaires pour expliquer les phénomènes. La nature ne fait rien en vain, et ce serait faire des choses inutiles que d’opérer par un plus grand nombre de causes ce qui peut se faire par un plus petit »[4]. Newton part du principe que les lois applicables aux corps terrestres sont aussi valables aux corps célestes : « les effets du même genre doivent toujours être attribués, autant qu’il est possible, à la même cause ». C’est un principe révolutionnaire ! Il établit des lois universelles qui régissent à la fois le Ciel et la Terre. Les lois qui permettent d’expliquer la chute d’une pomme s’appliquent aussi à la Lune qui tourne autour de la Terre. Ainsi, en étudiant les phénomènes ici-bas, le savant peut découvrir le mystère des astres. Ce principe peut alors conduire à une démystification du Ciel et à une mécanisation du Monde. Aujourd’hui, ce principe n’est plus valable.
L’autre innovation de Newton est l’introduction de lois mathématiques dans l’explication du Monde. Il traite l'Univers non pas en physicien mais bien en mathématicien. Les lois sont explicitées sous forme de formules mathématiques capables de déterminer et de comparer des grandeurs telles que la vitesse ou la force. Ces lois ne permettent pas d’expliquer les raisons des phénomènes mais de les décrire et de les prédire par des calculs, ce qui permet ensuite de les modéliser. Les formules introduisent en outre des paramètres temporels. Par conséquent, ce modèle prend en compte le temps. Ainsi est-il possible de décrire le mouvement dans le passé, le présent et l’avenir. En clair, Newton construit un système déterministe et mécanique capable de décrire et prévoir des phénomènes naturels.
A l’origine, les lois de Newton n’apparaissaient pas sous la forme mathématique que nous connaissons actuellement. Elles sont l’œuvre de Pierre Varignon (1654-1722) qui, grâce aux travaux de Leibniz, introduit des notions indispensables pour traduire les lois en formules calculatoires.
A
Dieu est-il absent du modèle newtonien ?
Tel est donc le rôle que Newton donne à Dieu dans son ouvrage : « on voit que Celui qui a arrangé cet Univers a mis les étoiles fixes à une distance immense les unes des autres, de peur que ces globes ne tombassent les uns sur les autres par la force de leur gravité »[6].
Essayons de mieux saisir sa pensée grâce aux lettres qu’il a pu échanger avec Richard Bentley, théologien anglais et chapelain de l'évêque de Worcester. Bentley lui pose une série de questions sur le rôle de Dieu dans son explication du Monde. Il juge en effet son rôle insuffisamment traité dans son ouvrage.
Bentley interroge Newton afin d’organiser des conférences consacrées à la défense de la religion chrétienne et à la réfutation de l'athéisme afin de suivre les dispositions testamentaires de Robert Boyle. Les conférences doivent notamment démontrer que la science nouvelle, c'est-à-dire, la « philosophie mécanique », dont Boyle était un si ferme adepte, d'une part, et l’héliocentrisme, d'autre part, ne conduisent aucunement au matérialisme mais au contraire offrent une base solide pour le rejeter et le réfuter…
Bentley demande donc à Newton si effectivement sa cosmologie implique l’intervention de Dieu ou non. En quatre lettres, Newton développe donc le rôle de Dieu et précise sa pensée. Il démontre que son système implique l’existence d’un « agent intelligent » : « les mouvements que les planètes ont maintenant ne pouvaient pas provenir d'une cause naturelle seulement, mais [leur] ont été imprimés par un Agent intelligent »[7].
Carte galactique |
D‘où proviennent alors les conditions initiales ? Tout observateur peut admirer l’ordre apparent de l’Univers. Songeons à toute cette multitude de planètes, d’étoiles, de galaxies, etc. qui tournoient sans-cesse dans un ballet céleste. Songeons à cette diversité incroyable d’astres qui ne cessent de se mouvoir sans que ne surgisse le chaos. Tout cela est en effet parfaitement ordonné selon une seule et unique loi dans le modèle de Newton. Tout cet agencement incroyable provient de conditions initiales innombrables qui ne peuvent pas être indépendantes entre elles. Pouvons-nous alors croire que ces premières grandeurs résultent du hasard ? Des conditions initiales aléatoires conduiraient vite à un chaos innommable. Elles sont donc parfaitement arbitraires. « Les dimensions et les distances données des corps du système cosmique restent arbitraires : les planètes auraient pu être plus ou moins grandes, et être placées plus ou moins loin. Elles auraient pu, aussi, se mouvoir plus ou moins vite. Elles décriraient alors des trajectoires très différentes de celles qu'elles décrivent actuellement : des cercles, ou des ellipses très excentriques, elles n'en obéiraient pas moins aux mêmes lois » [8]. Elles ne peuvent donc résulter que d’un choix donc d’une intelligence capable de comprendre les lois qui régissent les corps célestes. Par conséquent, les conditions initiales ne peuvent pas provenir d’une cause naturelle. « [Le fait] de rapporter et d'ajuster ensemble toutes ces choses dans une si grande variété de corps indique que cette cause n'est pas aveugle et accidentelle, mais est très bien versée en mécanique et en géométrie » [9]. Par conséquent, le système de Newton implique une intelligence capable de fixer des conditions initiales.
Elle implique aussi une puissance capable de les appliquer à tout Univers pour parvenir à la situation que nous connaissons. Enfin, il n'y a pas de choix sans finalité. « La matière, soumise à la loi de la gravité seule, ne pouvait pas engendrer le système planétaire »[10]. Elle nécessite un « agent intelligent » tout-puissant. Telle est la conclusion que nous pouvons tirer des échanges épistolaires entre Bentley et Newton. « Ainsi donc, la gravité pourrait bien mettre les planètes en mouvement, mais, sans le pouvoir divin, elle ne pourrait jamais les mettre dans un mouvement circulatoire tel qu'elles en ont autour du Soleil ; et par conséquent, pour cette raison, ainsi que pour d'autres, je suis obligé d'attribuer la formation de ce système à un Agent intelligent ».
Les dangers et les limites du modèle de Newton
Le modèle de Newton pose quelques dangers. Pouvons-nous d’abord imaginer l’état d’esprit des savants qui découvrent les lois de Newton ? L’explication rationnelle de l’Univers leur semble désormais possible. Ils détiennent des lois rationnelles qui semblent régir et prédire le Monde. Certes dans le modèle de Newton, Dieu joue un rôle fondamental pour maintenir le système mais rapidement ses arguments s’effacent et finissent par être oubliés. En outre, ils font l’objet d’une vive controverse. On accuse de concevoir un Dieu incompétent ressort clairement de son livre. L'image d'un tel Dieu n’est guère soutenable. « Sir Isaac Newton et ses sectateurs, ont encore une fort plaisante opinion de l'ouvrage de Dieu. Selon eux, Dieu a besoin de remonter de temps en temps sa montre, autrement elle cesserait d'agir. Il n'a pas eu assez de vue pour en faire un mouvement perpétuel. Cette machine de Dieu est même si imparfaite selon eux qu'il est obligé de la décrasser de temps en temps par un concours extraordinaire, et même de la raccommoder comme un horloger son ouvrage, qui sera d'autant plus mauvais maître qu'il sera obligé plus souvent d'y retoucher et d'y corriger »[11]. Enfin, son ouvrage est insuffisamment clair et précis pour fournir des arguments solides. Ils seront en effet rapidement écartés.
Un Modèle sans Dieu
Face aux discours scientistes, Dieu finit par disparaître de l’Univers newtonien. Selon Pierre-Simon Laplace (1749-1827), les lois de Newton sont suffisantes pour démontrer la stabilité du Monde. L’« hypothèse » d’un Dieu est devenue inutile. Le modèle suffit par lui-même. L’homme est désormais capable de se passer de Lui. Dans le modèle de Newton expurgé de Dieu se trouve probablement les germes des révolutions qui vont bouleverser la société et les esprits...
Pourquoi les scientifiques chercheraient-ils même à garder à Dieu une place dans un Univers aux lois si déterministes ? A quoi servirait Dieu dans leurs travaux ? Tout semble être déterminé grâce aux formules mathématiques … L’Univers mécanique de Newton fonctionne en effet merveilleusement. Au XVIIIème siècle, grâce à ses principes, Halley réussit à prévoir le retour de la comète qui porte son nom. Au siècle suivant, la planète Neptune est découverte par les calculs et non par l’exploration du ciel. La science déterministe triomphe…
Cependant le modèle newtonien pose quelques difficultés.
En érigeant un Univers mécanique que dirigent des lois universelles et invariables, Newton a construit un Monde statique et donc éternel. Contrairement à ce que nous pourrions penser, ces formules sont intemporelles. Certes elles introduisent le temps mais non la durée comme nous l’explique Bergson. Tout se ramène en fait à l’espace.
En outre, Newton démontre que si l’Univers était fini, toute la matière finirait par se regrouper sous l’effet de la gravité. Newton propose donc dans son modèle un Univers infini, rempli d'un nombre infini d'étoiles, uniformément réparties dans l’Univers. Mais la simple observation de la nuit démontre son erreur. Car selon ce principe, la nuit serait alors lumineuse.
Le modèle de Newton est certes important pour déterminer et expliquer des mouvements mais ne peut expliquer la structure et l’organisation de l’Univers. Il est toujours utilisé mais il reste incomplet voire faux dans certaines conditions. Il ne parvient plus à sauver toutes les apparences. D’autres modèles sont apparus notamment pour déterminer la forme de l’Univers et prendre en compte les nouvelles observations du Ciel, de plus en plus précises. La réalité s’impose devant le modèle mathématique de Newton.
Contrairement à ce que nous avons pu penser, le modèle de Newton implique l’existence d’un « agent intelligent », tout puissant, à l’origine de l’Univers. Il implique un Créateur. Nous rejetons cependant l’idée d’un Dieu incompétent que semble présenter Newton dans son ouvrage. Nous pouvons regretter qu’il n’ait pas suffisamment approfondi sa pensée et de manière publique pour mieux définir le rôle de Dieu en tant que Créateur tel qu’il semble être défini dans sa relation épistolaire. Il pose néanmoins la question des conditions initiales qu’imposent les lois de Newton. Qui les a fixées et comment ?...
Références
[1] Voir Émeraude, octobre 2012. Trois articles sont consacrés à cette affaire.
[2] Isaac Newton, Philosophiae naturalis principia mathematica, 1687.
[3] Mouvement dotée d’une vitesse constante.
[4]Livre III p. 2 dans l’édition de 1759 de la marquise de Châtelet cité dans Claudine Hermann, La traduction et les commentaires des Principia de Newton.
[5] Isaac Newton, Principes mathématiques de la philosophie naturelle, T. II, 1759 dans La cosmologie cartésienne et ses conséquences.
[6] Isaac Newton, Principes mathématiques de la philosophie naturelle, T. II.
[7] Voir Newton, Galilée et Platon, rapport présenté au Congrès international d'Histoire des Sciences à Barcelone-Madrid (1-7 sept. 1959).
[8] Voir Newton, Galilée et Platon.
[9] Voir Newton, Galilée et Platon.
[10] Voir Newton, Galilée et Platon.
[11] Cité par Arkan Simaan, in L'image du monde de Newton à Einstein, Paris, Vuibert-Adapt, 2005, in L'idée d'univers de la science classique à la cosmologie moderne par Bernard Coly , Université Cheikh Anta Diop de Dakar - Diplôme d'études approfondies (DEA) 2006.
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